Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome45.djvu/38

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Nous faisons à présent la guerre très-paisiblement aux citoyens têtus de Genève. J’ai trente dragons autour d’un poulailler qu’on nomme le château de Tournay, que j’avais prêté à M. le duc de Villars, sur le chemin des Délices. Je n’ai point de corps d’armée à Ferney ; mais j’imagine que, dans cette guerre, on boira plus de vin qu’on ne répandra de sang.

Si vous avez, monseigneur, une bonne actrice à Bordeaux, je vous enverrai une tragédie nouvelle pour votre carnaval ou pour votre carême. Maman Denis, et tous ceux à qui je l’ai lue, disent qu’elle est très-neuve et très-intéressante. La grâce que je vous demanderai, ce sera de mettre tout votre pouvoir de gouverneur à empêcher qu’elle ne soit copiée par le directeur de la comédie, et qu’elle ne soit imprimée à Bordeaux. J’oserais même vous supplier d’ordonner que le directeur fît copier les rôles dans votre hôtel, et qu’on vous rendît l’exemplaire à la fin de chaque répétition et de chaque représentation ; en ce cas, je suis à vos ordres.

Voici le mémoire concernant votre protégé[1], et l’emploi de la lettre de change que vous avez eu la bonté d’envoyer pour lui. Quand même je ne serais pas à Ferney, il restera toujours dans la maison ; maman Denis aura soin de lui, et je le laisserai le maître de ma bibliothèque. Il passe sa vie à travailler dans sa chambre, et j’espère qu’il sera un jour très-savant dans l’histoire de France. Je lui ai fait étudier l’Histoire des Pairs et des Parlements, ce qui peut lui être fort utile. Il se pourra faire que bientôt je sois absent pour longtemps de Ferney ; je serais même aujourd’hui chez M. le chevalier de Beauteville, à Soleure, et de là j’irais chez le duc de Wurtemberg et chez l’électeur palatin, si ma santé me le permettait.

Dans cette incertitude, je vous demande en grâce d’avoir pour moi la même bonté que vous avez eue pour Galien. Ni vos affaires, ni celles de la succession de M. le prince de Guise, ne seront arrangées de plus de six mois. Je me trouve, à l’âge de soixante et quatorze ans, dans un état très-désagréable et très-violent. Votre banquier de Bordeaux peut aisément vous avancer, pour six mois, deux cents louis d’or, en m’envoyant une lettre de change de cette somme sur Genève. Il le fera d’autant plus volontiers que le change est aujourd’hui très-avantageux pour les Français ; et il y gagnera, en vous faisant un plaisir qui ne vous coûtera rien. J’aurai l’honneur d’envoyer alors mon reçu à compte, de deux cents louis

  1. Galien ; voyez une note sur la lettre 6530.