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CORRESPONDANCE.
7046. — DE M. MOREAU DE LA ROCHETTE[1].
Au château de la Rochette, près Melun, 14 octobre 1767.

Monsieur, nous ne sommes pas mieux traités ici qu’à Ferney. Ceux qui ont du bois pour se chauffer se consolent ; ceux qui n’en ont point crient contre le dérangement des saisons, qui devient si sensible aujourd’hui qu’il paraît annoncer un hiver perpétuel : c’est une bonne affaire pour ceux qui ont du bois à vendre, et du mauvais temps pour ceux qui en plantent.

Il n’y a point d’inconvénient, monsieur, a faire lever actuellement les arbres que vous me demandez ; en conséquence j’écris par ce courrier au directeur des guimbardes, à Paris, que samedi prochain, 17 de ce mois, je ferai conduire ces arbres à Chailly, près de Fontainebleau, où je le prie de les faire prendre ; en sorte qu’ils arriveront le 25 ou le 26 à Lyon, au bureau des diligences. Je compte vous en envoyer trois cents, qui composeront à peu près la charge de sept à huit cents pesant. Vous n’aurez que la voiture de Chailly à Lyon à faire payer. Les faux frais d’ici sont une misère dont je me charge. Si cet envoi peut réussir à votre satisfaction, je me flatte, monsieur, que vous voudrez bien nous continuer votre pratique. Je suis sûr que monsieur le contrôleur général se fera toujours un plaisir de vous donner tout ce qui pourra vous être agréable ; de mon côté, je serai enchanté de pouvoir contribuer à vos amusements champêtres.

Vous dites, monsieur, que vous avez planté des noyers et des châtaigniers dont vous ne mangerez ni noix ni châtaignes, et que vous ne plantez que pour la postérité : vous ne savez donc pas combien vous avez mérité et acquis l’immortalité, et qu’à ce titre vous devez continuer de travailler comme un homme qui doit toujours vivre ? Je pense comme vous, monsieur, sur la partie des bois et des haras ; mais je ne suis pas tout à fait de votre avis sur ce qui concerne la population, que vous croyez assez étendue. Quoique je ne sois plus jeune, je prends encore un peu d’intérêt à la chose ; et entre nous, monsieur, nous ne voyons que trop de gens qui, au bout de deux ans de mariage, ne veulent plus faire d’enfants. Pour moi, je voudrais pouvoir en faire encore assez pour peupler toutes les landes de Bordeaux et de la Bretagne, qui présentent un désert déplorable, quoique susceptibles de bonne culture et de productions très-fertiles. Les ports de mer, les villes de commerce envahissent tous les bras voisins. Les journaliers font une récolte active. Ils considèrent bien que quinze à dix-huit sols par jour doivent fournir à leur subsistance, et ils ne font pas attention que la terre ne peut les nourrir sans être cultivée, et que la culture des terres est la première et véritable richesse. En un mot, quoi que vous en puissiez dire, je crois que nous n’avons pas assez de bras, ou bien nous avons donc trop de fainéants et de paresseux qui n’apportent rien à la masse productive. Je conviens, au surplus, que je suis heureux, comme vous le dites, monsieur,

  1. Mémoires de la Société académique d’agriculture, etc., du département de l’Aube, tome VI, 3e série, année 1869.