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ANNÉE 1767

que Mlle Dubois a joué à la pauvre Durancy un tour de maître Gonin[1] ; mais il n’est pas moins avéré que le tripot tragique est à tous les diables. Il faut que je sois une bonne pâte d’homme, bien faible, bien sotte, pour m’y intéresser encore. La seule ressource peut-être serait d’engager Mlle Clairon à reparaître ; mais où trouver des hommes ? Elle serait là comme Mme Gigogne, qui danse avec de petits polichinelles de trois pouces de haut.

Vous n’avez que Lekain ; mais on dit qu’il a une maladie qui n’est pas favorable à la voix.

Je vous recommande à la Providence.

Le théâtre n’est pas la seule chose qui m’embarrasse ; j’ai quelques autres chagrins en prose et en arithmétique.

Je vous prie de communiquer ma lettre à M. d’Argental. Adieu, mon cher marquis ; le bon temps est passé.

7100. — À M. DE POMARET,
ministre du saint évangile, à ganges, en langedoc.
18 décembre.

Le solitaire à qui M. de Pomaret a écrit a tenté en effet tout ce qu’il a pu pour servir des citoyens qu’il regarde comme ses frères, quoiqu’il ne pense ni comme eux ni comme leurs persécuteurs. On a déjà donné deux arrêts du conseil, en vertu desquels tous les protestants, sans être nommés, peuvent exercer toutes les professions, et surtout celle de négociant. L’édit pour légitimer leurs mariages a été quatre fois sur le tapis au conseil privé du roi. À la fin il n’a point passé, pour ne pas choquer le clergé trop ouvertement ; mais on a écrit secrètement une lettre circulaire à tous les intendants du royaume ; on leur recommande de traiter les protestants avec une grande indulgence. On a supprimé et saisi tous les exemplaires d’un décret de la Sorbonne, aussi insolent que ridicule, contre la tolérance. Le gouvernement a été assez sage pour ne pas souffrir que des pédants d’une communion osassent damner toutes les autres de leur autorité privée. Les hommes s’éclairent, et le contrains-les d’entrer[2] paraît aujourd’hui aussi absurde que tyrannique.

  1. La Mésangère, dans son Dictionnaire des Proverbes français, parle de deux Gonin ; le père divertissait la cour de François Ier ; le fils, plus habile, vivait sous Charles IX. Tous deux sont cités par Brantôme ; leur nom signifie plus que fin et rusé.
  2. Ces paroles de saint Luc, xiv, 23, sont le sujet d’un ouvrage de Bayle.