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CORRESPONDANCE.
7102. — À M. DE CHABANON.
21 décembre.

Mon cher ami, vous me faites aimer le péché originel. Saint Augustin en était fou ; mais celui qui inventa la fable de Pandore avait plus d’esprit que saint Augustin, et était beaucoup plus raisonnable. Il ne damne point les enfants de notre mère Pandore, il se contente de leur donner la fièvre, la goutte, la gravelle par héritage. J’aime Pandore, vous dis-je, puisque vous l’aimez. Tout malade et tout héritier de Pandore que je suis, j’ai passé une journée entière à rapetasser l’opéra dont vous avez la bonté de vous charger. J’envoie le manuscrit, qui est assez gros, à M. de La Borde[1], en le priant de vous le remettre. Je lui pardonne l’infidélité qu’il m’a faite pour Amphion[2]. Cet Amphion était à coup sûr sorti de la boîte ; il lui reste l’espérance très-légitime de faire un excellent opéra avec votre secours.

Mlle Dubois m’a joué d’un tour d’adresse ; mais si elle est aussi belle qu’on le dit, et si elle a les tétons et le c… plus durs que Mlle Durancy, je lui pardonne ; mais je n’aime point qu’on m’impute d’avoir célébré les amours et le style de M. Dorat, attendu que je ne connais ni sa maîtresse, ni les vers qu’il a faits pour elle[3]. Cette accusation est fort injuste ; mais les gens de bien seront toujours persécutés.

Père Adam est tout ébouriffé qu’on ait chassé les jésuites de Naples, la baïonnette au bout du fusil ; il n’en a pas l’appétit moins dévorant. On dit que ces jésuites ont emmené avec eux deux cents petits garçons et deux cents chèvres ; c’est de la provision jusqu’à Rome. Il ne serait pas mal qu’on envoyât chaque jésuite dans le fond de la mer, avec un janséniste au cou.

Mme Denis mangera demain vos huîtres ; je pourrai bien en manger aussi, pourvu qu’on les grille. Je trouve qu’il y a je ne sais quoi de barbare à manger un aussi joli petit animal

  1. La lettre à M. de La Borde qui devait accompagner cet envoi manque.
  2. Voyez lettre 7073.
  3. On attribuait à Voltaire une épigramme contre Dorat, commençant par ce vers :

    Bon Dieu ! que cet auteur est triste en sa gaité.


    Cette épigramme est imprimée dans plusieurs recueils, et, entre autres, page 53 du tome II de la Correspondance littéraire de La Harpe, qui m’a dit en être l’auteur, et qui l’avoue au reste dans sa note, page 63 du même volume. (B.)