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ANNÉE 1767

contre la religion chrétienne, qui se succèdent aussi rapidement en Hollande que les gazettes et les journaux. L’infâme Fréron, le calomniateur Coger, et d’autres gens de cette espèce, ont la barbarie de m’imputer, à mon âge, une partie de ces extravagances, composées par des jeunes gens et par des moines défroqués.

Tandis que je bâtis une église où le service divin se fait avec autant d’édification qu’en aucun lieu du monde ; tandis que ma maison est réglée comme un couvent, et que les pauvres y sont plus soulagés qu’en aucun couvent que ce puisse être ; tandis que je consume le peu de force qui me reste à ériger à ma patrie un monument glorieux, en augmentant de plus d’un tiers le Siècle de Louis XIV, et que je passe les derniers de mes jours à chercher des éclaircissements de tous côtés pour embellir, si je puis, ce siècle mémorable, on me fait auteur de cent brochures, dont quelquefois je n’ai pas la moindre connaissance. Je suis toujours vivement indigné, comme je dois l’être, de l’injustice qu’on a eue, même à la cour, de m’attribuer le Dictionnaire philosophique, qui est évidemment un recueil de vingt auteurs différents ; mais comment puis-je soutenir l’imposture qui me charge du petit livre intitulé le Dîner du comte de Boulainvilliers[1], ouvrage imprimé il y a quarante ans, dans une maison particulière de Paris ; ouvrage auquel on mit alors le nom de Saint-Hyacinthe, et dont on ne tira, je crois, que peu d’exemplaires ? On croit, parce que je touche à la fin de ma carrière, qu’on peut m’attribuer tout impunément. Les gens de lettres, qui se déchirent et qui se dévorent les uns les autres tandis qu’on les tient sous un joug de fer, disent : C’est lui ; voilà son style. Il n’y a pas jusqu’à l’épigramme contre M. Dorat que l’on n’ait essayé de faire passer sous mon nom[2] ; c’est un très mauvais procédé de l’auteur. Il faut être aussi indulgent que je le suis pour l’avoir pardonné. Quelle pitié de dire : « Voilà son style, je le reconnais bien ! » On fait tous les jours des livres contre la religion, dont je voudrais bien imiter le style pour la défendre. Y a-t-il rien de plus plaisant, de plus gai, de plus salé, que la plupart des traits qui se trouvent dans la Théologie portative[3] ? y a-t-il rien de plus vigoureux, de plus profondément raisonné, d’écrit avec une éloquence plus audacieuse et plus terrible, que le Militaire philosophe[4], ouvrage qui court toute l’Europe ?

  1. Voyez tome XXVI, page 531.
  2. Voyez lettres 7102 et 7109.
  3. Voyez tome XXVIII, page 73.
  4. Voyez tome XXVII, page 117.