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6695. — À M. LE COMTE DE ROCHEFORT.
À Ferney, 28 janvier.

Voici, monsieur, les lettres que j’ai reçues pour vous. Je suis bien fâché de ne vous les pas rendre en main propre ; Mme Denis partage mes regrets.

La malheureuse affaire[1] dont vous avez la bonté de me parler ne devait me regarder en aucune manière ; j’ai été la victime de l’amitié, de la scélératesse, et du hasard. Je finis ma carrière comme je l’ai commencée, par le malheur.

Vous savez d’ailleurs que nous sommes entourés de soldats et de neige. Je suis dans la Sibérie ; je ne puis l’habiter, et je n’en puis sortir. J’ai des malades sans secours, cent bouches à nourrir, et aucunes provisions. Vous avez vu Ferney assez agréable ; c’est actuellement l’endroit de la nature le plus disgracié et le plus misérable. Vous nous auriez consolés, monsieur, et nous ne nous consolons de votre absence que parce que nous n’aurions eu que nos misères à vous offrir.

Ce pauvre père Adam est malade à la mort ; il ne peut avoir ni médecin ni médecine[2] ; ainsi il réchappera.

Conservez-moi vos bontés, et soyez bien convaincu de mon tendre et respectueux attachement.

6696. — À M. MARMONTEL.
À Ferney, 28 janvier.

Enfin donc, mon cher confrère, voilà le mérite accueilli comme il doit l’être[3]. Ce ne sont pas là les prestiges et le charlatanisme d’un malheureux Genevois dont Paris a été quelque temps infatué. Voilà un beau jour pour la littérature ; et ce qui n’est pas moins beau, mon cher ami, c’est la sensibilité avec laquelle vous parlez du triomphe d’un autre. C’est là le partage des vrais talents ; il faut que ceux qui les possèdent soient unis contre ceux qui les haïssent. C’est aux Chaumeix, aux Fréron, aux gazetiers ecclésiastiques, à la canaille qui cherche de petites places, ou à la canaille qui les a, de s’élever contre ceux qui cultivent les arts. Le seul bruit d’une union fraternelle entre les

  1. L’affaire Le Jeune.
  2. À cause du cordon de troupes qui empêchait d’aller à Genève.
  3. Thomas venait d’être reçu à l’Académie française.