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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome46.djvu/382

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CORRESPONDANCE.

fession de foi, faite en style de Savoyard. Votre acte est un crime de faux, et j’en ai la preuve ; l’objet en est respectable, mais le faux est toujours punissable. Qui est coupable d’une fraude pieuse pourrait l’être également d’une fraude à faire pendre son homme.

Mais je me garderai bien de relever cette turpitude ; le temps n’est pas propre ; il suffit, pour le présent, que mes amis en soient instruits ; un temps viendra où cette imposture sacerdotale sera mise dans tout son jour.

Je vous épargne, mon cher ange, des détails qui demanderaient un petit volume, et qui vous feraient connaître l’esprit de la prêtraille, si vous ne le connaissiez pas déjà parfaitement. Je suis dans une position aussi embarrassante que celle de Rezzonico et de Ganganelli. Tout ce que je puis vous dire, c’est que j’ai de bonnes protections à Rome. Tout cela m’amuse beaucoup, et je suis de ce côté dans la sécurité la plus grande.

Je me tirerai de même de l’Histoire du Parlement, à laquelle je n’ai ni ne puis avoir la moindre part. C’est un ouvrage écrit, il est vrai, d’un style rapide et vigoureux en quelques endroits ; mais il y a vingt personnes qui affectent ce style ; et les prétendus connaisseurs en écrits, en écriture, en peinture, se trompent, comme vous savez, tous les jours dans leurs jugements. Je crois vous avoir mandé que j’ai écrit sur cet objet une lettre a M. Marin[1], pour être mise dans le Mercure.

Un point plus important à mon gré que tout cela, c’est que M. Marin ne perde pas un moment à faire imprimer les Guèbres ; c’est une manière sûre de prouver l’alibi. Il est physiquement impossible que j’aie fait à la fois l’Histoire du Siècle de Louis XV, les Guèbres, l’Histoire du Parlement, et une autre œuvre dramatique que vous verrez incessamment. Je n’ai qu’un corps et une âme ; l’un et l’autre sont très-chétifs : il faudrait que j’en eusse trois pour avoir pu faire tout ce qu’on m’attribue.

Encore une fois, il ne faut pas que M. Marin perde un seul moment. Je passerai pour être l’auteur des Guèbres, je m’attends bien, et voilà surtout pourquoi il faut se presser. On a déjà envoyé à Paris des exemplaires de l’édition de Genève. La pièce a beau m’être dédiée[2], on soupçonnera toujours que le jeune homme qui l’a composée est un vieillard. Je n’ai pu m’empêcher d’en envoyer un exemplaire à Mme la duchesse de Choiseul,

  1. La lettre 7583.
  2. Voyez cette dédicace, tome VI, page 487.