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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome46.djvu/468

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CORRESPONDANCE.

de La Barre, qui sont en horreur dans l’Europe entière. Un grand souverain[1] me mandait, il y a quelques jours, qu’il les aurait fait enfermer dans les Petites-Maisons de son pays pour toute leur vie.

On ne peut pas assembler les hommes dans la plaine de Grenelle pour leur prêcher la raison ; mais on éclaire, par des livres de plus d’un genre, les jeunes gens qui sont dignes d’être éclairés, et la lumière se propage d’un bout de l’Europe à l’autre. Les Welches sont toujours les derniers à s’instruire, mais ils s’instruisent à la fin : j’entends les honnêtes gens, car pour les convulsionnaires, les bedeaux de paroisse et les porte-Dieu, il ne faut pas s’embarrasser d’eux.

Adieu, mon divin ange ; rien n’est plus doux que de faire un peu de bien.

7672. — DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[2].
Paris, 20 septembre 1769.

Vous avez beau dire, monsieur, vous ne me persuaderez jamais que ce qui produit de si mauvais ouvrages, et qui introduit un si détestable goût, soit un établissement bon et utile. Pourquoi inciter les gens à parler quand ils n’ont rien à dire ? et a-t-on quelque chose à dire quand on n’a ni pensées ni idées ? Que l’Académie se borne à traiter de la grammaire, à enseigner les règles, mais qu’elle ne donne point de sujets à traiter ; qu’elle ne donne point d’entraves au génie ; que les prix qu’elle a à distribuer soient pour les auteurs de bons ouvrages donnés au public ; qu’on suive en cela la méthode des Anglais. Enfin, monsieur, je ne puis souffrir qu’on encourage les gens sans talents ; ayez la sévérité et la fermeté de Despréaux ; elles vous conviennent encore mieux qu’à lui. Réformez votre maison, vous y avez trop de bouches et de langues inutiles ; voire livrée est trop nombreuse, contentez-vous d’être magnifique, et dédaignez le faste.

Quoi ! pensez-vous sérieusement que ma voix puisse se faire entendre, et que je puisse vous être utile pour faire représenter vos Guèbres ? Jamais le gouvernement n’y consentira ; contentez-vous de l’impression. Vos Guèbres sont dans les mains de tout le monde, et si vous connaissiez vos acteurs, vous verriez combien ils vous sont inutiles ; ils n’ajoutent aucun prestige à ce qu’ils représentent ; tout au contraire, ils font voir le derrière des coulisses, et sentir tous les défauts. Vous ne pouvez être retenu par cette considération, j’en conviens ; mais, monsieur, vous voulez établir la tolérance, vous avez raison, je voudrais que vous fussiez le premier à en ressentir les effets. Pour y parvenir, prêchez-la d’exemple ; contentez-vous

  1. L’impératrice Catherine II ; voyez lettre 7594.
  2. Correspondance complète, édition de Lescure ; Paris, 1865.