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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/509

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ANNÉE 1771.

pièce d’eau une colonne rostrale ; la prise de la Crimée y sera perpétuée par une grosse colonne ; la descente dans la Morée, par une autre.

Tout cela est fait des plus beaux marbres qu’on puisse voir, et que les Italiens même admirent. Ces marbres se trouvent les uns dans les rives du lac Ladoga, les autres à Caterinenbourg, en Sibérie, et nous les employons comme vous voyez : il y en a presque de toutes couleurs.

Outre cela, derrière mon jardin, dans un bois, j’ai imaginé de faire bâtir un temple de Mémoire pour la guerre présente, où tous les faits importants (et il n’y en a pas peu, nous en sommes au 64e numéro) seront gravés-sur des médaillons et des inscriptions en langue du pays, très-simples et courtes, avec la date et le nom de ceux qui les ont effectués. J’ai un excellent architecte italien qui fait à présent le plan de ce bâtiment, qui sera, j’espère, beau et de bon goût, et fera l’histoire de cette guerre. Cette idée m’amuse beaucoup, je crois que vous ne la trouverez point déplacée.

Jusqu’à ce que je sache que la promenade sur le Scamandre, que vous me proposez, soit plus agréable que celle de la belle Néva, vous voudrez bien que je préfère cette dernière. Je m’en trouve si bien ! Je renonce aussi à la réédification de Troie, parce que j’ai encore à rétablir à Pétersbourg tout un faubourg, qu’un incendie a ruiné ce printemps.

Je vous prie, monsieur, d’être bien persuadé de ma sensibilité pour toutes les choses obligeantes et heureuses que vous me dites : rien ne me fait plus de plaisir que les marques de votre amitié. Je regrette de ne pouvoir être sorcière, j’emploierais mon art à vous rendre la vue et la santé.

8355. — À M. FORMEY.
À Ferney, 26 auguste.

Je n’ai qu’une idée fort confuse, monsieur, de la tragédie[1] dont vous me parlez. Il me semble que Lothaire avait tort avec sa femme, mais que le pape avait plus grand tort avec lui. C’est un de nos grands ridicules que la barrette d’un pape prétende gouverner de droit divin la braguette d’un prince. Les Orientaux sont bien plus sages que nous ; leurs prêtres ne se mêlent point du sérail des sultans.

Je fais assurément plus de cas du Condé[2] de Reinsberg que de tous les papes de Rome, sans y comprendre saint Pierre, qui n’a jamais été dans ce pays-là. Je vois avec grand plaisir qu’il daigne mêler les lauriers d’Apollon à ceux de Mars. Il jouit d’un bien plus grand avantage ; il a pour lui les cœurs de toute l’Europe. Tout ce que vous dites de la vie qu’il mène à Reinsberg

  1. De Lothaire et Valrade ; voyez tome XLVI, page 174.
  2. Frédéric-Henri-Louis de Prusse, connu sous le nom du prince Henri, frère de Frédéric, était né le 18 janvier 1726, et est mort à Reinsberg le 3 auguste 1802.