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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/135

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8573. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
6 juillet.

Je fais depuis vingt ans, madame, en petit dans ma chaumière, ce que votre grand’maman fait avec tant d’éclat dans son palais délicieux. Je vous imite aussi en parlant d’elle et de son respectable mari, et en leur étant tendrement attaché, quoi qu’ils en disent ; et une preuve que je ne change point, c’est que je suis chez moi. Mme de Saint-Julien, qui a daigné faire cent trente lieues pour me venir voir dans mon ermitage, pourrait vous en dire des nouvelles. Je finirai par m’en tenir à ma bonne conscience, et à souffrir en paix qu’on ne me croie pas.

Savez-vous qu’il paraît deux petits volumes de Lettres de madame de Pompadour[1] ? Elles sont écrites d’un style léger et naturel, qui semble imiter celui de Mme de Sévigné. Plusieurs faits sont vrais, quelques-uns faux, peu d’expressions de mauvais ton. Tous ceux qui n’auront pas connu cette femme croiront que ces lettres sont d’elle. On les dévore dans les pays étrangers. On ne saura qu’avec le temps que ce recueil n’est que la friponnerie d’un homme d’esprit qui s’est amusé à faire un de ces livres que nous appelons, nous autres pédants, pseudonymes. Il y a bien des gens de votre connaissance qui ne seront pas contents de ce recueil : ils y sont extrêmement maltraités, à commencer par son frère ; mais dans un mois on n’en parlera plus. Tout cela s’engloutit dans le torrent des sottises dont on est inondé.

Vous voulez que je vous envoie les miennes ; vous en aurez. On a imprimé à Paris les Cabales, la Bégueule, Jean qui pleure et qui rit : on les a cruellement défigurés. Je vous en ferai tenir, dans quelques semaines, une petite édition, avec des notes très-instructives pour la jeunesse qui veut être philosophe.

Je crois votre M. de Gleichen à Spa, où il y a grande compagnie. Sa santé est bien mauvaise, et les révolutions du Danemark ne la rétabliront pas. Il faisait un peu le mystérieux à Ferney, mais son mystère était qu’il ne savait rien. Toute cette aventure est bien horrible et bien honteuse. Gardez-vous d’ailleurs d’aimer trop les étrangers : leurs amitiés sont, comme eux, des

  1. Les Lettres de madame la marquise de Pompadour sont de M. Barbé-Marbois, aujourd’hui (1834) premier président de la cour des comptes ; elles ont eu plusieurs éditions, sur lesquelles on peut consulter la seconde édition du Dictionnaire des ouvrages anonymes, par A.-A. Barbier, No 10058. (B.)