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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/137

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que vous me donnez. Mon amitié et mon estime pour vous, monsieur, ne finiront qu’avec ma vie.

8575. — À M. LE COMTE DE ROCHEFORT[1].
Ferney, 8 juillet.

Je suis persuadé, monsieur, que M. de Morangiés n’a point reçu trois cent mille livres, et qu’il souffre à la fois la vexation la plus inouïe et la calomnie la plus cruelle ; mais je vois en même temps qu’il s’est attiré ce malheur, dont il sera bien difficile de le délivrer. Les liaisons avec une malheureuse courtière, les reproches qu’il en a essuyés, son fatal empressement de recevoir douze cents livres d’un brétailleur à un troisième étage, son imprudence impardonnable de signer pour trois cent vingt-sept mille livres de billets, les fausses démarches qu’il a faites depuis, tout le plonge dans l’abîme. Cet abîme a été creusé par cette détestable vanité, si commune à Paris, de préférer, comme dit le baron de Feneste, le paraître à l’être. S’il s’était retiré dans ses terres pour quelques années, s’il s’était entendu avec ses créanciers pour exploiter sa forêt, il jouirait actuellement avec honneur de tout son bien. Je gémis en voyant M. le comte de Morangiés aux prises avec un clerc de procureur et un cocher pour cent mille écus. Il a trouvé le secret de rendre son affaire si obscure que je connais de très-bons juges qui n’y comprennent rien. Je crains même que le temps n’affaiblisse ou n’anéantisse ses preuves. Ses adverses parties ont un intérêt trop pressant à détruire toutes les allégations qui pourraient leur nuire. Les billets, signés par lui, parlent trop hautement : sa déclaration chez le commissaire Chénon semble fournir quelques armes contre lui ; les lettres de la courtière sont trop désagréables ; en un mot, rien n’est plus triste que cette affaire. Je suis convaincu de son innocence ; mais je vois en même temps qu’il a fait tout ce qui dépendait de lui pour se faire croire coupable. Les démentis que se donnent continuellement les avocats sur des faits qui devraient être éclaircis me font une peine extrême.

Il me semble que tout dépend actuellement des preuves judiciaires qui constateront que ce Du Jonquay n’a pas fait ses treize ridicules voyages. C’est une cause criminelle qui consiste en interrogatoires et en confrontations. Il n’y a plus lieu ici à des probabilités : cent vraisemblances ne prévaudront jamais

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.