Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/145

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. de Morangiés me paraît coupable d’avoir très-mal conduit ses affaires, d’avoir ajouté de nouvelles dettes à celles de sa famille, pour lesquelles il s’était accommodé avec ses créanciers, et leur avait abandonné une partie de son bien ; de s’être livré continuellement à des usurières, à des prêteuses sur gages ; d’avoir été en commerce de lettres avec elles ; de s’être fait illusion jusqu’à croire qu’on lui prêterait cent mille écus sur ses billets, et qu’il payerait ensuite ces cent mille écus comme il voudrait ; enfin d’avoir poussé l’avilissement jusqu’à aller emprunter dans un galetas douze cents francs d’un misérable qui le flattait de lui faire toucher trois cent mille livres sur ses billets.

C’est dans cette confiance absurde qu’il signa un des billets que lui présenta Du Jonquay, et qu’il mit au bas la valeur de ces mots : « Je donnerai mon reçu quand on m’aura apporté l’argent. » C’est dans l’avide espérance de recevoir cet argent qu’il accepta misérablement un prêt de douze cents francs de celui qui le faisait tomber dans le piège, et qu’il signa ses billets au profit de la Véron, que Du Jonquay lui disait être une associée de la compagnie des prêteurs. Cette Véron était absolument inconnue à M. de Morangiés, à ce qu’il me mande.

Il est probable que cet officier ayant approuvé le plan du prêt que Du Jonquay lui proposait pour le tromper, il eut la faiblesse de signer les billets de cent mille écus, dans la confiance qu’un jeune homme, logé à un troisième étage, ne pourrait pas concevoir seulement l’audace de détourner ces cent mille écus à son profit. Cela est extrêmement imprudent, mais cela est possible. C’est un homme qui croit voir une issue pour sortir de l’abîme ; il s’y jette sans réfléchir.

Il me semble impossible que le comte de Morangiés ait conçu le dessein de voler cent mille écus à une famille du peuple, et celui de la faire pendre pour lui avoir prêté cet argent. Ce projet serait évidemment absurde et impraticable. Si M. de Morangiés avait imaginé un pareil crime, il aurait refusé son billet après avoir reçu l’or que M. Du Jonquay prétend lui avoir apporté ; il lui aurait du moins volé le premier envoi, qui était de mille louis d’or ; en un mot, on ne fait point un billet de cent mille écus pour les voler, et pour faire pendre celui qui les prête.

Toutes les présomptions sont donc contre les gens du troisième étage. C’est un brétailleur, c’est un cocher, c’est une prêteuse sur gages ; c’est un homme qui, de laquais, s’est fait tapissier, rat-de-cave, et solliciteur de procès ; c’est un avocat