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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/153

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voulait un peu nous encourager, et me rendre du moins ce qu’il m’a pris, Ferney pourrait devenir un jour une ville opulente. Ce sera une assez plaisante époque dans l’histoire de ma vie qu’on m’ait saisi mon bien de patrimoine entre les mains de M. de La Borde et de M. Magon, tandis que j’employais ce bien, sans aucun intérêt, à défricher des champs incultes, à procurer de l’eau aux habitants, à leur donner de quoi ensemencer leurs terres, à établir six manufactures, et à introduire l’abondance dans le séjour de la plus horrible misère ; mais je me consolerai si vous favorisez nos blondes, et si vous daignez faire connaître à l’héritière de Mme Duchapt qu’il y va de son intérêt et de sa gloire de s’allier avec nous.

Quand vous reviendrez, madame, aux états de Bourgogne, si vous daignez vous souvenir encore de Ferney, nous vous baignerons dans une belle cuve de marbre, et nous aurons un petit cheval pour vous promener, afin que vous ne soyez plus sur un genevois. Tout ce que je crains, c’est d’être mort quand vous reviendrez en Bourgogne. Votre écuyer Racle[1] a pensé mourir ces jours-ci, et je pense qu’il finira comme moi par mourir de faim, car M. l’abbé Terray, qui m’a tout pris, ne lui donne rien, du moins jusqu’à présent. Il faut espérer que tout ira mieux dans ce meilleur des mondes possibles. Je me flatte que tout ira toujours bien pour vous, que vous ne manquerez ni de perdrix ni de plaisirs. Vous ne manqueriez pas de vers ennuyeux, si je savais comment vous faire tenir Systèmes, Cabales, etc., avec des notes très-instructives.

En attendant, recevez, madame, mon très-tendre respect.

Le vieux Malade de Ferney.
8590. — À M. W. CHAMBERS[2].
Au château de Ferney, 1er auguste.

Monsieur, ce n’est pas assez d’aimer les jardins, ni d’en avoir ; il faut avoir des yeux pour les regarder, et des jambes pour s’y promener. Je perds bientôt les uns et les autres, grâce à ma

  1. Léonard Racle ingénieur, né à Dijon le 30 novembre 1736, mort à Pont-de-Vaux le 8 janvier 1791. Il avait construit toutes les maisons de Ferney, le port de Versoy, le canal de navigation de Pont-de-Vaux, sur lequel il avait élevé un pont en fer d’une seule arche.
  2. Guillaume (Williams) Chambers, architecte anglais, né en Suède, mort à Londres le 8 mars 1796, avait publié en anglais et en français une Dissertation sur le jardinage de l’Orient, 1772, in-4o.