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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/283

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année 1772.

8732. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
11 janvier.

Il ne s’agit pas cette fois-ci de la Crète auprès de mes anges, il s’agit de montres. Je présente requête, au nom de Valentin et compagnie, contre Lejeune et sa femme, à qui ils ont confié depuis longtemps plusieurs montres, et fourni une pièce de toile. Le sieur Valentin leur a écrit plusieurs lettres sans pouvoir obtenir une seule réponse. Je supplie très-instamment mes anges de vouloir bien parler à Lejeune, et de tirer la chose au clair. La société de Valentin est la moins riche de Ferney ; elle a essuyé plusieurs malheurs ; un nouveau l’accablerait sans ressource.

Cependant Valentin et compagnie ne m’occupent pas si fort qu’ils me fassent absolument oublier les Crétois. Je ne vois pas pourquoi les Lois de Minos seraient appelées Astérie, qui n’est qu’un nom de roman ; la pièce est connue partout sous le nom des Lois de Minos ; c’est sous ce titre qu’elle est imprimée ; mais votre volonté soit faite ! Vous ne m’avez rien dit du drame d’Alcydonis[1], et du beau passe-droit qu’on vous faisait. Vous avez craint apparemment que je n’en fusse affligé ; mais je m’attends à tout de la part du tripot, et je vous avoue que dans le fond


Il ne m’importe guère
Que Minos soit devant, ou Minos soit derrière.

(Scarron, Don Japhet d’Arménie, acte II, scène ii.).


Je pourrais me plaindre de Lekain, qui ne m’a pas seulement écrit ; mais je ne me fâche point contre les héros de l’antiquité ; et pourvu que Lekain ne fasse point trop les beaux bras, pourvu qu’il ne cherche point à radoucir sa voix dans son rôle de sauvage ; pourvu qu’il ne fasse point de ces longs silences qui impatientent, excepté dans le moment où il croit sa sauvage morte, et où il se laisse aller, comme évanoui, entre les bras d’un de ses compagnons ; si dans tout le reste il veut être un peu brutal, je serai très-content. Le succès d’une tragédie, au théâtre, dépend absolument des acteurs, et de l’auteur à l’impression ; mais on a beau imprimer la pièce, quand elle est tombée, il faut dix ans, il faut être mort pour qu’elle se relève. Les gens de


  1. Alcydonis, ou la Journée lacédémonienne, comédie en trois actes, avec intermèdes, par Louvay de la Saussaye, jouée sur le Théâtre-Français le 13 mars 1773.