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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/282

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CORRESPONDANCE.

était bien le maître de faire chez lui telle réforme qu’il jugeait à propos, sans que les hérétiques s’en mêlassent[1]. » J’ai donné copie de cet endroit de la lettre aux ministres de Naples et d’Espagne, qui partagent notre tendresse pour les jésuites, et qui ont envoyé cet extrait à leurs cours respectives, comme dit la Gazette de Hollande. J’espère que le roi d’Espagne en augmentera d’amour pour la société, et que cette petite circonstance servira, comme dit Tacite, à impellere ruentes.

Je n’ai point vu cette vilenie du Puy-en-Velay dont vous me parlez[2] ; mais ce qui vous étonnera, c’est que, dans le mandement que l’archevêque de Paris vient de donner au sujet de l’incendie de l’Hôtel-Dieu, il n’y a pas un mot contre les philosophes. Le prélat dit seulement que ce sont nos crimes qui sont cause de ce malheur. Il n’en ordonne pas moins des prières pour remercier Dieu de ce qu’il n’y a eu que trois ou quatre cents de ces malheureux qui aient été brûlés. Je m’imagine que Dieu répondra qu’il n’y a pas de quoi. Mais ce qui vaut mieux que le mandement, c’est qu’on va établir dans le diocèse une fête qui se célébrera tous les ans sous le titre du Triomphe de la foi, et dans laquelle il y aura un sermon de fondation contre les philosophes, où on leur promet bien de les dépeindre chacun en particulier, de manière qu’il n’y aura que leur nom à ajouter au bas du portrait. Je disais l’autre jour à l’Académie française, en présence de Tartufe et de Laurent[3] ; « Je suis bien étonné que monsieur l’archevêque n’ait pas dit dans son mandement que c’étaient les philosophes qui avaient mis le feu à l’Hôtel-Dieu : pendant qu’on est en train de bien dire, qu’est-ce que cela coûte ? d’autant plus, ajoutais-je, que ces éloquentes sorties sont devenues style de notaire. » Et les philosophes riaient, et Tartufe et Laurent ne disaient mot.

Le roi de Prusse ne veut plus de correspondant littéraire ; c’est du moins ce qu’il m’a mandé[4] : il est trop dégoûté de nos rapsodies, et il a raison. Je lui avais proposé M. Suard avant que La Harpe y eût songé, ou que vous y eussiez songé pour lui. N’êtes-vous pas enchante de l’Éloge de Racine[5] ? J’ai lu les Lois de Minos, le sujet est beau ; mais je crains pour le cinquième acte, et je trouve de la langueur dans le second et une partie du troisième ; je crains d’ailleurs que les amateurs de l’ancien parlement, qui ne valait pourtant guère mieux que le moderne, ne trouvent dans cette pièce, dès le premier acte, et même dès les premiers vers, des choses qui leur déplairont, et que l’auteur, en se mettant à la merci des sots, ne les ait pas assez ménagés. Voilà mon avis, qui peut-être n’a pas le sens commun, mais que je donne bien pour ce qu’il est. Adieu, non cher maître ; le ciel vous tienne en joie ! Je vous embrasse et vous aime de tout mon cœur ; tous nos amis en font autant.

  1. La lettre du roi de Prusse dans laquelle on trouve ce passage est datée du 4 décembre, dans les Œuvres de Frédéric.
  2. Lettre 8720.
  3. Les abbés de Radonvilliers et Batteux ; voyez lettre 8716.
  4. Dans la lettre qui porte la date du 4 décembre, dans les Œuvres de Frédéric.
  5. Par La Harpe ; voyez lettre 8722.