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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/284

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CORRESPONDANCE.

lettres sont les seuls qui puissent la rétablir, et ils s’en gardent bien ; au contraire ils jettent des pierres dans sa fosse, et, quand l’auteur n’est plus, ils ne le déterrent que pour ensevelir à sa place la pièce de quelque auteur en vie. Voilà le train du monde dans plus d’une profession.

Venons à quelque chose qui me tient plus au cœur. Mon cher ange a-t-il reçu une lettre par la voie de M. Bacon[1] ? M. le maréchal de Richelieu vous a-t-il parlé de ce souper ? s’est-il expliqué avec vous sur le projet d’un certain voyage[2] ? Vous savez que Charles XII ne voulut jamais revoir Stockholm après la journée de Pultava. Tâchez que je ne sois pas battu en Crète ; mais, vainqueur ou vaincu, je serai toujours bien dévot au culte des anges, et je leur serai très-tendrement résigné à la vie et à la mort.

8733. — DE M. D’ALEMBERT.
À Paris, ce 12 janvier.

Encore une lettre, direz-vous, mon cher maître ! oui vraiment, et c’est pour vous divertir d’une idée qui m’a passé par la tête. Je me suis avisé, après en avoir conféré avec quelques-uns de nos frères de l’Académie, de proposer à l’assemblée de samedi dernier, 11 du mois, d’envoyer à monsieur l’archevêque de Paris douze cents livres, au nom de la compagnie, pour les pauvres de l’Hôtel-Dieu. J’ai dit que je ne proposais pas une plus grande somme, parce qu’il fallait de toute nécessité qu’elle fût répartie également entre les quarante, et que plusieurs de nous n’étaient pas assez riches pour donner plus de trente livres. La proposition, comme vous croyez bien, a été unanimement acceptée : cependant Laurent Batteux[3] aurait été récalcitrant, s’il l’avait osé ; mais il a dit que, pour faire cette aumône, il se retrancherait de son nécessaire. Vous noterez qu’il n’a que huit à neuf mille livres de rente tout au moins. Les dévots de l’Académie auraient bien voulu que cette idée ne fût pas venue à un philosophe encyclopédiste et damné comme moi ; mais enfin il faudra qu’ils l’avouent, et j’ai fait dire à monsieur l’archevêque, en lui envoyant, le lendemain dimanche, les douze cents livres, que c’était moi qui en avais fait la proposition. Il s’habillait dans ce moment pour aller à Saint-Roch dire la messe de cette belle fête instituée contre les philosophes ; et j’avais recommandé à mon commissionnaire, qui est intelligent, d’aller trouver monsieur l’archevêque dans la sacristie de Saint-Roch, s’il n’était pas chez lui, et de lui donner, dans cette sacristie même, l’argent des philosophes pour les pauvres, dans le temps où il s’habillait pour les exorciser.

Vous voyez par ce détail, mon cher maître, que votre contingent est de

  1. L’un des substituts du procureur général au parlement de Paris.
  2. Le voyage de Voltaire à Paris.
  3. Voyez lettre 8716.