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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/304

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CORRESPONDANCE.

me trompe, beaucoup de savoir, de philosophie, et de goût. J’espère que, si notre Académie des sciences a le sens commun, elle le prendra pour secrétaire[1] ; car il nous en faudra bientôt un autre.

Bertrand attend, avec impatience, la réponse de Catau[2] ; mais il craint bien qu’elle ne soit plus polie que favorable. Il a peur que la philosophie ne soit dans le cas de dire des rois ce que le pêcheur de Zadig dit des poissons[3] : « Ils se moquent de moi comme les hommes, je ne prends rien. » À tout événement, il vous informera sur-le-champ de ce qu’il aura pris ou manqué. Oh ! si Raton voulait encore ici donner un coup de patte pour tirer du feu ces marrons russes. Bertrand ne douterait pas du succès ; mais si Raton ne fait pas encore ce plaisir à Bertrand, j’ai bien peur que Catau ne permette pas à Bertrand de tirer les marrons tout seul.

Tout ce que je puis vous dire sur cette belle fête du Triomphe de la foi, c’est qu’elle doit être célébrée tous les ans, à Saint-Roch, le dimanche dans l’octave des Rois ; que l’office en est imprimé ; qu’il est plein, comme vous le croyez bien, d’imprécations contre les philosophes, à six sous la pièce ; que les hymnes, prose, et autres rapsodies, sont d’un petit cuistre ignoré du college Mazarin, nommé Charbonnet ; qu’il y a pourtant une de ces hymnes dont l’auteur est un abbé Pavé, oncle de Mme de Rochefort, et que je croyais, sur ce qu’elle m’en a dit, à cent lieues du fanatisme. Comme elle est à Versailles avec son mari, je ne puis savoir si elle est au fait : car j’ai peine à croire qu’elle eût souffert cette sottise si elle en eût été confidente. Au reste, il est certain que l’archevêque, bien conseillé, a refusé d’officier à cette belle fête, qui a été, par ce moyen, très-peu brillante et nombreuse. Comme on comptait sur lui pour la messe, et que tous les prêtres du quartier avaient mangé leur dieu de bonne heure, on a été obligé de prendre un curé de village qui passait dans la rue, et qui heureusement s’est trouvé à jeun. Le prédicateur, qui est un carme nommé le P. Villars, a clabaudé beaucoup l’après-midi contre les philosophes ; mais ses clabauderies ont été vox clamantis in deserto[4].

Toutes réflexions faites, je trouve que Raton fait fort bien de garder l’argent que Bertrand lui proposait de donner[5] ; c’est bien assez de tirer les marrons, sans les payer encore. Il en coûte à Bertrand vingt écus pour l’honneur qu’il a d’être de deux Académies ; et il trouve que c’est payer des marrons d’Inde tout ce qu’ils valent. Il ne lui reste plus qu’à embrasser bien tendrement Raton, en l’exhortant beaucoup à ne faire patte de velours que pour les Bertrands, et à montrer la griffe et les dents aux chiens galeux, et même aux chiens du grand collier.

On vient d’imprimer ici les Lois de Minos, châtrées comme elles l’étaient


  1. Condorcet eut en effet cette place en mars 1773, sur la démission de Grand jean de Fonchy, a qui il était adjoint depuis 1769.
  2. D’Alembert lui demandait la liberté des Français faits prisonniers en Pologne ; voyez lettre 8745.
  3. Chapitre xvii ; voyez tome XXI, page 76.
  4. Isaie, xl, 3.
  5. Voyez pages 275 et 281.