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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/338

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CORRESPONDANCE.

les gens de mon âge. Ainsi votre confrère M. Marchand[1] est plus en droit que jamais de faire mon testament ; mais vous êtes bien plus en droit de réfuter la calomnie qui vous a imputé un libelle contre M. de Morangiés et contre moi[2]. Je connais trop votre style, monsieur, pour m’y être mépris un moment. Il est vrai qu’on a voulu l’imiter, mais on n’en est pas venu à bout. Je vous ai toujours rendu justice ; et, quoique nous soyons d’avis très-différent sur le singulier procès de M. de Morangiés, mon estime pour vous n’en a jamais été altérée. Je me hâte de vous témoigner mes véritables sentiments, malgré la faiblesse extrême où je suis ; je serais trop fâché de mourir sans compter sur votre amitié, et sans vous assurer de la mienne.

C’est avec ces sentiments, monsieur, que j’ai l’honneur d’être votre très-humble et très-obéissant serviteur.

8791. — À CATHERINE II,
impératrice de russie.
À Ferney, 25 mars.

Madame, permettez qu’un de vos sujets, qui demeure entre les Alpes et le mont Jura, et qui vient de ressusciter pour quelques jours, après cinquante-deux accès de fièvre, dise quelques nouvelles de l’autre monde à Votre Majesté impériale. J’ai trouvé sur les bords du Styx les Tomyris, les Sémiramis, les Penthésilée, les Élisabeth d’Angleterre : elles m’ont toutes dit qu’elles n’approchaient pas de la véritable Catherine, de cette Catherine qui attirera les regards de la postérité ; mais elles m’ont appris que vous n’étiez pas au bout de vos travaux, et qu’il fallait que vous prissiez encore la peine de bien battre mon cher Moustapha.

Le roi de Prusse me paraît croire que vos négociations sont rompues avec ce gros musulman ; mais les choses peuvent changer d’un moment à l’autre, en fait de négociations comme en fait de guerre. J’attends très-humblement de la destinée et de votre génie le débrouillement de tout ce chaos où la terre est plongée de Dantzick aux embouchures du Danube, bien persuadé que, quand la lumière succédera à ces ténèbres, il en résultera pour vous de l’avantage et de la gloire.

Si votre guerre recommence, je n’en verrai pas la fin, par la

  1. Voyez tome XX, page 200.
  2. Voltaire l’avait cru l’auteur des Preuves démonstratives en fait de justice ; voyez la note, tome XXVIII, page 577 ; voyez aussi ci-dessus, page 318.