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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/365

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année 1772.

mieux senti qu’en ce moment combien vous êtes cher et nécessaire à mon cœur. J’ai écrit deux lettres à Mme Denis pour savoir de vos nouvelles : elle ne m’en a point encore donné ; mais je me flatte qu’elle vous aura bien dit le tendre intérêt que je prends à votre état. On nous assure que vous êtes beaucoup mieux, mais très-faible : conservez-vous, mon cher maître ; ménagez-vous, et songez que vous ne pouvez faire aux sots et aux fripons un meilleur tour que de vivre et de vous bien porter. Ne m’écrivez point : quelque chères que me soient vos lettres, elles vous fatigueraient ; mais faites-moi donner en détail de vos nouvelles. Tous nos confrères de l’Académie, aux Tartufe et Laurent[1] près, sont aussi tendrement occupés que moi de votre santé et de votre conservation. J’ai reçu votre nouvelle Défense de M. de Morangiés[2], et je l’ai lue avec plaisir ; mais laissez là tous les Morangiés du monde, et portez-vous bien. Dédiez les Lois de Minos à qui vous voudrez[3], et portez-vous bien.

Vous avez bien raison dans tout ce que vous me dites de l’ouvrage de M. de Condorcet : le succès en a été unanime ; il y a longtemps que le sot public n’a été si juste. L’Académie des sciences vient de lui donner l’adjonction et la survivance à la place de secrétaire, qui depuis trente ans était si mal remplie[4].

Adieu, mon cher et illustre ami ; portez-vous bien, portez-vous bien, portez-vous bien : voilà tout ce que je désire de vous.

J’embrasse Raton de tout mon cœur.

Bertrand.
8820. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
À Ferney, 22 avril.

J’allais passer les trois rivières,
Phlégéthon, Cocyte, Acheron ;
La triple Hécate et ses sorcières
M’attendaient chez le noir Pluton ;
Les trois fileuses de nos vies,
Les trois sœurs qu’on nomme Furies,
Et les trois gueules de leur chien,
Allaient livrer ma chétive ombre
Aux trois juges du séjour sombre,
 
Dont ne revient aucun chrétien.
Que ma surprise était profonde,
Et que j’étais épouvanté.

  1. Radonvilliers et Batteux ; voyez lettre 8716.
  2. Réponse à l’écrit d’un avocat, tome XXIX, page 33.
  3. Voltaire avait expliqué à d’Alembert (lettre 8810) pourquoi il avait dédié à Richelieu sa tragédie des Lois de Minos.
  4. Par Grandjean de Fouchy, successeur de Mairan en 1743.