Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/428

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
718
CORRESPONDANCE.

bien faire que les arts étant aujourd’hui perfectionnés, le public étant enthousiasmé des spectacles de M. Audinot et des comédiens de bois[1], se soucie fort peu de juger entre la Sophonisbe de Mairet et celle de Corneille ; mais il y a toujours un petit nombre d’honnêtes gens qui ont du goût et du bon sens, et qu’il ne faut pas absolument abandonner. Il est nécessaire qu’il y ait à la cour un homme qui empêche la prescription, et qui ne souffre pas que l’Europe se moque toujours de nous. Le seul vice du sujet, c’est que Massinisse, qui en est le héros, est toujours un peu avili, soit que les Romains lui ordonnent de quitter sa femme, étant vainqueur, soit qu’ils le prennent prisonnier dans un combat, soit qu’ils le désarment dans son propre palais. On a tâché de remédier à ce défaut essentiel en faisant de Massinisse un jeune héros emporté et imprudent, parce que tout se pardonne à la jeunesse ; mais on ne sait si on a réussi à corriger, par quelques beautés de détail, un vice si capital.

Quoi qu’il en soit, il y a quelque apparence que Lekain fera beaucoup valoir le rôle de Massinisse. J’ignore à qui monseigneur donnera celui de Sophonisbe et celui de Scipion. La disette des héros et des héroïnes est fort grande.

Je vous envoie quatre exemplaires sous le couvert de M. le due d’Aiguillon. Vous en donnerez un à M. d’Argental, si vous voulez ; et, si vous voulez aussi, vous ne lui en donnerez pas : vous êtes le maître absolu.

J’écris à Cramer, et je lui mande qu’il mette les autres exemplaires sous la clef ; c’est d’ailleurs une précaution assez inutile. La pièce est imprimée de l’année passée, et court tout le monde. Personne ne s’embarrasse ni ne s’embarrassera de savoir s’il y a une édition nouvelle dans laquelle il y a quelques vers de changés. Nous sommes dans un temps où rien ne fait une grande sensation. Tous les objets, de quelque nature qu’ils soient, sont effacés les uns par les autres.

Je vous ai toujours supplié, et je vous supplie encore, de vouloir bien ordonner qu’on représente les Lois de Minos dans les fêtes du mariage[2]. Les comédiens avaient déjà appris cette pièce, et les lois de la Comédie sont qu’on la représente. Je ne vous ai donc demandé, et je ne vous demande encore, que l’exécution

  1. Nicolas-Médard Audinot n’avait d’abord que des comédiens de bois. Dès 1770 il leur substitua des enfants. Il donnait alors ses représentations sur le théâtre qu’il avait fait construire sur le boulevard du Temple, et qu’on appelait l’Ambigu-Comique.
  2. Du comte d’Artois, depuis roi sous le nom de Charles X.