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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/475

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année 1772.

8938. — À M. LE CHEVALIER DE SAUSEUIL[1].
Ferney, 24 septembre.

Un octogénaire très-malade, monsieur, et qui bientôt ne parlera plus aucune langue, vous remercie bien sensiblement du profond ouvrage que vous avez eu la bonté de lui envoyer sur la langue française. Il paraît que ce n’est pas le seul langage que vous connaissiez à fond. Vous trouverez peu de lecteurs aussi instruits que vous. Tout le monde s’en tient à la routine et à l’usage. Votre livre ramène à des principes puisés dans la nature, et qui pourtant exigent une attention suivie. On ne peut lire votre ouvrage sans concevoir pour vous beaucoup d’estime, et sans être étonné des peines que vous avez prises.

L’état où je suis ne me permet pas de donner plus d’étendue à mes réflexions, et aux sentiments avec lesquels, etc.

8939. — À MADAME DE SAINT-JULIEN.
À Ferney, 25 septembre.

J’écris rarement, madame, à mon papillon philosophe, et philosophe très-bienfaisant, pour qui j’ai l’attachement le plus respectueux et le plus tendre. Que pourrait vous dire d’agréable un octogénaire languissant entre les Alpes et le mont Jura ? Cependant il faut bien que je vous parle de vos bontés et de ma reconnaissance.

Vous avez fait rentrer en lui-même M. le maréchal de Richelieu, au sujet de l’Afrique et de la Crète[2]. Du moins vous l’avez convaincu, si vous ne l’avez pas entièrement converti. Je ne sais pas où les choses en sont ; mais je sais que je vous ai beaucoup d’obligations. Il est depuis longtemps dans la douce habitude de se moquer de toutes mes idées. Je me souviendrai toujours que mon héros me prit pour un extravagant, quand j’osai entreprendre l’affaire des Calas ; et, en dernier lieu, dans l’affaire de M. de Morangiés, il ne me regardait que comme un avocat de causes perdues. J’ignore si j’ai perdu les causes des Carthaginois et des Crétois. Mon temps est passé ; la faveur n’est plus pour moi. Il faut que je subisse le sort attaché à la vieillesse. Vos

  1. Jean-Nicolas Jouin de Sauseuil, né en 1731, avait publié An Analysis of the french orthography, 1772, trois volumes in-12.
  2. Sophonisbe et les Lois de Minos ; voyez lettre 8935.