Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/247

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De l’Achéron la rive était troublée[1] ;
Et, pâlissant sur ses horribles bords,
Pluton tremblait pour l’empire des morts.



Pareils aux flots que les autans soulèvent,
Avec fureur nos guerriers se relèvent,
Tirent leur sabre, et sous cent coups divers
Rompent l’acier dont tous deux sont couverts.
Déjà le sang, coulant de leurs blessures,
D’un rouge noir avait teint leurs armures.
Les spectateurs, en foule se pressants,
Faisaient un cercle autour des combattants,
Le cou tendu, l’œil fixe, sans haleine,
N’osant parler, et remuant à peine.
On en vaut mieux quand on est regardé ;
L’œil du public est aiguillon de gloire.
Les champions n’avaient que préludé
A ce combat d’éternelle mémoire.
Achille, Hector, et tous les demi-dieux,
Les grenadiers bien plus terribles qu’eux,
Et les lions beaucoup plus redoutables,
Sont moins cruels, moins fiers, moins implacables,
Moins acharnés. Enfin l’heureux bâtard,
Se ranimant, joignant la force à l’art,
Saisit le bras de l’Anglais qui s’égare,
Fait d’un revers voler son fer barbare,
Puis d’une jambe avancée à propos
Sur l’herbe rouge étend le grand Chandos ;
Mais en tombant son ennemi l’entraîne.
Couverts de poudre ils roulent dans l’arène,
L’Anglais dessous et le Français dessus.



Le doux vainqueur, dont les nobles vertus
Guident le cœur quand son sort est prospère,
De son genou pressant son adversaire :
" Rends-toi, dit-il. -- Oui, dit Chandos, attends ;
Tiens, c’est ainsi, Dunois, que je me rends. "



Tirant alors, pour ressource dernière,
Un stylet court, il étend en arrière
Son bras nerveux, le ramène en jurant,

  1. Cet endroit est encore imité d'Homère; mais ceux qui font semblant de l'avoir lu dans le grec diront que le français ne peut jamais en approcher. (Note de Voltaire, 1762.)