262 FEUILLES D’HERBE
Oui, laissez-moi vous le dire,
Je la vois clairement, amis, si vous ne la voyez pas,
La même âme impérissable pour exprimer la terre, l’action, la beauté, l’héroïsme,
Ici venue à bout de son évolution, la série de ses thèmes anciens épuisée,
Cachés et recouverts par ceux d’aujourd’hui, fondement de ceux d’aujourd’hui,
Finie, défunte à travers le temps, sa voix à la fontaine de Castalie,
Silencieux le sphinx d’Egypte aux lèvres brisées, silencieuses toutes ces tombes qui bravèrent les siècles,
Finis sans retour les épiques exploits des guerriers casqués de l ’Asie et l’Europe, éteinte la Voix primitive des Muses,
A jamais éteinte la voix de Calliope, mortes Clio, Melpomène, Thalie,
Fini, le rythme imposant d’Una et Oriana, finie la queste du Saint-Graal,
Jérusalem, une poignée de cendres dispersées par le vent, anéantie,
Les flots de Croisés, troupes d’ombres de minuit, en fuite avec l’aurore, Amadis, Tancrède, totalement disparus, Charlemagne, Roland, Olivier, disparus,
Pèlerins, ogres, enfuis, évanouies les tourelles que dans ses eaux Usk reflétait,
Arthur évanoui avec tous ses chevaliers, Merlin et Lancelot et Galahad, tous disparus, totalement dissous comme vapeur ;
Trépassés ! trépassés ! pour nous à jamais trépassé ce monde si puissant, aujourd’hui vide, inanimé, monde fantôme,