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Page:Whitman - Feuilles d’herbe, trad. Bazalgette.djvu/55

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Je suis heureux — je vois, danse, ris, chante ;
Lorsque la compagne de lit qui m’étreint et m’aime, couche à mon côté toute la nuit et s’éloigne à la pointe du jour à pas de loup,
Me laissant des corbeilles couvertes de linges blancs qui gonflent la maison de leur abondance,
Vais-je différer mon acceptation et ma jouissance, pour crier à mes yeux,
Qu’ils cessent de s’attacher à sa suite sur la route,
Et sur le champ calculent et m’établissent à un sou près
La valeur exacte d’une et la valeur exacte de deux, et laquelle l’emporte ?


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Preneurs en faute et questionneurs m’entourent,
Gens que je rencontre, l’effet sur moi de mes années d’enfance, le quartier et la ville où je demeure, ou le pays,
Les derniers événements, découvertes, inventions, société, auteurs anciens et nouveaux,
Mon dîner, mon costume, mes compagnons, mon air, compliments, redevances,
L’indifférence réelle ou imaginaire d’un homme ou d’une femme que j’aime,
La maladie d’un de mes parents ou de moi-même, ou méfait, perte ou manque d’argent, dépressions ou exaltations,
Combats, les horreurs d’une lutte fratricide, la fièvre des nouvelles incertaines, les événements brusques et changeants ;
Tout cela m’arrive jours et nuits et puis s’éloigne,
Mais ce n’est pas le Moi qui est moi-même.