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Page:Whitman - Feuilles d’herbe, trad. Bazalgette.djvu/88

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Rumeurs de la cité et rumeurs hors la cité, rumeurs du jour et de la nuit,
Les petits qui bavardent avec ceux qui les aiment, le gros rire des ouvriers à leurs repas,
Le ton grave et coléreux de l’amitié rompue, la voix affai­blie des malades,
Le juge qui serre des mains son pupitre, en prononçant de ses lèvres bleuies une condamnation à mort,
Le ho-ho-hisque des arrimeurs déchargeant Les navires sur les quais, le refrain de ceux qui lèvent l’ancre,
La sonnerie de la cloche d’alarme, le cri Au feu ! le brr-r au sillon rapide des pompes et voitures porte-boyaux avec les tintements avertisseurs et lumières colorées,
Le sifflet de la machine à vapeur, le roulement lourd du train qui approche,
La marche lente jouée en tête de l’association défilant deux par deux,
(Ils se rendent auprès d’un mort pour l’escorter, les hampes des bannières sont cravatées de mousseline noire).

J’entends le violoncelle (c’est la plainte du cœur du jeune homme),
J’entends le cornet à piston, à travers mes oreilles il coule en moi vivement,
Il me fait courir des frissons suaves et fous dans le ventre et la poitrine.

J’entends le chœur, c’est un grand opéra,
Ah ! voilà vraiment de la musique — celle-là me convient.

Un ténor large et frais comme la création me comble,
L’arc arrondi de sa bouche verse à flots des sons qui m’em­plissent à déborder.