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LA PATRICIENNE

exceptionnelle. À le voir ainsi, le menton et les joues rasés de la veille, sous ce costume, à cette heure et dans cette saison, on l’eût certainement pris pour un acteur qui, après un souper de longue haleine, serait venu chercher, dans la fraîcheur du premier jour, de nouvelles sensations, plus pures que celles des feux de la rampe. Mais souvent l’apparence est trompeuse. Car, en observant plus attentivement le jeune homme, on devinait bientôt, à ce mélange de noblesse et de simplicité qui le distinguait, que l’on n’avait pas affaire à un habitué des coulisses de théâtre, rompu aux rôles que crée l’imagination des poètes.

Ce promeneur était connu dans le monde universitaire sous le nom de Jean Almeneur, docteur en philosophie. Il sortait d’un bal, où il avait dansé toute la nuit. Au lieu de rentrer directement chez lui, il avait trouvé à propos de faire cette promenade sur le bord de la rivière. Il n’avait d’ailleurs pas sommeil. Heureusement pour lui, toutefois, que la température s’était adoucie depuis quelques jours ; autrement cette imprudence aurait pu lui coûter cher. Il est vrai qu’il était d’une rare vigueur. La fatigue et les maladies mordaient difficilement sur sa robuste nature, pétrie, pour ainsi dire, comme celle d’Achille. Jean était né sur la montagne, dans l’Oberland, où il avait passé sa première jeunesse, quinze années, gardant les chèvres de son père.

Il était donc de forte race, de celle qui donne les hardis chasseurs de chamois. Sa vive intelligence l’avait poussé vers l’étude. Depuis qu’il avait quitté son village, chaque fois qu’il le pouvait, le docteur retournait, le cœur joyeux et le corps alerte, à ses