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LA PATRICIENNE

glaciers et à ses hauts sommets. Cette humble origine lui avait imposé bien des privations ; de bonne heure, il avait été réduit à gagner lui-même l’argent qu’absorbaient ses études. D’un autre côté, grâce précisément à cette robustesse naturelle, il était à même de déployer toutes les énergies de son esprit sain et viril.

Ce jeune homme, ainsi bâti à chaux et à sable, trahissait par son allure quelque peu étrange, un trouble moral assez profond. Les choses environnantes n’attiraient même pas ses regards. Ce n’étaient pourtant plus les derniers sons de la valse, ni les fumées des vins fins qui provoquaient cette vague surexcitation, sous l’empire de laquelle le docteur paraissait agir. Était-ce peut-être le souvenir d’un charmant visage entrevu et admiré l’espace d’une seconde ? Mais, alors, notre philosophe aurait dû raisonner plus tranquillement l’impression reçue, et non murmurer toujours :

— Pourquoi justement celle-là ?

Question qui n’amenait jamais de réponse satisfaisante.

Le docteur Almeneur avait été au bal des professeurs. À Berne, cet événement a cela de particulier que les familles patriciennes prennent part à cette réjouissance. C’est une sorte de terrain neutre où se rencontre, sans que, pour cela, on soit obligé de renier ses principes, la classe bourgeoise, aisée et démocrate avec les descendants de l’ancienne noblesse de la ville.

Les ancêtres de plusieurs de ces derniers figuraient déjà aux croisades, et leur arbre généalogique est aussi vénérable que celui de maintes familles ré-