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la patricienne

son assiette. Il paraissait en étudier le dessin original, d’une naïveté rustique, à coup sûr tracé par le rêve d’un potier amoureux. Quelques minutes après, toujours dans le même calme étouffant, on enleva les services. Et Jean, sans prononcer une syllabe, quitta bientôt la salle à manger, en apparence très froid, mais maîtrisant à peine la passion qui bruissait en lui.

— Toujours patricienne ! murmurait-il, en se promenant dans l’allée des platanes où il s’était rendu. Elle semble parfois descendre jusqu’à moi, se faire humble et douce, ou m’élever jusqu’à elle ; mais, ce n’est que pour me précipiter plus sûrement au fond de l’abîme.

Et ces pensées, les mêmes sans cesse, tourbillonnaient dans son cerveau en feu. Une douleur inouïe lui torturait le cœur, ravageait tout son être. Il rougissait aussi de lui-même, car il avait été bien près de renier ses propres convictions. Sa résolution n’avait plus tenu qu’à un fil, et c’était elle qui lui avait tendu ce piège. De nouveau, la jalousie projeta sa flamme mauvaise dans ses yeux presque humides. Oh ! cet étranger ! Que ne pouvait-il se battre avec lui, ou, tout au moins, lui disputer cette femme qui l’humiliait de cette façon ! Et ses mains ballante avaient des gestes de menace.

Ainsi se traîna toute l’après-midi du samedi, d’une longueur sans fin. Même Amédée évita son professeur. Il était allé trouver le fils du fermier pour faire avec lui les préparatifs de leur excursion du lendemain.

L’heure du souper les réunit encore une fois. Mais on ne parla que très peu, et de choses indifférentes.