Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/233

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dans le chariot, le skeuophore[1] dans l’hoplite ? S’il faut combattre, le moyen de le faire en pareil désarroi ? Ceux qui se voient contraints de fuir devant une attaque, sont capables de culbuter dans leur fuite ceux qui ont des armes.

« Au contraire, une armée bien rangée est le plus beau des spectacles pour des amis, le plus redoutable pour des ennemis. Quel ami n’admirerait volontiers de nombreux hoplites marchant en bon ordre ? qui n’admirerait des cavaliers galopant en escadrons bien formés ? Quel ennemi ne tremblerait pas en voyant hoplites, cavaliers, peltastes, archers, frondeurs, tous distribués en corps distincts, et suivant en rang leurs officiers ? Quand une armée s’avance en si bel ordre, y eût-il plusieurs myriades de soldats, tous marchent aisément comme un seul homme, les derniers remplissant successivement le vide laissé par les premiers.

« Pourquoi une galère chargée d’hommes fait-elle trembler l’ennemi, tandis qu’elle offre un spectacle agréable à des amis, si ce n’est parce qu’elle navigue avec vitesse ? Et pourquoi les navigateurs ne se gênent-ils pas les uns les autres, si ce n’est parce que chacun est assis en ordre, se couche en ordre sur sa rame, la retire en ordre, s’embarque et débarque en ordre ?

« Je crois me former une juste idée du désordre, quand je me représente un laboureur serrant pêle-mêle de l’orge, du froment, des légumes, et obligé ensuite, s’il veut un gâteau, du pain, un plat, de faire un triage qu’il devrait trouver tout fait au besoin.

« Ainsi, femme, si tu veux éviter une semblable confusion, savoir bien administrer notre ménage, trouver sans peine ce qui est nécessaire, et à moi m’offrir avec grâce ce que je pourrai te demander, choisissons une place convenable pour chaque chose ; et, chaque chose étant mise en place, indiquons à la femme de charge où elle doit la prendre et la remettre. Par là, nous saurons ce qui est perdu et ce qui ne l’est pas. En effet, la place elle-même aura l’air de regretter ce qui manque, la vue cherchera ce qui réclame nos soins, et la connaissance de la place réservée à chaque objet nous le mettra si vite sous la main, que nous ne serons jamais pris au dépourvu.

  1. Nous avons transporté ce mot littéralement du grec dans le français toutes les fois qu’il s’est reproduit dans notre auteur, afin de lui conserver son sens propre, qui est double : il signifie tout à la fois les fourgons de bagages et ceux qui les conduisent.