Pensées d’août/« La voilà, pauvre mère, à Paris arrivée »
La voilà, pauvre mère, à Paris arrivée
Avec ses deux enfants, sa fidèle couvée !
Veuve, et chaste, et sévère, et toute au deuil pieux,
Elle les a, seize ans, élevés sous ses yeux
En province, en sa ville immense et solitaire,
Déserte à voir, muette autant qu’un monastère,
Où croît l’herbe au pavé, la triste fleur au mur,
Au cœur le souvenir long, sérieux et sûr.
Mais aujourd’hui qu’il faut que son fils se décide
À quelque état, jeune homme et docile et timide,
Elle n’a pas osé le laisser seul venir ;
Elle le veut encor sous son aile tenir ;
Elle veut le garder de toute impure atteinte,
Veiller en lui toujours l’image qu’elle a peinte
(Sainte image d’un père !), et les devoirs écrits
Et la pudeur puisée à des foyers chéris ;
Elle est venue. En vain chez sa fille innocente,
L’ennui s’émeut parfois d’une compagne absente,
Et l’habitude aimée agite son lien :
La mère, elle, est sans plainte et ne regrette rien.
Mais si son fils, dehors qu’appelle quelque étude,
Est sorti trop longtemps pour son inquiétude,
Si le soir, auprès d’elle, il rentre un peu plus tard,
Sous sa question simple observez son regard !
Pauvre mère ! elle est sûre, et pourtant sa voix tremble,
Ô trésor de douleurs, — de bonheurs tout ensemble !
Car, passé ce moment, et le calme remis,
Comme aux soirs de province, avec quelques amis
Retrouvés ici même, elle jouit d’entendre
(Cachant du doigt ses pleurs) sa fille, voix si tendre,
Légère, qui s’anime en éclat argenté,
Au piano, — le seul meuble avec eux apporté.