Chapitre V. — Les liquides
§ 75. Les liquides, comme toutes les autres consonnes, comportent l’opposition d’un type vélaire et d’un type palatal. En revanche elles ne comportent pas l’opposition de sourdes et de sonores, étant, contrairement à ce qui se passe dans d’autres parlers irlandais, normalement sonores. Il peut arriver qu’une liquide soit assourdie par assimilation (cf. § 238) mais cet assourdissement, au reste partiel, et qui est dû à l’action d’un phonème voisin, ne peut donner lieu à des oppositions caractéristiques.
On pourrait distinguer deux variétés de l, au reste très voisines, mais distinguées tant par l’énergie articulatoire que par la durée. La répartition en dépend de la place dans le mot, et n’a aucune valeur sémantique, si bien qu’il semble qu’on puisse négliger dans la transcription la nuance qui les sépare.
l initial ou appuyé sur une dentale précédente (dans la même syllabe) ou suivante, pourrait être noté L. L est articulé, mutatis mutandis, comme les occlusives dentales vélaires ; la pointe de la langue se trouve contre les dents inférieures, ou contre la séparation des dents, et toute la partie frontale de la langue est fortement pressée contre les dents supérieures. La partie postérieure du dos de la langue est soulevée dans la direction de la position u, et la vélarisation est plutôt plus audible que dans les occlusives, sans cependant donner lieu à un glide w. L’énergie articulatoire est considérable et la durée demi-longue, par opposition à celle de la variété suivante.
En position médiane ou finale, en contact avec des voyelles ou avec des consonnes non dentales, on a un l vélaire ordinaire ; la pointe de la langue est sensiblement à la même place que dans la la[sic] variété L, mais la partie frontale de la langue vient toucher simplement les dents, l’énergie articulatoire est beaucoup moindre et l’émission d’air plus brève. La vélarisation est la même. Le rapport de l à L est le même que celui de n à N (cf. § 26).
L’une et l’autre variété sont sonores et sont susceptibles d’être partiellement assourdies au voisinage d’un h (cf. § 238).
l (= L ou = l) se rencontre en contact avec des voyelles ou avec des consonnes vélaires.
lɑ꞉ (lá) « jour » ; lɑg (lag) « faible » ; lɑ̃꞉n (lán) « plein » ; lᴀᴜm (lom) « maigre » ; lᴀᴜrtʹ (labhairt) « parler » ; lᴜꞏəχ (luach) « prix » ; löʃg̬ʹɩmʹ (loiscim) « j’allume » ; lᴇ̈꞉ (laogh) « veau » ; lᴇ̈꞉ᵊχ (laoch) « héros » ; lɪ꞉mʹ (luighim) « je suis couchée » ; slɑ̃꞉n (slán) « bien portant » ; slɔgə (slogadh) « avaler » ; dlɪ꞉ (dlaoi) « brin de paille ».
ən tlᴜꞏɛgʹ (an tsluaigh) « de l’armée », gén. de ən slᴜꞏə (sluagh) « l’armée ».
gʲaᴜltə (geallta) « promis », de gʹαlɩmʹ (geallaim) « je promets » ; gᴀᴜldə (gallda) « protestant » ; bʹì꞉arlə (béarla) « langue anglaise ».
§ 78. C’est la variété faible de l qu’on a dans :
bɑləv (balbh) « muet » ; blɑdər (bladar) « flatter » ; klo꞉kə (clóca) « manteau » ; dʹαləg (dealg) « épine » ; dᴜꞏəlgəs (dualgas) « devoir » ; glɑ̃꞉n (glán) « propre » ; sɑlən (salann) « sel » ; ɔlk (olc) « mauvais ».
bʷᴇ̈꞉ᵊl (baoghal) « danger » ; gʹαl (geal) « blanc » ; ʃɑ꞉l ou ʃʲɑ꞉l (shawl) « châle ».
l partiellement assourdi devant h :
mʲaᴜl̬hɩ ʃeꞏ (meallfaidh sé) « il trompera », à côté de mʲaᴜlhəd (meallfad) « je tromperai », cf. § 240 ; o꞉l̬hɩ ʃeꞏ (ólfaidh sé) « il boira ».
L’articulation de lʹ ne varie pas sensiblement selon la place dans le mot.
La pointe de la langue forme occlusion contre les dents supérieures, ou à la limite des dents supérieures et des alvéoles. La partie antérieure du dos de la langue est soulevée dans la direction de la position i, la liquide est donc palatalisée, non palatale.
lʹ est sonore, mais peut être partiellement assourdi sous l’influence d’un h voisin : cf. § 238.
Devant voyelles d’arrière ou mixtes d’arrière lʹ est suivi d’un glide palatal j.
§ 80. lʹ se rencontre en contact avec des voyelles, avec des consonnes palatales et précédé de k (= kʺ), g (= gʺ), ŋ (= ŋʺ), χ (= χʺ) et ǥ (= ǥʺ), ou de r (cf. § 81).
lʹi꞉nʹ (linn) « temps » ; lʹe꞉mʹ (léim) « saut » ; lʹitʹɩrʹ, lʹᴇtʹɩrʹ (leitir) « lettre » ; lʹiꞏɛh (liath) « gris » ; lʹαh (leath) « moitié » ; lʹαhən (leathan) « large » ; lʲõ꞉nɩmʹ (leónaim) « je blesse » ; lʲᴜ꞉ (liúghadh) « hurlement » ; lʲaᴜnəχt (leamhnacht) « lait frais » ; lʲλm (liom) « à moi ».
ʃlʹiꞏəv (sliabh) « montagne » ; dʹlʹi꞉ (dlighe) « loi » ; klʹe꞉ (clé) « gauche » ; kʹe꞉lʹɩ (céile) « compagnon » ; kʹᴇlʹtʹ (ceilt) « cacher » ; kõ꞉rlʹɩ (comhairle) « conseil » ; kʹimʹɩlʲɑ꞉ⁱlʹ (cimileáil) « friction énergique » ; fɑ꞉ⁱlʹtʹɩ (fáilte) « bienvenue » ; mʹi꞉lʹɩ (míle) « mille » ; ʃᴇlʹɩgʹ (seilg) « chasse » ; tɪlʹi (tuile) « surplus ».
fʹiꞏəkʷɩlʹ (fiacail) « dent » ; fʲo꞉ⁱlʹ (feóil) « viande » ; fʹαrᴜ꞉ⁱlʹ (fearamhail) « mâle », et tous les adjectifs en ᴜ꞉ⁱlʹ ; gvɑ꞉ⁱlʹ ou gvɑ꞉ⁱlʹtʹ (gabháil) « obtenir », et tous les noms verbaux en ‑ɑ꞉ⁱltʹ ; mais ces derniers ont tendance à développer un tʹ à la finale (cf. § 290).
assourdi : fʹi꞉l̬ʹhɩ ʃeꞏ (fillfidh sé) « il reviendra », en face de fʹi꞉lʹhəd (fillfead) « je reviendrai », etc. cf. § 240.
L’articulation de r (comme celle de l et de n, cf. §§ 26 et 76), varie considérablement en fonction de la place dans le mot. Les deux variétés de r ont été bien décrites par Sommerfelt, Munster Vowels and consonants, § 82.
A l’initiale, r n’est, chez la plupart des sujets, qu’une sorte de spirante linguale sonore. Le resserrement du passage de l’air est produit par la pointe de la langue rapprochée des alvéoles supérieures, l’air s’échappant sans cependant provoquer de vibration de la langue. La partie postérieure du dos de la langue est légèrement élevée dans la direction de la position u, sans cependant que la vélarisation soit assez forte pour entraîner, même devant voyelle d’avant ou mixte d’avant, le développement d’un glide vélaire w.
En position médiane ou finale on a un r légèrement roulé (le plus souvent avec un seul battement) ; la position des organes est par ailleurs la même que dans le cas de r initial. Cet r roulé peut se rencontrer à l’initiale chez certains sujets, sans qu’on arrive à préciser les conditions de la répartition (les sujets âgés ont en général r spirant ?).
r se rencontre en contact avec des voyelles ou avec des consonnes vélaires, ainsi que devant dentales palatales (tʹ, dʹ, ʃ, lʹ, exceptionnellement nʹ). Au voisinage de h, r peut être partiellement assourdi.
§ 82. Exemple de la première variété d’r :
rɑ꞉ (rádh) « dire » ; rᴀɪᵊrk (radharc) « regard » ; rʌd (rud) « chose » ; rᴇ̈꞉gʹ (réidh) « prêt » ; ro꞉s (rós) « rose (fleur) » ; rᴜꞏə (ruadh) « roux » ; ən rɛvʹ ʃeꞏ (an raibh sé) « est-ce qu’il était ? » ; rᴇ̈꞉ᵊbə (réabadh) « égratigner, déchirer» ; rïhɩmʹ (rithim) « je cours » ; rɪmʹɩʃ (roimis) « devant lui » ; rɪ꞉nʹ (righinn) « coriace » ; et aussi ərᴇ̈꞉rʹ (aréir) « hier soir ».
§ 83. Exemples de la deuxième variété de r :
brᴜəχ (bruach) « rivage » ; krᴜꞏɛgʹ (cruaidh) « dur » ; drᴜ꞉χt (drúcht) « rosée » ; dʹαrəg (dearg) « rouge » ; dʌrəs (doras) « porte » ; əraꞏχ (earrach) « printemps » ; dʹαrᴜ꞉d (dearmhad) « erreur » ; gɑrəv (garbh) « rude, grossier » ; lʌrəg (lorg) « chercher» ; nõ꞉rə (Nóra) « Nora » ; ʌrəm (orm) « sur moi » ; sg̬arᴜ꞉ⁱnʹtʹ (scaramhaint) « séparer » ; ᴜrə (ura) « garant » ; kʹαrt (ceart) « droit » ; gʌrtʹ (guirt) « salé » ; klʹibʹərtʹ (clibirt) « discussion » ; gɑ꞉rdə (gárda) « garde civique » ; ɪ꞉rdʹɩ (aoirde) « hauteur » ; do꞉rʃɩ (dóirse), plur. de dʌrəs (doras) « porte » ; hɑ꞉rlə (thárla) « il arriva ».
ərᴜ꞉r (arbhar) « blé ».
fʹαr (fear) « homme » ; fʲɑ꞉r (fearr) « meilleur » ; gʲɑ꞉r (gearr) « court, rapproché » ; glo꞉r (glór) « voix » ; lɑ꞉r (lár) « milieu » ; mᴜstər (mustar) « fierté » ; pᴜ꞉dər (púdar) « poudre » ; ʃiꞏər (siar) « vers l’ouest » ; hʹiꞏər (thiar) « à l’ouest (sans mouvement) ».
Pour r assourdi partiellement au voisinage de h, comme dans tᴜ꞉r̬hɩ ʃeꞏ (tabharfaidh sé) « il donnera », à côté de tᴜ꞉rhəd (tabharfad) « je donnerai », cf. § 240.
Forme palatalisée du précédent. Comme il existe deux variétés de r vélaire, il existe aussi deux variétés de rʹ (cf. Sommerfelt, op. cit., § 83) ; mais ces deux variétés sont moins nettement différenciées du fait que l’unique roulement, plus rapide, de rʹ est moins nettement audible que dans le cas de r. D’autre part, la répartition n’est pas tout à fait la même.
Dans l’une et l’autre variété, la palatalisation est loin d’être aussi nette que pour les occlusives dentales et le glide j est souvent mal développé.
rʹ spirant est articulé comme initial, mais au lieu que le dos de la langue soit soulevé dans la direction de la position u, la partie antérieure du dos de la langue est soulevée dans la direction de la position i ; rʹ se rencontre à l’initiale seulement comme alternance grammaticale de r, rʹ jouant alors vis-à-vis de r le même rôle morphologique que χ vis-à-vis de k, et, en général, les spirantes vis-à-vis des occlusives.
L’ « adoucissement » de r en rʹ à l’initiale ne se rencontre guère, dans la paroisse de Dunquin et aux environs immédiats, que chez quelques sujets âgés, les jeunes ayant invariablement r à l’initiale ; rʹ à l’initiale modifiée est un trait beaucoup plus répandu plus au Nord sur la côte, e. g. dans Paróiste Mórdhach.
rʹ spirant se trouve par ailleurs en position médiane et finale. Je l’ai parfois entendu devant dentales palatales, chez des sujets de Paróiste Mórdhach, au lieu du r que l’on attendrait et qui est normal à Dunquin.
§ 85. rʹ roulé est articulé comme r roulé, mais, au lieu que le dos de la langue soit soulevé dans la direction de la position u, la partie antérieure du dos de la langue est soulevée dans la direction de la position i ; rʹ comprend une ou deux vibrations rappelant les chuintantes.
rʹ roulé se rencontre devant ou après consonnes palatales, excepté devant dentales palatales, ainsi qu’après k, g, ŋ, χ, ǥ (= kʺ, gʺ, ŋʺ, χʺ, ǥʺ, cf. §§ 35 et 61).
L’une et l’autre variété sont sonores, mais peuvent être assourdies par le voisinage d’un h.
§ 86. Exemples de rʹ spirant :
ɩ rʹi꞉ (a rígh !) « roi ! » vocatif de rɪ꞉ (rí) « roi » ; rʲλgədər ou rʹλgədər (riugadar) « ils saisirent », prét. à initiale adoucie de bʹᴇrʹimʹ (beirim) « je saisis » ; nʹi꞉lʹ ᴇ̈꞉ᵊn rʹλhəg ᴜnəm (níl aon ruthag ionam) « je n’ai aucune patience » ; de rᴜhəg (ruthag) « patience » ; dʹinʹ də rʹaᴜ rʹʌd (dein do rogha rud) « fait comme il te plaît », de rᴀᴜ (rogha) « choix » et rʌd (rud) « chose ».
Dans tous les cas de ce genre on entend plus fréquemment à Dunquin les formes avec r vélaire.
ənɪrʹɩgʹ (anuirigh) « l’an dernier » ; αrʹɩ (aire) « soin » ; kʷɪrʹɩ (cuire) « invitation » ; dɪ꞉rʹɩ (daoire), comp. de dᴇ̈꞉r (daor) « cher » ; mɑ꞉ⁱrʹɩ (Máire) « Marie » ; nɑ꞉ⁱrʹɩ (náire) « honte » ; kʹimʹi꞉rʹ (cimír) « cicatrice » ; kahɪ꞉rʹ (cathaoir) « chaise » ; mɑ̃꞉hɩrʹ (máthair) « mère » ; nahirʹ (nathair) « serpent » ; tʹi꞉rʹ (tír) « terre ».
Exceptionnellement (Paróiste Mórdhach) : imʹɩrʹtʹ (imirt) « jouer » ; karʹtʹ (cairt) « voiture » ;
Exemples de rʹ roulé :
αʃtʹrʹu꞉ (aistriughadh) « traduire » ; bʹrʹɑ꞉ (breágh) « beau » ; tʹrʹaᴜ (treabhadh) « labourer » ; tʹrʹi꞉ (trí) « trois » ; grʹëinʹ (greidhin) « affection, objet d’affection » ; krʹe꞉ (cré) « terre, humus » ; ʃrʹaᴜŋg (sreang) « tentation » ; sb̬ʹrʹe꞉ (spré) « dot » ; kʷɪrʹkʹɩ (coirce) « avoine » ; kʷɪrʹpʹ (cuirp), gén. de kɔrp (corp) « corps » ; marʹkʹ (mairc) « marque, cicatrice » ; pɑ꞉ⁱrʹkʹ (páirc) « champ, enclos ».
Pour rʹ assourdi : kʷɪr̬ʹhɩ ʃeꞏ (cuirfidh sé) « il placera », etc., cf. § 238.