Rhétorique (trad. Ruelle)/Livre III/Chapitre 19

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Traduction par Charles-Émile Ruelle.
(p. 364-366).
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CHAPITRE XIX


De la péroraison.


I. La péroraison (ἐπίλογος) se compose de quatre éléments : bien disposer l’auditeur en sa faveur et l’indisposer contre l’adversaire ; grandir ou abaisser ; mettre en œuvre les passions de l’auditeur ; rappeler les faits. Il arrive, naturellement, qu’après avoir démontré que l’on est véridique et que l’adversaire a menti, on peut, sur ces données, louer, blâmer et mettre la dernière main. Or il faut viser à établir l’une de ces deux opinions, que l’on est bon au point de vue de l’auditeur, ou absolument, et, d’autre part, que l’adversaire est malfaisant, soit au point de vue des auditeurs, soit absolument. Quant aux moyens à employer pour amener ces dispositions, on a exposé les lieux qui servent à présenter les hommes comme bons ou mauvais.

II. Le point qui vient après celui-là, les faits une fois démontrés, consiste naturellement à les grandir et à les rabaisser ; car il faut nécessairement que les faits accomplis soient reconnus pour que l’on puisse arriver à parler de leur importance ; et en effet, l’accroissement des corps en suppose la préexistence. Les lieux qui servent à grandir ou à rabaisser sont déjà l’objet d’un exposé antérieur[1].

III. Après cela, une fois qu’on a fait voir clairement les faits et qu’on les a mesurés à leur valeur, il faut agiter les passions de l’auditoire. Ces passions, ce sont la pitié et la terreur, la colère, la haine, l’envie, l’émulation et la dispute[2]. On a expliqué précédemment les lieux qui s’y rapportent [3].

IV. Reste le fait de rappeler les arguments avancés dans les parties précédentes. Or il convient de le faire de la même manière que certains le conseillent pour les exordes, ce en quoi ils ont tort ; car ils prescrivent de revenir souvent à la charge pour que les choses soient bien connues.

Dans cette partie-là, il faut exposer la chose, afin de ne pas laisser ignorer à l’auditeur les détails de la question mise en cause ; tandis que, dans celle-ci, on doit récapituler les arguments qui ont établi la démonstration.

V. Au début (de la péroraison), l’orateur dira qu’il a tenu les promesses qu’il avait faites ; et pour cela, il doit rappeler ces promesses et dire comment il les a tenues. Cela s’obtient par le contre-rapprochement des arguments de l’adversaire. On rapprochera ou les choses que les deux parties ont dites sur le même point, ou celles qui n’ont pas été mises en opposition : « Mon contradicteur a dit telles choses à ce sujet, et moi telles autres choses, pour telles raisons. » Ou bien on recourt à l’ironie, comme dans cet exemple : « Oui, certes, il a bien dit ceci, mais moi, j’ai dit cela ; » et dans cet autre : « Que ne ferait-il pas s’il avait démontré ceci, mais non pas cela ? » — ou encore à l’interrogation : « Quel point est resté sans démonstration ? » ou bien : « Qu’a-t-il démontré ? » On peut aussi procéder, soit par rapprochement ou dans l’ordre naturel, de la même façon que les choses ont été dites, les reprendre en vue de sa propre cause, et, par contre, si on le désire, revenir isolément sur les divers points du discours de l’adversaire.

VI. À la fin (de la péroraison), il convient de parler un langage dépourvu de conjonctions, afin que cette fin soit bien un épilogue, mais non pas un nouveau discours : « J’ai dit ; vous avez entendu, vous possédez (la question) ; prononcez[4]. »


FIN DE LA RHÉTORIQUE D’ARISTOTE.
  1. L. II, ch. XIX et XXVI.
  2. ἔρις. Peut-être χάρις, la faveur. (Spengel.)
  3. L.II, ch. I - XI.
  4. Cp. Lysias, contre Ératosthène, dernière phrase.