« Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/660 » : différence entre les versions

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ou soupçonnées, ont fait naître enfin la vraie philosophie. » La « vraie philosophie ? » c’est Voltaire qui le prétend, et nous ne sommes pas tenus de l’en croire ; mais il suffit ici que ce fût une « autre » philosophie. Trente ou quarante ans s’étaient à peine écoulés depuis la mort de Bayle que l’on continuait bien de professer les mêmes principes généraux que lui, mais on en donnait d’autres démonstrations que les siennes, plus particulières, d’un autre ordre, procurées par des moyens nouveaux, fondées sur des faits, au lieu de l’être sur des mots, « scientifiques » enfin, non plus M logiques » ni « métaphysiques ; » — et son autorité s’affaiblissait ainsi de tout ce que gagnait insensiblement celle des Newton et des Leibniz, des d’Alembert et des Maupertuis, des Buffon et des Linné, des Laplace et des Lavoisier…

Je ne dis rien de l’idée de progrès, qui demande bien toute une étude entière, et sur laquelle je reviendrai prochainement…

Mais, d’un autre côté, la croissante popularité des Rousseau, des Diderot, des Condorcet, et la diffusion chaque jour plus étendue de l’une de leurs idées les plus chères, ne nuisait guère moins au crédit de Bayle. Si c’était, en effet, comme je l’ai fait voir, l’un des principaux articles de sa croyance que « l’homme est incomparablement plus porté au mal qu’au bien ; » qu’on ne saurait rien apprendre à l’école de la nature, « qui n’autorise la tyrannie de ceux qui soumettent le droit à la force ; » et qu’enfin « la nature est un état de maladie, » on peut bien dire qu’il n’y a rien aussi de moins analogue à l’esprit général du XVIIIe siècle. Le seul Voltaire en a retenu longtemps quelque chose. Mais, déjà, Fénelon, dans son Télémaque et ailleurs ; Massillon, dans ses Sermons, mais surtout dans son Petit Carême ; Montesquieu, dans son Esprit des lois ; d’autres encore : Marivaux, dans ses comédies ; Prévost, dans ses romans ; Vauvenargues, dans ses pensées, protestaient contre la dureté d’un dogme où ils affectaient de ne voir, où peut-être ne voyaient-ils effectivement qu’un reste de jansénisme, jusqu’à ce qu’enfin Diderot et Rousseau vinssent poser bruyamment la bonté naturelle de l’homme. Aucune idée, comme on le sait assez, ne devait faire plus rapidement son chemin dans le monde, ou plutôt, — j’ai tâché de le montrer dans une précédente étude, — il y avait bien deux cent cinquante ou trois cents ans alors, depuis le temps de la Renaissance, que l’idée chrétienne avait seule pu l’empêcher de le faire. Calvin seul avait vaincu Rabelais ; Jansénius avait seul triomphé de Montaigne ; Pascal seul avait balancé Molière. C’est ce que Bayle savait aussi bien que personne, et d’autant qu’il rendait la bride au libertinage de l’esprit, trouvant d’ailleurs l’idée chrétienne également conforme à la réalité de l’histoire, à l’expérience de la vie commune, et aux besoins de