Une femme m’apparut/1905/36

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Alphonse Lemerre, éditeur (p. 191-193).


XXXVI


Nous étions dans le jardin de Dagmar.

« Vous êtes plus églantine que jamais, » murmurai-je. « Je n’ai jamais vu de fraîcheur comparable à la vôtre. »

Et la pensée soudaine me vint qu’il serait imprévu et suave d’oublier, auprès de cette adolescence, mes longues tortures. Ce serait pour Dagmar le caprice d’une heure d’ennui, et, pour moi, la consolation inespérée.

Mais une anxiété me retint. Oserais-je mettre mon cœur trop lourd entre les mains d’une enfant ?…

« À quoi rêvez-vous ? » me demanda la petite princesse. « Vos pensées m’inquiètent toujours. »

Je la regardai jusqu’au fond de ses yeux bleus de tout le printemps qui s’y reflétait.

« Si vous vouliez mettre dans la mienne votre main de petite fille sans défiance, Dagmar, j’irais respirer auprès de vous l’air de l’aurore. »

Ses prunelles trop claires ne fléchirent point sous mes prunelles. Et, dans sa perverse candeur, elle me tendit ses lèvres.

« Ne crains-tu rien, Dagmar ? »

Ma voix déchira les voiles invisibles, que le silence venait de tisser autour de nous.

« Que pourrais-je craindre ?

— Mon amour.

— Faut-il craindre l’amour ? » demanda-t-elle, si ingénument que, devant le baiser qu’elle m’offrait, je reculai… Je reculai comme un être que la démence a frappé à demi recule devant le meurtre conçu en une heure insensée.

Et je lui dis :

« Il y a encore place en moi pour une pitié attendrie devant la faiblesse, — l’exquise faiblesse confiante. Tu ne souffriras point de ta curiosité puérile, Dagmar. »