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Voyage à la Nouvelle-Calédonie (Garnier)/05

La bibliothèque libre.
Cinquième livraison
Le Tour du mondeVolume 18 (p. 1-16).
Cinquième livraison

Rochers d’Hienghen. — Dessin de Moynet d’après un croquis de M. Garnier.


VOYAGE À LA NOUVELLE-CALÉDONIE,


PAR M. JULES GARNIER, INGÉNIEUR CIVIL DES MINES[1].


1863-1866. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.


XIV


La côte nord-est de l’île.

En revenant de l’extrémité septentrionale de l’île, j’allai attendre au poste de Houagap le passage d’un bateau de la station pour retourner à Nouméa. Ce poste avait alors pour chef M. le lieutenant Charpentier, et pour chirurgien le docteur Vieillard. Je reçus de l’un et de l’autre l’accueil le plus cordial et j’acceptai avec empressement l’offre que voulut bien me faire M. Vieillard de n’accompagner dans les environs du fort.

Ayant une connaissance profonde de la Nouvelle-Calédonie, qu’il habite depuis plusieurs années, et dont il a spécialement étudié la flore, naturaliste infatigable, encouragé par l’Institut pour ses travaux, et d’une aménité de caractère égale à son savoir, le docteur Vieillard est bien le meilleur compagnon d’excursion qu’on puisse désirer sur cette terre lointaine.

Notre première course nous conduisit le long de la belle rivière de Ti-Houaka. Son cours n’avait pas encore été remonté, car, outre la difficulté naturelle de la route, le sommet de son bassin était habité par une tribu qui ne s’était jamais soumise, et à l’époque des guerres contre la tribu de Houagap, il avait servi de refuge aux mécontents et à ceux dont la tête avait été mise à prix. On avait bien entrepris contre eux une expédition, seulement elle n’avait été poussée que jusqu’à une journée du poste. Ce voyage présentait donc un certain danger, mais le docteur pensait trouver dans les plantes quelques nouvelles espèces, et je tenais de mon côté à voir en place des euphotides et d’autres roches remarquables, que roulaient à l’état de galets les eaux de la Ti-Houaka.

Nous partîmes avec six soldats armés, tous hommes de bonne volonté, entreprenants et rompus à ce genre de courses ; trois Kanaks nous servaient de guides ; Poulone, mon Tayau de Balade, que j’ai déjà présenté au lecteur, complétait notre petite troupe, quoique à peu près convaincu qu’il serait mangé. La pirogue du docteur, si légère que deux hommes pouvaient la transporter au besoin, contenait nos provisions.

La vallée que nous suivions est des plus fertiles ; aussi on y rencontre à chaque instant de petits villages, qui sont si bien cachés dans la verdure qu’on pourrait facilement passer à côté sans les voir. Les cocotiers y prospèrent aussi jusqu’à environ quinze à vingt kilomètres de la mer. Avant d’atteindre cette limite, la rivière est déjà devenue bien torrentueuse, et il a fallu, pour franchir certains rapides, transporter à dos d’homme notre pirogue. Mais, grâce au naturel curieux et obligeant des indigènes, notre troupe s’est grossie en chemin de quatre ou cinq jeunes gens toujours prêts à nous prêter main-forte dans les mauvais passages.

À vingt-cinq kilomètres environ, la rivière se bifurque ; nous suivîmes le bras principal, celui de l’ouest, qui nous amena bientôt au village de Poimbey. Nous venions de quitter le territoire de la tribu de Houagap, et nous étions en pays insoumis.

Tout à fait imprévue, notre entrée dans le village produisit l’effet d’un coup de théâtre. Très-peu de ses habitants avaient été à même de voir des blancs : aussi, croyant à une surprise et à une attaque, les femmes disparurent toutes avec une promptitude extraordinaire dans l’épaisse broussaille ou dans les hautes herbes, emportant leurs enfants avec elles. Quant aux hommes, quoique bien certainement leur cœur battît d’émotion, pas un d’eux ne fit un geste témoignant de la moindre crainte. Ils se levèrent en silence, afin d’être prêts à bondir derrière un abri que leur coup d’œil rapide avait déjà choisi ; mais, en voyant notre petit nombre et nos allures pacifiques, ils reprirent leur première position et acceptèrent gravement, ou avec un sourire ironique, les bonjours que nous leur adressâmes.

Il était tard, nous avions faim, et suivant les us et coutumes du pays, sans plus nous occuper de nos hôtes, nos gens procédèrent à l’établissement du campement et à la confection du dîner ; puis un exprès indigène fut expédié au chef du village pour le mander auprès de nous.

Nos armes étaient en faisceau sous la garde d’une sentinelle ; nos revolvers ne quittaient du reste pas notre ceinture ; le docteur classait ses découvertes ; Poulone, toujours taciturne, sa hachette à la main, appuyé contre un cocotier, ne perdait pas un geste de ces hommes dont il ne parlait pas le dialecte, et dans lesquels par conséquent il voyait des ennemis ; car dans cette île, qui semble avoir reçu plusieurs émigrations successives, bien que le fond de la langue soit commun à toute la population, les dialectes surabondent, la prononciation varie et les alliances ne se nouent guère qu’entre les tribus qui peuvent se comprendre.

Mon chien Soulouque avait disparu depuis quelques instants, et j’allais l’appeler, lorsque je le vis revenir en grande hâte, bondissant au-dessus des hautes herbes, dans lesquelles il disparaissait pour reparaître tout entier, grâce à un nouveau bond. Arrivé près de moi, il me regarda fixement avec ses deux grands yeux intelligents, tout en remuant sa longue queue ondoyante, puis faisant deux bonds vers le point d’où il revenait, il tourna la tête ; je ne bougeai pas ; il revint et me regarda de nouveau en poussant des gémissements d’impatience. Il avait assez parlé : je me levai, pris mon fusil chargé à plomb et le suivis.

Les Kanaks, à qui rien n’échappe, avaient tout vu ; plusieurs me suivirent en silence ; Poulone était cependant entre eux et moi. Soulouque, plein d’ardeur, courait devant, faisant, par intervalles, de petits temps d’arrêt pour m’attendre. Mais il ralentit soudainement son allure ; son corps se mit à ramper dans les herbes comme celui d’une couleuvre ; nous étions près de notre but. Je fis signe aux Kanaks étonnés de s’arrêter, et marchai seul dans le plus grand silence derrière mon chien. Au bout de quelques pas, il tomba en arrêt ; je suivis la direction de son regard. Nous étions sur un des nombreux méandres de la rivière, où se trouvait une anse évasée et s’étalant au loin ; là était installée une troupe nombreuse de canards sauvages ; les uns fouillaient de leur bec le sable humide du rivage ; d’autres dormaient ou digéraient, gravement assis sur leurs pattes ; les plus jeunes nageaient ou faisaient leur toilette sur le cristal de l’eau. Ayant embrassé d’un regard tout cet ensemble, j’épaulai, cherchant des victimes parmi ces paisibles nageurs. Soulouque, dont tout le corps tremblait d’une impatience nerveuse, semblait me dire : Eh bien ! Je fis feu des deux coups à la fois dans la bande, et, une minute après, Soulouque m’apportait quatre beaux et bons canards.

Cet heureux coup eut deux résultats : le premier de



nous assurer un bon dîner ; le second, et le plus important

des deux, de montrer à nos hôtes la valeur de nos armes. Je crus deviner qu’ils exagérèrent même la chose dans le récit qu’ils en firent au retour et qu’ils étaient bien près d’affirmer qu’un fusil qui tuait quatre canards d’un coup avait le pouvoir de tuer tout autant de Kanaks.

Le chef du village de Poimbey, vieillard à longue barbe blanche, arriva accompagné d’une escorte vêtue aussi primitivement que possible. Néanmoins, dans
Église de Houagap. — Dessin de Émile Bayard d’après une photographie de M. E. de Greslan.
ces montagnes, où le froid est quelquefois assez sensible à la peau nue, les indigènes se confectionnent des manteaux fort curieux : à l’intérieur c’est une natte parfaitement tressée ; mais à l’extérieur des milliers de bouts de paille qu’ils ont à dessein laissé dépasser pendant le tressage, forment, en retombant les uns sur les autres, comme une toiture de chaume sur le dos de celui qui porte ce surtout, et qui se trouve ainsi
Église en construction à Poébo. — Dessin de H. Clerget d’après une photographie de M. E. de Greslan.
garanti tant bien que mal du froid, mais totalement de la pluie. Dans les atlas de Cook et de Dumont d’Urville, on voit de pareils manteaux sur le dos des Néo-Zélandais.

Nous dîmes au chef, par l’intermédiaire de nos guides, que nous étions des amis, que nous ne venions rien prendre chez lui, mais seulement examiner son territoire. : « Soyez les bienvenus, » nous répondit le vieillard ; puis se retournant vers ses hommes, il ajouta : « Que l’on apporte aux étrangers des igna


Un pilou-pilou la nuit. — Dessin de L. Crépon d’après un croquis de M. Garnier.

mes, des taros et des cocos, afin qu’ils voient que nous partageons avec eux et que nous sommes des amis. »

Quelques instants après, à la grande satisfaction de Poulone et de nos guides kanaks, un grand amas de vivres indigènes s’élevait au milieu de nous ; mais nous, de notre côté, ne voulant pas être dépassés en générosité, nous invitâmes le vieux chef à dîner, après lui avoir offert du tabac, des pipes et des étoffes.

Le visage de ce vieillard, toujours grave, soucieux même, prit dès lors une expression plus confiante. Cependant il se trouvait avec ses ennemis les plus détestés, avec ceux qui avaient voulu lui enlever son indépendance, à lui le vieux sauvage, c’est-à-dire le plus libre des hommes et le plus jaloux de sa liberté ; mais le repas était bon, et les sauvages eux-mêmes sont gracieux avec ceux qui les traitent. Chacun de nos ustensiles de table attirait la curiosité de tous ; le vieux chef, non moins ignorant que ses sujets de la manière d’utiliser une fourchette ou une serviette, regarda d’abord tranquillement notre manière d’opérer et finit par nous imiter sans trop de maladresse. À la vue d’un morceau de sucre, il hésita à mettre dans sa bouche cette pierre blanche, mais quand il en sentit la douceur et qu’il apprit que c’était l’extrait de la canne indigène, il parut très-surpris, et, après l’avoir émietté en un grand nombre de très-petits fragments, il les distribua aux plus notables de ses sujets. Particularité caractéristique de cette race de sauvages, le Calédonien se refuse toujours à boire de l’eau-de-vie ; ce fut à peine si le chef trempa ses lèvres dans celle que nous lui offrîmes.

La grande et forte tribu de laquelle dépend le village de Poimbey était autrefois très-redoutée de ses voisins des deux rives, où elle descendait quelquefois subitement pour faire des razzias, dont elle emportait le butin dans ses montagnes ; on n’osait pas venir l’y attaquer. Poindi Patchili, chef actuel de cette tribu, est frère d’Onine, chef d’Amoa, dont j’ai raconté la fin misérable.

Poindi est grand et bien fait, d’une bravoure et d’une agilité extrêmes ; sa peau est presque blanche. Il reste toujours dans ses montagnes sauvages, loin des blancs qu’il hait parce qu’ils ont tué des chefs, ses parents et ses amis, dont ils ont pris les territoires. Nous avions donc lieu de nous défier ; cependant nous passâmes la nuit au milieu des guerriers au moins mal intentionnés de cette tribu : mais notre audace même, qui domine toujours ces natures naïves, était notre meilleure sauvegarde. Toutefois nous ne dormions que d’un œil, et l’un de nous veillait, faisant le guet.

La nuit ne fut troublée que par un incident assez comique : j’avais recommandé qu’on m’éveillât à cinq heures du matin. Ma montre était suspendue près de ma tête ; au jour naissant, notre sentinelle, un soldat de marine, s’avança le plus doucement possible pour regarder l’heure, mais si légèrement qu’il marchât, le faible bruissement de la paille sur laquelle j’étais étendu me réveilla et, prompt comme l’éclair, j’appuyai mon revolver sur la tête du soldat en disant brusquement : « Qui va là ? » Je reconnus de suite mon erreur, mais le malheureux était si effrayé qu’il ne songea plus à regarder l’heure, et retourna à son poste sans me répondre.

Au réveil, nous nous mîmes en route en remontant la rivière ; un grand nombre d’habitants nous accompagnaient. Au bout d’une heure environ de marche, une cascade magnifique se présenta subitement à nous. Au sommet du plateau qu’elle parcourt, la rivière est tout à coup obligée de passer entre deux énormes blocs de rocher ; ses eaux roulent écumantes et furieuses jusqu’à l’extrémité de cet étroit défilé, où une colonne de roche debout au milieu du rapide les divise en deux canaux plus étroits encore. Là elles s’engouffrent avec une telle violence qu’elles se pulvérisent en écume et en pluie qui s’élève jusqu’à une hauteur considérable. Au sortir de ce passage, la rivière se précipite, d’une hauteur de douze mètres environ, dans un grand bassin très-profond, dont les parois à pic sont comme ciselées dans le roc. Le calme des eaux au fond du gouffre forme un contraste des plus étranges avec la fureur qui les anime plus haut.

Le bruit produit par cette cascade est tel, que jusqu’à une certaine distance on ne peut pas s’entendre parler. Les rochers contre lesquels se brise la rivière sont formés d’un marbre violet et verdâtre qui, poli par un long frottement, ajoute encore par son éclat à la beauté du paysage.

Au-dessus de cette cascade, rien de curieux n’attira notre attention ; nous séjournâmes encore quarante-huit heures au milieu des naturels, sans relever dans leur conduite le moindre indice d’hostilité, et nous pûmes bientôt regagner Houagap, chargés de précieux spécimens botaniques et géologiques.

La cascade de la Ti-Houaka n’est pas la seule, sur la côte nord-est de l’île, qui appelle le crayon ou le pinceau d’un artiste, ainsi que le témoigne la gravure de la page 12, représentant la belle cascade de Ba, qui anime le fond de la baie Lebris.


XV


Pilou-Pilou, combat et cannibalisme.

Au commencement du mois de juin 1864, le chef de poste de Houagap reçut une nombreuse et solennelle députation de la tribu de Houindo ; on venait l’inviter à assister au Pilou-Pilou qui devait être célébré dans cette tribu le 6 juin à l’occasion de la récolte des ignames, avec toute la pompe requise par les vieilles coutumes ; cinq ou six tribus, dont quelques-unes habitaient de l’autre côté de l’île, devaient s’y rendre.

Généralement, les Kanaks n’aiment guère, dans ce genre de fête, la présence de l’Européen et surtout celle des soldats français ; mais ce qui, dans cette occasion, engageait vivement le chef de cette tribu à inviter les blancs, ses voisins, c’est qu’il était en ce moment en guerre avec la tribu de Ponérihouen, tribu insoumise et querelleuse, que nous avions eu nous mêmes besoin de châtier dans une précédente expédition.

Une rivière large et profonde sépare les deux tribus ; celle de Ponérihouen traversa un jour cette limite, et vint établir des plantations sur le territoire de sa voisine. C’était une usurpation, et les gens de Houindo chassèrent les envahisseurs. De là une guerre permanente pendant laquelle la tribu de Houindo vint à Houagap demander main-forte à ses nouveaux alliés, les Français. Un poste de dix hommes commandés par un sergent fut envoyé, et, avec l’aide des naturels, il établit un petit blockhaus sur le sommet d’une butte dominant la rivière à son embouchure, endroit choisi par les ennemis pour opérer leurs attaques, facilitées par une barre, qui forme là, comme au débouché de tous les cours d’eau néo-calédoniens, un gué presque continu et praticable en tout temps. De plus, à la marée basse, au milieu de la rivière, s’étale un îlot de sable assez large, sur lequel les deux partis venaient tour à tour se défier.

À partir de l’installation du poste français, les attaques continuèrent encore, mais les gens de Ponérihouen n’osèrent plus se hasarder à traverser la rivière pendant le jour. Toutefois ils la passaient quelquefois la nuit, se cachaient dans les bois, et réussissaient à massacrer quelques-uns de leurs adversaires isolés. L’un d’entre eux poussa la hardiesse jusqu’à venir au cœur du village de Houindo enfoncer sa zagaie dans la porte même du chef. — Ils possédaient quelques fusils, dont ils se servaient avec une assez grande précision. Toujours à l’affût derrière quelque rocher ou dans le feuillage épais d’un arbre de l’autre rive, ils épiaient le moment où un soldat ou un Kanak s’approchait du bord, pour lui envoyer une balle ; il est vrai que, d’un autre côté, la supériorité du tir de nos hommes et de nos fusils commençait à refroidir beaucoup l’ardeur de l’ennemi.

Cependant cet état de choses ne pouvait se prolonger, et le commandant du poste de Houagap attendait des ordres et des renforts pour frapper un coup décisif sur cette tribu turbulente. C’est à ce moment qu’eut lieu la grande fête de Houindo. Le lieutenant ni le docteur, retenus par le service, ne purent s’y rendre ; quant à moi, je ne pouvais manquer une telle occasion d’assister à un de ces grands Pilou-Pilou dont tout le monde parle, et que si peu d’Européens se sont trouvés à même de voir. Je me mis donc en route avec une escorte de Kanaks de Houagap invités à la fête, et dix soldats bien armés, qu’il était prudent d’avoir avec soi au milieu de la nombreuse réunion d’indigènes dans laquelle nous allions nous trouver.

Houindo est situé au cap Bocage et sur la route de Kanala, à mi-chemin environ de Houagap ; il faut pour s’y rendre une forte journée de marche, au bord de la mer, dans des sables et sur des coraux. À notre arrivée, le chef nous donna une case et des vivres. C’était un homme jeune et bien fait. Il nous parla avec animation de ses ennemis de Ponérihouen, qui lui avaient fait dire qu’ils profiteraient du Pilou-Pilou pour venir l’attaquer et changer cette fête en jour de deuil. Aussi les sentinelles placées en vigie sur le sommet des montagnes avaient ordre de redoubler de surveillance. Le chef nous montra devant sa case, avec un air d’orgueil, quatre ou cinq crânes qui grimaçaient au bout de longues perches, trophées glorieux des derniers combats. Quant au reste des cadavres auxquels ils avaient appartenu, on aurait eu grande peine à en retrouver quelques os à demi calcinés par le feu, et rongés par les dents avides de ces implacables sauvages.

Le lendemain, je me rendis à sept heures du matin sur le théâtre de la fête ; c’était une vaste plaine que dominait un plateau. Au sommet de celui-ci étaient assis les chefs et les vieillards, au bas se tenait la foule devant laquelle s’élevait un amas considérable d’ignames ; trente ou quarante jeunes gens, choisis parmi les plus beaux de la tribu, venaient en prendre chacun une charge, et tous ensemble remontaient au pas de course sur le plateau, avec leurs fardeaux, qu’ils déposaient aux pieds des chefs ; ensuite, toujours courant, ils retournaient au grand tas d’ignames, pour en rapporter une nouvelle charge, et ainsi de suite. Dans cette course effrénée, ils étaient suivis par la foule hurlante, qui bondissait autour d’eux en brandissant ses armes.

Tout Européen se fût intéressé à cet étrange spectacle ; mais un peintre, un sculpteur n’aurait pu se lasser d’admirer les formes des jeunes acteurs ; de plus beaux modèles académiques ont rarement posé dans un atelier.

Le Calédonien a généralement le corps grand et svelte ; jamais l’embonpoint de l’Européen ne vient vulgariser ses formes ; ses muscles, fondus dans la chair pendant sa jeunesse, ressortent en saillie vigoureuse dans son âge viril. Il est infatigable, alors surtout que le plaisir ou la passion l’anime.

Les ignames apportées sur le plateau étaient divisées en tas inégaux, surmontés de cocos, de poissons, etc., et chacun formait la part réservée à un chef ou à une famille des assistants ; personne n’était oublié.

Depuis deux heures environ je regardais cette scène, lorsqu’un long cri aigu et perçant retentit au loin, dominant même le bruit de la fête. Aussitôt, tout le monde devint immobile, et l’anxiété se peignit sur tous les visages. Ce hurlement lugubre et lointain, c’était le cri de guerre : les gens de Ponérihouen, fidèles à leur promesse, tentaient une attaque ; et les sentinelles, du haut des montagnes, signalaient leur approche. Au milieu du silence général, le chef de Houindo prit la parole, et ordonna en peu de mots à ses jeunes gens d’aller au-devant de l’ennemi ; tous, brandissant leurs armes, se précipitèrent à l’envi vers le point de l’attaque, où, à l’exception des femmes, toute l’assistance les suivit. Curieux d’être témoins de cette lutte, nous nous joignîmes à la foule.

Au bout d’une heure de marche environ, nous étions au bord d’une large et belle rivière, limite des deux tribus ennemies. À ce moment la mer était basse, et sur un large banc de sable asséché au milieu du cours d’eau une lutte acharnée était déjà engagée entre les deux partis, mais notre arrivée subite décida complétement de son issue. Les Ponérihouens, avertis de notre arrivée par les clameurs de leurs nombreux compatriotes qui nous apercevaient de la rive opposée, se retirèrent, quoique avec assez de lenteur, devant nos redoutables carabines.

Mon intention n’était certes pas de devenir acteur dans cette lutte, à moins qu’une agression directe ne m’y engageât ; pour ne pas la provoquer, je m’écartai du bord de la rivière avec mes hommes, et j’allai me placer sur un rocher élevé, du haut duquel on dominait parfaitement les lieux environnants.

La scène avait quelque chose de vraiment bizarre ; nus ou ceints d’étoffes aux mille couleurs voyantes, les guerriers brandissaient leurs armes tout en bondissant, hurlant, injuriant leurs adversaires. Les vieillards au corps amaigri, dont la main ne pouvait lancer la pierre ou la zagaie, ne restaient pas oisifs pour cela : assis sur les pointes élevées des rochers de la grève, leur voix ne cessait d’animer le courage de leurs jeunes gens, et de prodiguer l’insulte à leurs ennemis ;
Jeunes Néo-Calédoníens. — Dessin d’Émile Bayard d’après une photographie de M. E. de Greslan.
lorsqu’une pierre aiguë passait en sifflant auprès de leur tête, ils ne daignaient pas s’incliner, mais leur voix plus vibrante, leur parole plus rapide redoublaient de sarcasmes. Écoutez, me dit l’interprète, voici ce qu’ils disent :

« Vous avez raison d’être venus maintenant, c’est une grande fête chez nous et vous nous manquiez ; mais vous voilà, et nos jeunes guerriers vont vous saisir, et votre chair va compléter notre festin aujourd’hui. »

Les gens de Ponérihouen, dont les paroles arrivaient distinctement jusqu’à nous, répliquaient :

« Vous n’êtes que les chiens de ceux qui portent la foudre ; trop lâches pour vous défendre contre nous, vous avez appelé les blancs à votre secours ; dites-leur de s’éloigner, et nous vous verrons fuir comme la poussière qu’emporte le vent. »

À ce reproche, un peu mérité, les gens de Houindo ne savaient trop que répondre, lorsqu’un jeune chef, appelant autour de lui ses guerriers, s’élança le premier dans la rivière. En quelques brasses, devançant la petite troupe qui s’était précipitée sur ses pas, il atteignit le banc de sable ; au même moment, un nombre à peu près égal des gens de Ponérihouen abordait aussi. Le banc avait cinquante mètres environ dans sa plus grande largeur ; ces ennemis acharnés étaient donc face à face. Trop près de nos alliés


Combat sur la rivière des Ponérihouens. — Dessin d’Émile Bayard d’après un croquis de M. Garnier.

pour craindre notre feu, et surtout celui du sergent et

de son détachement qui venait d’arriver, les gens de Ponérihouen avaient recouvré toute leur audace. Chaque parti se composait de trente hommes environ ; les deux chefs seuls avaient un léger fusil de chasse à deux coups, qu’ils brandissaient au-dessus de leur tête comme si c’eût été une plume, et tous poussèrent en même temps leur cri de guerre. À cet instant le plus profond silence régnait sur les deux rives ; tous les Kanaks attentifs, accroupis sur le rivage, suivaient d’un œil anxieux les moindres détails de l’affaire ; les vieillards seuls continuaient leurs psalmodies, mais leur voix était descendue jusqu’à un diapason monotone.

Le combat commença d’abord par un jet de pierres projetées avec une adresse et une force dont nous n’avons pas d’idée. Ces pierres, appointées des deux bouts, se lancent au moyen de la fronde et sont projetées de but en blanc. Leur trajectoire, qu’elles parcourent en sifflant, est presque aussi peu accentuée que celle d’une balle. Prêter l’oreille à ce sifflement est une des grandes affaires du Kanak sur le champ de bataille. Toujours sur le qui vive, le corps baissé, son œil de lynx suit tous les mouvements de chacun de ses adversaires ; et lorsqu’un projectile arrive sur lui, il lui échappe avec une merveilleuse adresse en bondissant de côté ou bien en se jetant vivement à terre.

Au bout d’un instant plusieurs hommes des deux partis avaient déjà reçu de légères blessures qui ne faisaient qu’augmenter leur rage, lorsqu’un de nos alliés, mortellement blessé au front, tomba sur le sable qu’il mordit dans les dernières convulsions de l’agonie. Je ne saurais dépeindre les cris de joie de tous les Ponérihouens, non plus que les hurlements de douleur de nos alliés ; tous ceux qui étaient encore sur le rivage se précipitèrent dans la rivière. Ceux qui étaient sur le banc de sable s’élancèrent en avant contre les Ponérihouens qui, sans reculer, soutinrent vaillamment le choc. À quinze pas environ les combattants s’envoyèrent leurs zagaies[2], qui traversèrent bon nombre de bras et de jambes. Mais les blessures de cette sorte sont peu de chose pour ces hommes stoïques, et avec ma bonne lorgnette, je pouvais voir que, même lorsqu’ils retiraient de leurs propres mains l’arme de la plaie, l’expression qui se peignait sur leur visage n’était pas celle de la souffrance, mais uniquement celle de la fureur.

Dès le commencement de la lutte, les fusils des deux chefs avaient retenti sans résultat bien sensible ; aussi, dédaignant ces inventions de la guerre moderne, généralement peu redoutables entre leurs mains, ils avaient saisi immédiatement leurs armes ordinaires, et l’on voyait le chef de Houindo, à la tête de sa petite troupe, s’élancer en avant, brandissant une longue lance de la main droite, et de la gauche un tomahawk acéré. Il était le but de tous les traits ; mais par des bonds et des mouvements de côté, exécutés avec une prestesse miraculeuse, il réussissait à éviter cette grêle de projectiles. Sa troupe, un instant hésitante, avait laissé entre elle et lui un intervalle assez grand ; et pourtant, devant cet homme isolé, les Ponérihouens se retiraient peu à peu, étonnés de son audace et de son bonheur à éviter leurs traits. C’était, du reste, un jeune homme magnifique, et, à le voir ainsi nu, la poitrine et la barbe noircies pour la guerre, tous les muscles en jeu, ne toucher le sol que pour y prendre un point d’appui et rebondir, se tordant et se courbant dans l’air au milieu des traits pleuvant autour de lui, on eût dit un être surhumain. Certes, ce n’était pas l’homme tel que nous le connaissons dans nos villes, pas plus, du reste, que le cheval de fiacre, empêtré de ses harnais gênants, n’est le cheval sauvage, à la crinière longue, abondante et mobile, au col recourbé et fort comme un arc de bois de fer, aux naseaux ouverts et inquiets, qui bondit comme un ressort et se dresse comme une chèvre de montagne.

Devant ce guerrier, je l’ai dit, tous reculaient ; cependant, bien qu’il fût très-près de l’ennemi, il n’avait encore pu lui porter aucun coup : car, pour se servir efficacement de sa lance, il eût fallu qu’il restât une seconde immobile, ce qui eût fatalement amené sa perte. Cependant les gens de Ponérihouen quittaient le banc de sable et entraient peu à peu dans l’eau, tout en gardant bonne contenance et ne cessant de raser de la pointe de leurs lances le corps du chef notre ami. À ce moment, poussant le hurlement de guerre, la troupe du rivage de Houindo accosta. Ce fut le signal de la retraite chez les Ponérihouens, et, quoique de l’autre bord on vînt à leur secours, ils lâchèrent pied rapidement, et plongèrent à demi dans l’eau. Là, ils ne pouvaient plus envoyer facilement leurs lances, c’était ce que le chef de Houindo attendait : il s’arrêta brusquement, rejeta en arrière son bras armé de la zagaie et ajusta un instant ; alors son bras décrivit dans l’air une courbe rapide, et sa lance acérée, atteignant le but, s’enfonça dans la poitrine du chef ennemi, qui déjà était dans l’eau jusqu’à la ceinture, et qui tomba sans jeter un cri. Aussitôt les Houindos s’élancèrent dans la rivière pour s’emparer au moins de son cadavre, mais à ce moment arrivaient les Ponérihouens qui, eux aussi, se jetèrent à l’eau pour sauver ce trophée. Il y eut pendant quelques instants une mêlée terrible au milieu de ces eaux furieuses, où ces guerriers s’étreignaient l’un l’autre, se laissant emporter par la rivière, et se noyant plutôt que de lâcher prise.

Enfin les gens de Ponérihouen cédèrent, laissant les corps de deux ou trois de leurs camarades entre les mains des vainqueurs hurlant de joie et ivres de vengeance assouvie. Je vis l’un d’eux, presque un vieillard, séparer à coups de hache un bras du cadavre du malheureux chef ennemi, l’agiter au-dessus de sa tête en manière de triomphe, puis arracher avec ses dents un lambeau de cette chair encore palpitante. J’appris depuis que cet homme était le père du jeune guerrier tué au début de la lutte.

De longs hurlements de deuil et de rage répondirent à cet acte de sanglante sauvagerie ; ensuite les Ponérihouens s’enfoncèrent dans les broussailles et disparurent à nos regards. Ils allaient pleurer les leurs et méditer de nouvelles vengeances.

C’était un beau jour pour nos alliés ; leur joie se traduisait par des hurlements sans fin, l’orgueil du triomphe se lisait dans leurs yeux.

Leur chef s’avança vers nous, suivi d’un de ses guerriers, qui portait sur son épaule la jambe d’une des victimes du combat ; il lui ordonna de la mettre à nos pieds, et dit :

« Voilà un morceau de ton ennemi et du mien. Il pensait que ses os resteraient dans sa tribu : mais son crâne blanchira au soleil devant nos cases, nos femmes et nos enfants riront en le voyant, et sa chair fournira un bon festin à mes guerriers, qui seront après plus braves et plus forts. Choisis pour toi et les tiens la partie qui te plaira. J’en enverrai aussi au capitaine de Houagap, afin qu’il connaisse notre triomphe. »

J’étais trop habitué aux coutumes des Kanaks pour être très-étonné de ces paroles, car ce n’était pas le premier présent de chair humaine que je voyais envoyer ainsi ; dans les postes du nord les commandants en reçoivent assez souvent. Cependant je ne pus m’empêcher, en refusant celui-ci, d’en exprimer mon dégoût, et j’ajoutai que si le chef et ses guerriers mangeaient le corps des hommes qu’ils avaient tués dans le combat, j’en avertirais le capitaine du poste de Houagap (qu’ils aimaient et craignaient à la fois), et que certainement ils s’attireraient sa colère. Pendant que l’interprète traduisait ma réponse, je lisais sur la physionomie du chef l’étonnement auquel succéda un air de respect et d’humilité quand il apprit que le capitaine de Houagap n’approuvait pas que l’on mangeât de la chair humaine.

Déjà toute la troupe des Kanaks avait pris le chemin du village, nous fîmes comme eux. Les événements que je viens de raconter avaient duré environ trois heures, il faisait chaud et nous avions faim. Arrivés au lieu du Pilou-Pilou, nous trouvâmes que la fête avait repris sa première allure. Le combat qui venait d’avoir lieu, loin de diminuer l’ardeur des naturels, n’avait fait que la surexciter ; le seul changement consistait en ce que les femmes et les jeunes filles avaient commencé leurs danses à part. Elles se trouvaient en ce moment à environ deux cents mètres des guerriers, et nous ne perdîmes pas cette occasion de voir de près ce qu’étaient les femmes calédoniennes, qu’on ne fait ordinairement n’entrevoir. En effet, lorsqu’on surprend une femme kanaque dans un sentier, on la voit se glisser subitement dans les hautes herbes, et y rester cachée jusqu’à ce qu’on soit passé. Toutefois, lorsqu’on séjourne un certain temps dans un village, cette sauvagerie diminue peu à peu et finit par disparaître entièrement.

Il y avait là quatre ou cinq cents femmes de tout âge : leur unique vêtement consistait en un tapa, sorte de ceinture formée des fibres du pandanus, qui retombait en franges autour d’elles ; le seul ornement que la coquetterie eût suggéré aux plus jeunes était une couronne de feuillage, ou bien une fleur voyante placée dans leur chevelure. Quelques-unes avaient des colliers de jade vert, substance non moins estimée parmi les Néo-Calédoniens que parmi leurs voisins de la Nouvelle-Zélande. Des bracelets formés en usant le coquillage qu’on nomme cône, ornaient aussi leurs bras ; la plupart s’étaient, en outre, noirci le visage et la poitrine.

Leur danse était simple et peu variée ; elles s’étaient réunies en un cercle immense, autour duquel tournait un petit groupe d’entre elles, portant de longues branches vertes et fleuries. Toutes chantaient en cadence un air monotone, et marquaient la mesure par un mouvement du corps en même temps qu’elles frappaient le sol de leurs pieds et leurs mains l’une contre l’autre.

Il existe ici une différence frappante entre les deux sexes sous le rapport de la beauté, et l’on se demande si l’homme de ce pays n’a pas raison de considérer comme beaucoup au-dessous de lui une semblable compagne, ou si c’est, au contraire, le degré d’avilissement dans lequel vit la femme qui l’enlaidit ainsi. Ce n’est pas que la nature ne lui accorde à elle aussi un moment d’éclat ; c’est lorsqu’elle devient jeune fille : alors ses formes sont d’une pureté irréprochable, et la douceur de sa peau ferait envie à beaucoup de nos jeunes Européennes. Mais cette fugitive floraison n’a que la durée d’un éclair et se flétrit bientôt sous la rude part que la vie sauvage fait à la femme : sa peau se ride, les cicatrices dont elle se couvre à la mort du premier parent venu la rendent repoussante ; puis, la maternité l’achève.

Les femmes kanakes sont peu fécondes, soit parce qu’elles nourrissent longtemps leurs enfants, soit par des causes moins avouables.

La journée s’avançait, le soleil était près de terminer sa course, lorsque le chef nous fit prier de nous rapprocher de la fête pour assister à la distribution des divers tas d’ignames qui venaient enfin d’être terminés. On nous fit monter sur le plateau où tous se trouvaient maintenant, et l’on nous y plaça de telle sorte qu’autour de nous était un espace vide ; à notre gauche et en arrière étaient les présents d’ignames. En avant de nous, mais sur la même ligne, se trouvaient les guerriers assemblés en un groupe nombreux ; au premier rang les chefs et les vieillards. La cérémonie commença ; chaque chef sortait à son tour des rangs, s’avançait de quelques pas et adressait un discours à la foule, qui à la fin de chaque phrase répondait par un hurlement général. Quelques ornements distinguaient les chefs des simples guerriers ; des plumes d’oiseaux spéciaux ornaient leur tête. Enfin ils étaient armés de fusils à deux coups, — le plus grand luxe du Calédonien. Lorsque le chef était jeune, son discours terminé, il simulait un combat, bondissait au-devant du groupe, en brandissant sa zagaie que tout à coup il jetait au loin devant lui dans la plaine comme sur un ennemi simulé. Telles étaient les scènes qui se déroulaient devant nos yeux lorsque soudain un jeune Chef étranger bondit hors des rangs, brandit un instant dans ses mains sa zagaie flexible, prononça quelques mots d’une voix retentissante, et au lieu de lancer son trait dans les herbes de la prairie, l’envoya de toute sa force sur un bouquet de cocotiers situé sur le plateau. Quel que fût le but ou la cause de cet acte, exécuté avec la rapidité de l’éclair, il produisit sur les assistants un effet aussi prodigieux qu’instantané ! Une clameur immense retentit, le chef même de Houindo, armant son
Cascade de Ba, dans la baie Lebris. — Dessin de E. Dardoize d’après une photographie de M. E. de Greslan.
fusil, s’élança d’un seul bond au-devant de l’étranger, l’ajusta… et c’en était fait de lui, si un vieillard n’eût relevé l’arme dont la charge se perdit dans l’air. À partir de ce moment je ne vis plus rien de la scène que me cacha aussitôt la foule. La plupart des naturels couraient çà et là comme les habitants d’une fourmilière ouverte par un coup de pied. Il fallait que les paroles et l’acte de l’étranger eussent été bien extraordinaires pour que les Calédoniens, toujours si amis du décorum dans leurs fêtes, fussent ainsi troublés. Nous attendions avec une certaine anxiété le dénoûment de cette affaire, lorsqu’un Kanak s’approchant de moi me dit de la part du chef, notre hôte, que la fête se trouvait terminée, et m’indiquant en même temps un grand tas d’ignames, de poissons, etc…, il ajouta : « Voilà les présents que le chef offre à toi et à tes hommes. » Après avoir remercié cet émissaire je voulus l’interroger sur les causes de la querelle, mais je ne pus en tirer que des réponses évasives, qui ne m’apprirent absolument rien.

Après la distribution des ignames, les Kanaks font un grand repas qui dure très-longtemps, et, lorsqu’ils sont bien repus, commence la véritable fête ; c’est au milieu de la nuit, sans autres lumières que quelques torches que promène çà et là le caprice de l’un d’eux ; hommes, femmes, enfants forment une mêlée confuse, surexcités par la grande abondance de nourriture qu’ils ont absorbée. Il se produit alors chez eux une espèce d’ivresse analogue à celle qu’amèneraient chez nous les alcools ; ils ne cessent de hurler et de sauter en mesure en frappant l’une contre l’autre des écorces d’arbres recourbées. Le choc de ces écorces produit un son sourd qui se propage au loin et qui, entendu d’une certaine distance, peut se traduire par les syllabes Pelou-Pelou. C’est probablement là l’origine du nom générique donné à toutes ces danses. On écrit ordinairement Pilou-Pilou, mais beaucoup de naturels, surtout dans le nord, prononcent Pelou-Pelou.

Après les événements bizarres que je viens de raconter, la fête paraissait terminée, et du reste, ne jugeant pas prudent de séjourner plus longtemps au milieu de cette foule surexcitée, je me retirai avec ma
Habitation de l’Anglais William Young, constructeur de bateaux. — Dessin de E. Dardoize d’après une photographie de M. E. de Greslan.
petite troupe dans le campement que nous avions choisi à un kilomètre de là environ. Les présents des indigènes procurèrent à mes hommes un excellent et copieux repas. Le soleil s’était caché derrière les montagnes, la nuit était obscure et calme ; mais bientôt nous entendîmes de nouveau des hurlements et des bruits de fête qui nous annoncèrent que nos voisins avaient repris le cours de leurs divertissements. Je voulais explorer le lendemain les environs et je pris sur-le-champ le parti de retourner sur le théâtre de la solennité pour prendre congé des chefs, leur faire quelques présents et les remercier de leur bonne hospitalité. La fête avait repris son cours, je demandai à plusieurs Kanaks où était le chef que je n’apercevais pas au milieu de la foule. Cette question parut embarrasser beaucoup ceux à qui je l’adressais, et, pour ne pas y répondre, ils s’éloignaient rapidement à la faveur de l’obscurité. J’insistai ; il y avait évidemment quelque mystère au-dessous de tout cela, je voulus le pénétrer. Un jeune indigène passant en ce moment près de nous, j’ordonnai à mes hommes de l’entourer et lui fis demander par mon interprète où étaient les chefs. « Je ne sais pas, répondit-il. — Je veux que tu me conduises vers le chef de Houindo, j’ai à lui parler. » Ni mon ton ni mes manières n’admettaient de réplique ; il le comprit et jeta un regard furtif autour de lui. Nous l’entourions ; aucune issue n’était laissée à la fuite et l’allure de mes soldats était aussi peu rassurante que la mienne : « Les chefs mangent, nous dit alors notre prisonnier, et je ne puis vous conduire vers eux. — Pourquoi cela ? — Le chef, si je le faisais, me briserait le crâne d’un coup de casse-tête, ajouta-t-il. — Eh bien, dis-nous seulement où est la case du chef, et je te laisse aller. » Heureux d’en être quitte à si bon marché, le Kanak n’hésita plus et nous fit signe de le suivre. Il s’enfonça aussitôt dans les hautes herbes, lentement, en silence, et plongeant l’œil tout autour de lui pour s’assurer qu’aucun espion n’était là pour le voir. La chute d’une feuille, le frôlement des ailes d’un oiseau de nuit suffisaient pour le rendre immobile. Il écoutait et, reconnaissant bientôt son erreur, il continuait à s’avancer. Enfin, notre guide me mettant la main sur le bras pour attirer mon attention, me dit de sa voix la plus basse : « Derrière ce bouquet de hauts cocotiers vous trouverez la case du chef. » Il sonda du regard l’obscurité autour de nous, pour s’assurer que personne n’avait entendu ses paroles, et d’un pas silencieux et rapide il s’éloigna, courbant sa taille au-dessous du niveau des hautes herbes pour échapper aux regards indiscrets.

Que se passait-il alors d’extraordinaire chez le chef de Houindo ? Il était évident que ses sujets avaient reçu l’ordre de ne pas venir le troubler et surtout de nous cacher le lieu de sa retraite ; je croyais deviner la cause de toutes ces précautions, et, malgré moi, au milieu de cette nuit sombre, l’oreille frappée à chaque instant par les hurlements de plus de mille sauvages, dont les clameurs incessantes nous arrivaient distinctement, la tête pleine des scènes terribles qui se déroulaient sous nos yeux depuis le matin ; malgré moi, dis-je, mon cœur battait d’émotion et je portai la main à ma ceinture pour m’assurer de la présence de mes armes. Le silencieux Poulone partageait probablement mes idées, car il me dit : « Il n’est pas bon d’aller chez le chef de Windo, il a vu beaucoup de sang aujourd’hui ; le Kanak qui a vu du sang veut en voir davantage, comme le blanc qui a bu du gin en désire encore d’autre. — Sois sans inquiétude, mon tayaut, nous sommes onze, et nos balles vont vite. — Oui, mais la nuit est sombre, l’endroit écarté, le Kanak y voit comme le chat, son tomahawh arrive sur la tête avant qu’on ait entrevu la main qui le soulève ; puis on dit que ce sont les gens de Ponérihouen qui sont venus ; il vaut mieux, croyez-moi, aller doucement et voir de loin ce qui se passe dans la case du festin, puis revenir vite sur nos pas ; avant peu, notre absence sera remarquée et le chef averti. » Poulone avait raison, j’ordonnai donc d’avancer dans le plus profond silence.

L’homme de Balade passa le premier pour nous servir de guide, et nous continuâmes notre route lentement et sans bruit. Au bout de quelques minutes de marche, nous étions près du bouquet de cocotiers derrière lequel devait se trouver la case du chef. « C’est bien ici, murmura Poulone ; voyez cette lueur qui arrive jusqu’à nous en filtrant à travers les interstices du feuillage. C’est celle du feu autour duquel ils doivent se trouver. » Augmentant encore de précautions pour marcher en silence, nous traversâmes le bouquet de cocotiers. La lueur d’un grand feu arrivait de plus en plus jusqu’à nous. Un murmure de voix frappant nos oreilles nous servait de guide ; certainement nous n’étions qu’à quelques pas, car on distinguait chaque parole ; un épais rideau de cannes à sucre et de bananiers nous séparait encore ; je fis signe aux hommes de s’arrêter un instant, et suivis Poulone qui glissa comme un serpent de bronze au milieu de cette verte barrière. Tout à coup il s’arrêta et me fit signe de venir près de lui. J’obéis ; alors la main de mon fidèle compagnon écarta lentement une grande feuille de bananier et par une ouverture de quelques centimètres j’aperçus une scène qui me fit frissonner jusqu’à la moelle de mes os.

Une douzaine d’hommes étaient assis près d’un grand feu ; je reconnus les chefs que j’avais vus pendant la journée ; sur de larges feuilles de bananier était placé au milieu d’eux un monceau de viandes fumantes entourées d’ignames et de taros ; la vapeur qui s’élevait de ces aliments, apportée par la brise, arrivait juste vers nous, et j’aurais désiré pouvoir retenir mon souffle pour ne pas aspirer le fumet d’un aliment aussi révoltant. Je l’avais bien prévu : nos amis se livraient à leurs barbares festins, et, sans doute, les malheureux Ponérihouens tués dans la journée en faisaient les frais ; le trou dans lequel on avait fait cuire leurs membres détachés à coups de hache était là ; une joie farouche se peignait sur le visage de tous ces démons ; ils mangeaient à deux mains. Ce spectacle était si extraordinaire qu’il me faisait l’effet d’un rêve et j’étais tenté d’aller à eux pour leur parler et les toucher. Un point surtout attirait toute mon attention ; en face de moi, et bien éclairé par la lueur du foyer, se trouvait un vieux chef à la longue barbe blanche, à la poitrine ridée, aux bras déjà étiques ; il ne paraissait pas jouir de l’appétit formidable de ses jeunes compagnons ; aussi, au lieu d’un fémur orné d’une épaisse couche de viande, il se contentait de grignoter une tête ; celle-ci était entière, car, conservant le crâne comme trophée, ils ne le brisent jamais ; on avait eu cependant le soin de brûler les cheveux ; quant à la barbe, elle n’avait pas encore eu le temps de pousser sur les joues du pauvre défunt, et le vieux démon s’acharnant sur ce visage, en avait enlevé toutes les parties charnues, le nez et les joues ; restaient les yeux, qui, à demi ouverts, semblaient être encore en vie. Le vieux chef prit un bout de bois pointu et l’enfonça successivement dans les deux prunelles ; on aurait pu croire que c’était pour se soustraire à ce regard et finir de tuer cette tête vivante ; point du tout, c’était tout simplement pour parvenir à vider le crâne et en savourer le contenu ; il retourna plusieurs fois son bois pointu dans cette boîte osseuse, qu’il secoua sur une pierre du foyer pour en faire tomber les parties molles, et cette opération accomplie, il les prenait de sa main maigre comme une griffe et les portait à sa bouche, paraissant très-satisfait de cet aliment. Ce premier procédé ne réussissant pas à extraire entièrement la cervelle, le vieux sauvage expérimenté mit l’arrière de cette tête dans le feu, à l’endroit où il était le plus violent, de façon que par cette chaleur intense la cervelle pût se séparer complétement de son enveloppe intérieure ; ce procédé réussit parfaitement, et en quelques minutes le cannibale fit sortir par les diverses petites ouvertures du crâne le reste de son contenu. À ce moment, j’entendis retentir tout près de mon oreille ce bruit sec que produit une batterie de fusil que l’on arme. J’étais tellement absorbé que je tressaillis comme mû par un ressort, mais je reconnus vite le sergent D… qui m’accompagnait ; il était près de moi, sa carabine épaulée et visant le vieux tigre ; il n’était que temps, je relevai rapidement l’arme qui ne partit pas et je fis impérieusement signe au sergent de se retirer. Poulone et moi le suivîmes, et nous retrouvâmes bientôt notre petite troupe avec laquelle nous revînmes au camp. — « Je vous demande pardon, me dit à part le sergent D…, mais c’était plus fort que moi, le sang m’est venu aux yeux quand j’ai vu ces coquins se manger entre eux. — Kanak comme ça, répondit Poulone, lui beaucoup content kaï-kaï (manger) ses ennemis. »

Je ne rentrai pas à Houagap sans avoir été visiter au fond de la baie Lebris la belle cascade de Ba, dont mon ami E. de Greslan m’a envoyé depuis la photographie ; — à l’époque pourtant si récente de mon passage, les terres fertiles, les belles forêts de ces parages n’avaient attiré encore aucun Européen. Aujourd’hui il n’en est plus de même, et un Anglais du nom de William Young, constructeur d’embarcations, y a fondé des chantiers où il exploite en faveur du cabotage de l’île les magnifiques essences de ce littoral.

Quelques jours après mon retour à Houagap, la goëlette la Calédonienne mouillait dans le port ; elle avait l’ordre de prendre à son bord le détachement du poste et de le transporter chez nos amis de Houindo pour y châtier la tribu de Ponérihouen et celle de Mou qui, nous venons de le voir dans les pages précédentes, se permettaient des agressions constantes contre nos alliés, et nous bravaient chaque jour par quelque acte éclatant de cannibalisme.

L’expédition était dirigée par M. le lieutenant Charpentier, chef du poste de Houagap. Le 21 juin 1864, à la tête de trente militaires d’infanterie de la marine et de douze matelots de la Calédonienne, cet officier débarquait sur la rive droite de la rivière des Ponérihouens qui servait de champ à la bataille dont nous avons parlé ; il fit dire d’abord aux chefs insoumis qu’il venait, de la part du gouverneur, intimer l’ordre de cesser leurs guerres intestines et de faire le lendemain leur soumission devant lui. Je laisserai maintenant la parole à cet officier qui, dans cette circonstance, fit preuve de beaucoup de circonspection et d’un esprit de conciliation sans lequel on aurait eu certainement de la peine à arrêter l’effusion du sang ; néanmoins le but de l’expédition fut entièrement rempli. En général, du reste, le simple déploiement de nos forces suffit à soumettre les plus rebelles tribus :

« … Partis ce jour-là pour étudier les dispositions des naturels et être prêts à frapper ferme si l’on n’acceptait pas nos conditions, nous les vîmes partout s’empresser de déposer les armes et de se soumettre ; ce que j’avais dit la veille était déjà connu de toute la tribu. À midi, pendant une petite halte sur un mamelon couvert de cocotiers, ils se rallièrent autour de nous en nous offrant des cocos…

« À mesure que nous avancions, notre escorte grossissait, et qui n’eût pas connu les habitudes des Calédoniens aurait pu craindre une attaque ; ils étaient simplement curieux comme leurs pareils, et cette curiosité impunément satisfaite augmentait leur confiance. À trois heures, en arrivant aux cases du chef, nous trouvâmes bon nombre d’indigènes ; ils nous dirent qu’on était allé chercher le chef dans le fond de la vallée où il assistait à une fête. La troupe procéda à son repas, dont les habitants lui fournirent bénévolement une partie.

« À quatre heures, les Kanaks s’agitèrent et l’on me prévint que le chef arrivait. Quand il fut à quinze ou vingt pas, je fis arrêter son escorte, et sur mon invitation il s’avança seul et tout tremblant. Alors, retirant l’étoffe qui lui servait de turban, il m’offrit la main, disant que tout dans la tribu m’appartenait et qu’il serait désormais soumis ; il promit de ne plus se battre, de ne pas faire de mal aux blancs, d’obéir aux ordres du gouverneur, en un mot d’être Français. Il demanda ensuite à retourner à la fête qu’il avait quittée pour se rendre à mon appel, ajoutant : « Reste ici, tu es chez toi. » Je le lui accordai, exigeant toutefois qu’il assistât, le lendemain, à notre départ. Il n’y manqua pas, mais à la plage il disparut : les signaux échangés avec le bâtiment, afin d’avoir notre déjeuner, lui ayant semblé menaçants pour sa liberté. Je me contentai de lui envoyer dire de se rendre à Wagap.

« Au même moment, le chef de Mou, à la tête de ses guerriers, se présenta devant moi pour faire sa soumission. Je formai le détachement en bataille, et le chef s’avança respectueusement, tête nue. Avec moins d’embarras que celui de Ponérihouen, il dit que tout ce qui lui appartenait était à moi et qu’il renonçait pour toujours à la guerre. Il se rendit ensuite à bord de la Calédonienne, où un pavillon national lui fut donné. »

À la suite des événements que nous venons de retracer, une paix profonde s’est établie dans cette partie de la Nouvelle-Calédonie ; les colons peuvent maintenant s’établir dans ces parages fertiles ; ils trouvent ordinairement dans les Kanaks des alliés et non des ennemis.


J’opérai mon retour à Noumea sur la goëlette la Calédonienne en mai 1864, après six mois de séjour dans le nord de l’île ; je trouvai le chef-lieu beaucoup plus animé qu’à mon départ ; les troupes revenaient d’une expédition dirigée contre les naturels de Lifou, une des îles Loyalty. Peut-être un jour aurai-je à m’occuper spécialement de ce petit et intéressant archipel et de parler de cette expédition dont la cause n’était pas bien connue et qui souleva contre le chef de la colonie des reproches amers de la part d’un grand nombre de journaux en France, en Angleterre et en Australie.

La population de notre capitale s’était aussi augmentée d’un certain nombre de femmes européennes, recrues dont elle avait manqué jusqu’alors. Une frégate de la marine impériale avait apporté de jeunes orphelines, envoyées, sous la tutelle du gouvernement, à la recherche d’établissements que ne pouvait leur garantir la terre natale. Ce fut un véritable événement dans un pays où les colons étaient presque tous célibataires. Il y eut bien dans le principe quelques petites contrariétés qui rappelèrent le mot de la fable : « Deux coqs vivaient en Paix. » Mais bientôt l’ordre s’établit, et toutes ces jeunes filles trouvèrent des partis convenables.


Kanak de la mission. — Dessin de A. de Neuville d’après l’album de M. Destard[illisible], officier d’infanterie de marine.

Cet acte du gouvernement a eu les meilleurs résultats, car il a fixé au sol un grand nombre d’hommes que leur humeur vagabonde aurait éloignés de la contrée. Aujourd’hui une compagne, des enfants leur ont créé une famille, un foyer. Les liens les plus puissants leur ont refait une patrie, aux antipodes de l’autre, mais sous un ciel plus clément.

Cet envoi du gouvernement français fut suivi d’un autre, beaucoup moins bien vu par la colonie. Ce n’était plus en effet de jeunes et jolies orphelines, mais bien deux cent cinquante misérables qui venaient subir sous ce beau ciel la peine des travaux forcés que leurs crimes leur avaient méritée. Ils étaient presque tous jeunes ; ils avaient été choisis au bagne de Toulon parmi les condamnés dont la conduite était la meilleure ; mais à l’expiration de leur peine, dont la durée était d’au moins dix ans, ils devaient finir leurs jours dans le pays ; il leur était même permis de servir les colons comme domestiques. Ce système est peut-être bon ; il a, du reste, réussi ailleurs ; cependant, pour le moment, quoique le prix de location de ces travailleurs soit assez peu élevé (soixante francs par mois), les Européens répugnent à employer ces hommes et il suffit de connaître la manière de vivre des colons calédoniens pour comprendre cette répugnance. Les planteurs vivent isolés, très-éloignés les uns des autres ; le maître partage tous les travaux de ses hommes ; ils mangent tous à la même table et couchent sous le même toit. On offenserait beaucoup ces employés en leur disant qu’ils ne sont que des domestiques ; on les désigne ordinairement par le nom de stockmen, qui est presque un titre d’honneur parmi eux. Il est vrai que ces travailleurs coûtent deux cent cinquante francs par mois ; mais très-consciencieux pour la plupart, ils sont rompus à tous les travaux ordinaires de la colonisation. Quant à l’ouvrier de la transportation, on ne saurait lui confier des travaux différents de ceux que l’on peut faire exécuter par les indigènes, et l’emploi de ceux-ci, moins rétribué, n’éveille ni les mêmes préjugés, ni les mêmes craintes.

Au moment de livrer ces observations au Tour du Monde, je lis dans les journaux officiels (mai 1868) que les établissements pénitenciers de la Nouvelle-Calédonie donnent les résultats les plus satisfaisants, que le nombre des transportés dépasse aujourd’hui 1 500, et qu’un petit détachement d’infanterie (130 hommes) a été jugé suffisant pour maintenir l’ordre parmi eux et assurer la tranquillité de la colonie, où, grâce au développement des cultures, la population civile augmente aussi journellement. Espérons qu’il en sera toujours ainsi.

J. Garnier.

(La suite à la prochaine livraison.)


  1. Suite. — Voy. t. XVI, p. 155.
  2. Lance pointue qu’ils tiennent dans la main au point précis du centre de gravité, et qu’ils lancent ainsi à une très-grande distance, avec une telle adresse qu’ils manquent rarement leur but.