Escalades dans les Alpes/APPENDICE

La bibliothèque libre.
Traduction par Adolphe Joanne.
Librairie Hachette et Cie (p. 409-438).

APPENDICE.


I

SUITE DE L’HISTOIRE DU CERVIN[1]

Les guides du Val Tournanche qui avaient essayé d’escalader le Cervin pour en faciliter l’ascension à MM. Giordano et Sella par l’arête du sud-ouest, allèrent planter leur tente sur la troisième plate-forme, au pied de la Grande-Tour (3960 mètres). Le mauvais temps les contraignit à passer plusieurs jours sous cet abri. Au premier beau jour (13 juillet), ils se remirent en marche ; le 14, ils atteignirent l’Épaule vers midi, puis ils montèrent à la base du dernier pic (point où Bennen s’arrêta le 28 juillet 1862). Là, les avis se partagèrent. Deux des guides, Jean-Antoine Carrel et Joseph Maquignaz, voulaient continuer ; les autres ne s’en souciaient guère ; à la suite d’une longue discussion, ils commencèrent à descendre, et, lorsqu’ils furent sur la « Cravate » (4122 mètres), ils entendirent les cris que nous poussions du sommet[2]. De retour au Breuil le 15, ils racontèrent leur insuccès à M. Giordano (V. p. 391). Celui-ci, naturellement fort désappointé, les pressa de repartir[3]. « J’ai fait, leur dit-il, tous mes efforts pour avoir l’honneur d’exécuter le premier cette ascension ; la chance s’est déclarée contre moi, je suis vaincu. Patience ! Si je consens à de nouveaux sacrifices, ce sera pour vous ; il y va de votre honneur et de votre intérêt. Voulez-vous repartir afin de résoudre la question, ou, du moins, pour mettre un terme à toute incertitude ? » Tous les guides, excepté Jean-Antoine, refusèrent nettement de prendre part à toute nouvelle tentative. Carrel seul s’avança en disant : « Quant à moi, je n’y renonce pas. Si vous voulez venir (en se tournant vers l’abbé Gorret), vous ou les autres, je repars immédiatement. » — « Je n’en suis pas ! » dit l’un des guides. « Ni moi ! » s’écria un autre. « Pour mille francs je n’y retournerais pas ! » ajouta un troisième. Seul l’abbé Gorret consentit. Cet intrépide ecclésiastique avait été l’un des membres des premières expéditions[4] entreprises pour tenter l’ascension du Cervin. Carrel et l’abbé fussent partis seuls si J. B. Bich et J. A. Meynet (deux guides attachés à l’hôtel de Favre) ne se fussent joints à eux au dernier moment. M. Giordano voulait les accompagner, mais les guides, connaissant les difficultés qu’ils auraient à vaincre, ne voulurent pas le lui permettre.

Les quatre hardis montagnards quittèrent donc le Breuil le 16 juillet à 6 heures 30 minutes du matin ; à 1 heure, ils arrivèrent à la troisième plateforme de la tente, où ils passèrent la nuit. Le 17, au point du jour, ils continuèrent l’ascension par la route qu’ils avaient précédemment suivie. Dépassant successivement la « Grande-Tour, » la « Crête du Coq, » la « Cravate » et « l’Épaule[5], » ils atteignirent, à 10 heures du matin, le point situé à la base du dernier pic et où les guides s’étaient arrêtés pour redescendre le 14[6]. Près de 245 mètres restaient encore à escalader, et, dit l’abbé, « nous allions entrer en pays inconnu, n’étant jamais allés aussi loin. » La crevasse qui avait arrêté Bennen ayant été franchie, l’expédition monta directement au sommet, par des rochers qui, sur une certaine distance, n’offrirent aucune difficulté particulière. Mais bientôt ils se virent arrêtés par les escarpements à pic du haut desquels nous avions roulé des pierres (le 14), et Carrel les contourna à gauche (côté de Z’Mutt). Cette partie du trajet offrit les plus grandes difficultés ; des chutes de pierres et de stalactites de glace rendaient leur situation si dangereuse[7], que les guides préférèrent monter de nouveau en droite ligne au sommet, en escaladant des rochers que l’abbé dit être presque perpendiculaires ; « ce passage, ajoute-t-il, fut celui qui nous prit le plus de temps et qui nous donna le plus de peine. » Enfin, ils atteignirent une fissure de rochers formant une sorte de galerie naturelle horizontale. Ils la suivirent en rampant, dans la direction d’une arête qui s’inclinait à peu près vers le nord-ouest ; arrivés près de cette arête, ils constatèrent qu’il leur était impossible de l’escalader sur ce point, mais qu’ils pourraient l’atteindre un peu plus bas en se laissant glisser le long d’un couloir presque perpendiculaire. Le courageux abbé était le plus lourd des quatre ascensionnistes, aussi fut-il sacrifié au succès de l’expédition. Lui et Meynet, restant en arrière, descendirent successivement leurs deux compagnons dans le couloir. Carrel et Bich grimpèrent de l’autre côté, atteignirent d’abord l’arête qui descendait vers le nord-ouest, trouvèrent bientôt après une « route facile[8], se mirent à courir » et gagnèrent en quelques minutes l’extrémité méridionale de l’arête qui forme le sommet.

L’heure exacte de leur arrivée ne paraît pas avoir été observée. Je pense qu’il était assez tard, à peu près 3 heures du soir. Carrel et son camarade restèrent sur le sommet juste le temps nécessaire pour y planter un drapeau à côté du cairn que nous avions élevé trois jours auparavant ; puis ils rejoignirent leurs deux compagnons, et tous quatre se hâtèrent de regagner la tente aussi vite que possible. Ils étaient si pressés qu’ils ne prirent même pas le temps de manger. À 9 heures du soir seulement ils atteignirent leur campement au pied de la Grande-Tour. En y descendant, ils suivirent dans toute sa longueur la galerie mentionnée ci-dessus, et évitèrent ainsi les rochers trop difficiles qu’ils avaient dû escalader en montant. Pendant qu’ils étaient sur « l’Épaule » ils furent témoins du phénomène dont il a été parlé à la page 399.

Quand ils furent près du sommet, Carrel et Bich aperçurent nos traces sur le glacier du Cervin, et se doutèrent qu’un accident avait eu lieu ; cependant ils n’apprirent la catastrophe du Cervin qu’à leur retour au Breuil, le 18, à 3 heures du soir. Les détails de ce triste événement étaient dans toutes les bouches ; faute d’informations exactes, l’accident passait assez naturellement pour une preuve certaine de l’extrême danger qu’offrait le versant septentrional de la montagne. D’autre part, l’heureux retour des quatre Italiens témoignait non moins évidemment que la route du Breuil était la plus sûre. Ceux qui s’intéressaient par intérêt personnel ou pour d’autres causes au Val Tournanche tirèrent un habile parti des circonstances et entonnèrent l’éloge de la route méridionale. Quelques-uns allèrent même plus loin ; établissant des comparaisons entre les deux routes au désavantage de celle du nord ; ils se plurent à insinuer que notre expédition des 13 et 14 juillet avait été faite avec précipitation, etc., etc.

Rétablissons donc la vérité des faits. Les Taugwalders et moi nous fûmes absents de Zermatt pendant vingt-trois heures, sans compter les haltes et les arrêts pour une cause ou pour l’autre. Zermatt étant à 1620 mètres d’altitude, le Cervin à 4482, nous avions à gravir 2862 mètres ; Le chemin était connu jusqu’au point marqué 3298 mètres, nous n’avions donc à chercher notre route que sur un espace de 1184 mètres. Les membres de notre expédition (cette fois, tous compris) étaient fort inégaux au double point de vue de la force et de l’adresse ; aucun d’eux ne pouvait être un instant comparé comme grimpeur de rochers à Jean-Antoine Carrel. Les quatre Italiens, qui partirent du Breuil le 16 juillet, furent absents pendant cinquante-six heures et demie ; autant que j’en puis juger d’après le récit publié et d’après des conversations avec les guides, l’ascension et la descente leur prirent vingt-trois heures trois quarts, sans compter les haltes. L’hôtel du Breuil est à 2100 mètres d’altitude, ils avaient donc 2382 mètres à gravir. Carrel connaissait la montagne jusqu’à l’extrémité de « l’Épaule », il n’avait, par conséquent, à chercher son chemin que sur une hauteur de 242 mètres environ ; Les quatre guides, montagnards de naissance, étaient de très-habiles grimpeurs, et ils avaient pour chef l’homme le plus adroit à escalader les rochers que j’aie jamais vu. Le temps fut également favorable aux deux expéditions. On voit donc que ces quatre guides de force égale mirent plus de temps à gravir une hauteur moins élevée de 480 mètres que celle qu’il nous avait fallu escalader[9] ; et cependant nous avions dû chercher notre chemin sur un espace inconnu quatre fois plus considérable. Ce fait seul permet de supposer que leur route a dû être beaucoup plus difficile que la nôtre, ce qui, du reste, était vrai.

Telle n’était point l’opinion répandue dans le Val Tournanche à la fin de 1865, et les gens du pays comptaient bien voir les touristes se porter en foule dans leur vallée, de préférence à celle de Zermatt. Ce fut, je crois, feu le chanoine Carrel, d’Aoste (il s’intéressait toujours beaucoup à ces expéditions), qui, le premier, proposa de construire une cabane sur le versant méridional du Cervin. Ce projet fut adopté avec enthousiasme, et les fonds nécessaires à son exécution furent promptement versés, principalement par les membres du Club alpin italien, ou par leurs amis. L’infatigable Carrel sut découvrir une excavation naturelle sur l’arête appelée « la Cravate » (4122 mètres) ; et, quelque temps après, elle fut, sous sa direction, transformée en une petite cabane très-convenable. Sa position est superbe, et la vue que l’on y découvre, grandiose.

Pendant l’exécution de ce travail, mon ami M. F. Craufurd-Grove vint me consulter sur l’ascension du Cervin. Je lui recommandai de la faire par le versant septentrional et de prendre Jean-Antoine Carrel pour guide. Mais Carrel préféra le versant méridional ; ils suivirent, en conséquence, la route du Breuil. M. Grove eut la bonté de me communiquer le récit suivant de son expédition. Il continue ma description de la route méridionale, à partir du point le plus élevé que j’aie atteint de ce côté (un peu au-dessous de la Cravate) jusqu’au sommet ; il complète ainsi les descriptions que j’ai faites des deux versants.

« Je partis du Breuil, au mois d’août 1867, pour faire l’ascension du Cervin ; j’avais pour guides trois montagnards du Val Tournanche : Jean-Antoine Carrel, J. Bich et S. Meynet ; Carrel était le guide en chef. À cette époque, le Cervin n’avait pas été escaladé depuis la fameuse expédition des guides italiens racontée ci-dessus.

Nous suivîmes exactement la route qu’ils avaient suivie en descendant, lorsque, comme on le verra plus loin, ils durent chercher une direction différente de celle qu’ils avaient prise pour monter. Après avoir gagné d’abord le col du Lion, nous escaladâmes l’arête du sud-ouest ou du Breuil, par la voie décrite ci-dessus, et nous passâmes la nuit dans la hutte encore inachevée construite par le Club alpin italien sur la « Cravate ». Nous quittâmes cette hutte à la pointe du jour, et nous atteignîmes de bonne heure le sommet de « l’Épaule » dont nous traversâmes l’arête pour monter au pic terminal du Cervin. Le passage de cette arête fut peut-être la partie la plus intéressante de toute l’ascension. Minée par une lente destruction, la crête en est irrégulièrement découpée en créneaux gigantesques, et bordée, de chaque côté, par d’effroyables précipices ; son aspect grandiose défie toute description, et, chose pourtant étrange, elle n’est pas très-difficile à escalader ; le vertige, seul, offre un danger sérieux. Il faut certainement prendre les plus grandes précautions, mais l’escalade n’est pas tellement difficile qu’elle absorbe complètement l’attention ; on peut donc jouir tout à la fois, presque à son aise, d’une belle grimpade et d’un paysage grandiose qui n’a peut-être pas d’égal dans le reste des Alpes.

C’est presque à l’extrémité de cette arête, près de l’endroit où elle se relie au dernier pic, que l’expédition du professeur Tyndall, arrêtée par une crevasse, dut battre en retraite en 1862[10]. De ce point, s’élance, à une hauteur verticale de 228 mètres, la tour principale du Cervin, abrupte, splendide, et en apparence inaccessible. L’élévation m’en parut même plus considérable encore ; car je me souviens de l’avoir contemplée de l’extrémité de l’arête, et d’avoir apprécié sa hauteur à plus de 300 mètres au-dessus de moi.

Quand les guides italiens exécutèrent leur belle ascension, ils suivirent l’arête de l’Épaule jusqu’au pic principal, franchirent la crevasse mentionnée plus haut (page 143), escaladèrent le terrible versant du nord-ouest (décrit par M. Whymper pp. 387-391), puis essayèrent de traverser ce versant, pour gagner l’arête de Z’Mutt[11]. Cette traversée fut une entreprise aussi difficile que dangereuse. Je vis de fort près l’endroit où ils passèrent, et j’eus peine à comprendre comment des êtres humains avaient pu grimper sur des rochers si abrupts et si perfides. Arrivés à moitié chemin, ils rencontrèrent de telles difficultés, la chute des pierres les menaçait d’un si grand danger, qu’ils montèrent alors en droite ligne, espérant trouver un chemin plus praticable ; ils y réussirent en partie, en découvrant bientôt une petite saillie, formée par une anfractuosité du rocher, qui s’étendait horizontalement sur le versant nord-ouest de la montagne jusqu’à une petite distance au-dessous du sommet. Longeant cette saillie, les Italiens se trouvèrent près de l’arête du Z’Mutt, dont les séparait toujours une barrière infranchissable ; pour tourner cet obstacle, il fallait descendre un couloir perpendiculaire. Carrel et Bich se firent descendre au bas de ce couloir, en haut duquel durent rester leurs deux compagnons pour les remonter au retour. L’arête du Z’Mutt atteinte dès lors sans difficulté, Carrel et Bich la suivirent pour gagner le sommet de la montagne. Au retour, les Italiens suivirent la saillie mentionnée ci-dessus, pour traverser le versant du nord-ouest, et ils descendirent à l’endroit où l’arête de l’Épaule se rattache au pic principal par une sorte de crête escarpée située entre le versant du nord-ouest et le versant méridional. Nous suivîmes ce chemin à la montée comme à la descente, lors de l’ascension que je fis en 1867. Je trouvai la saillie difficile et même très-dangereuse en certains endroits, je ne me souciais guère d’y retourner ; cependant elle n’offre ni les mêmes difficultés ni les mêmes dangers que les pentes de rochers nues et impitoyables traversées par les Italiens lors de leur première ascension.

J.-Antoine Carrel et ses camarades eurent la gloire de monter les premiers au Cervin par le versant italien. Bennen conduisit son expédition avec autant de courage que d’adresse jusqu’à près de 228 mètres au-dessous du sommet. Une fois là, si bon guide qu’il fût, Bennen dut se retirer vaincu ; il était réservé au plus expérimenté des guides du Val Tournanche de découvrir le chemin difficile qui monte de ce point au sommet. »

M. Craufurd-Grove fut le premier touriste qui fit l’ascension du Cervin après l’accident ; aussi les habitants du Val Tournanche se montrèrent-ils enchantés de ce que cette ascension eût été exécutée par le versant italien. Néanmoins, il déplaisait fort à certains d’entre eux que J. A. Carrel attirât si vivement l’attention. Peut-être craignaient-ils de lui voir accaparer le monopole de la montagne. Un mois après l’expédition de M. Grove, six habitants du Val Tournanche se mirent en route pour tâcher de trouver à leur tour le meilleur chemin afin de participer aux bénéfices que pouvaient faire espérer les ascensions futures. Cette expédition se composait de trois Maquignaz, de César Carrel (mon ancien guide), de J. B. Carrel et d’une fille de ce dernier ! Partis du Breuil le 12 septembre à 5 heures du matin, ils arrivèrent à 3 heures du soir à la cabane où ils passèrent la nuits. Ils repartirent le lendemain matin à 7 heures, laissant en arrière J. B. Carrel, montèrent par l’Épaule jusqu’au pic principal, traversèrent la crevasse qui avait arrêté Bennen, puis se mirent à escalader les rochers relativement faciles du côté opposé jusqu’à ce qu’ils fussent arrivés au pied du dernier précipice, du haut duquel nous avions fait rouler des pierres le 14 juillet 1865 ; Là ; ils n’étaient plus, y compris la jeune femme, qu’à 106 mètres du sommet ! Au lieu de tourner alors à gauche, comme Carrel et M. Grove l’avaient fait, Joseph et J.-Pierre Maquignaz s’attaquèrent à l’escarpement qu’ils avaient devant eux et parvinrent à gagner le sommet en se servant des crevasses, des saillies et des couloirs. Cette voie était plus courte (et sans doute plus aisée) que celle qu’avaient prise Carrel et Grove ; elle a été suivie par tous ceux qui ont fait depuis lors l’ascension du Cervin par le côté du Breuil[12]. Depuis, des cordes ont été fixées dans les endroits les plus difficiles de la partie la plus rapprochée du sommet.

Cependant on n’était point resté oisif de l’autre côté de la montagne. Une cabane fut élevée sur le versant oriental à 3818 mètres d’altitude, près du sommet de l’arête qui descend vers Zermatt (arête du nord-est). Ce travail fut exécuté aux frais de M. Seiler et du Club alpin suisse. M. Seiler en confia la direction aux Knubel, natifs de Saint-Nicolas, village de la vallée de Zermatt ; et Pierre Knubel et Joseph-Marie Lochmatter, du même village, eurent l’honneur de faire avec M. Elliott la seconde ascension de la montagne par le versant septentrional, le 24 et le 25 juillet 1868[13]. Depuis lors les ascensions du Cervin ont été nombreuses, mais la seule digne d’une mention est celle de M. Giordano le 3 et le 5 septembre 1868.

M. Giordano vint plusieurs fois au Breuil après son fameux voyage, de 1865, dans l’intention d’exécuter cette ascension, mais le temps avait toujours déjoué ses projets. Parti en juillet 1866 avec J. A. Carrel et d’autres guides, il monta jusqu’à la « Cravate » ; mais là, il fut obligé de rester cinq jours et cinq nuits sur la montagne, sans pouvoir ni monter ni descendre. Cependant, à la date indiquée ci-dessus, il parvint à atteindre le but de ses désirs, et il eut la satisfaction de monter au sommet de la montagne par un versant et de descendre par l’autre. M. Giordano est, je crois, le seul géologue qui ait fait l’ascension du Cervin. Il employa un temps considérable à en examiner la structure géologique, et il se laissa ainsi surprendre par la nuit sur le versant oriental. Je lui dois l’intéressante notice et la coupe que l’on trouvera ci-dessous à la suite du Tableau des Ascensions[14].

Les deux Tableaux suivants s’expliquent d’eux-mêmes. Le premier permet d’embrasser d’un seul coup d’œil toutes les tentatives faites pour escalader le Cervin antérieurement au mois de juillet 1865, soit par les gens du pays soit par des touristes étrangers. Le second comprend toutes les ascensions faites depuis cette date.

À côté de celles qui ont réussi on compte un grand nombre d’insuccès. Leur nombre même m’a obligé à ne les point mentionner. J’ai mis le plus grand soin à dresser ces tableaux avec toute l’exactitude désirable ; mais je puis avoir omis d’y placer certains noms qui auraient droit d’y figurer.

Les ascensions se sont partagées presque également entre les deux routes. Celle du nord reste, à ce que je crois, telle qu’elle était en 1865, à l’exception de la cabane construite depuis sur le versant oriental ; la route méridionale, au contraire, a été rendue beaucoup plus facile par les cordes fixées dans tous les endroits difficiles. Mais elle n’est pas plus sûre qu’elle ne l’était. Ces cordes même ne serviront qu’à la rendre plus dangereuse, à moins qu’elles ne soient l’objet d’une surveillance sévère, sur laquelle il ne faut guère compter, et qu’on ne les renouvelle de temps en temps. En ce qui concerne la difficulté, la différence est, selon moi, fort minime ou même nulle entre les deux chemins. L’ascension du Cervin peut être faite (elle l’a été du reste) par des grimpeurs du dernier ordre. Dans mon opinion, on devrait toujours la déconseiller aux touristes inexpérimentés ; si jamais elle devient à la mode (comme celle du Mont-Blanc, par exemple), on peut prédire d’avance les plus terribles catastrophes.
II. — TABLEAU DES TENTATIVES FAITES POUR ESCALADER LE CERVIN AVANT LA PREMIÈRE ASCENSION.
NOMBRE
des TENTATIVES.
DATES NOMS VERSANT
PAR LEQUEL
ON A ESSAYÉ DE MONTER ;
Endroits atteints
ALTITUDE LA PLUS ÉLEVÉE QU’ON AIT ATTEINTE REMARQUES
1 1858-9 J.-Antoine Carrel.
J.-Jacques Carrel.
Victor Carrel.
Gab. Maquignaz.
Abbé Gorret.
Coté du Breuil. 3855
On n’atteignit cette hauteur qu’après plusieurs tentatives dont ceux qui les ont faites ont oublié le nombre. V. p. 82.
2 1860
Juillet
Alfred Parker.
Charles Parker.
Sandbach Parker.
Côté de Zermatt.
Versant oriental.
3474 Sans guides, p. 82.
3 Août. V. Hawkins.
J. Tyndall.
Côté du Breuil.
Hawkins atteignit le pied de la « Grande-Tour, » Tyndall monta quelques mètres plus haut.
3960
3967
Guides : J. J. Bennen et J.-Jacques Carrel, pp. 85, 86.
4 1861.
Juillet.
MM. Parker. Côté de Zermatt.
Versant oriental.
3566 Pas de guides, p. 87.
5 29 août. J.-Antoine Carrel.
J.-Jacques Carrel.
Côté du Breuil.
« Crête du Coq. »
4032 V. p. 95.
6 29-30 août. Édouard Whymper. Côté du Breuil.
La « Cheminée. »
3855
Campement sur la montagne avec un guide de l’Oberland, pp. 90, 95
7 1862.
Janvier.
T. S. Kennedy. Côté de Zermatt.
Versant oriental.
3353 Tentative en hiver, pp. 96, 97.
8 7 et 8 juillet R. J. S. Macdonald.
Édouard Whymper.
Côté du Breuil
Arête située au-dessous de « la Cheminée. »
3657
Guides : Jean Zum Taugwald et Jean Kronig, pp. 102, 104.
9 9-10 juillet. R. J. S. Macdonald.
Édouard Whymper.
Côté du Breuil.
« Grande-Tour »
3960
Guides : J. A. Carrel et Pession, p. 104
" 18-19 juillet. "         " Côté du Breuil.
Arrivé un peu plus haut que la partie inférieure de la « Cravate. »
4084 Seul, pp. 107, 122.
10 25-26 juillet. "         " Côté du Breuil.
« Crête du Coq. »
4008
Guides : J. A. Carrel, César Carrel et Luc Meynet, p. 126.
11 25-26 juillet. "         " Côté du Breuil.
Parvenu à une hauteur presque égale à la partie supérieure de la « Cravate. »
4102 Avec Luc Meynet, pp. 131, 132.
12 27-28 juillet. J. Tyndall. Côte du Breuil.
« L’Épaule, » puis jusqu’au pied du dernier pic.
4258
Guides : J. J. Bennen et Antoine Walter ; porteurs : J.-Antoine Carrel, César Carrel et un autre, pp. 132-137, 142-143.
13 1863.
10-11 août.
Édouard Whymper. Côté du Breuil. « Crête du Coq. » 4047
Guides : J. A. Carrel, César Carrel, Luc Meynet et deux porteurs, pp. 177, 186.
14 1865.
21 juin.
"         " Versant du sud-est. 3414
Guides : Michel Croz, Christian Almer, Franz Biener ; porteur, Luc Meynet, pp. 321, 324.
III. — ASCENSIONS DU CERVIN.
NOMBRE DES ASCENSIONS. DATES. NOMS. ROUTES SUIVIES. REMARQUES.
1 1865. 13-15 juillet. Lord Francis Douglas, D. Hadow, Charles Hudson, Édouard Whymper. Zermatt. (Route septentrionale.) Guides : Michel Croz, Pierre Taugwalder père, Pierre Taugwalder fils, pp. 382-393.
2 16-18 juillet. Jean-Antoine Carrel. J.-Baptiste Bich. Amé Gorret. J.-Augustin Meynet. Le Breuil. (Route méridionale.) Les deux premiers parvinrent seuls jusqu’au sommet même pp. 391, 410-411.
3 1867. 13-15 août. F. Craufurd Grove. Le Breuil. Guides : J. A. Carrel, Salomon Meynet et J. B. Bich.
4 12-14 septemb. Joseph Maquignaz. J.-Pierre Maquignaz. Victor Maquignaz. César Carrel. J. B. Carrel. Le Breuil. Cette expédition découvrit une route plus facile que celle suivie, le 17 juillet 1865. Les deux premiers montèrent seuls sur le sommet.
5 1-3 octobre. W. Leighton Jordan. Le Breuil. Guides : Les trois Maquignaz qui viennent d’être nommés, plus César Carrel et F. Ansermin. Les Maquignaz et M. Jordan allèrent seuls jusqu’au sommet.
6 1868. 24-25 juillet. J. M. Elliott. Zermatt. Guides : Jos.-Marie Lochmatter et Pierre Knubel.
7 26-28 juillet. J. Tyndall. Montée par le côté du Breuil ; descente par le côte de Zermatt. Guides : Jos. et Pierre Maquignaz, avec trois autres.
8 2-4 août. O. Hoiler. F. Thioly. Cette ascension paraît avoir été faite en partant de Zermatt et en redescendant au Breuil. Le récit consigné sur le livre de l’hôtel au Breuil n’est pas très clair. Les guides paraissent avoir été Jos. et Victor Maquignaz et Élie Pession.
9 3-4 août. G. E. Foster. Zermatt. Guides : Hans Baumann, Pierre Bernett et Pierre Knubel.
10 le 8 août[15]. Paul Guessfeldt. Zermatt. Guides : Jos.-Marie Lochmatter, Nic. Knubel et Pierre Knubel.
11 1-2 septembre. A. G. Girdlestone. F. Craufurd Grove. W. E. U. Kelso Zermatt. Guides : Jos.-Marie Lochmatter et les deux Knubel.
12 2-3 septembre. G. B. Marke. Zermatt. Guides : Nic. Knubel et Pierre Zurbriggen (de Saas).
13 3-5 septembre. F. Giordano. Montée par le côté du Breuil ; descente par le côté de Zermatt. Guides : J. A. Carrel et Jos. Maquignaz.
14 8-9 septembre. Paul Sauzet. Le Breuil. Guides : J. A. Carrel et Jos. Maquignaz.
15 1869. 20 juillet. James Eccles. Le Breuil. Guides : J. A. Carrel, Bich, et deux Payot (de Chamonix).
16 26-27 août. R. B. Heathcote. Le Breuil. Guides : Les quatre Maquignaz (du Val Tournanche).
17 1870. 20 juillet ( ? ) Zermatt. Une seule ascension a été faite en 1870. On n’a eu aucun détail.
SUITE DES ASCENSIONS DU CERVIN.
NOMBRE DES ASCENSIONS. DATES. NOMS. ROUTES SUIVIES. REMARQUES.
18 1871. 6-17 juillet. E. R. Whitwell. Zermatt. Guides : Ulrich et Charles Lauener.
19 21-22 juillet. F. Gardiner. F. Walker. Lucy Walker. Zermatt. Guides : Peter Pernn, P. Knubel, Melchior Anderegg et Henri Anderegg.
20[16] 5 septembre. W. A. B. Coolidge. Miss Brevoort. Montée par le côté de Zermatt ; descente par le côté du Breuil. Guides : Christian et Ulrich Almer, Nicolas Knubel.
21 1872. 26 juillet. J. Jackson. Montée par le côté du Breuil ; descente par le côté de Zermatt. — Passage effectué dans la même journée (18 h. 1/2). Joseph Maquignaz.

IV

NOTE SUR LE PHÉNOMÈNE ATMOSPHÉRIQUE OBSERVÉ AU CERVIN.

Dans le Récit qu’il a publié d’une tentative qu’il fit pour atteindre le Pôle Nord (1828), Parry raconte en ces termes, pages 99-100, un phénomène semblable à celui dont il est question à la page 399 : « À 5 heures et demie de l’après-midi nous fûmes témoins d’un phénomène naturel magnifique. Un fog-bow (mot à mot : arc de brouillard), large, blanchâtre, apparut du côte opposé au soleil, comme c’était très-généralement le cas, etc., etc… »

On remarquera que, lors de la descente des guides italiens (pour cette expédition, voy. la page 391 et l’appendice n° I), le phénomène, connu sous le nom de Brocken, se produisit. Voici la description qu’en donna l’abbé Amé Gorret dans la Feuille d’Aoste, 31 octobre 1865 : « Nous étions sur « l’Épaule » quand nous remarquâmes un phénomène qui nous fit plaisir ; le nuage était très-dense du côté du Val Tournanche, c’était serein en Suisse ; nous nous vîmes au milieu d’un cercle aux couleurs de l’arc-en-ciel ; ce mirage nous formait à tous une couronne au milieu de laquelle nous voyions notre ombre. » Il était environ 6 heures et demie à 7 heures du soir et les Italiens se trouvaient à peu près à la même hauteur que nous, c’est-à-dire à 4267 mètres.

V

NOTICE SUR LA GÉOLOGIE DU CERVIN, PAR M. F. GIORDANO,
INGÉNIEUR EN CHEF DES MINES D’ITALIE, ETC. ETC.

Le Matterhorn ou mont Cervin est formé, depuis la base jusqu’au sommet, de roches stratifiées en bancs assez réguliers, qui sont tous légèrement relevés vers l’est, savoir vers le Mont-Rose. Ces roches, quoique évidemment d’origine sédimentaire, ont une structure fortement cristalline qui doit être l’effet d’une puissante action de métamorphisme très-développée dans cette région des Alpes. Dans la série des roches constituantes du Cervin on peut faire une distinction assez marquée, savoir celles formant la base inférieure de la montagne, et celles formant le pic proprement dit.

Les roches de la base, que l’on voit dans le Val Tournanche, dans le vallon de Z’Mutt, au col Saint-Théodule et ailleurs, sont, en général, des schistes talqueux, serpentineux, chloriteux et amphiboliques, alternant fort souvent avec des schistes calcaires à noyaux quartzeux. Ces schistes calcaires, de couleur brunâtre, alternent ça et là avec des dolomies, des cargueules et des quartzites tégulaires. Cette formation calcaréo-serpentineuse est très-étendue dans les environs. Le pic, au contraire, est tout formé d’un gneiss talqueux, souvent à gros éléments, alternant parfois à quelques bancs de schistes talqueux et quartzeux, mais sans bancs calcaires. Vers le pied ouest du pic, le gneiss est remplacé par de l’euphotide granitoïde massive, qui semble y former une grosse lentille se fondant de tous côtés dans le gneiss même. Du reste, les roches du Cervin montrent partout des exemples, fort instructifs de passages graduels d’une structure à l’autre, résultant du métamorphisme plus ou moins avancé.

Le pic actuel n’est que le reste d’une puissante formation géologique ancienne, triasique peut-être, dont les couches puissantes de plus de 3500 mètres enveloppaient tout autour, comme un immense manteau, le grand massif granitoïde et feldspathique du Mont-Rose. Aussi, son étude détaillée, qui, par exception, est rendue fort facile par la profondeur des vallons d’où il surgit, donne la clef de la structure géologique de beaucoup d’autres montagnes des environs. On y voit partout le phénomène assez curieux d’une puissante formation talqueuse très-cristalline, presque granitoïde, régulièrement superposée à une formation schisteuse et calcarifère. Cette même constitution géologique est en partie la cause de la forme aiguë et de l’isolement du pic qui font la merveille des voyageurs. En effet, tandis que les roches feuilletées de la base, étant facilement corrodées par l’action des météores et de l’eau, ont été facilement creusées en vallées larges et profondes, la roche supérieure, qui constitue la pyramide, donne lieu par sa dureté à des fendillements formant des parois escarpées qui conservent au pic ce profil alpin élancé et caractéristique. Les glaciers qui entourent son pied de tous les côtés, en emportant d’une manière continue les débris tombant de ses flancs, contribuent pour leur part à maintenir l’isolement de la merveilleuse pyramide, qui, sans eux, serait peut-être déjà ensevelie sous ses propres ruines.

VI

NOTE RELATIVE À LA COUPE GÉOLOGIQUE DU CERVIN.


  1. Gneiss talqueux quartzifére. Beaucoup de traces de foudre.
  2. Banc de 3 à 4 mètres de schistes serpentineux et talqueux verts.
  3. Gneiss talqueux à éléments plus ou moins schisteux avec quelques lits de quartzite.

“ Gneiss et micaschistes ferrugineux à éléments très-fins ; beaucoup de traces de foudre.

  1. Gneiss alternant avec des schistes talqueux et des felsites en zones blanches et grises.
  2. Petite couche de schistes serpentineux, vert sombre.
  3. Gneiss et micaschiste avec zones quartzifères rubanées.
  4. Gneiss talqueux à éléments schisteux.
  5. Gneiss talqueux verdâtre, porphyroïde à éléments moyens.
  6. Gneiss talqueux granitoïde à gros éléments et avec des cristaux de feldspath.
  7. Schistes grisâtres.
  8. Micaschistes ferrugineux.
  9. Gneiss talqueux, vert sombre.
  10. Gneiss et schistes quartzeux, couleur vert clair.
  11. Euphotide massive (feldspath et diallage), à éléments cristallins bien développés, traversée par des veines d’eurite blanchâtre. Cette roche forme un banc ou plutôt une lentille de plus de 500 mètres de puissance intercalée au gneiss talqueux[17].
  12. Gneiss talqueux alternant avec des schistes talqueux et micacés.
  13. Schistes compactes, couleur vert clair.
  14. Calcaire cristallin micacé (calcschiste) avec veines et rognons de quartz. Il alterne avec des schistes verts chloriteux et serpentineux.
  15. Schistes verts chloriteux, serpentineux et talqueux avec des masses stéatiteuses.
  16. Calcschistes (comme ci-dessus) formant un banc de plus 100 mètres[18].
  17. Schistes verts chloriteux.
  18. Calcschistes (comme ci-dessus).
  19. Il suit ci-dessous une série fort puissante de schistes verts serpentineux, chloriteux, talqueux et stéatiteux alternant encore avec des calcschistes. En plusieurs localités les schistes deviennent très-amphibologiques à petits cristaux noirs. Cette puissante formation calcaréo-serpentineuse repose intérieurement sur des micaschistes et des gneiss anciens.

VII

COUPE GÉOLOGIQUE DU CERVIN PAR M. F. GIORDANO.
Piliers ou colonnes près de Sachas, dans la vallée de la Durance, débris d’une ancienne moraine.

VIII

DÉNUDATION DE LA VALLÉE DE LA DURANCE.

Dans l’été de 1869, je remontai à pied la vallée de la Durance, de Mont-Dauphin à Briançon ; chemin faisant, je remarquai à environ cinq kilomètres de cette dernière localité quelques pics rocheux très-aigus sur les pentes de la montagne, à l’ouest de la route. Je grimpai sur ces pentes et je découvris les singulières colonnes naturelles représentées dans la gravure ci-jointe[19]. Ces sortes de piliers sont composés d’un conglomérat non stratifié formé de cailloux et de blocs reliés par une gangue terreuse. Quelques-unes étaient mélangées de pierres plus serrées que les grains de raisins dans un plum-pudding ; d’autres étaient hérissées de pierres aiguës comme les piquants d’un oursin. Cette gangue était si dure et si adhérente, qu’on avait une peine extrême à en arracher les pierres. Une fois la pierre détachée, la gangue terreuse disparaissait très-facilement par un simple lavage dans un petit ruisseau voisin. C’est ainsi que j’en eus bientôt extrait quelques fragments de syénite, de micaschiste, plusieurs variétés de calcaires et de débris, ainsi que diverses plantes fossiles qui caractérisent les roches carbonifères. La plupart des fragments étaient couverts de traces indiquant qu’ils avaient voyagé sous un glacier. La gangue terreuse avait tous les caractères de la vase des glaciers, et le flanc de la colline était couvert d’amas roulés. Ces diverses indications et la situation des pics rocheux me donnèrent à penser qu’ils provenaient des débris d’une ancienne moraine. Les plus élevés de ces piliers atteignaient 18 et 21 mètres ; la moraine avait donc dû avoir une hauteur au moins égale. Je jugeai d’après ces apparences que c’était la moraine supérieure d’un glacier, affluent du grand glacier qui avait occupé autrefois la vallée de la Durance. En se retirant, il s’était arrêté sur le versant de cette colline, près de Sachas. Le glacier latéral avait coulé au bas d’un vallon sans nom qui descend de l’est-sud-est de la montagne désignée sur la carte française sous le nom de l’Eychouda (2664 mètres).

Un seul de ces pics était coiffé d’une pierre d’assez petite dimension, et je n’aperçus dans leur voisinage aucun bloc assez considérable pour leur supposer la même origine qu’aux célèbres colonnes ou aiguilles de dolomie voisines de Botzen. Ceux qui ont lu les Études de sir Charles Lyell (10e édition, tome I, p. 338) se rappelleront qu’il attribue principalement la formation des colonnes de Botzen à ce qu’elles étaient recouvertes de blocs qui les protégeaient contre l’action directe de la pluie.

Cette explication paraît fort juste, car la plupart des colonnes de Botzen sont coiffées de blocs d’une dimension considérable. Mais le cas ne semble pas exactement semblable pour les piliers naturels que j’ai vus. L’eau courante, en ravinant la moraine, l’a découpée en arêtes (visibles à droite sur la gravure) et a pris une part évidente au travail de la dénudation. Suivant toute probabilité, le groupe des piliers naturels représentés dans la gravure ci-jointe provenait d’une de ces arêtes dont le sommet s’était aiguisé et peut-être effilé par le temps. Dans ce cas et avec des pierres de très-petite dimension sur le sommet de l’arête, les piliers auraient été également très-petits : leur développement aurait dépendu de la quantité de pierres enfouies dans la gangue de la moraine environnante. Je suppose donc que la plupart des piliers les plus considérables de Sachas proviennent de ce que la partie de la moraine dont ils sont formés contenait une quantité de pierres et de petits blocs supérieure à celle qui se trouvait dans les endroits ravinés, et surtout de ce que la vase du glacier, si adhérente à l’état sec, est facilement entraînée par les eaux quand elle est mouillée. Ainsi la forme actuelle des piliers est principalement due à l’action directe de la pluie, mais leur formation, dans l’origine, a été due à l’action de l’eau courante.


Premier voyage dans les Alpes. 
 1
Ascension du mont Pelvoux. 
 15
Le Mont-Cenis. — Le chemin de fer Fell. — Le grand tunnel des Alpes. 
 53
Ma première grimpade sur le Cervin. 
 75
Encore le Cervin. — Nouvelle tentative d’ascension. 
 96
Le Val Tournanche. — Un passage direct entre le Breuil et Zermatt (le Breuiljoch). — Zermatt. — Ascension du Grand Tournalin, etc. 
 140
Sixième tentative pour faire l’ascension du Cervin. 
 177
De Saint-Michel, sur la route du Mont-Cenis, à la Bérarde, par le col des Aiguilles d’Arve, le col de Martignare et la brèche de la Meije. 
 189
Ascension de la Pointe des Écrins. 
 213
De Vallouise à la Bérarde par le col de Pilatte. 
 238
Passage du col de Triolet. — Ascension du Mont-Dolent, de l’Aiguille de Trélatête et de l’Aiguille d’Argentière. 
 252
Le col de Moming. — Zermatt. 
 274
Ascension du Grand Cornier. 
 288
Ascension de la Dent Blanche. 
 299
Col d’Hérens. — Ma septième tentative pour escalader le Cervin. 
 309
La vallée d’Aoste. — Ascension des Grandes Jorasses. 
 326
Le col Dolent. 
 343
Ascension de l’Aiguille Verte. 
 353
Le col de Talèfre. 
 363
Ascension de la Ruinette. — Le Cervin. 
 367
Ascension du Cervin. 
 382
Descente du Cervin. 
 394
I. Suite de l’histoire du Cervin. 
 409
II. Tableau des tentatives faites pour escalader le Cervin. 
 416
III. Tableau des ascensions au Cervin. 
 417
IV. Note sur le phénomène atmosphérique observé au Cervin. 
 418
V. Notice sur la géologie du Cervin par M. F. Giordano. 
 419
VI. Note relative à la coupe géologique du Cervin. 
 420
VII. Coupe géologique du Cervin par M. F. Giordano. 
 421
VIII. Dénudation de la vallée de la Durance. 
 425
LISTE DES GRAVURES.
1. Beachy Head 
 1
2. Le démon de Notre-Dame 
 2
3. Les mulets dans les passages difficiles 
 3
4. Un curé dans l’embarras 
 8
5. Lequel des deux est l’animal ? 
 9
6. Au Saint-Bernard 
 9
7. Un cabaret italien 
 14
8. Briançon 
 15
9. Le Pelvoux, vu de la Bessée 
 23
10. Vallée d’Ailefroide 
 25
11. Le grand Pelvoux de Vallouise 
 27
12. Contre-forts du Pelvoux 
 31
13. Macdonald 
 33
14. Mont Pelvoux 
 36
15. Le Pelvoux et l’Ailefroide, vus de la vallée de la Durance, près de Mont-Dauphin 
 39
16. La couverture-sac 
 48
17. Colonne naturelle près de Molines 
 51
18. Passage du Mont-Cenis 
 53
19. Le postillon supplémentaire 
 54
20. Le Mont-Cenis et le chemin de fer Fell près du col 
 55
21. Rail central dans une courbe 
 57
22. Coupe du chemin de fer Fell 
 57
23. Parties couvertes du chemin de fer Fell (versant italien) 
 58
24. Déblaiement des débris dans le tunnel des Alpes 
 64
25. Machine perforatrice employée au tunnel des Alpes 
 67
26. Profil du tunnel des Alpes 
 69
27. Germain Sommeiller 
 74
28. Jean-Antoine Carrel (1869) 
 75
29. Le Cervin, vu du col Saint-Théodule 
 79
30. Le Cervin, vu du nord-est 
 79
31. Le Cervin (vue prise du sommet du col Saint-Théodule) 
 83
32. J. J. Bennen (1862) 
 86
33. Le col du Lion 
 91
34. Les bâtons de la tente 
 100
35. Tente alpestre 
 101
36. Le grappin alpestre 
 112
37. La corde et l’anneau 
 113
38. La cheminée du Cervin 
 123
39. Je glissai et je tombai 
 127
40. Profil du Cervin 
 134
41. Une canonnade dans le Cervin 
 135
42. Traversée du canal 
 139
43. Qu’est-ce que c’est que cela ? 
 140
44. Une arcade de l’aqueduc du Val Tournanche 
 145
45. Rochers usés par les eaux dans la gorge située au-dessous du glacier de Gorner 
 150
46. Stries produites par le frottement des glaciers à Grindelwald 
 151
47. Roches altérées par les intempéries de l’atmosphère 
 159
48. Au Grand Tournalin 
 170
49. M. Favre 
 177
50. Un orage sur le Cervin (10 août 1863) 
 182
51. Le vallon des Étançons, du côté de la Bérarde 
 189
52. Michel-Auguste Croz (1865) 
 191
53. Les Aiguilles d’Arve, vue prise au-dessus du chalet de Rieublanc 
 196
54. Melchior Anderegg en 1864 
 205
55. Carte du passage de la Meije 
 207
56. Une nuit avec Croz 
 213
57. Les Alpes centrales du Dauphiné 
 217
58. La Pointe des Écrins 
 224
59. Notre route sur la Pointe des Écrins 
 225
60. Fragment du sommet de la Pointe des Écrins 
 229
61. Descente de l’arête occidentale de la Pointe des Écrins 
 233
62. Carte de la brèche de la Meije 
 238
63. Un couloir de neige 
 242
64. Nous vîmes un pied qui semblait appartenir à Moore, et Reynaud vola dans l’air 
 247
65. Notre bivouac au Mont-Suc 
 252
66. M. Reilly lisant 
 262
67. Id. 
 262
68. Id. 
 262
69. Id. 
 262
70. Id. 
 262
71. La Tête Noire 
 274
72. Avalanche de glace à la montée du col de Moming 
 280
73. Le col de Moming en 1864 
 283
74. L’hôtel du Mont-Rose, à Zermatt 
 285
75. Arête méridionale du Grand Cornier 
 288
76. Partie de la chaîne septentrionale du Grand Cornier 
 294
77. Leslie Stephen 
 299
78. La Bergschrund de la Dent Blanche en 1865 
 303
79. Kennedy 
 308
80. Meynet, le porteur de tentes 
 309
81. Le Cervin, vu du Riffel 
 315
82. Un crétin d’Aoste 
 326
83. Le bouquetin 
 327
84. Les Grandes Jorasses, vues du Val Ferret 
 341
85. Cormayeur 
 343
86. Le col Dolent 
 345
87. Ma hache à glace 
 349
88. Hache à glace de Kennedy 
 350
89. Crampons 
 351
90. Sur la Mer de Glace 
 353
91. Christian Aimer, d’après une photographie de M. E. Edwards 
 354
92. Sur la Mer de Glace 
 355
93. Le col de Talèfre 
 363
94. Comment on descend sur la neige 
 365
95. Comment il ne faut pas tenir la corde 
 367
96. Comment on doit tenir la corde 
 373
97. Ascension du Cervin 
 382
98. Au sommet du Cervin 
 391
99. Le sommet du Cervin en 1865 
 394
100. La corde rompue le jour de l’accident 
 397
101. M. Alexandre Seiler 
 401
102. La corde de Manille 
 402
103. La seconde corde 
 403
104. Final 
 408
105. Coupe géologique du Cervin 
 421
106. Colonnes près de Sachas (Vallée de la Durance) 
 423
107. Frontispice : Phénomène atmosphérique observé sur le Cervin (en regard du titre). 
108. Un passage difficile (sur le titre). 

CARTES.

1. Carte d’ensemble 
2. Le Mont-Rose 
 
3. Le Mont-Blanc 
 
4. Du Mont-Blanc au Mont-Rose 
 
5. Le Cervin et ses glaciers 
 
6. Sections du Cervin 
 318




12366. – TYPOGRAPHIE LAHURE


Rue de Fleurus, 9, à Paris.



Le Cervin vu du col Saint-Théodule.
Le Cervin vu du nord-est.

Les espaces compris entre les lignes rouges parallèles représentent, en moyenne, une hauteur verticale d’environ 18 mètres ; mais, à cause du raccourci, la hauteur comprise entre les lignes supérieures dépasse un peu ce chiffre.



  1. Nous résumons ici le récit de l’expédition des Italiens qui partirent du Breuil le 11 juillet 1865. V. p. 377.
  2. Je tiens ces détails de Jean-Antoine Carrel.
  3. Les détails suivants sont extraits du récit de l’abbé Amé Gorret (publié dans la Feuille d’Aoste, oct. 1865), qui se trouvait au Breuil au moment du retour des guides.
  4. V. l’Appendice n° II, tentative n° 1.
  5. Ces appellations, ainsi que celles de Grand-Escalier, col du Lion, Tête du Lion, Cheminée, etc., avaient été inventées par Carrel et par moi, pour nous rappeler certains passages qui offraient une ressemblance réelle ou supposée avec les objets qu’ils désignaient.
  6. Ce point est désigné par la lettre E, sur le profil inférieur de la gravure qui l’ait face à la page 78.
  7. J’ai vu près du sommet du Cervin des stalactites de glace suspendues aux rochers et longues de plus de 30 mètres.
  8. Ce sont les propres paroles de l’abbé. Je pense qu’il, a voulu dire comparativement facile.
  9. L’allure d’une expédition se règle sur le pas du moins habile de ses membres.
  10. V. pp. 132-137, 143-144.
  11. C’est une arête qui descend vers le glacier de Z’Mutt.
  12. Joseph et Pierre Maquignaz montèrent seuls au sommet ; les autres, découragés, étaient redescendus. On doit, faire remarquer que J. A. Carrel et ses camarades avaient pris soin de fixer des cordes dans tous les endroits difficiles de la montagne jusqu’à « l’Épaule, » avant cette ascension : ainsi s’explique la facilité avec laquelle furent franchis, cette fois, des passages jadis fort difficiles. La jeune femme déclara que cette ascension (jusqu’au point où elle était parvenue) était très facile ; si elle eût monté à la même hauteur avant 1862, son opinion eût sans doute été toute différente.
  13. M. Elliott crut avoir évité l’endroit où avait eu lieu l’accident du 14 juillet 1865 et trouvé un meilleur passage ; d’autres voyageurs, qui ont aussi fait l’ascension par le versant septentrional, ont eu la même idée : mais, d’après toutes les informations que j’ai prises, on n’a dévié que d’une manière insignifiante de la route que nous avions suivie dans cette partie difficile mais très-courte de la montagne ; je suis donc très-fondé à croire que la plupart de ceux qui ont suivi la route du nord, en montant ou en descendant, ont dû passer sur l’endroit même où l’accident avait eu lieu.
  14. M. Giordano emporta un baromètre à mercure et le consulta fréquemment, pendant tout le cours de son expédition. Ses observations m’ont permis de déterminer avec certitude les hauteurs atteintes dans les différentes tentatives d’ascension, ainsi que l’altitude des différents endroits dont il a été parlé dans le cours de cet ouvrage. Ce savant laissa en outre, en 1863, un thermomètre à minima sur le sommet. En juillet 1866, J. A. Carrel redescendit cet instrument qui marquait seulement 12°,78 centigrades au-dessous du point de congélation. On a pensé qu’une épaisse couche de neige l’avait protégé contre les grands froids de l’hiver. Cette explication paraît à peine satisfaisante.
  15. Un seul jour a été mentionné pour cette ascension ainsi que pour une autre citée plus bas, mais j’ai quelque raison de croire que toutes les ascensions exécutées jusqu’à présent ont exigé au moins deux journées.
  16. La 20e et la 21e ascension ne se trouvent pas dans le livre anglais ; il y en a eu d’autres en 1871 et en 1872. Nous citons seulement ces deux-là : la 20e, parce que pour la première fois une dame est montée d’un côté et descendue de l’autre ; la 21e, parce que pour la première fois, croyons-nous, le passage du Cervin a été effectué dans la même journée.
  17. Cette roche granitoïde paraît surtout à la base ouest du pic sous le col du Lion, tandis qu’elle ne paraît pas du tout sur le flanc est où elle paraît passer au gneiss talqueux.
  18. En plusieurs localités des environs, cette zone calcarifère présente des bancs et des lentilles de dolomie, de cargueule, de gypse et de quartzites.
  19. Elles se trouvaient à 228 mètres (d’après l’anéroïde) au-dessus de la route et à peu de distance du village de Sachas. Il y en avait à peu près une douzaine semblables à celles que représente la gravure, et un grand nombre de tronçons de colonnes plus petites. Il s’en trouvait probablement d’autres et beaucoup plus considérables, plus loin par derrière. Je n’avais pas le temps de dépasser l’endroit représenté dans ce dessin. J’ai cru intéressant de revenir sur la description très-imparfaite que j’avais donnée de ces curieuses roches. Je ne pense pas qu’elles aient été observées ni décrites précédemment.