Albert Pauphilet (traduction), Le Testament de l’Âne (Contes du jongleur) 1932
n prêtre, curé d’une
bonne paroisse, mettait
tout son talent, tout son
zèle, à en tirer le plus
de revenu possible.
Personne ne savait comme
lui vendre au plus haut
ses récoltes, acheter au
plus bas pièces de terre
et bon bétail. Aussi
avait-il des greniers
pleins de blé, des coffres
pleins d’argent, et des
robes, surplis, joyaux de toutes les
façons. Assez serré du reste, et ne
donnant jamais sans y être forcé.
Il avait un âne, le plus résistant et le plus docile des serviteurs. Vingt ans entiers cet âne marcha, trotta, tira, porta, peina, faisant presque à lui seul la fortune de son maître. Et le curé aimait tant cette bête qu’une fois morte, il ne put se résoudre à la laisser à l’équarisseur : il l’enterra en plein cimetière, disant qu’après tout il n’avait jamais eu de meilleur paroissien.
L’évêque du diocèse était d’un tout autre caractère que son curé : hospitalier, fastueux, magnifique et, partant, toujours gêné d’argent ; car, comme dit l’autre, « les fêtes font les dettes ».
Un jour qu’il y avait nombreuse compagnie à l’évêché, on parla de ces riches clercs, de ces prêtres avides et avares, qui, des trésors qu’ils amassent, ne donnent jamais rien à leur évêque. Notre curé fut mis sur la sellette ; il en avait du comptant, celui-là ! Toute sa vie fut racontée, glosée, comme si elle eût été sous leurs yeux, écrite en un livre. Rien n’échappa ; on lui en préta même, selon l’usage, trois fois plus qu’il n’en avait. « Mais, dit quelqu’un, il a sur la conscience certaine chose qui pourrait lui coûter cher, si on voulait : il ne s’en tirerait pas sans une belle amende.
— Qu’est-ce donc ? demande l’évêque vivement.
— Monseigneur, c’est pis que ne ferait un Sarrasin : il a enterré son âne en terre bénite.