Chimie appliquée à l’agriculture/Chapitre 15

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Madame Huzard (Tome 2p. 307-319).

CHAPITRE XV.


DES HABITATIONS RURALES POUR LES HOMMES ET LES ANIMAUX, ET DES MOYENS DE LES ASSAINIR.




Les bords des rivières, la proximité d’une fontaine et la fertilité du sol ont déterminé l’emplacement des premières habitations.

L’industrie des habitans et l’abondance des productions les ont peu-à-peu multipliées sur le même point, et la population n’a pas tardé à se diviser en deux classes, dont l’une s’est livrée exclusivement à la culture de la terre, et l’autre à fabriquer et à fournir à l’agriculture tous les objets dont elle a besoin pour ses travaux.

Les bâtimens ruraux ne doivent présenter aucun luxe ; leur perfection consiste à fournir une habitation saine aux hommes et aux animaux de la ferme, et à loger convenablement les produits des récoltes.

Ces deux conditions sont rarement remplies. Ici, les hommes et les animaux sont souvent entassés dans des endroits humides, peu aérés, où ils contractent des maladies sans nombre ; là, les récoltes sont sans garantie contre les animaux destructeurs, et le paysan voit dévorer le fruit précieux de ses sueurs sans pouvoir y porter remède.

Je ne m’engagerai point dans les détails des constructions rurales, assez d’autres s’en sont occupés. Il est difficile de prescrire des dispositions à ce sujet, elles doivent varier selon les localités, la nature des matériaux, les espèces d’animaux qui peuplent une ferme, la différence des climats, la fortune des habitans, etc.

L’art de construire et celui de disposer les bâtimens d’une manière convenable ne sont pas ceux sur lesquels le propriétaire rural a le plus besoin d’instruction ; mais ce qui regarde la salubrité de l’habitation et les moyens de l’assainir quand elle est infectée, doit trouver ici sa place, parce que l’agriculteur est presque par-tout étranger à ces connaissances.

Le choix de l’emplacement le plus convenable à l’habitation n’est pas aussi facile à déterminer qu’on peut le croire ; le bâtiment rural devrait être constamment placé au centre de la propriété, pour éviter la perte de temps dans les transports et diminuer la fatigue des animaux : ce choix de l’emplacement rendrait en même temps la surveillance plus facile.

Indépendamment de cette considération, les bâtimens de la ferme doivent occuper la partie du sol la plus saine, celle dont le terrain est le moins précieux, où les eaux pluviales ne sont pas stagnantes, et où l’on trouve de la bonne eau pour fournir aux boissons et aux autres usages domestiques.

Il est souvent bien difficile de réunir tous ces avantages ; mais il en est un auquel on doit sacrifier tous les autres, c’est la salubrité.

Une habitation rurale établie sur un sol constamment humide, ou dans un lieu bas dominé de tous côtés par des hauteurs, est toujours malsaine ; les exhalaisons qui se forment deviennent stagnantes, et l’habitant est continuellement plongé dans une atmosphère humide, qui se charge et se corrompt par les émanations animales et celles que fournissent toutes les substances qui pourrissent dans le voisinage d’un domaine.

La plupart des maladies qui affligent les habitans des campagnes proviennent de l’humidité de leurs habitations.

Lorsque les localités ne permettent pas d’établir les bâtimens sur un terrain sec et bien aéré, il faut au moins corriger le vice de la position par des précautions et des dispositions qui atténuent le mal : on y parviendra en bâtissant sur des caves la partie de l’édifice destinée à loger les hommes, et en pratiquant d’assez grandes ouvertures dans les habitations pour que l’air se renouvelle et circule librement.

Ces précautions fondamentales et de premier établissement ne suffisent pas ; il en est de tous les jours, de chaque instant, qui sont indispensables pour entretenir la salubrité : il faut donner de l’écoulement aux eaux stagnantes, pratiquer des fossés pour dessécher le sol, et transporter loin de l’habitation toutes les matières susceptibles de putréfaction.

L’humidité constante qui règne dans une habitation est un fléau pour la santé et un agent destructeur de tous les objets qui sont employés dans un ménage, tels que les vivres, les vêtemens, etc. Cette cause suffit souvent pour ruiner une famille.

Lorsqu’on est assez malheureux pour être condamné à habiter des lieux aussi malsains, il faut au moins employer des moyens qui puissent tempérer les mauvais effets de l’humidité. Indépendamment de ceux dont nous venons de parler, on doit n’établir sa demeure de jour et de nuit que dans les endroits où l’on fait constamment du feu ; il serait même avantageux de brûler de temps en temps un peu de paille dans le milieu des pièces qu’on habite, pour en purifier et renouveler l’air.

La plus grande propreté doit être observée dans l’intérieur de ces habitations ; on n’y laissera, aucun objet qui soit susceptible de se décomposer ; on frottera avec soin, de temps en temps, les murs, les planchers et les meubles, pour enlever l’humidité dont ils s’imprègnent si aisément : avec ces précautions, on peut rendre l’habitation moins malsaine.

La demeure des animaux se vicie encore plus aisément que celle des hommes, parce que, presque nulle part, on ne calcule l’espace et l’étendue de terrain qu’il faut leur donner pour que la respiration y soit libre, et que la chaleur qu’ils produisent ne soit pas trop élevée. Dans la plupart des campagnes, on les entasse dans des grottes peu aérées, où l’urine et les excrémens pourrissent toute l’année, où il se forme une atmosphère humide et brûlante : on n’extrait les animaux de ces cloaques infects, sur-tout pendant l’hiver, que pour les conduire à l’abreuvoir : est-il étonnant qu’en employant si peu de soins, la mortalité des animaux soit aussi considérable dans nos campagnes ?

Les bêtes à laine ne craignent point le froid, il suffit de les abriter sous des hangars pendant l’hiver. Dans des pays aussi froids et plus humides que la France, on les fait parquer presque toute l’année.

Comme les bestiaux font la richesse principale d’un domaine, il convient de soigner leurs habitations ; les nombreuses maladies qu’ils éprouvent, sur-tout celles qui sont contagieuses et qui trop souvent dépeuplent un domaine, proviennent ordinairement du peu de soins qu’on apporte à entretenir les étables et les bergeries dans un état de propreté convenable. Les émanations qui s’élèvent de toutes les parties du corps de ces animaux se mêlent aux exhalaisons putrides que produit la décomposition de leurs excrémens, et il en résulte une putréfaction qui vicie l’air et fournit le germe de plusieurs maladies.

On pourrait prévenir ces causes de contagion en purifiant, de temps en temps, l’air infect des étables et des bergeries par des procédés simples, déjà avantageusement employés pour assainir les prisons et les hôpitaux.

Ces procédés se réduisent à ce qui suit :

Pour que l’habitation des animaux soit saine, il faut d’abord qu’elle soit spacieuse, afin que la respiration y soit libre et que les bêtes puissent y prendre toutes les positions possibles. Il faut qu’elle soit bien aérée, pour que l’air y circule et se renouvelle facilement : on doit donc y pratiquer des ouvertures qui se correspondent, afin qu’il puisse s’établir des courans qui en renouvellent l’air respirable, portent au dehors les exhalaisons animales et celles qui se développent par la fermentation des urines, des fumiers, des litières, etc.

Pour assainir les habitations des bestiaux, il importe beaucoup d’en paver le sol, en observant de donner une légère pente qui permette l’écoulement des urines dans un réservoir, et d’élever le pavé un peu au-dessus du sol extérieur.

Il convient de frotter de temps en temps les crèches avec une faible lessive de cendres, et de passer, chaque année, une couche de lait de chaux sur les murs.

Lorsqu’on ne veut pas paver le sol des bergeries ou des écuries, il faut enlever, au moins plusieurs fois dans l’année, la couche déterre qui a été imbibée d’urine, pour la porter dans les champs, et la remplacer par les gravois, des terres de salpêtrier ou autres matières sèches et poreuses.

Il ne faut pas laisser croupir trop long-temps dans leurs habitations les animaux qui sont accoutumés à paître dans les champs ; l’ennui les dévore, et l’air se corrompt par un séjour trop prolongé dans ces demeures.

Il est peu de jours dans l’année qui ne permettent pas de les faire sortir pendant quelques heures, sur-tout si l’on considère que les froids les plus rigoureux ne nuisent point à leur santé. Du moment que ces animaux ont évacué la bergerie, il faut en ouvrir soigneusement les portes et les fenêtres pour en renouveler l’air.

Il est des pays où l’on ne connaît pas l’usage des litières de paille, il en est d’autres où on laisse pourrir cette litière jusqu’à ce qu’elle soit presque complétement décomposée : ces deux méthodes sont vicieuses et concourent également à l’insalubrité des bergeries. La litière doit être renouvelée au moins tous les mois, et dès qu’elle est salie à la surface, il faut la recouvrir d’une couche fraîche, jusqu’à ce qu’on l’enlève en entier. Dans les bergeries où l’on n’emploie pas de litière, il faudrait nettoyer le sol presque tous les jours pour éviter la malpropreté et l’infection.

Un autre usage non moins pernicieux, c’est celui d’amonceler les fumiers dans un coin de la bergerie ou des écuries, au lieu de les porter au dehors. Par cet usage, on peut obvier, jusqu’à un certain point, à la malpropreté locale ; mais on ne corrige pas l’infection, qui est aussi funeste.

Il arrive souvent que, faute de soins, il s’établit et se développe des maladies contagieuses dans les bergeries et les écuries : le premier remède qu’on doit apporter à ces maux inhérens à la localité, c’est celui d’enlever tous les animaux pour les placer ailleurs, et de séparer les malades de ceux qui ne sont pas attaqués, afin de les traiter séparément.

Il ne s’agit plus alors que d’assainir l’habitation, on y procède de la manière suivante :

Après avoir enlevé la litière, on lave le pavé, et, à défaut, on creuse le sol, pour en extraire tout ce qui a pu être pénétré par les miasmes ou l’urine des animaux ; ensuite on fait brûler du soufre à plusieurs reprises dans toutes les parties de l’enceinte, de manière que les vapeurs pénètrent dans tous les coins et y séjournent ; après cela, on blanchit les murs et les plafonds à plusieurs couches avec du lait de chaux, et, au bout de quelques jours, les animaux peuvent être rétablis sans crainte dans cette demeure.

Au lieu des fumigations sulfureuses, on peut employer celles du chlore (acide muriatique oxigéné), comme plus énergiques ; à cet effet, dans une terrine qui puisse résister au feu, on met deux onces d’oxide de manganèse bien pulvérisé, sur lequel on verse dix onces d’acide muriatique concentré au degré du commerce ; cette terrine se place alors sur un réchaud, dans lequel on entretient quelques charbons ardens ; il ne tarde pas à se former des vapeurs d’un jaune verdâtre à la surface du mélange : ces vapeurs très-piquantes et presque suffocantes se répandent dans toute l’enceinte et détruisent les miasmes. Pour mieux assurer l’effet, on peut disposer plusieurs réchauds dans la même enceinte, et établir ainsi plusieurs foyers de désinfection.

Avant de procéder aux fumigations, on doit fermer avec soin les portes et les fenêtres, pour que les vapeurs restent dans l’intérieur et agissent plus efficacement. Les personnes qui servent les réchauds doivent se retirer, pour aller respirer le grand air, dès que les vapeurs commencent à porter de la gêne dans leur respiration.

Souvent les animaux croupissent entassés dans des lieux-bas, peu éclairés et mal aérés : ici, l’humidité et les exhalaisons animales contribuent à vicier l’air et à rendre la demeure malsaine. On peut remédier à cet inconvénient, 1°. en plaçant dans des terrines un peu élevées au-dessus du sol quelques pierres de chaux, qui ne tardent pas à se diviser et à effleurir, et qui absorbent l’humidité et l’acide carbonique produits par les animaux : cette chaux ainsi éteinte à l’air peut ensuite servir à blanchir les murs et à d’autres usages ; 2°. en produisant une flamme très-vive par la combustion de la paille ou d’un bois mince et très-sec, et ayant la précaution d’enlever le résidu du foyer, dès que la combustion est terminée : par ce dernier moyen, on renouvelle tout l’air intérieur.

J’ai employé plusieurs fois ces diverses méthodes, et je me suis constamment applaudi de leur succès.