Chronique d’une ancienne ville royale Dourdan/3

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CHAPITRE III

DOURDAN, DE PHILIPPE-AUGUSTE À PHILIPPE LE BEL
1180-1307


Le long et brillant règne de Philippe-Auguste fut pour Dourdan une époque privilégiée entre toutes. L’antique villa des vieux rois capétiens attira plus d’une fois les regards de l’illustre monarque, fidèle sans doute à des souvenirs d’enfance et héritier de la prédilection de son père et de sa mère pour le paisible et riant séjour du domaine royal. La chasse l’y attirait, comme elle y avait attiré ses prédécesseurs, comme elle y retint bien souvent les princes qui lui succédèrent. Ce sont sans doute les exigences de la chasse qui l’entraînèrent à un acte tant soit peu arbitraire qui devait éveiller, plusieurs années après lui, les pieux scrupules de son saint petit-fils Louis IX : nous voulons parler du retrait des bois de Louye concédés par Louis le Jeune aux religieux de Grandmont et repris par le domaine, les textes ne disent pas à quelles conditions, jusqu’à saint Louis, qui se fit un devoir de les restituer, comme nous le verrons par la suite.

Brussel, à la fin de son « Nouvel examen de l’usage général des fiefs en France pendant les xie, xiie, xiiie et xive siècles[1] », a transcrit « le compte général des revenus tant ordinaires qu’extraordinaires de Philippe-Auguste pendant l’an 1202. » Ce compte renferme un certain nombre d’articles relatifs à Dourdan, ville du domaine royal. Nous les avons extraits et nous les publions ici[2], comme fournissant de curieux détails et des chiffres intéressants sur la taille, sur les équipages de chasse, chiens, valets de chiens, etc. On voit que Dourdan, qui n’était encore qu’une prévôté, relevait alors du bailli d’Étampes, Hugues de Gravelle.

Nous avons été heureux, en parcourant les innombrables actes émanés de l’actif et puissant génie qui fit tant pour la France, d’en rencontrer plusieurs qui ont trait à notre histoire et impliquent évidemment la présence ou les intérêts de Philippe-Auguste à Dourdan.

Dans des lettres de 1185, datées de Paris (du 20 avril au 31 octobre), Philippe rappelle que son aïeul et son père ont donné aux lépreux de Chartres deux muids de froment sur le four de Dourdan et un muid sur la grange dudit lieu. Il ordonne que désormais les trois muids se prennent sur la grange[3]. — En août 1188, il invite le maire d’Étampes et les prévôts et baillis de Janville, Dourdan et Poissy à prêter leur concours à l’église de Saint-Jean en Vallée[4]. — Il donne en 1216 à Hugues, son écuyer, une rente de dix muids d’avoine, mesure de Paris, à prendre sur letensement de Dourdan et de Sonchamp[5] et, en 1220, à Jean, son échanson, la maison de Dourdan qu’il avait achetée de Jorri[6]. C’est ainsi que l’écuyer et l’échanson, suivant toujours leur maître, se créaient peu à peu des intérêts dans un lieu que la cour aimait à visiter. — En novembre 1220, Pierre, abbé, et le couvent de Saint-Chéron de Chartres s’engagent à ne pas établir d’hôtes sur un arpent de vignes que Philippe a permis à l’église des Granges de posséder en perpétuelle aumône[7], — et en 1222 ce même Pierre abbé passe avec le roi un contrat d’un haut intérêt pour nos études, et que nous devons signaler dans ses détails.

Par une charte signée à Paris du 2 au 30 avril, Philippe fait savoir à tous présents et à venir qu’il a institué une chapelle dans son nouveau château de Dourdan et qu’il a concédé à l’abbé et au couvent de Saint-Chéron de Chartres qu’un de leurs chanoines du prieuré de Saint-Germain de Dourdan célébrât tous les jours les saints mystères dans ladite chapelle, à la condition expresse que ce célébrant prêtera serment de fidélité au roi et à ses héritiers possesseurs du château, et que le serment sera renouvelé à chaque mutation de chanoine. À ce chanoine sont assignées quinze livres de revenu sur la prévôté de Dourdan, payables moitié à la Toussaint, moitié à la Purification ; et s’il arrive au prévôt d’être en retard pour le payement, il devra au roi cinq sous d’amende par chaque jour de retard.

Nos lecteurs ont compris toute la valeur de ce texte : il contient une précieuse révélation sur la construction du nouveau château et sur l’importance qu’y attache le souverain en le dotant d’une chapelle et d’une fondation de messe perpétuelle. Notre historien de Lescornay a connu et cité cette charte ; mais, comme il le dit lui-même, sans l’avoir vue en forme. Aussi, sa version est-elle incomplète et inexacte, dépourvue surtout de cette curieuse mention du nouveau château. Le texte que nous offrons[8] a été soigneusement copié par nous à la bibliothèque impériale sur le manuscrit original de ce précieux registre connu sous le nom de registre F, qui contient, avec le registre E auquel il a prêté et emprunté tour à tour, les actes officiels de la chancellerie royale sous Philippe-Auguste, la reine Blanche et saint Louis.

Une autre pièce nous sert ici de contrôle.

Du 2 au 30 avril 1222, Pierre abbé et tout le couvent de Saint-Chéron s’engagent à députer un de leurs chanoines du prieuré de Dourdan, pour célébrer la messe dans la chapelle que le roi vient de faire nouvellement construire dans son château, et cela sous la condition précitée d’un serment de fidélité[9]. Les chanoines de Saint-Germain n’eurent certainement qu’à se louer de la bienveillance royale, et, suivant toutes les présomptions, c’est à notre illustre fondateur que s’appliquent ces mots par lesquels commençait le martyrologe ou liste des bienfaiteurs de la paroisse Saint-Germain : « Nous prierons pour le roi Philippe. » C’est à lui que de Lescornay attribue la donation faite à la fabrique du droit de mesurage dans la ville et faubourgs, qui vaut ordinairement, ajoute-t-il, six cents livres par an, sans qu’aucun sache qui l’a donné, ni d’où il est venu, à cause de la perte des registres et titres de l’église[10].

Et maintenant, nous demandera-t-on, quel est ce nouveau château ? C’est celui que nous voyons subsister encore aujourd’hui, au moins dans son plan général, avec son enceinte intacte, ses fossés, ses tours et son donjon. Notre intention n’est pas de le décrire ici, nous réservons à cette description un chapitre spécial. Nous dirons seulement qu’au lieu et presque certainement sur l’emplacement du vieux château romain et mérovingien où était mort Hugues et où Louis VII avait vécu, Philippe-Auguste, cet admirable constructeur de forteresses, fit élever, tout d’une pièce, un édifice imposant et régulier, pourvu de tous les systèmes de défense alors en usage, fossés profonds, courtine élevée flanquée de huit tours, donjon isolé avec tous les engins de siége, moyens d’existence, puits, souterrains de retraite, etc., corps d’habitation les uns destinés aux plaisirs du maître, les autres au logement de la garnison. Situé au milieu de la ville, entouré des maisons de la place, bien que séparé d’elles par des boulevards et des barrières, le château était le centre de Dourdan. Le seigneur avait sous les yeux, presque sous la main, l’église, la halle, c’est-à-dire la vie morale et la vie matérielle de la cité, et le puissant donjon renouvelé pour des siècles affirmait et au besoin était prêt à soutenir les droits politiques et féodaux du royal suzerain de la contrée.

S’il est dans une ville ou un monument un beau souvenir à recueillir, une trace précieuse à vénérer, c’est la mémoire, c’est le passage du pieux et grand monarque devant lequel l’histoire s’incline et l’Église s’agenouille, saint Louis, le roi modèle, le patron des rois très-chrétiens. Un nom est étroitement lié au sien dans les respects de la postérité, celui de son illustre mère, la reine Blanche de Castille. Dourdan a eu l’honneur et l’heureuse fortune d’être le domaine et parfois le séjour de ces deux hôtes vénérés. Son vieux château leur a ouvert ses portes, et le voyageur n’y foule pas sans émotion un sol qu’ils ont touché et des degrés qu’ils ont franchis.

En 1240, par une charte datée de Paris, Louis IX fait savoir qu’en échange des biens qu’il a distraits pour l’apanage de son frère Robert d’Artois, il a assigné à sa très-chère dame et mère l’illustre reine Blanche, pour être possédées par elle, avec toutes leurs appartenances, les villes de Meulan, Pontoise, Étampes, Dourdan avec sa forêt, Corbeil et Melun, auxquelles il ajoute Crépy en Valois, la Ferté-Milon et Pierrefonds, avec quatre mille cinq cents livres parisis de rente[11]. Royal et juste témoignage de la piété filiale du jeune monarque envers l’auguste régente et la vaillante protectrice de ses premières années.

Dès l’an 1234, dans les comptes des baillis pour le terme de l’Ascension, se trouve insérée sous le nom de Johannes Jaucus, bailli d’Orléans (§ 72), la mention de la vente des blés et avoines d’Étampes et Dourdan pour la somme de trois cent quarante-six livres, quatorze sous, huit deniers, et celle d’une dépense de cent quatre sous d’or pour les travaux de Dourdan[12].

Le 8 juin 1253, saint Louis, voulant accorder à son chambellan Jean Bourguignel une faveur semblable à celle que Philippe-Auguste avait octroyée jadis à son échanson et à son écuyer en leur faisant présent de biens situés sur un domaine aimé et fréquenté de la cour, acheta tout exprès, d’un certain messire Berthault Cocalogon, seigneur de Femerez au Perche, près de Châteauneuf en Thymerais, une seigneurie, dépendante de celle de Dourdan, qu’il donna en perpétuelle propriété à Jean Bourguignel et à Marguerite sa femme[13]. Cette seigneurie, d’après des lettres d’aveu de messire Berthault, passées dès 1190 sous les sceaux de la prévôté de Dourdan, n’était autre que la propriété de tous les droits seigneuriaux de la ville de Dourdan, cens, rentes, vassaux, ventes et reventes, saisines et amendes, champart et champartage, avec les mesurages, bonnages et corvées qui appartiennent à ce champart ; plus d’autres revenus, non spécifiés, dans la ville, et des biens situés aux Granges-le-Roy de lès Dourdan.

Jean Bourguignel jouit de ces revenus pendant plusieurs années ; mais, sans doute avec la permission du roi, il en fit vente et cession en 1266. Nous avons trouvé aux archives du Loiret une pièce qui nous apprend à qui Jean Bourguignel transmit ses droits seigneuriaux sur Dourdan ; c’est «  à l’abbeesse et au couvent de l’Umilité Nostre Dame des Sereurs meneurs encloses jouste Saint-Cloust[14]. » Ce couvent, plus connu sous le nom d’abbaye de Longchamp, près Paris, venait d’être fondé précisément par la sœur de saint Louis. L’intérêt de cette pièce est de nous donner le point de départ des droits de censive que nous voyons exercer jusqu’à la fin du xviiie siècle, sur une grande partie du territoire de notre ville, par les dames de Longchamp, sans qu’on ait bien su s’expliquer, jusqu’ici, leur présence à Dourdan et leur immixtion dans plusieurs affaires importantes.

Mû par un pieux scrupule, le saint monarque, comme nous l’avons déjà indiqué, se préoccupa du retrait des bois de Louye, et au mois d’avril 1255 il fit expédier de Vincennes des lettres de restitution. Il savait, disait-il, la concession faite par son bisaïeul aux Bonshommes de Grandmont de la possession libre et paisible des terres et bois de Louye ; mais son grand-père Philippe et son père Louis, et lui-même, après eux, avaient retenu le bois pendant quelques années. De l’avis des gens de bien, c’est ce bois qu’il venait restituer[15]. Nos bons moines de Louye ne pouvaient manquer de faire écouter leurs légitimes réclamations par le roi justicier dont la France tout entière aimait à redire la paternelle équité.

Dans la liste des mansiones et itinera regum que les savants continuateurs de Dom Bouquet ont insérée dans leur XXIe tome[16], nous avons trouvé la mention d’un voyage que saint Louis fit à Dourdan en décembre 1257. Il venait de Paris, et nous savons qu’en janvier il quitta Dourdan pour Saint-Germain-en-Laye. Le roi ne vint pas à Dourdan seulement avec ses familiers ou une portion de sa cour : il y séjourna avec sa chancellerie, ce qui ne se faisait pas toujours ; de là la difficulté qu’on éprouve à préciser, par les dates locales des actes officiels, les passages et les séjours, souvent très-multipliés pourtant, des souverains dans une résidence. A Dourdan, cette fois-là, dans son château paisible, Louis travailla avec ses conseillers ; il y expédia des affaires, il y fit rédiger, il y signa une longue charte pour la confirmation des possessions et priviléges d’une riche abbaye du Midi, l’abbaye de la Grâce, en Languedoc. Nous avons vu cette charte, elle est signée et datée apud Dordam[17].

Après la mort de sa mère, Louis voulut que Dourdan appartînt à sa femme la reine Marguerite de Provence. Par un acte de juin 1260, il en fait une partie de son douaire. Rappelant que ce douaire primitivement assigné sur la cité du Mans avait déjà été transporté une fois sur celle d’Orléans, il déclare qu’il veut « fere à la devant dicte Reine, pour ses désertes, greigneur grâce et assigner luy ailleurs son devant dict doaire en lieux plus prochains et plus proufitables, è porvooir parce à la pès è au repos de sa vie. » Il échange donc l’ancien douaire contre les villes de Corbeil, Poissy, Meulan, Vernon, Pontoise, Dourdan o les bois è o les autres appartenances, avec la Ferté-Alais, mais sans les fiefs et les aumônes octroyés jusque-là dans toutes ces villes. Réservant, dans l’avenir, le libre exercice de sa charitable dévotion, il ajoute : « è retenons à nous, tant comme nous vivrons, plenière è franche propriété de donner à églises è à personnes à quelles que nous voudrons, è tant comme nous voudrons, è d’octroier franchement è de confermer à nostre volonté les dons, les ventes è les autres aliénations, se aucunes en sont fetes[18] ».

Prochain et profitable était estimé par la couronne Dourdan avec ses bois et ses appartenances, et c’était une des portions privilégiées du domaine royal que le prévoyant époux voulait assurer à sa fidèle épouse pour la paix et le repos de sa vie. Les revenus des prévôtés sur lesquelles était constitué ce riche douaire appartenaient à Marguerite, et dans les comptes des baillis de France pour le terme de la Toussaint 1285, qui ont été conservés[19], nous avons pu vérifier, à l’article 14 des prévôtés, que Dourdan, au lieu du détail accoutumé, ne portait que cette mention : Reginæ, à la Reine[20]. Une curieuse remarque de Brussel nous apprend que c’est à la distraction, à titre de douaire, de Dourdan, Pontoise, Meulan, etc. en faveur de la reine Marguerite, qu’il faut attribuer cette notable baisse qui se fit alors sentir dans le revenu total des prévôtés de France, dont le chiffre, s’élevant en 1265 à 64,000 livres parisis, était tombé en 1277 à 52,000 livres[21].

Philippe le Hardi, et après lui Philippe le Bel, cet actif et remuant monarque dont les voyages et les étapes forment une liste vraiment étonnante[22], trouvèrent dans Dourdan un commode rendez-vous de chasse, et les textes du temps témoignent du soin jaloux avec lequel était gardé ce lieu favori, si bien disposé pour le plaisir royal. En 1310, à peine mis en possession de Dourdan, comme nous le verrons ci-après, Louis d’Évreux, frère de Philippe le Bel, fut assiégé par les réclamations réitérées du « commun des bonnes gens de la ville de Dourdan, des paroisses de Sainct-Germain et Sainct-Père de ladite ville et de la chapelle de Saincte-Mesme : c’est à sçavoir prestres, religieux, clercs, nobles et bourgeois, » qui se plaignaient amèrement de ce que les bêtes de la garenne réservée de Dourdan « et la gent establie à garder icelles faisaient dans leurs héritages » de tels « dommages et griefs qu’ils ne pouvaient bonnement les soustenir sans laisser lesdits héritages et partir du pays. » Force fut à Louis, pour ne pas voir toute la contrée désertée, de supprimer la garenne et de donner, par acte authentique, à tous les habitants, moyennant certaine redevance en argent, le droit de chasser sur leurs terres les bêtes à pied clos qui s’étaient multipliées dans une proportion effrayante. La forêt de Dourdan, reliée elle-même à toutes les forêts voisines, se prêtait admirablement aux grandes chasses de la vénerie royale. Le pays abondait en gibier de toutes sortes : lièvres, renards et blaireaux se voyaient tout à l’entour, même au temps de de Lescornay, qui parle des chasses de Dourdan avec enthousiasme : « Les bois dit-il, fournissent quantité de cerfs, sangliers et chevreuils qui peuvent donner infinis passe-temps aussi bien que les loups qui se rencontrent souvent dans le pays. Mais le comble des plaisirs arrive quand ces grandes bestes se rembûchent dans des petits bois ou buissons qui sont au milieu de la Beaulce esloignez de la forest : pource qu’après avoir esté lancées, et qu’elles ont battu ces petits forts, elles sont contraintes de sortir et courir en plaine campagne, car lors on les voit avec toute la chasse, et les peut-on conduire de l’œil jusques à perte de veue sans aucun obstacle. Outre cecy la volerie y est très-belle, tant pour les hérons et canars que retiennent les estangs et la prairie, que pour les perdrix, corneilles et tous autres oyseaux qui y sont en quantité[23]. » Il a vu, ajoute-t-il, d’anciens comptes du domaine qui font mention des pains que devaient les habitants des Granges-le-Roy, tous les ans, à Noël, pour la nourriture des chiens de chasse, et aussi des gelines qu’ils devaient quand le roi venait à Dourdan pour la pâture des oiseaux de proie qui n’y étaient apportés qu’avec les rois. D’autres chapitres de ces anciens comptes ont trait à d’importantes recettes et dépenses de foins et d’avoines consommés sur les lieux par les chevaux de l’écurie du roi.

En consultant les anciennes tablettes de cire de Pierre de Condé, espèce d’agenda de l’intendance de la maison royale, nous avons rencontré aux comptes de l’écurie pour l’année 1284[24] mémoire de deux dépenses de cent livres faites à Dourdan, aux dates du 3 février et du 27 septembre.

Elles correspondent bien certainement à deux passages de Philippe le Hardi, dont elles nous donnent l’époque précise.

Si nous comparons ces dates avec la liste des étapes de ce prince, nous apprenons qu’il fit ces deux séjours à Dourdan, l’un en allant à Saint-Germain, l’autre en en revenant. C’est aussi la marche qu’avait suivie saint Louis, et que suivirent encore d’autres princes.

Nous nous garderons d’oublier ici un souvenir qui se rattache au règne de Philippe le Bel. Si nous consultons la liste des grands maîtres de l’artillerie de France, créés par ce prince bien avant l’invention du canon, pour remplacer les grands maîtres des arbalétriers, nous voyons figurer, comme le premier élu, en 1291, Guillaume de Dourdan[25].

Philippe le Bel avait un frère, Louis, comte d’Évreux, noble et vaillant prince, qui figure avec honneur dans plusieurs événements importants des annales de France, et s’était signalé en 1304 à la fameuse bataille de Mons-en-Puelle, gagnée par Philippe le Bel contre les Flamands, en sauvant la vie du roi, l’oriflamme et la victoire. Il fallait à ce premier prince du sang un état de maison digne de la couronne de France. Son père, en mourant, avait ordonné qu’un revenu de quinze mille livres tournois de rente lui fût affecté à lui et à tous ses descendants directs, et que ce revenu fût assis sur certaines portions du domaine royal qui deviendraient, comme apanage, la propriété de la branche cadette. Par lettres patentes datées de Poissy, avril 1307, Philippe fait savoir qu’il a depuis longtemps chargé deux chevaliers, personnages de confiance, Jean Choisel et Jean le Veneur, d’une minutieuse enquête sur la valeur et le produit des domaines qu’il destine à son frère, et que, suivant le fidèle rapport qui lui a été fait, il octroie à Louis les seigneuries d’Évreux, d’Aubigny, de Gien, de la Ferté-Alais, d’Étampes, de Dourdan et de Meulan, dont le revenu total égale quinze mille livres.

Cette prisée a pour nous un grand intérêt, parce qu’elle nous donne le détail et la consistance du domaine de la châtellenie de Dourdan à la fin du xiiie siècle et en fixe la valeur. Après Étampes, vient :

« La Préuosté de Dourdan, ez appartenances de laquelle il a :

C’est à sçauoir la coustume de toute la marchandise de la ville et mairie des Granches ;

Le moulin de Rescuel ;

Les menus cens de Dourdan et des Granches ;

Le tanxement des marchés partout les estalages de Dourdan ;

Les fours aux pottiers ;

Le sel et la basse justice de ladite préuosté ;

Auennes appartenans au chastel de Dourdan, à Sonchamp et Denise (Denisy) aux Granches-le-Roi, à Courbereuse, à Sainct-Ville, au Rouuille, à Maudestour, à Long-Villiers et à Morsanc : trente-cinq muids, dix septiers, trois minots, deux boisseaux ;

Les exploicts de soixante sols et de moins ;

La penne d’illec ;

La garenne de Dourdan en bois, ou vigne ou en chans ;

Les ventes de la forest et des bois de Dourdan et la paisson, sauf le droict et usage aux usagers ;

Le chastel de Dourdan en tel estat comme il est ;

Item dix fiefs et trente arrière-fiefs en ladite chastellenie ;

La haute justice d’illec.

Lesquelles choses dessus dites de ladite chastellenie de Dourdan, nous l’y asseons por le prix de : douze cens soixante livres dix sept sols unze deniers tournois.

De ce chet en despence vingt-cinq sols tournois pour la retenue du moulin de Dourdan ; demeure : douze cens cinquante-neuf livres douze sols unze deniers tournois.

Retenus à nous tout les juis de ladite chastellenie de Dourdan[26]. »

En cédant ainsi le château, la prévôté et la châtellenie de Dourdan avec leurs appartenances (castrum, præposituram et castellaniam de Dordano, cum earum pertinentiis), le roi se réservait tous les droits de suzeraineté (superioritatem, resortum et homagium ligium), tous les biens que possédaient les juifs au temps de leur expulsion du royaume, et la garde et la justice de toutes les églises et personnes ecclésiastiques ou privilégiées[27].

Nous sommes arrivés à l’heure où, avec le xiiie siècle, finit, pour Dourdan, la première période royale de son histoire. La couronne se dessaisit pour un temps de l’antique villa, que tant de souverains ont aimée.

De nobles princes, grands vassaux du trône, vont tour à tour se la transmettre ou se la disputer ; mais la royauté fera plus d’une fois valoir sur elle son droit souverain et finira par la revendiquer comme sienne. A travers des siècles agités, Dourdan ressentira le contrecoup de tous les malheurs de la France, de toutes les épreuves de la monarchie, mais ne manquera pas de retrouver, à l’heure des renaissances du pays et du trône, ses priviléges intacts et des jours prospères qui ne seront pas sans gloire.

  1. 2 vol. in-4o, Paris, 1727 ; tome II, Appendice, p. cxli.
  2. Anno Domini Mo CCo secundo.

    Præposituræ. De primo tertio (anni) mense novembri :

    Dordanum : De dimidio anno usque ad S. Remigium, L lib.

    Expensa :

    Fr. Haim. XXVI l. et debet XVII l. et viii s.

    Ballivia Hugonis de Gravella (bailli d’Etampes) :

    Dordanum (Exp.) Pro XL servientibus, VIxx et XIII l. et dimid.

    Pro avenis Dordani, XLI, l. et vii s.

    Anno Domini Mo CCo secundo, mense februario, apud templum :

    Dordanum (recept.) : De dimidio anno usque ad Martium, L lib.

    Et de compoto XXIIII l. ii s. minùs.

    (Exp.) : Canes et famuli qui custodierunt canes, IIII l. et x s. iv d.

    Item pro uno famulo qui custodivit canes, xxviii s.

    De duobus famulis custodientibus canes usque ad martium à S. Dionysio, VII l. ii s. minùs.

    Pionarii, L s.

    Robertus Gorri, L s.

    Summa, XVIII l. xxxii d. minùs.

    Fr. Haim., XLVI l. et viii d. Et quit.

    Hugonis de Gravella : (mense februario : ballivi.)

    (Recept.) : De bosco Durdani, IIIo et XII l. et dimid. de termino Natalis

    (Exp.) Fr. Haim., pro avenis Durdani, XLI l. et vii s.

    Anno Domini Mo CCo tertio, mense maio. Compot. Ballivorum : Hugonis de Gravella.

    Pro tallia Dordani, C l.

    Fr. Haim., pro tallia Dordani, IIII, xx et x l.

  3. Arch. de l’empire, k. 177, no 7. — Catal. de Léopold Delisle, no 131.
  4. Cartul. de Saint-Jean en Vallée, 19 vo, ms. lat., 5481, p. 166.
  5. Bibl. imp., fonds franç., no 9852, A. 31 vo.
  6. Bibl. imp., fonds franç., no 9852, 3 (Colbert), 201. Est-ce de Barthélémy Jorri, curé des Granges à cette époque ? — C’est l’origine du fief de l’Eschanson, sis à Dourdan.
  7. Trésor des Chartes, Chartres, II, 4, J. 172, Reg. 31, f. 61 bis, no 103.
  8. Pièce justificative II. — Bibl. impériale, fonds franc., no 9852, 3 (Colbert), f. 124 vo.
  9. Pièce justificative III, tirée du Trésor des Chartes, Chartres, II, 5, J. 172, reg. 31, fo 61 bis, no 101. — Citée par Teulet, I, no 1531.
  10. De Lescornay, p. 48.
  11. Arch. de l’empire, J. 189, 6.
  12. D. Bouquet, t. XXII, 574, DE. Comptes des prévôts et baillis pour l’année 1234. Mense junio, de termino Ascensionis. — Ces comptes n’ont pas été connus de Brussel.
  13. De Lescornay, p. 54.
  14. Pièce justificative IV. — Voir aussi le chapitre suivant.
  15. Voir Recueil de pièces sur les Moulineaux, publié par M. Moutié, p. 78.
  16. D. Bouquet, XXI, 417 c.
  17. Registre de saint Louis, p. 81, no 2, Bibl. impér., ms. 9653, 5, A. Les continuateurs de D. Bouquet ne savent pas si l’on doit lire Dordam ou Dordain ; c’est, dans tous les cas, la traduction française et le nom vulgaire de Dourdan à cette époque.
  18. De Lescornay, p. 62, et dans d’autres auteurs.
  19. Mss. Bibl. impér., fonds de Gaignières, no 558, 2.
  20. Ce que les continuateurs de D. Bouquet traduisent ainsi : Id est ad reginam dotalitii nomine pertinent. — D. Bouquet, XXII, 630 c.
  21. D. Bouquet, XXII, 765, note 7.
  22. XXIe tome de D. Bouquet.
  23. De Lescornay, p. 29.
  24. D. Bouquet, t. XXII, 458 a, 459 H. :

    « § 147. — Debet : Jovis in crastino candelosæ, apud Dordannum, Johannes Catus, c. l. per Marcellum. » (3 févr. 1284.)

    « § 158. — Debet : Mercurii ante sanctum Michaelem apud Dordannum, c. l. duo clerici, per Marcellum. » (27 sept. 1284.)

  25. On peut lire son nom inscrit en lettres d’or sur une plaque de chêne en tête du tableau des grands maîtres, au Musée d’artillerie, à Paris, dans la grande salle, à main gauche. — Mention de feu Guillaume Dourdan, piéça bailli de Longueville, dont les lettres sont rappelées dans une ordonnance de Charles VI sur des métiers, 21 janv. 1416 ; Ordon. des Rois de France, t. X, p. 390
  26. Copie des lettres pour parfournissement d’apanage octroyées en octobre 1298, conservée dans les papiers du domaine de Dourdan, aux Archives de l’empire, O, 20,436.
  27. Acte daté de Poissy, avril 1307. — De Lescornay, p. 70.