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Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8579

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Correspondance : année 1772GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 131-132).
8579. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
De Ferney, 13 juillet.

Êtes-vous, monseigneur, aussi étonné et aussi fâché que moi de voir tant de mensonges courir l’Europe, sous le nom de Mme de Pompadour[1], se faire lire et se faire croire ? Il n’y a pas une lettre d’elle, et cependant on ne sera détrompé de longtemps. Cela ressemble aux Mémoires de madame de Maintenon que La Beaumelle a débités, et qu’on regarde encore comme authentiques dans quelques pays étrangers. Comment peut-on avoir l’insolence d’outrager tant de personnes respectables pour gagner un peu d’argent ? Est-il possible que tant de gens de lettres soient coupables d’une telle infamie ? Nous avions besoin autrefois qu’on encourageât la littérature, et aujourd’hui il faut avouer que nous avons besoin qu’on la réprime.

Je suis si indigné contre les prétendues Lettres de madame de Pompadour que j’oublie dans ce moment ma grande passion pour la presse, et que je me souviens seulement que je suis citoyen.

Du moins une tragédie et un opéra-comique ne font point de mal. J’espère que les Lois de Minos, auxquelles j’ai beaucoup travaillé, mériteront la protection dont vous les honorez, et que cette pièce ne sera point écrite de ce style barbare et vandale qu’on s’est permis si longtemps.

Je parle ici au doyen de notre Académie, qui doit maintenir plus que personne la pureté de notre langue.

L’impératrice de Russie me demandait, il y a quelque temps, s’il y avait deux langues en France. Elle avouait qu’elle n’avait pu entendre ce style abominable qui a fait tant de fracas sur nos théâtres, à la honte de la nation.

J’ai supplié mon héros de me mander s’il pourrait faire donner Pandore, dont on dit que la musique est très-bonne. J’ai toujours[2] un très-joli sujet d’un opéra-comique ou d’un petit opéra galant qui pourrait fournir une fort jolie fête, et qui n’exigerait que très-peu de dépense. Ce dernier mérite plairait beaucoup à M. l’abbé Terray ; mais pourvu que je puisse plaire à mon héros, je ne demande rien à personne.

Je me flatte que Mme de Saint-Julien vous dira à Paris combien vous êtes révéré à Ferney : il faut bien que les dieux reçoivent l’encens des villages.

Recevez aussi, avec votre bonté ordinaire, les tendres respects de ce hibou des Alpes.

  1. On a vu dans la lettre 8576 que le duc de Richelieu était fort maltraité dans les Lettres de madame de Pompadour qu’on venait de publier ; voyez aussi la lettre 8573.
  2. Il en a déjà parlé dans la lettre 8558.