Aller au contenu

Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Chapelle

La bibliothèque libre.
Chape <
Index alphabétique - C
> Chapiteau
Index par tome

CHAPELLE, s. f. « Dans Plusieurs endroits on appelle les prêtres, dit Guillaume Durand[1], chapelains (capellani), car de toute antiquité les rois de France, lorsqu’ils allaient en guerre, portaient avec eux la chape (capam) du bienheureux saint Martin, que l’on gardait sous une tente qui, de cette chape, fut appelée chapelle (a capa, capella). Et les clercs à la garde desquels était confiée cette chapelle reçurent le nom de chapelains (capellani a capella) ; et par une conséquence nécessaire, ce nom se répandit, dans certains pays, d’eux à tous les prêtres. Il y en a même qui disent que de toute antiquité, dans les expéditions militaires, on faisait, dans le camp, de petites maisons de peaux de chèvre qu’on couvrait d’un toit, et dans lesquelles on célébrait la messe, et que de là a été tiré le nom de chapelle (a caprarum pellibus, capella). »

La première de ces deux étymologies est établie sur un fait. La petite cape que saint Martin revêtit après avoir donné sa tunique à un pauvre, était religieusement conservée dans l’oratoire de nos premiers rois, d’où cet oratoire prit le nom de capella. L’oratoire, depuis lors appelé chapelle, se trouvait compris dans l’enceinte du palais royal[2]. Le nom de chapelle fut, par extension, donné aux petites églises qui ne contenaient ni fonts baptismaux ni cimetières[3] ; aux oratoires dans lesquels on renfermait les trésors des églises, des monastères, des châteaux ou des villes[4], les chartes, les archives[5] des reliques considérables ; puis aux succursales, des paroisses, aux édicules annexés aux grandes églises cathédrales, conventuelles ou paroissiales, et contenant un autel, et même la cuve baptismale ; aux oratoires élevés dans l’enceinte des cimetières, sur un emplacement sanctifié par un miracle ou par la présence d’un saint.

Nous diviserons donc cet article 1o en chapelles (saintes) ; 2o chapelles ou oratoires de châteaux, d’évêchés ; 3o isolées, des morts, votives ; 4o annexes d’églises ; 5o chapelles faisant partie des églises, et renfermées dans leur périmètre.

Chapelles (saintes).

Dès les premiers siècles du christianisme, on avait élevé un grand nombre d’oratoires sur les emplacements témoins du martyre des saints. Ces oratoires se composaient le plus souvent d’une crypte avec petite église au-dessus. « Lorsque les saincts Denis, Rustic, et Eleuthère, souffrirent le martyre, dit Dubreul[6], une bonne dame chrétienne nommée Catulle, demeuroit en un village, que l’on surnommoit de son nom : laquelle ensevelit et enterra les corps des susnommés martyrs en une petite chapelle (au-bas de la butte Montmartre), jusques en laquelle (par grand mirâcle) sainct Denys avoit apporté sa teste entre ses bras, après que l’on la luy eust tranchée, laquelle (chapelle) fut rebastie du temps de saincte Geneviefve… Cette chapelle est double, sçavoir la plus petite qui est presque dans terre, et l’autre plus grande qui est érigée au dessus d’icelle. Mais au dessoubs de tout ce bastiment il y avoit encore une chapelle ou cave sousterraine, qui toutefois a demeurée incogneüe à nos pères jusques en l’an 1611… »

Cette disposition de chapelle double en hauteur demeure traditionnelle pendant les premiers siècles du moyen âge. Nous la voyons conservée encore dans la célèbre Sainte-Chapelle du Palais bâtie par saint Louis à Paris ; mais ce n’était pas avec l’intention de consacrer la chapelle inférieure au dépôt des reliques. Au contraire, à Paris, c’est dans la chapelle haute que la couronne d’épines, les morceaux de la vraie croix et les saintes reliques recueillies par Louis IX furent déposés ; la chapelle basse était réservée aux familiers du palais et au public ; elle servit aussi de sépulture aux chanoines. De toutes les chapelles palatines qui existaient en France, celle de Paris est aujourd’hui la plus complète et l’une des plus anciennes. Elle fut commencée en 1242 ou 1245 et terminée en 1247, sur l’emplacement de deux oratoires, l’un bâti en 1154 en l’honneur de Notre-Dame, l’autre bâti en 1160 sous le titre de Saint-Nicolas. Jérôme Morand[7] prétend que c’est pour rappeler ces deux fondations que la Sainte-Chapelle actuelle est double. Nous voyons là plutôt l’influence de traditions antérieures, comme nous l’avons dit, et surtout une nécessité commandée par la disposition même du palais. Ainsi, la chapelle haute communiquait de plein pied avec les salles du premier étage et les appartements royaux, tandis que la chapelle basse, au niveau du sol extérieur, pouvait être abandonnée au public.

De tous temps, cet édifice, dû au maître Pierre de Montereau, fut considéré avec raison comme un chef-d’œuvre. Le roi saint Louis n’épargna rien pour en faire le plus brillant joyau de la capitale de ses domaines ; et si une chose a lieu de nous étonner, c’est le peu de temps employé à sa construction. En prenant les dates les plus larges, on doit admettre que la Sainte-Chapelle fut fondée et complètement achevée dans l’espace de cinq ans ; huit cent mille livres tournois auraient été employées à sa construction, à sa décoration et à l’acquisition des précieuses reliques qu’elle renfermait. Si l’on observe avec une scrupuleuse attention les caractères archéologiques de la Sainte-Chapelle, on est forcé de reconnaître l’exactitude des dates historiques. Le mode de construction et l’ornementation appartiennent à cette minime fraction du XIIIe siècle. Pendant les règnes de Philippe-Auguste et de saint Louis, les progrès de l’architecture sont si rapides, qu’une période de cinq années y introduit des modifications sensibles ; or la plus grande unité règne dans l’édifice, de la base au sommet. Ce n’est plus la fermeté un peu rude des sommets de la façade de Notre-Dame de Paris (1230), et ce n’est pas encore, il s’en faut de beaucoup, la maigreur des deux extrémités des transsepts de la même église (1257).

Pierre de Montereau fut également chargé d’élever une chapelle dédiée à la Vierge, dans l’enceinte de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Cette chapelle avait été fondée, en 1245, par l’abbé Hugues ; or les fragments assez nombreux qui nous restent de cette construction[8] accusent une certaine recherche, un travail déjà maigre dans l’ornementation et les moulures, qui se rapproche de l’exécution du portail Saint-Étienne de Notre-Dame de Paris et s’éloigne de celle de la Sainte-Chapelle ; c’est qu’en effet la chapelle de la Vierge de Saint-Germain-des-Prés n’avait été achevée que sous l’abbé Thomas, mort en 1255. Il y avait donc cinq années de différence environ entre la construction de la Sainte-Chapelle du Palais et la chapelle de Saint-Germain-des-Prés ; cette différence se fait sentir dans le style des deux édifices ; donc, la sainte-Chapelle du Palais a dû être élevée en quatre ou cinq années au plus, puisqu’elle ne laisse pas voir, même dans ses parties supérieures, cette tendance à la recherche et à la maigreur. On nous pardonnera d’insister sur ce point ; nous désirons constater ainsi, une fois de plus, la rapidité avec laquelle les maîtres des œuvres construisaient leurs édifices au XIIIe siècle, lorsqu’ils n’étaient pas entravés par le manque de ressources, et détruire une opinion trop généralement accréditée, même parmi les personnes éclairées, savoir : que les édifices de cette époque n’ont pu être élevés qu’avec lenteur.

Lorsqu’on parcourt la Sainte-Chapelle du Palais, on ne peut concevoir comment ce travail, surprenant par la multiplicité et la variété des détails, la pureté d’exécution, la richesse de l’ornementation et la beauté des matériaux, a pu être achevé pendant un laps de temps aussi court. De la base au faîte, elle est entièrement bâtie en pierre dure de choix, liais cliquart ; chaque assise est cramponnée par des agrafes en fer, coulées en plomb ; les tailles et la pose sont exécutées avec une précision rare ; la sculpture en est composée et ciselée avec un soin particulier. Sur aucun point on ne peut constater ces négligences, résultat ordinaire de la précipitation ; et cependant, telle qu’elle est aujourd’hui, la Sainte-Chapelle du Palais est privée d’une annexe importante qui, à elle seule, était un monument : nous voulons parler du trésor des chartes accolé à son flanc nord, bâti et terminé en même temps qu’elle.

Nous donnons (1) le plan de la chapelle basse du Palais[9]. Un porche précède la porte principale ; un bas-côté étroit fait le tour du vaisseau. L’architecte a dû l’établir pour ne pas être contraint ou de trop élever le sommet de la voûte, ou de poser les naissances des arcs près du sol. Il était commandé par la hauteur des sols des appartements du premier étage, qui déjà existaient, et il tenait à placer le dallage de la chapelle haute de plain-pied avec ces appartements et galeries. Deux escaliers de service communiquent du rez-de-chaussée au premier étage et au comble. La chapelle basse est éclairée par des fenêtres occupant tout l’espace compris entre les formerets et l’appui décoré d’une arcature, de sorte que ces fenêtres affectent la forme de triangles dont deux côtés sont curvilignes ; elles sont admirablement composées pour la place (voy. Fenêtre), et étaient autrefois garnies de vitraux colorés ou en grisaille.


Cette chapelle laisse voir de nombreuses traces de peintures du XIIIe siècle[10], et, dans l’arcature, des médaillons enrichis d’incrustations de verre avec dorures d’une finesse rare, de gaufrures et de petites figures d’apôtres en bas-relief sculptées dans un stuc autrefois peint. Le dallage de cette chapelle est entièrement composé de pierres tombales. Au premier étage (fig. 2), un porche précède le vaisseau, comme au rez-de-chaussée. Avant 1793, au trumeau de la porte était adossée une statue du Christ bénissant et tenant l’Évangile. Au-dessus, dans le linteau, était sculpté un Jugement dernier, le Pèsement des âmes, et, dans le tympan, le Fils de l’Homme montrant ses plaies, ayant la sainte Vierge à sa droite, saint Jean à sa gauche, tous deux agenouillés comme à la porte centrale de la cathédrale de Paris. Toutes ces sculptures ont été complètement détruites. Le porche servait de communication, du côté du nord, avec les galeries du palais royal, et formait comme un vaste balcon couvert, de plain-pied avec l’église. Lorsqu’on entre dans la Sainte-Chapelle haute, ce qui frappe surtout, c’est l’extrême légèreté apparente de la construction. Au-dessus d’une arcature très-riche, s’ouvrent de grandes fenêtres qui occupent tout l’espace compris entre les contreforts sous les formerets des voûtes ; de sorte que la construction ne paraît consister qu’en légers faisceaux de colonnes portant ces voûtes. Les vitraux qui garnissent les fenêtres, à cause de leur puissante coloration, ne laissent pas voir les contreforts extérieurs qui constituent à eux seuls la solidité de l’édifice. L’arcature régnant sous les appuis des grandes fenêtres repose sur un banc continu, et présente, dans des quatre-feuilles, des scènes de martyres (voy. Arcature, fig. 8). Les statues des douze apôtres, portées sur des culs-de-lampe, sont adossées aux piliers. À l’abside, un édicule avec clôture fut élevé derrière l’autel après la mort de saint Louis, pour porter la grande châsse contenant les saintes reliques (voy. Autel, fig. 11 et 12). L’intérieur de la Sainte-Chapelle était entièrement couvert de riches peintures et de dorures avec incrustations de verres colorés et dorés. Mais les vitraux forment certainement la partie la plus brillante de cette décoration ; ils sont, comme couleur et composition, d’une grande beauté, quoique, dans l’exécution, on s’aperçoive de la précipitation avec laquelle ils durent être fabriqués.

Nous présentons (3) la coupe transversale de la Sainte-Chapelle du Palais, qui fera comprendre mieux qu’aucune description la construction simple et hardie en même temps de ce charmant édifice.

Le plan 2 indique en A l’annexe, le trésor des chartes, avec le passage B communiquant à la chapelle. Cet annexe était divisé en trois étages ; celui du rez-de-chaussée servait de sacristie à la chapelle basse ; celui du premier, de trésor et de sacristie à la chapelle haute ; et le dernier étage, auquel on arrivait par un escalier à vis, de dépôt des chartes. Une autre porte de service, percée dans l’arcature en C, mettait la galerie du nord longeant les premières travées en communication avec la chapelle haute. Sous les deux fenêtres D D, deux renfoncements d’un mètre environ de profondeur sur la largeur de la travée étaient les places d’honneur réservées au roi et à la reine. Mais Louis XI, qui probablement trouva ces places trop en évidence, fit bâtir en E un réduit entre les contreforts, dans lequel il se retirait pour entendre les offices ; une petite ouverture biaise et grillée lui permettait de voir l’autel sans être vu.

Sous Charles VII, des travaux importants vinrent modifier certaines parties de la Sainte-Chapelle. Ce prince fit refaire la rose en pierre et ses vitraux, les couronnements des deux escaliers et les crochets du grand pignon. Déjà, au XIVe siècle, on avait changé la décoration des pignons ou gâbles des fenêtres ; des crochets dans le goût de cette époque et des statues d’anges étaient venus remplacer les fleurons et les crochets du XIIIe siècle. Charles VII fit également exécuter la flèche en charpente recouverte de plomb qui surmontait le comble, ainsi que les crêtes et décorations de la toiture. Nous ne savons pas si la Sainte-Chapelle de saint Louis possédait une flèche ; aucune vignette antérieure au XVe siècle ne la représente, aucun texte n’en parle[11]. Le fait paraît douteux, car, contrairement aux habitudes des architectes du XIIIe siècle, rien, dans la construction en maçonnerie, n’indique que cette flèche ait dû être élevée. Peut-être quelque tour du palais, dans le voisinage de la Sainte-Chapelle, tenait-elle lieu de clocher, Louis XII, étant goutteux et ne pouvant monter à la Sainte-Chapelle par les escaliers du palais qu’il n’habitait pas, fit faire le long du flanc sud un vaste degré couvert par des voûtes et un comble. Ce degré était assez doux pour que des porteurs pussent monter sa litière jusque sous le porche. Les voûtes de cet escalier furent détruites par l’incendie de 1630[12], et remplacées par un appentis en charpente.

À l’imitation du roi de France, les grands vassaux de la couronne se firent bâtir, dans leur résidence habituelle, une sainte chapelle, et le roi lui-même en éleva quelques autres. Celle du château de Saint-Germain-en-Laye est même antérieure de quelques années à celle du Palais ; son achèvement ne saurait être postérieur à 1240. Ce très-curieux monument, fort peu connu, engagé aujourd’hui au milieu des constructions de François Ier et de Louis XIV, est assez complet cependant pour que l’on puisse se rendre un compte exact, non-seulement de ses dimensions, mais aussi de sa coupe, de ses élévations latérales et des détails de sa construction et décoration. La sainte chapelle de Saint-Germain-en-Laye a cela de particulier qu’elle n’appartient pas au style ogival du domaine royal, mais qu’elle est un dérivé des écoles champenoise et bourguignonne.

Nous en donnons (4) le plan[13]. Conformément aux constructions champenoises et bourguignonnes, les voûtes portent sur des piles saillantes à l’intérieur, laissant au-dessus du soubassement une circulation. La coupe transversale (5), faite sur le milieu d’une travée, explique la disposition principale de cet édifice.
Les formerets A des voûtes, au lieu de servir d’archivoltes aux fenêtres, sont isolés, laissent entre eux et les baies un espace B couvert par le chéneau. Les fenêtres sont alors prises sous la corniche et mettent à jour tout l’espace compris entre les contreforts. Si nous examinons la coupe longitudinale (6), faite sur une travée, et (6 bis), faite sur la pile intérieure en B C (voy. fig. 5), nous pourrons nous rendre un compte exact du système de construction adopté. Les fenêtres n’étant plus circonscrites par les formerets sont carrées ; les tympans, étant ajourés et faisant partie des meneaux, ne laissent comme pleins visibles que les contreforts. À l’extérieur, chaque travée est conforme à la fig. 6 ter ; le monument tout entier ne consiste donc qu’en un soubassement, des contreforts et une claire-voie fort belle et combinée d’une manière solide ; car les contreforts (très-minces) sont étrésillonnés par ces puissants meneaux portant l’extrémité de la corniche supérieure et le chéneau. Ces meneaux ne sont réellement que de grands châssis vitrés posés entre des piles et les maintenant dans leurs plans.

Le système de la construction ogivale admis, nous devons avouer que le parti de construction adopté à la sainte chapelle de Saint-Germain nous semble supérieur à celui de la Sainte-Chapelle de Paris, en ce qu’il est plus franc et plus en rapport avec l’échelle du monument. La richesse de l’architecture de la Sainte-Chapelle de Paris, le luxe de la sculpture ne sauraient faire disparaître des défauts graves évités à Saint-Germain. Ainsi, à Paris, les contreforts, entièrement reportés à l’extérieur, gênent la vue par leur saillie ; ils sont trop rapprochés ; la partie supérieure des fenêtres est quelque peu lourde et encombrée de détails ; les gâbles qui les surmontent sont une superfétation inutile, un de ces moyens de décoration qui ne sont pas motivés par le besoin. Si l’effet produit par les verrières entre des piles minces et peu saillantes à l’intérieur est surprenant, il ne laisse pas d’inquiéter l’œil par une excessive légèreté apparente. À Saint-Germain, on comprend comment les voûtes sont maintenues par ces piles qui se prononcent à l’intérieur. Les meneaux ne sont qu’un accessoire, qu’un châssis vitré indépendant de la grosse construction. Ce petit passage champenois ménagé au-dessus de l’arcature inférieure, en reculant les fenêtres, donne de l’air et de l’espace au vaisseau ; il rompt les lignes verticales dont, à la Sainte-Chapelle de Paris, on a peut-être abusé. Les fenêtres elles-mêmes, au lieu d’être relativement étroites comme à Paris, sont larges ; leurs meneaux sont tracés de main de maître, et rappellent les beaux compartiments des meilleures fenêtres de la cathédrale de Reims. Les fenêtres de la Sainte-Chapelle de Paris ont un défaut, qui paraîtrait bien davantage si elles n’éblouissaient pas par l’éclat des vitraux, c’est que les colonnettes des meneaux sont démesurément longues et que les entrelacs supérieurs ne commencent qu’à partir de la naissance des ogives (voy. Fenêtre). Cela donne à ces fenêtres une apparence grêle et pauvre que l’architecte a voulu dissimuler à l’extérieur, où les vitraux ne produisent aucune illusion, par ces détails d’archivoltes et ces gâbles dont nous parlions tout à l’heure. À la chapelle de Saint-Germain, aucun détail superflu : c’est la construction seule qui fait toute la décoration ; et sans vouloir faire tort à Pierre de Montereau, on peut dire que si l’architecte (champenois probablement) de la chapelle de Saint-Germain eût eu à sa disposition les trésors employés à la construction de celle de Paris, il eût fait un monument supérieur, comme composition, à celui que nous admirons dans la Cité. Il a su (chose rare) conformer son architecture à l’échelle de son monument, et, disposant de ressources modiques, lui donner toute l’ampleur d’un grand édifice. À la Sainte-Chapelle de Paris, on trouve des tâtonnements, des recherches qui occupent l’esprit plutôt qu’elles ne charment. À Saint-Germain, tout est clair, se comprend au premier coup d’œil. Le maître de cette œuvre était sûr de son art ; c’était en même temps un homme de goût et un savant de premier ordre[14]. L’intérieur de ce monument était peint et les fenêtres garnies probablement de vitraux. Inutile de dire que leur effet devait être prodigieux à cause des larges surfaces qu’ils occupaient. Rien n’indique qu’une flèche surmontât cette chapelle. On ne voit point non plus que des places spéciales aient été réservées dans la nef, comme à la Sainte-Chapelle du Palais, pour des personnages considérables. Il faut dire que la chapelle de Saint-Germain-en-Laye n’était que le vaste oratoire d’un château de médiocre importance. Tous les détails de ce charmant édifice sont traités avec grand soin ; la sculpture en est belle et entièrement due à l’école champenoise, ainsi que les profils.

De riches abbayes voulurent aussi rivaliser avec le souverain en élevant de grands oratoires indépendants de leur église. Nous avons dit que les abbés de Saint-Germain-des-Prés chargèrent l’architecte Pierre de Montereau de leur bâtir la chapelle de la sainte Vierge près de leur réfectoire (voy. Architecture Monastique, fig. 15). Les abbés étaient seigneurs féodaux, et, comme tels, voulaient imiter ce que faisait le suzerain dans ses domaines ; beaucoup d’abbayes virent donc, vers le milieu du XIIIe siècle, élever, dans leur enceinte, de grandes chapelles isolées, dont la construction n’était pas toujours justifiée par un besoin urgent. Le prieuré de Saint-Martin-des-Champs à Paris bâtit aussi, vers cette époque, deux grandes chapelles, l’une dédiée à Notre-Dame, l’autre à saint Michel.

Voici (7) le plan de la chapelle de la Vierge de l’abbaye Saint-Germain-des-Prés[15], qui se distingue surtout de celui de la Sainte-Chapelle du Palais par la disposition de ses voûtes, dont les arcs ogives, s’il faut en croire un dessin de M. Alexandre Lenoir relevé avant la destruction de ce beau monument, comprenaient deux travées, et dont l’abside était plantée d’une façon peu conforme aux habitudes des constructeurs du milieu du XIIIe siècle. Mais Pierre de Montereau avait certainement, dans la construction de la chapelle de la Vierge, été forcé de se renfermer dans une dépense assez peu élevée, relativement à la dimension donnée à l’édifice. Ce genre de voûtes est moins dispendieux que celui adopté pour la Sainte-Chapelle du Palais, et les fragments des couronnements qui existent encore accusent une exécution peu dispendieuse. L’abbaye Saint-Germain-des-Prés n’avait pas, telle riche qu’elle fût, les ressources du roi de France. À ce point de vue, la comparaison de ces deux édifices, élevés presque en même temps par le même architecte, est intéressante.

Mais saint Louis ne fut pas le seul roi de France qui éleva des saintes chapelles. Le vaste château de Vincennes, commencé par le roi Jean, était achevé, au point de vue militaire, sous Charles V. Son fils commença, sur de grandes proportions, la construction d’une sainte chapelle, au milieu de son enceinte. Charles VI éleva le bâtiment vers l’abside jusqu’aux corniches supérieures, dans la nef jusqu’aux naissances des archivoltes des fenêtres, et sur la façade jusqu’au-dessous de la rose. Les malheurs de la fin de ce règne ne permirent pas de continuer l’édifice, qui resta en souffrance pendant un siècle. François Ier reprit les constructions vers 1525, elles ne furent achevées que sous Henri II. Les deux sacraires et le trésor à deux étages annexés à la chapelle étaient terminés à la fin du XIVe siècle ou au commencement du XVe. Deux époques bien distinctes ont donc concouru à l’édification de la sainte chapelle de Vincennes, et cependant, au premier abord, ce monument présente une grande unité. Les architectes de la renaissance chargés de l’achever ont, autant qu’il était possible à cette époque, cherché à conserver l’ordonnance de l’ensemble, le caractère des détails. Il faut examiner la sculpture, reconnaître les dégradations causées aux parties supérieures des constructions laissées inachevées pendant un siècle, par les pluies et la gelée, pour trouver les points de soudure des deux époques.

La fig. 8 donne le plan de la sainte chapelle de Vincennes[16], avec ses annexes. Ce sont d’abord deux oratoires à double étage ayant vue sur le sanctuaire par deux petites ouvertures biaises. À la suite, à droite, un escalier conduisant à l’étage supérieur de l’oratoire, aux terrasses et aux combles. À gauche, la sacristie avec son trésor, également à deux étages, le trésor ayant, comme à la Sainte-Chapelle du Palais, la forme, en plan et en élévation, d’une petite chapelle. Un escalier particulier conduit au premier étage du trésor et au comble.

Il est vraisemblable que l’oratoire construit par Louis XI entre deux des contreforts de la Sainte-Chapelle de Paris, pendant la seconde moitié du XVe siècle, est une imitation de ceux de la sainte chapelle, de Vincennes, cette disposition ayant paru plus commode que celle adoptée par saint Louis, et ne consistant qu’en deux renfoncements dans l’épaisseur de la muraille (voy. fig. 2, en D). Le roi, la reine se trouvaient ainsi séparés des assistants, et voyaient le prêtre à l’autel sans être vus.

À Vincennes, une tribune large est portée par une voûte au-dessus de l’entrée ; elle occupe toute la première travée. À Paris, cette tribune n’est qu’une simple galerie d’un mètre de largeur tout au plus. Les statues des apôtres et de quatre anges, derrière l’autel, étaient, à Vincennes comme à Paris, adossées aux piliers, à la hauteur de l’appui des fenêtres, supportées par des culs-de-lampe et surmontées de dais[17]. Les murs d’appui sous les meneaux n’étaient point décorés d’arcatures à Vincennes, mais probablement garnis autrefois de bancs en bois avec des tapisseries. Les fenêtres de l’abside ont seules conservé leurs vitraux, qui sont peints, au XVIe siècle, par Jean Cousin et représentent le Jugement dernier. Parmi les vitraux de la renaissance, ceux-ci peuvent prendre le premier rang ; ils sont bien composés et d’une belle exécution. Le comble de la sainte chapelle de Vincennes, construit en bois de chêne, est combiné avec une grande perfection ; il ne fut jamais surmonté que d’une flèche fort petite et simple, qui n’existe plus.

Voici (9) la coupe transversale de la sainte chapelle de Vincennes ; si elle couvre une superficie plus grande que celle de Paris, elle est loin de présenter en coupe une proportion aussi heureuse. Sous clef, la Sainte-Chapelle du Palais a un peu plus de deux fois sa largeur, tandis que celle de Vincennes n’a, du sommet de la voûte au pavé, que les neuf cinquièmes de sa largeur. À ce sujet, qu’il nous soit permis de faire remarquer combien on se laisse entraîner à propager les erreurs les plus faciles à constater cependant, lorsqu’on parle des édifices de l’époque ogivale. On veut toujours que ces édifices affectent des proportions élancées, et qu’ils aient des hauteurs exagérées relativement à leur base ; d’une part, on loue les architectes de ces temps d’avoir ainsi accumulé des matériaux sur une base étroite ; d’autre part, on les blâme. Or ces monuments ne méritent ni cette louange ni ce blâme ; les rapports de leur hauteur avec leur largeur sont ceux que, de tous temps, on a donnés aux édifices voûtés : une fois et demie, deux fois la largeur. S’ils adoptent des proportions plus sveltes, c’est pour prendre des jours au-dessus des collatéraux, lorsqu’ils en possèdent. Ce dont il faut louer ou blâmer les architectes du moyen âge, suivant les goûts de chacun, c’est d’avoir eu le mérite ou le tort de faire paraître les intérieurs de leurs édifices beaucoup plus élevés qu’ils ne le sont réellement.

Chapelles de chateaux, d’évêchés.

Chaque seigneur féodal voulait posséder, dans l’enceinte de son château, une chapelle, desservie par un chapelain ou même par un chapitre tout entier. Ces chapelles ne furent donc pas seulement de simples oratoires englobés dans l’ensemble des constructions, mais de petits monuments presque toujours isolés, ayant leurs dépendances particulières, ou se reliant aux bâtiments d’habitation par une galerie, un porche, un passage. Très-fréquemment, ces chapelles sont à double étage, afin de placer l’oratoire du maître au niveau des appartements qui se trouvaient toujours au-dessus du rez-de-chaussée, de séparer le seigneur et sa famille des domestiques et gens à gages qui habitaient l’enceinte du château, et aussi par suite de cette tradition dont nous avons parlé au commencement de cet article. Il va sans dire que les évêques, dans l’enceinte du palais épiscopal, avaient leur chapelle. L’évêque Maurice de Sully en avait élevé une à Paris, à deux étages, du côté de la rivière, et qui existait encore avant le sac de l’archevêché en 1831. L’archevêché de Reims possède la sienne, qui est fort belle, à deux étages, et dont la construction remonte à 1230 environ.
Son rez-de-chaussée, dont nous donnons le plan (10), est construit avec une grande simplicité, tandis que le premier étage est richement décoré à l’intérieur par de fines sculptures. La fig. 11 présente le plan de ce premier étage. Suivant le mode de construction adopté en Champagne, les piles forment saillie à l’intérieur, de façon à diminuer à l’extérieur la saillie des contre-forts ; ces piles, isolées de la muraille jusqu’à quatre mètres du sol, donnent un étroit bas-côté autour de la chapelle et produisent un charmant effet. Les murs sont décorés par une arcature posée sur un banc continu, et les fenêtres ouvertes au-dessus de cette arcature sont sans meneaux.
Voici (12) la coupe de ce petit édifice, d’une bonne exécution, et qui, malgré les plus regrettables mutilations, passe avec raison pour un chef-d’œuvre ; on y trouve, en effet, toutes les qualités à la fois gracieuses et solides de la bonne architecture champenoise, et, à côté de Notre-Dame de Reims, la chapelle de l’archevêché paraît encore une des meilleures conceptions du XIIIe siècle.

Pendant l’époque romane, les chapelles de châteaux ou d’évêchés sont généralement d’une grande simplicité, comprenant une nef courte avec une abside ; quelquefois de petits bras de croix formant deux réduits pour le châtelain et sa famille, des bas-côtés étroits accompagnent la nef, et deux absidioles flanquent l’abside centrale. Telle était la chapelle du château de Montargis (voy. Château).

Certains châteaux d’une grande importance possédaient deux chapelles ; l’une située dans la basse-cour pour les gens de service et la garnison, l’autre au milieu des bâtiments d’habitation intérieurs pour le seigneur du lieu. Cette disposition existait à Coucy, ainsi que le fait voir le plan de Ducerceau[18]. La chapelle de la basse-cour paraît être de l’époque romane ; celle du château, dont le rez-de-chaussée est encore visible, datait du commencement du XIIIe siècle ; elle communiquait directement, au premier étage, avec la grande salle ; c’était un admirable édifice, à en juger par les nombreux fragments qui jonchent le sol autour des piles ruinées du rez-de-chaussée, quoique d’une simplicité de plan peu ordinaire (voy. Château).

À dater du milieu du XIIIe siècle, la construction de la Sainte-Chapelle du Palais eut une influence sur les chapelles seigneuriales, et son plan servit de type. À l’exemple du saint roi, les fondateurs de chapelles seigneuriales les décoraient de la façon la plus somptueuse, et augmentaient leurs trésors de vases et d’ornements précieux. L’hôtel Saint-Pol, à Paris, qui devint une des résidences les plus habituelles des rois pendant les XIVe et XVe siècles, possédait une chapelle « dans laquelle Charles V avoit fait placer des figures de pierre représentant les apôtres, dit Sauval ; Charles VI les fit peindre richement par François d’Orliens, le plus célèbre peintre de ce temps-là ; leurs robes et leurs manteaux étoient rehaussés d’or, d’azur et de vermillon glacé de fin sinople ; leurs têtes, accompagnées d’un diadème (nimbe) rond de bois, que l’on avait oublié, qui portoit un pied de circonférence, brilloient encore d’or, de vert, de rouge et de blanc, le plus fin qui se trouvât… Au Louvre, Charles V entoura encore la principale chapelle de treize grands prophètes, qui tenoient chacun un rouleau dans un petit clocher de menuiserie terminé d’une tourelle, où il fit mettre une petite cloche : les vitres furent peintes d’images de saints et de saintes couronnées d’un dais, et assises dans un tabernacle. »

Les oratoires tenant aux chapelles royales, comme ceux encore existant à Vincennes, contenaient eux-mêmes des reliques, et étaient munis d’une cheminée, de tapis et de prie-Dieu.

La chapelle de l’hôtel de Bourbon était une des plus riches parmi celles des résidences princières à Paris. « Louis II (duc de Bourbon), dit encore Sauval, comme prince dévot et libéral, prit un soin tout particulier du bâtiment de la chapelle, aussi bien que de ses ornemens : sa voûte rehaussée d’or, les enrichissements dont elle est couverte, ses croisées qui l’environnent coupées si délicatement, ses vitres chargées de couleurs si vives, dont elle est éclairée ; enfin les fleurs de lis de pierre qui terminent chacune de ses croisées, et si bien pensées pour la chapelle d’un prince du sang, témoignent assés qu’il ne plaignoit pas la dépense… Il fit faire à côté gauche de l’autel un oratoire de menuiserie à claire-voie où il arbora quatre grands écussons ; dans le premier étoient gravées les armes de Charles VI à cause que cette chapelle fut achevée sous son règne ; celles de Charles, dauphin, remplissoient le second ; dans le troisième étoient les siennes ; et dans le dernier celles d’Anne, dauphine d’Auvergne, sa femme. C’est dans cet oratoire que le roi se retire ordinairement pour entendre la messe. »

Ce n’est pas seulement à Paris qu’on déployait ce luxe de peinture et de sculpture dans les chapelles particulières. Le château de Marcouci, dit l’abbé Lebeuf, « possédait deux chapelles l’une sur l’autre, peintes toutes deux ; celle du rez-de-chaussée étoit dédiée à la sainte Trinité, l’autre étoit au niveau du premier étage… À la voûte sont peints les apôtres, chacun avec un article du symbole, et des anges qui tiennent chacun une antienne de la Trinité notée en plein-chant. Sur les murs sont les armes de Jean de Montaigu et celles de Jacqueline de la Grange, sa femme ; il y a aussi des aigles éployées et des feuilles de courge… »

On peut encore voir aujourd’hui la charmante chapelle de l’hôtel de Jacques Cœur, à Bourges, dont les voûtes sont peintes d’azur avec des anges vêtus de blanc portant des phylactères, comme ceux du château de Marcouci. Mais nous ne multiplierons pas les citations ; il suffit de celles-ci pour donner une idée de la recherche que l’on apportait dans la décoration des chapelles privées pendant le moyen-âge.

Vers la fin du XVe et le commencement du XVIe seulement, on s’écarta parfois du plan type de la Sainte-Chapelle de Paris, pour adopter les plans à croix grecque[19], les rotondes avec croisillons[20], les salles carrées[21] avec tribune pour le seigneur du lieu.

Chapelles isolées, des morts, votives.

Beaucoup de nos grandes églises conventuelles ne furent d’abord que des oratoires, successivement agrandis par la munificence des rois ou de puissants seigneurs. Le sol des Gaules, pendant les premiers temps mérovingiens, étaient couverts d’oratoires bâtis souvent à la hâte, pour perpétuer le souvenir d’un miracle et la présence d’un saint. Ces édicules furent le centre autour duquel vinrent se fonder les premiers établissements monastiques. Plus tard, des évêques, des abbés ou des seigneurs fondèrent des chapelles autour de ces abbayes, dans le voisinage des églises, soit pour remplir un vœu, soit pour y trouver un lieu de sépulture pour eux et leurs successeurs. Saint Germain fit bâtir, près le portail de l’église Saint-Vincent (Saint-Germain-des-Prés), une chapelle en l’honneur de Saint Symphorien, et voulut y être enterré[22]. En 754, sous le règne de Pépin, les restes de ce saint évêque furent transférés de cette chapelle dans la grande église.

Le cardinal Pierre Bertrand fonda plusieurs chapelles, et, entre autres, une, vers 1300, au couvent des Cordeliers, à Annonay, où fut enterrée sa mère[23]. Philippe de Maisières, conseiller du roi Charles V, se retire aux Célestins en 1380, sans toutefois prendre l’habit ; il y mourut en 1405, dans « la même infirmerie qu’il avoit fait bastir à ses propres cousts et déspens, avec une belle chapelle et un petit cloître pour recréer les malades[24]. » Les maisons d’asile, les maladreries, les collèges et hôtels-Dieu possédaient des chapelles plus ou moins vastes, mais toutes fort riches des dons des fidèles et, par conséquent, décorées avec luxe et remplies d’ornements précieux. Des oratoires plus modestes, et qui n’étaient souvent qu’une petite salle couverte d’un comble en charpente ou d’une voûte en moellons surmontée d’un campanile ou seulement d’un pignon percé d’une baie pour recevoir une cloche, s’élevaient près d’un ermitage ou dans les passages difficiles des montagnes, sur quelque sommet escarpé. Ces monuments isolés consacrés par quelque tradition religieuse, ou élevés par suite d’un vœu, étaient et sont encore, dans certaines provinces de France, en grande vénération ; on s’y rendait, processionnellement, un jour de l’année, pour y entendre la messe ; l’assistance se tenait dans la campagne, autour du monument, et la porte ouverte laissait voir le prêtre à l’autel. Ces chapelles sont souvent bâties sur des plans assez étranges, imposés soit par les dispositions du terrain, comme la chapelle de Saint-Michel du Puy-en-Velay, par exemple, soit par un souvenir, une tradition, la présence d’un tombeau, les traces de quelque miracle, peut-être même les restes d’un réticule antique. Il serait donc difficile de classer ces monuments qui, la plupart d’ailleurs, n’ont aucun caractère architectonique.

Nous devons cependant faire connaître à nos lecteurs quelques-unes de ces étrangetés monumentales, et nous choisirons, parmi elles, les exemples présentant des formes qui permettent de leur donner une date à peu près certaine, ou qui sortent des données ordinaires.

La chapelle de Planès, dans le Roussillon, située à six kilomètres de Mont-Louis, peut passer pour un de ces caprices de construction que l’on rencontre en recueillant ces monuments élevés au milieu des déserts. Elle se compose d’une coupole portée sur une base triangulaire et sur trois grandes niches ou culs-de-four. Construite grossièrement en moellons, il serait assez difficile de lui assigner une date précise. Cependant le système de la bâtisse et la forme du plan ne nous permettent pas de la regarder comme antérieure au XIIIe siècle.

Voici le plan (13) de cet édicule. La porte est percée en A près de l’un des angles du triangle équilatéral.
La fig. 14 présente sa vue extérieure, et la fig. 15 sa coupe sur la ligne B C.
À moins de supposer que la chapelle de Planès ait été élevée en l’honneur de la sainte Trinité, nous ne saurions expliquer la disposition trilobée du plan. Quoi qu’il en soit, nous ne donnons cet exemple que comme une de ces exceptions dont nous avons parlé.

Il existe, dans l’enceinte de l’abbaye de Montmajour près Arles, une chapelle élevée sous le titre de la Sainte-Croix, et qui mérite toute l’attention des architectes et archéologues. C’est un édifice composé de quatre culs-de-four égaux en diamètre, dont les arcs portent une coupole à base carrée ; un porche précède l’une des niches qui sert d’entrée. En voici (16) le plan.

L’intérieur n’est éclairé que par trois petites fenêtres percées d’un seul côté. La porte A donne entrée dans un petit cimetière clos de murs. La chapelle de Sainte-Croix de Montmajour est bien bâtie en pierres de taille, et son ornementation, très-sobre, exécutée avec une extrême délicatesse, rappelle la sculpture des églises grecques des environs d’Athènes. Sur le sommet de la coupole s’élève un campanile. La fig. 17 présente l’élévation extérieure de cette chapelle, et la fig. 18 sa coupe sur la ligne B C.
L’intérieur est complétement dépourvu de sculpture, et devait probablement être décoré par des peintures. Nous voyons, dans cet édifice, une de ces chapelles des morts que l’on élevait, pendant le moyen âge, au milieu ou proche des cimetières, non point une église pouvant être utilisée pour le service journalier d’une communauté, même provisoirement, ainsi que le suppose M. Vitet[25]. Sa forme ni ses dimensions n’eussent pu permettre de réunir, dans son enceinte, les moines d’une abbaye comme celle de Montmajour, et de disposer les religieux d’une façon convenable près de l’autel. Pourquoi, d’ailleurs, adopter un plan en forme de croix grecque pour une église destinée aux religieux d’une abbaye qui doivent être placés dans un chœur suivant un ordre hiérarchique et sur deux lignes parallèles ? Pourquoi cette absence presque totale de fenêtres ? Pourquoi cette porte latérale donnant sur un petit terrain clos de murs et complétement rempli de tombes creusées dans le roc, si l’on ne veut voir dans l’église Sainte-Croix de Montmajour la chapelle funéraire de l’abbaye ? Si, au contraire, nous admettons cette hypothèse, sa forme, ses dispositions et sa dimension sont parfaitement expliquées. Les moines apportent le mort, processionnellement ; on le dépose sous le porche ; les frères restent en dehors. La messe dite, on bénit le corps et on le transporte à travers la chapelle, en le faisant passer par la porte latérale A pour le déposer dans la fosse. On traverse la chapelle pour entrer dans le cimetière, qui cependant avait une porte extérieure. Les seules fenêtres qui éclairent cette chapelle s’ouvrent toutes trois sur l’enclos servant de champ de repos. La nuit, une lampe brûlait au centre du monument, et, conformément à l’usage admis dans les premiers siècles du moyen âge, ces trois fenêtres projetaient la lueur de la lampe dans le charnier. Pendant l’office des morts, un frère sonnait la cloche suspendue dans le clocher au moyen d’une corde passant par un œil, réservé, à cet effet, au centre de la coupole. La chapelle Sainte-Croix de Montmajour fut bâtie en 1019[26]. Ce n’était pas seulement dans le voisinage des cimetières particuliers, des établissements religieux que l’on élevait des chapelles des morts. Tous les charniers placés au milieu des villes ou près des églises possédaient un oratoire ; quelquefois même cet oratoire n’était qu’une sorte de dais ou de pyramide en pierre portée sur des colonnes, laissant des ajours entre elles, de manière à permettre à l’assistance de voir le prêtre qui, le jour des Morts, disait la messe et donnait ainsi la bénédiction en plein air, Il existe encore une très-jolie chapelle de ce genre à Avioth (Meuse), qui date du XVe siècle.
Nous en donnons le plan (19), la coupe (20) et la vue perspective (21)[27]. Cette chapelle est placée près de la porte d’entrée du cimetière ; elle s’élève sur une plate-forme élevée d’un mètre environ au-dessus du sol ; l’autel est enclavé dans la niche A, fig. 19 et 20 ; à côté est une petite piscine. Au milieu de la chapelle est placé un tronc en pierre B, d’une grande dimension, pour recevoir les dons que les assistants s’empressaient d’apporter pour le repos des âmes du purgatoire. La messe dite, le prêtre sortait de la chapelle, s’avançait sur la plate-forme pour exhorter les fidèles à prier pour les morts, et donnait la bénédiction. On remarquera que cette chapelle est adroitement construite pour laisser voir l’officiant à la foule et pour l’abriter autant que possible du vent et de la pluie. Au-dessus des colonnes courtes, qui, avec leur base et chapiteau n’ont plus de deux mètres de haut, est posée une claire-voie ; sorte de balustrade qui porte des fenêtres vitrées. Il est à croire que du sommet de la voûte pendait un fanal allumé la nuit, suivant l’usage ; la partie supérieure de la chapelle devenait ainsi une grande lanterne (voy. Lanterne des morts).

On trouve encore, dans quelques cimetières de Bretagne, de ces chapelles ou abris pour dire la messe le jour des Morts.

Le petit monument, composé d’un mur d’appui avec un comble en pavillon élevé sur quatre colonnes, que l’on voyait encore, à la fin du siècle dernier, dans l’enceinte du charnier des Innocents à Paris, et qui se trouve reproduit dans la Statistique monumentale de M. Alb. Lenoir, sous le nom de Préchoir, n’est autre chose qu’une de ces chapelles des morts destinées à abriter le prêtre, le jour de la fête des Morts, pendant la messe et la bénédiction[28].

Chapelles annexes des grandes églises.

Jusqu’au XIIIe siècle, les églises les plus importantes ne possédaient qu’un petit nombre de chapelles ; les cathédrales elles-mêmes en étaient souvent dépourvues (voy. Cathédrale, Église).

Lorsqu’au XIIIe siècle il se fut établi des modifications importantes dans les habitudes du clergé, que l’on sentit la nécessité de multiplier les offices pour se conformer aux désirs des fidèles, qui ne pouvaient tous, à une même heure, assister au service divin, ou pour satisfaire les corps privilégiés qui voulaient avoir leur chapelle, leur église particulière, on bâtit des chapelles plus ou moins vastes sur les flancs ou à l’abside des grandes églises, dans leur voisinage, et en communication avec elles. Les églises conventuelles avaient un chœur fermé par des stalles et des jubés ; l’assistance ne pouvait que difficilement voir les offices. Les monastères bâtirent donc des chapelles où les religieux ordinés pouvaient dire les offices pour les fidèles en dehors du chœur clôturé. Quelquefois aussi, des chapelles anciennes, en grande vénération, furent laissées près des églises nouvelles. C’est ainsi que les religieux de Saint-Bénigne de Dijon conservèrent la curieuse rotonde qui renfermait les reliques de ce saint en reconstruisant leur nouveau chœur (voy. Sépulcre (saint), et qu’une chapelle à deux étages, qui date du Xe siècle, fut laissée debout, à la fin du XIIe siècle, par les religieux qui rebâtirent l’église de Neuwiller (Bas Rhin).

Cette chapelle, dont nous donnons le plan (22), était placée sous le vocable du fondateur, saint Adelphe, et présente une disposition des plus curieuses. C’est une petite basilique, à deux étages, dont le rez-de-chaussée est voûté et le premier étage couvert par une charpente apparente. Ce premier étage est presque de plain-pied avec le sanctuaire de la grande église, tandis que le rez-de-chaussée est, relativement au sol du chœur de l’église, une véritable crypte.


Nous en présentons (23) la coupe transversale[29].

Vers la fin du XIIIe siècle, on éleva, derrière l’abside de la grande église abbatiale de Saint-Germer (près Gournay), une grande chapelle copiée sur la Sainte-Chapelle haute de Paris, et communiquant avec le sanctuaire de l’église au moyen d’une charmante galerie, Ce monument, exécuté avec un grand soin, était décoré de vitraux en grisailles et de peintures ; son autel portait le beau retable en pierre peinte qui est aujourd’hui déposé dans le musée de Cluny à Paris, et qui est un des chefs-d’œuvre de la statuaire de cette époque[30].

La cathédrale de Mantes, bâtie à la fin du XIIe siècle, ne posséda aucune chapelle jusqu’au XIVe ; à cette époque, on éleva contre le bas-côté sud du chœur une belle chapelle, composée de quatre voûtes retombant sur une pile centrale, mise en communication avec ce bas-côté par l’ouverture de deux arceaux percés entre les anciennes piles.
Nous donnons (24) une vue extérieure de cette chapelle, l’un des meilleurs exemples de l’architecture du commencement du XIVe siècle qu’il y ait dans l’Île de France, et (25) une vue intérieure prise de l’ancien bas-côté du XIIe siècle.
Cette adjonction fut faite avec adresse ; en conservant les voûtes du bas-côté, dont les arcs A B sont anciens, l’architecte du XIVe siècle remplaça la pile C en sous-œuvre, accola les deux piles d’entrée D D aux piles E du collatéral du XIIe siècle, conserva les anciens contreforts F ; et, supprimant celui qui existait derrière la pile C, y substitua un arc aigu venant reporter le poids des constructions supérieures sur la pile G. Une charmante arcature décore l’appui des quatre grandes fenêtres dont les meneaux offrent un dessin d’une pureté remarquable.

Les XIVe, XVe et XVIe siècles bâtirent à proximité, ou attenant aux grandes églises, une quantité innombrable de chapelles ; parmi les plus belles, on doit citer la chapelle de la Vierge bâtie à l’abside de la cathédrale de Rouen (XIVe siècle), les grandes chapelles élevées sur le flanc sud de la cathédrale de Lyon et nord des cathédrales de Châlons et de Langres (XVIe siècle).

Chapelles (comprises dans le plan général des églises).

À quelle époque précise des chapelles vinrent-elles entourer le sanctuaire des églises ? Il serait difficile, nous le croyons, de répondre d’une façon catégorique à cette question dans l’état actuel des connaissances archéologiques ; nous n’essayerons même pas de la discuter ; nous nous bornerons à constater quelques faits. Mais, avant tout, nous devons dire que nous ne donnons le nom de chapelles qu’aux absidioles plus ou moins profondes et larges, circulaires, carrées ou à pans, qui s’ouvrent sur les bas-côtés d’une église ; nous rangeons les chapelles posées à l’extrémité des bas-côtés, comme dans la fig. 22 de cet article, ou celles qui s’ouvrent des deux côtés du sanctuaire sur les transsepts, au nombre des absides secondaires. Or nous voyons des chapelles absidales donnant sur le bas-côté qui pourtourne le sanctuaire, dans des églises dont la construction remonte au IXe ou Xe siècle, comme, par exemple, l’église de Vignory. Dans le centre de la France, nous trouvons des chapelles absidales dès le Xe siècle[31]. L’église de Saint-Savin (Poitou) nous donne cinq chapelles s’ouvrant dans le bas-côté du sanctuaire (XIe siècle). L’église Saint-Étienne de Nevers (XIe siècle) en présente trois ; celle de Notre-Dame-du-Port de Clermont (XIe siècle), quatre. Dans d’autres provinces, les chapelles absidales apparaissent beaucoup plus tard. En Normandie, par exemple, les sanctuaires demeurent longtemps, jusqu’à la fin du XIIe siècle, sans bas-côtés et, par conséquent, sans chapelles absidales. En Bourgogne, nous ne les voyons adoptées qu’au XIIe siècle. Les abbayes commencent, dans les provinces du Nord et de l’Est, à élever des chapelles absidales dès le XIe siècle[32]. Au XIIe siècle, elles se développent en nombre et en étendue[33].

La cathédrale française, qui naît à la fin du XIIe siècle, semble protester contre ce besoin de multiplier les autels. Érigée sous une pensée dominante, l’unité, elle n’admet les chapelles qu’assez tard (voy. Cathédrale). Si nous les voyons poindre, au XIIe siècle, dans les deux cathédrales de Noyon et de Senlis, c’est que ces deux monuments s’élèvent sous l’influence évidente de l’église abbatiale de Saint-Denis, et encore, à la cathédrale de Senlis, par exemple, dont la construction n’est pas aussi directement soumise à celle de l’abbaye que la construction de la cathédrale de Noyon, ces chapelles absidales osent à peine se développer ; elles ne forment en plan, à l’extérieur, qu’un arc de cercle très-ouvert ; elles peuvent difficilement contenir un petit autel, et ne présentent qu’une faible excroissance en dehors du périmètre du bas-côté. Bientôt, cependant, il y a réaction contre le principe qui avait fait exclure les chapelles des cathédrales ; on augmente en nombre et en étendue d’abord celles de l’abside, puis on en construit après coup le long des bas-côtés des nefs. Cet exemple est suivi dans les églises paroissiales. Nous ne nous occuperons pas des chapelles élevées entre les contreforts des bas-côtés des nefs, car elles ne consistent réellement qu’en une voûte et une fenêtre ; mais nous essayerons de présenter une série de chapelles absidales en prenant les types principaux classés par ordre chronologique, ou suivant leur ordonnance.

Les chapelles absidales romanes ne consistent à l’intérieur qu’en une demi-tour ronde voûtée en cul-de-four, percée d’une, de deux ou trois fenêtres cintrées, simples, ou ornées de colonnettes des deux côtés de l’ébrasement. Ces chapelles, destinées à être peintes, ne sont pas décorées de sculptures. Quelquefois le soubassement reçoit une arcature[34]. À l’extérieur, au contraire, elles sont enrichies de moulures, de délicates sculptures et quelquefois d’incrustations de pierres de diverses couleurs. Telles sont les chapelles absidales de l’église de Notre-Dame-du-Port à Clermont, dont nous donnons (26) une vue intérieure, et (27) une vue extérieure.
Ces chapelles sont à double étage, c’est-à-dire qu’elles règnent dans la crypte comme au rez-de-chaussée ; cela leur donne à l’extérieur une proportion très-allongée, les voûtes de la crypte étant au-dessus du niveau du sol extérieur afin d’obtenir des jours par de petites baies percées dans le soubassement. Les deux figures 26 et 27 font voir que l’ordonnance des chapelles est indépendante de celle du bas-côté. Les corniches ne sont pas posées au même niveau. Cependant, à Notre-Dame-du-Port, la différence du niveau entre la corniche du bas-côté et celle des chapelles n’est pas telle, que la couverture en dalle de ces chapelles ne dépasse l’arase de la corniche du bas-côté. Pour éviter le mauvais effet des pénétrations des couvertures des chapelles sur les dallages du collatéral, on a élevé les petits pignons A (fig. 27) qui arrêtent le dallage des chapelles et masquent une couverture à deux égouts pénétrant le dallage continu du bas-côté. Cela est adroitement combiné, quoique un peu recherché ; mais les dispositions les plus simples ne sont pas celles qu’on adopte tout d’abord. Les formes primitives des chapelles absidales romanes des provinces du centre et de l’Aquitaine varient peu ; et si nous avons choisi cet exemple, c’est qu’il est un des plus anciens et des plus beaux. Les chapelles absidales de Notre-Dame-du-Port sont encore empreintes d’un certain parfum de bonne antiquité qui leur donne à nos yeux un caractère particulier. Ce n’est plus l’architecture antique, mais ce n’est pas l’architecture romane du Nord et de l’Est. D’où venait cet art, comment était-il né dans ces provinces centrales de la France ? Comment se fait-il que, dès le XIe siècle, il se distingue entre tous les styles d’architecture des autres provinces par son extrême finesse ; par son exécution délicate, la pureté de ses profils et l’harmonie parfaite de ses proportions ? La façon dont est disposée la décoration de l’extérieur de ces chapelles dénote un art arrivé à un haut degré. La sculpture n’est pas prodiguée, elle est fine et cependant produit un grand effet par son judicieux emploi. Les incrustations de pierre noire (lave) entre les modillons et au-dessus des archivoltes des fenêtres contribuent à donner de l’élégance à la partie supérieure de ces chapelles, sans leur rien enlever de leur fermeté.
Lorsqu’au XIIe siècle on abandonne les voûtes en cul-de-four pour adopter définitivement la voûte en arcs d’ogive, les constructeurs profitent de ce nouveau mode pour agrandir les fenêtres des chapelles et pour les orner de colonnes dégagées qui reçoivent les arcs et les formerets. C’est d’après ce principe que sont construites les chapelles de l’église abbatiale de Saint-Denis et celles de la cathédrale de Noyon (milieu du XIIe siècle), dont nous avons présenté (28) l’aspect intérieur. Quant aux chapelles de la cathédrale de Senlis, elles ne se composent que de deux travées dont une seule est percée d’une fenêtre.
En voici (29) le plan, (30) la vue extérieure et (31) l’aspect intérieur.
À Noyon, l’arc doubleau d’entrée est plein cintre ; à Saint-Leu d’Esserent et à Senlis, il est ogival ; cependant ces chapelles sont construites à la même époque, ou peu s’en faut. Les chapelles de Noyon sont décorées d’une petite arcature plein cintre, celles de Saint Leu et de Senlis en sont dépourvues.

Il faut mentionner un fait important : soit que ces chapelles se composent de deux travées, comme à Senlis, ou de quatre travées, comme à Noyon et à Saint-Leu, l’autel de chacune d’elles est placé suivant l’axe du chevet, de façon à être toujours orienté, et, par conséquent, dans l’une des travées latérales, ainsi que l’indique la fig. 31. Cependant les chapelles absidales de l’église abbatiale de Saint-Denis faisaient exception à cette règle ; leurs autels étaient tous posés perpendiculairement au rayon partant du centre du sanctuaire et formant l’axe de chacune des chapelles. Dans les grandes églises de l’ordre de Cluny et dans les cathédrales de l’Oise citées plus haut, bâties vers le milieu du XIIe siècle, les chapelles absidales sont semi-circulaires ; elles sont carrées dans les églises de l’ordre de Cîteaux. À Clairvaux, à Pontigny, c’est un parti franchement adopté, et qui nous paraît commandé par la règle de cet ordre, qui voulait que les constructions monastiques se renfermassent dans les données les plus simples. En effet, les chapelles circulaires entraînent des dépenses importantes, parce qu’elles compliquent les constructions, nécessitent des développements considérables de murs, exigent une main-d’œuvre dispendieuse, des couvertures difficiles à exécuter, des pénétrations, des coupes particulières, et, par suite, un grand détail de précautions. Les chapelles carrées, au contraire, ne font qu’ajouter une précinction au bas-côté, ne demandent qu’un mur de clôture très-simple et des couvertures qui ne sont que le prolongement de celles du collatéral de l’abside ; les contre-forts nécessaires à la buttée des voûtes supérieures leur servent de murs de séparation ; les voûtes composées de deux arcs ogives se construisent plus économiquement que les voûtes couvrant une surface semi-circulaire, une seule fenêtre les éclaire au lieu de deux. Ces chapelles carrées ne sont donc réellement qu’un second bas-côté divisé par des murs de refend construits suivant les rayons partant du point centre du sanctuaire[35].

Les constructeurs de l’église de Pontigny (Yonne) voulurent cependant, tout en se conformant à cette donnée de l’ordre, faire une concession au goût du temps. Le chœur de cette église abbatiale, élevé pendant les dernières années du XIIe siècle, conserve le principe des chapelles absidales carrées à l’extérieur, tandis qu’à l’intérieur ces chapelles sont plantées sur un polygone irrégulier.

Voici (32) le plan d’une de ces chapelles. La couverture ne tient pas compte de cette forme polygonale ; elle passe uniformément sur toutes, laissant seulement les souches des arcs-boutants percer l’appentis. Nous devons reconnaître toutefois qu’il y eut de l’indécision dans la façon de couvrir les chapelles absidales de l’église de Pontigny, car les filets solins des combles, ménagés sur les flancs des souches des arcs-boutants, ne suivent pas la direction de ces combles, et donnent à croire qu’on avait voulu faire, soit des combles brisés, soit un appentis sur le bas-côté, pénétré par des combles à double pente avec pignon sur chacune des chapelles. Ces tâtonnements, quant à la manière de couvrir les chapelles absidales des églises monastiques, ne sont pas seulement apparents à Pontigny. Il y avait là une difficulté qui, évidemment, embarrassa longtemps les architectes des grandes églises d’abbayes pendant les XIe et XIIe siècles. On arrivait à couvrir ces chapelles par des procédés qui n’ont rien de franc et accusent une certaine indécision. Cela est visible dans le chœur de l’église Saint-Martin-des-Champs de Paris, dans le chœur de l’église de Vézelay, où les couvertures des chapelles circulaires, au lieu d’être coniques, forment une surface gauche qu’il n’était possible d’obtenir que par un massif posé sur les voûtes. Dans les églises de l’Auvergne, du Poitou et de l’Aquitaine, les chapelles absidales étant plus basses que le collatéral, les couvertures venaient naturellement buter contre le mur de ce collatéral, sous sa corniche ; mais, dans l’Est et le Nord, on voulut de bonne heure donner aux chapelles absidales la hauteur du collatéral, et les constructeurs, après avoir arasé les corniches, ne savaient plus trop comment couvrir ces surfaces inégales, et reculaient devant les difficultés que présentent des pénétrations de combles en charpente.

Dans l’Île de France et les provinces voisines, les églises de quelque importance possédaient toutes, au-dessus des bas-côtés, une galerie aussi large que lui, formant au premier étage un second collatéral. Cette disposition permettait d’éviter les difficultés que nous venons de signaler, puisque le mur de précinction de la galerie du premier étage présentait une surface verticale assez haute pour permettre d’appuyer une couverture contre elle. Ce que nous disons ici est parfaitement expliqué par la vue extérieure des chapelles absidales de la cathédrale de Senlis (fig. 30). Mais aussi ces chapelles n’avaient-elles qu’une faible profondeur, et n’étaient-elles pas, à cause de leur exiguïté, d’un usage commode.

Avant de passer outre, nous devons revenir sur ce que nous venons de dire des chapelles absidales des églises du Poitou et de l’Aquitaine. Dans ces provinces, les bas-côtés des églises ont à peu près la hauteur du vaisseau principal (voy. Architecture Religieuse, Cathédrale), afin de contrebuter la poussée des voûtes centrales ; quoique ce mode eût l’inconvénient d’empêcher d’ouvrir des jours au-dessus des collatéraux sous les voûtes hautes, il avait l’avantage d’éviter la construction des arcs-boutants, et de donner des bas-côtés fort élevés contre lesquels on pouvait adosser des chapelles d’une bonne dimension comme diamètre et hauteur, sans que leur couverture vînt dépasser le niveau des corniches de ces collatéraux. La chapelle était alors une absidiole semi-circulaire accolée à un mur élevé ; elle était un appendice à l’édifice, un édicule indépendant pour ainsi dire, ayant son ordonnance particulière.

L’exemple pris sur le plus beau monument de ce genre qu’il y ait en Saintonge, et que nous donnons (33), expliquera nettement ce qu’est la chapelle absidale dans les églises romanes de l’Ouest.
À Saintes, il existe une charmante église du XIIe siècle, Saint-Euthrope, qui possède une vaste crypte, ou plutôt une église basse, à rez-de-chaussée, sous le chœur. L’abside de cette église est flanquée de trois chapelles dont nous reproduisons l’aspect extérieur. Ces chapelles règnent dans la crypte comme au niveau du chœur, ainsi que le fait voir notre gravure ; leurs fenêtres ne sont pas de la même dimension que celles du collatéral A ; elles sont plus petites. Les chapelles de Saint-Euthrope de Saintes sont donc, comme nous le disions, un petit édifice accolé à un autre plus grand. Si ce parti peut être adopté dans l’architecture romane de l’Ouest, dont l’échelle n’est pas soumise à des proportions fixes, qui ne tient pas compte de l’unité dans ses dispositions architectoniques, il n’aurait pu être admis par les architectes des provinces du Nord à la fin du XIIe siècle, alors que l’architecture ne se permettait plus ces désaccords d’échelle, et que l’on revenait à des lois impérieuses d’unité. D’ailleurs on n’avait pas, dans le Nord, cette ressource des collatéraux élevés ; il fallait les tenir assez bas pour pouvoir éclairer largement le vaisseau central au-dessus de leur couverture. Force fut donc, lorsqu’on voulut, au commencement du XIIIe siècle, ouvrir des chapelles à l’abside des églises, de leur donner la hauteur des bas-côtés et de les couvrir sans trop de difficultés, sans gêner l’écoulement des eaux et sans nuire à l’ordonnance générale. On procéda timidement d’abord ; à Bourges, par exemple, les chapelles absidales ne formèrent que des demi-tourelles attachées au bas-côté, couvertes par des terrassons coniques en dalles[36]. À Chartres, les chapelles absidales ne furent guère aussi que des niches couronnées par des pavillons dallés. C’est en Champagne que les chapelles absidales paraissent prendre, dès la fin du XIIe siècle, un développement considérable. Le chœur de l’église Saint-Remy de Reims est contemporain de celui de la cathédrale de Paris, c’est-à-dire qu’il dut être élevé vers 1180 ; il y a même entre ces deux édifices une très-grande analogie. Cependant les doubles bas-côtés du chœur de Notre-Dame de Paris n’avaient pas de chapelles ou n’en possédaient que de très petites, tandis qu’à Saint-Remy de Reims on voit apparaître autour de l’abside une disposition particulière à la Champagne, disposition que nous retrouvons amoindrie dans les chapelles du tour du chœur de Notre-Dame de Châlons, et qui consiste à ouvrir les chapelles sur le bas-côté, de façon à ce que leur voûte soit inscrite dans un cercle.


Ainsi, à Saint-Remy de Reims (33 bis)[37], les chapelles absidales sont parfaitement circulaires, voûtées au moyen de quatre arcs ogives, de cinq formerets et de trois arcs doubleaux ouverts sur le bas-côté. Deux colonnes A A séparent la chapelle du collatéral et complètent les huit points d’appui sur lesquels reposent les quatre arcs ogives. Ces chapelles, à l’extérieur, ne laissent voir qu’un segment de cercle assez peu étendu, à cause de la saillie des gros contreforts qui les séparent et sont destinés à contrebuter les arcs-boutants des voûtes hautes. Dans l’axe, une chapelle beaucoup plus profonde B termine le chevet. Au-dessus de l’arcature qui décore à l’intérieur le soubassement de ces chapelles règne un passage traversant les piles qui portent les arcs ; les fenêtres occupent tout l’espace laissé entre ces piles et sont terminées à leur sommet par des berceaux ogives concentriques aux formerets. Les voûtes sont contrebutées par les piles formant contreforts à l’intérieur. À Châlons, les chapelles présentent, à l’extérieur, des contreforts qui ne sont qu’une demi-colonne cannelée terminée par une statue et un dais (voy. Contre-fort). Ce plan circulaire, les piles formant contreforts intérieurs, les deux colonnes posées à l’entrée de la chapelle sur le collatéral, et jusqu’aux demi-colonnes cannelées extérieures, sont des dispositions qui rappellent encore l’architecture antique romaine. Son influence, surtout apparente dans la Haute-Marne, à Langres, et le long de la Saône, se fait encore sentir jusqu’à Reims (ville qui possède encore un monument antique), et même jusqu’à Chalons, pendant les premières années du XIIIe siècle. Les chapelles absidales de la cathédrale de Reims, élevées vingt ou vingt-cinq ans après celles de l’église de Saint-Remy, sont évidemment dérivées de ces dernières. Mais à la cathédrale de Reims, Robert de Coucy a supprimé les colonnes isolées de l’entrée, et a donné à son plan plus d’ampleur.

Les chapelles absidales de la cathédrale de Reims méritent d’être étudiées avec soin. Commencées sur un plan circulaire, comme celles de Saint-Remy, elles deviennent polygonales au niveau de l’appui des fenêtres ; c’est la transition entre les deux systèmes roman et ogival. Les architectes soumis aux principes de l’école ogivale reconnaissaient : 1o que les archivoltes des fenêtres percées dans un mur cylindrique poussaient au vide ; 2o que les meneaux ne pouvaient être établis solidement qu’autant qu’ils se trouvaient dans un plan droit ; que leur taille, suivant un plan courbe, présentait des difficultés insurmontables. Ainsi, en adoptant les meneaux comme châssis de fenêtres et pour maintenir les vitraux, on se trouvait forcément entraîné à abandonner la forme cylindrique dans les absidioles aussi bien que dans les grandes absides. Mais la rencontre des meneaux avec les talus circulaires du soubassement nécessitait des pénétrations compliquées, un raccordement présentant certaines difficultés ; on trouva bientôt plus naturel de prolonger la forme polygonale jusqu’au sol. Pour nous résumer, l’habitude des constructions romanes fait commencer, au XIIIe siècle, des chapelles sur plan circulaire ; le principe de la construction adoptée fait renoncer au plan circulaire en construisant les fenêtres, surtout lorsque celles-ci sont garnies de meneaux ; ce principe, une fois admis, fait abandonner la forme cylindrique même pour les soubassements, et commande la forme polygonale ou prismatique dans les plans des chapelles. Il y avait dans tout le système ogival des données impérieuses qui forçaient ainsi les architectes, de déductions en déductions, à l’appliquer avec plus de rigueur, quelle que fût la force des traditions antérieures. Toutefois, à Reims, l’architecte sut se tirer avec adresse du mauvais pas où il s’était engagé en fondant les chapelles sur plan circulaire ; mais la tentative de concilier les deux systèmes ne fut guère renouvelée depuis ; on avait fait là, évidemment, ce que nous appelons une école[38].

Nous donnons (34) le plan inférieur d’une des chapelles absidales de la cathédrale de Reims[39], et (35) le plan au niveau des fenêtres, qui indique comment les meneaux viennent pénétrer le talus conique couronnant le soubassement à l’extérieur. Suivant le mode champenois, il existe une circulation au-dessus du soubassement décoré d’une arcature à l’intérieur. Les fenêtres se trouvent ainsi, comme à Saint-Remy, comme à la chapelle de l’archevêché de Reims, comme à la chapelle du château de Saint-Germain-en-Laye, ouvertes dans un renfoncement produit par la saillie intérieure des piles.


À Reims, cependant, on ne retrouve pas le formeret isolé de la fenêtre par un plafond portant le chéneau (ce qui est du reste une disposition bourguignonne) ; c’est un ébrasement concentrique au formeret qui sépare celui-ci de la baie.
La fig. 36, donnant la vue intérieure de l’une de ces chapelles, nous dispensera de plus longues explications à ce sujet ; elle fait voir le passage pratiqué au-dessus de l’arcature et toute l’ordonnance intérieure. La proportion de ces chapelles est des plus heureuses ; leur aspect est solide, les détails de la sculpture et les profils sont traités avec la plus rare perfection. À l’extérieur, ces chapelles ne sont pas moins belles et simples, et n’était la malencontreuse galerie à jour placée, vers le milieu du XIIIe siècle, sur la corniche supérieure, dont le moindre inconvénient est de faire paraître ces chapelles petites, on pourrait les présenter comme un modèle parfait et complet d’architecture ogivale primitive.


La fig. 37 reproduit leur aspect extérieur. S’élevant jusqu’au niveau supérieur du collatéral, elles sont couvertes par des charpentes formant pavillons pyramidaux isolés, revêtues de plomb. Entre ces pavillons et l’appentis recouvrant le bas-côté, est un beau chéneau de pierre posé sur les arcs doubleaux d’entrée des chapelles, et rejetant les eaux à travers les gros contreforts séparatifs, par des canaux dans lesquels un homme peut entrer debout, et des gargouilles. Ce canal principal est coupé en croix par un autre canal d’égale hauteur, recevant les eaux des chéneaux posés sur la corniche du couronnement des chapelles.

Malgré que les chapelles absidales de la cathédrale de Reims soient fort bien composées, elles n’ont pas encore complétement abandonné les traditions romanes ; on en retrouve la trace dans le soubassement circulaire, dans les piles saillantes à l’intérieur, dans ce bandeau horizontal qui, couronnant l’arcature, coupe les colonnettes, et dans la construction qui est quelque peu lourde. Si nous voulons voir des chapelles absidales de l’époque ogivale arrivées à leur complet développement, il faut nous transporter dans la cathédrale d’Amiens ; celles-ci sont d’autant plus intéressantes à étudier qu’elles ont servi de type à toutes les constructions élevées depuis lors, entre autres pour les chapelles des cathédrales de Beauvais, de Cologne, de Nevers, de Séez, et, plus tard, de Clermont, de Limoges, de Narbonne, de l’église de Saint-Ouen de Rouen, etc. Les chapelles absidales de la cathédrale d’Amiens sont hautes, largement ouvertes et éclairées ; leur construction ne comporte exactement que le volume de matériaux nécessaires à leur stabilité ; elles sont aussi simplement conçues qu’élégantes d’aspect.


Nous donnons (38) le plan d’une de ces chapelles pris au niveau des fenêtres,
(39) une vue intérieure, et (40) une vue extérieure.
Trois grandes verrières, qui n’ont pas moins de quatorze mètres de hauteur, et l’arcature inférieure avec sa piscine, font toute leur décoration à l’intérieur ; les fenêtres, comme à la Sainte-Chapelle de Paris, occupent tout l’espace compris entre cette arcature, les piles et les voûtes, auxquelles leurs archivoltes servent de formerets. À l’extérieur, une belle corniche à crochets et feuilles les couronne ; les contreforts, dont toute la saillie est reportée en dehors, reçoivent des archivoltes abritant les fenêtres et dont l’épaisseur porte le chéneau supérieur. Les bahuts de la charpente reposent directement sur les formerets des voûtes. Il est impossible d’imaginer une construction voûtée plus simple et plus sage. Les sommets des contreforts sont brusquement terminés par des talus sur lesquels viennent se reposer des animaux, chevaux, griffons et dragons. À la chapelle de la Vierge, ces animaux sont remplacés par des rois de Juda (voy. Amortissement). Nous ne pensons pas que ce couronnement soit complet, car on aperçoit, au sommet des contreforts, comme des assises recoupées, des repentirs, des négligences qui marquent une certaine hâte de finir tant bien que mal, et qui ne répondent pas à l’exécution soignée, précise des constructions jusques et y compris la corniche. Ce qui nous confirme dans l’opinion que les couronnements des contreforts des chapelles de la cathédrale d’Amiens[40] n’ont pas été terminés comme ils avaient été projetés, ou que l’incendie qui détruisit leur couverture, avant l’érection de la partie haute du chœur, les ayant calcinés, ils furent refaits avec parcimonie et à la hâte, c’est qu’à Beauvais et à la cathédrale de Cologne particulièrement, les chapelles copiées sur celles d’Amiens portent des pinacles très-élevés et dont la proportion élancée forme un complément indispensable au bon effet de ces contreforts saillants et minces, et plus encore, assurent leur parfaite stabilité par leur poids. Il est intéressant de comparer ces deux édifices, Amiens et Cologne, qui ont entre eux des rapports si intimes. Les chapelles absidales de Cologne, comme celles d’Amiens, reposent sur un plateau circulaire qui les inscrit et sert de base à tout le chevet ; leur proportion est pareille, les meneaux des fenêtres identiques. À Amiens, deux gargouilles prises dans la hauteur du larmier rejettent les eaux des chéneaux à chaque contrefort ; à Cologne, c’est une seule gargouille prise dans la hauteur de la corniche feuillue sous le larmier qui remplit cet office. À Amiens, les balustrades refaites au XVIe siècle devaient, nous le croyons, rappeler la balustrade de la Sainte-Chapelle de Paris ; à Cologne, la balustrade est semblable à celle de Beauvais, Restent les sommets des contreforts, incomplets ou inachevés à Amiens, terminés à Cologne, quelques années après la construction des chapelles, vers le commencement du XIVe siècle, par de hauts pinacles à jour renfermant des statues. Dans l’une comme dans l’autre de ces deux cathédrales, les chapelles absidales sont couvertes par des pavillons en charpente isolés et pyramidaux. À Beauvais, les couvertures des chapelles étaient en dalles ; mais il ne faut pas oublier que, dans ce dernier monument, il y a un double triforium ; et que l’architecte avait voulu laisser à cette belle disposition toute son importance à l’extérieur, et ne point la masquer par des combles. À Clermont en Auvergne, à Limoges et à Narbonne, et plus tard à Évreux, les chapelles absidales furent protégées par un dallage formant une seule et même pente, très-faible, avec celui établi sur le bas-côté ; mais nous ne pouvons considérer ce mode de couverture comme définitif ; il nous sera facile de le démontrer. À Clermont, à Limoges et à Narbonne, ces dallages sans ressauts, mais presque planes, sont couverts d’épures tracées sur la pierre comme sur une aire. Ces épures sont celles, naturellement, de constructions postérieures à l’érection des chapelles ; ce sont les tracés des arcs-boutants, des portails des transsepts, des fenêtres hautes. Dans les villes du moyen âge, l’espace manquait pour établir des chantiers avec tous leurs accessoires. Sitôt les chapelles et bas-côtés du chevet achevés, on les recouvrait d’une aire dallée, et cette surface servait de chantier aux appareilleurs pour tracer leurs épures ; ce qu’ils faisaient avec le plus grand soin, puisque, encore aujourd’hui, nous pouvons les relever exactement et tailler dessus des panneaux. Or, à Clermont, quoiqu’il y ait un dallage, on voit tout autour des souches des arcs-boutants qui percent l’aire, des chéneaux disposés pour recevoir des combles ; bien mieux, le mur du triforium porte un filet de comble et des corbeaux destinés à soutenir les faîtages de l’appentis en charpente que l’on projetait sur le bas-côté. À Limoges, des restaurations récentes ont fait disparaître des traces analogues dont probablement on n’a pas compris l’importance au point de vue archéologique. Ces dispositions indiquent évidemment qu’au XIIIe siècle on ne songeait pas à élever des chapelles absidales polygonales sans combles pyramidaux, et que ces dallages n’étaient que des couvertures provisoires destinées à fournir un emplacement aux traceurs d’épures pendant la construction des parties supérieures, et en même temps à protéger les voûtes jusqu’au moment où on aurait pu, l’œuvre achevée, établir des combles définitifs. La forme polygonale des chapelles de chevet adoptée depuis le XIIIe siècle jusqu’au XVIe demande une couverture pyramidale, et les architectes de ces temps avaient un sentiment trop juste de l’effet des masses architectoniques pour ne pas être choqués par l’absence de ce couronnement indispensable ; car c’est un principe général, l’architecture ogivale, que toute partie d’un monument doit porter sa couverture propre, lorsqu’elle se détache tant soit peu de la masse. Nous voulons bien admettre qu’à la cathédrale de Narbonne on n’a jamais songé à couvrir autrement les chapelles absidales que par une plate-forme dallée, mais ces chapelles étaient couronnées par un crénelage au lieu d’une balustrade. La cathédrale de Narbonne était presque une forteresse en même temps qu’une église, et dans ce cas les plates-formes étaient justifiées ; c’est là une exception. Quant aux chapelles absidales de la cathédrale de Limoges, l’absence de combles pyramidaux jure avec leur composition, qui appartient exclusivement à l’école d’architecture du Nord. L’une de ces chapelles, celle du chevet (fig. 41), offre une particularité rare, même au XIVe siècle, c’est que les fenêtres sont couronnées par des gâbles à jour ; or cette partie de la cathédrale de Limoges date de la fin du XIIIe siècle.
Pour le reste de la composition de la chapelle du chevet de la cathédrale de Limoges, on retrouve les éléments fournis par Amiens, Beauvais et Cologne.

La fig. 41 fera reconnaître la parenté qui existe entre ces monuments. Toutefois, outre les gâbles à jour qui font exception, à Limoges comme à Clermont, la balustrade des chapelles absidales passe au-devant des gros contreforts séparatifs, et on peut regretter que cette disposition n’ait pas été adoptée antérieurement par les architectes d’Amiens et de Cologne, car elle sert de transition entre le gros contrefort inférieur et celui supérieur servant de buttée aux arcs-boutants ; et de plus, elle rend l’entretien facile, ainsi que le nettoyage des gargouilles. Les chapelles du chevet de la cathédrale de Limoges portent sur un énorme soubassement en granit qui englobe leur base dans sa masse. À partir de ce moment (les dernières années du XIIIe siècle), on ne voit plus que des dispositions particulières aient été prises pour la construction des chapelles absidales ; les mêmes errements sont suivis par les architectes jusqu’au XVIe siècle, quant à l’ensemble, et les différences que l’on pourrait signaler, entre les chapelles du XVe et celles du XIIIe, ne tiennent qu’aux détails de l’architecture qui se modifient.

Nous terminerons donc ici cet article, puisque nous avons, dans le cours du Dictionnaire, l’occasion de revenir sur chacun de ces détails.

  1. Rational, liv. II, chap. X, parag. 8.
  2. « Capella, postmodum appellata ædes ipsa, in qua asservata est capa, seu capella S. Martini, intra Palatii ambitum inedificata : in quam etiam præcipua Sanctorum aliorum λειφανα illata, unde ob ejusmodi Reliquiarum reverentiam ædiculæ istæ sanctæ capellæ vulgo appellantur. » Ducange, Gloss.
  3. Ibid. Joan. de Janua.
  4. Ibid.
  5. « Cancellaria : ita vero dicta quod in Capella Principis, seu oratorio Archivum, diplomata et regni monumenta olim, ut hodie, asservarentur. In Francia enim Chartarum Regiarum, ut vocant, thesaurus, in Sacra Capella Parisiensi etiamnum asservatur. » (Ibid.)
  6. Dubreul, liv. IV, p. 1152. Édit de 1612.
  7. Hist. de la Sainte-Chapelle roy., par Jérôme Marand, chanoine ; Paris, 1790.
  8. La porte principale déposée dans le cimetière des Valois à Saint-Denis ; des gargouilles et portions de couronnements déposés dans une cour d’une des maisons de la rue de l’Abbaye, côté nord.
  9. Ce plan est à l’échelle de 0,0025 pour mètre, ainsi que tous les plans suivants.
  10. Elle fut en grande partie repeinte sous Louis XIII.
  11. La flèche de Charles VII vient d’être rétablie sous la direction de notre confrère M. Lassus (voy. Flèche) ; elle avait été brûlée en 1630 et remplacée par une flèche dans le goût de ce temps, qui fut détruite à la fin du dernier siècle.
  12. Nous avons encore vu quelques restes de cet escalier que les dernières restaurations ont fait disparaître. Voy. les gravures d’Israël Sylvestre, le tableau déposé au musée de Versailles représentant la visite de Louis XV enfant au palais.
  13. À l’échelle de 0,0025 pour mètre. Nous devons ces dessins à M. Millet, architecte du château de Saint-Germain-en-Laye.
  14. La chapelle du château de Saint-Germain-en-Laye est aujourd’hui fort dénaturée ; les contreforts ont été revêtus, au XVIIe siècle, de placages dans le goût du temps ; le sol intérieur a été relevé de plus d’un mètre. L’arcature a été détruite, ainsi que la balustrade extérieure. Cependant nos dessins (sauf la décoration des contreforts, sur laquelle nous n’avons aucune donnée) présentent rigoureusement l’ensemble et les détails de cette belle construction. Des fouilles faites avec intelligence par l’architecte M. Millet, ont mis à nu les bases intérieures. Des fragments de l’arcature et de la balustrade ont été retrouvés ; les piles ont été dégagées. Quant aux autres parties de l’édifice, elles sont conservées, et la construction n’a subi aucune altération. On ne saurait trop étudier cette chapelle, qui nous paraît être un des exemples les plus caractérisés de cet art du XIIIe siècle, au moment de sa splendeur. Si l’on avait quelques doutes sur la date, il suffirait de comparer ses profils et sa sculpture avec les profils et la sculpture des monuments champenois du XIIIe siècle, pour être assuré que la chapelle du château de Saint-Germain est contemporaine des chapelles absidales de la cathédrale de Reims, des parties inférieures du chœur de la cathédrale de Troyes, de la chapelle de l’archevêché de Reims, constructions qui sont antérieures à 1240. La corniche supérieure et la balustrade dont on a retrouvé des fragments peuvent même remonter à 1230.
  15. À l’échelle de 0,0025 pour mètre.
  16. À l’échelle de 0,0025 pour mètre.
  17. Ces figures ont été brisées ; leur trace est seule visible, ainsi que les culs-de-lampe et des amorces des dais.
  18. Des plus excellens bastimens de France.
  19. Voy. la chapelle du château d’Amboise.
  20. Anet.
  21. Écouen.
  22. Dubreul, Antiq. de Paris, 1, II.
  23. Ibid.
  24. Ibid., 1 III.
  25. L’Archit. byzant. en France, réponse à M. Félix de Verneilh, par M. L. Vitet. (Journal des Savants, janv., fév. et mai 1853.)
  26. Voy. des fragments de la charte de fondation de cette chapelle et d’une histoire manuscrite de la ville d’Arles, cités dans les Notes d’un voyage dans le midi de la France, par M. Mérimée ; pièces communiquées par M. C. Lenormant.
  27. Nous devons ces dessins à l’obligeance de M. Bœswilwald.
  28. Ce monument paraît remonter au XIVe siècle.
  29. Ce monument vient d’être restauré et déblayé par M. Bœswilwald, à qui nous devons encore ces dessins.
  30. Ce retable est reproduit aussi complétement que possible dans la Revue d’architecture de M. C. Daly.
  31. Une importante découverte vient ajouter un fait nouveau à ceux déjà connus. Des fouilles, exécutées dans le sanctuaire de la cathédrale de Clermont, sous la direction de M. Mallay et la nôtre, viennent de faire reconnaître l’ancien plan de la cathédrale primitive, qui date du Xe au XIe siècle ; ces fouilles ont laissé voir quatre chapelles autour du bas-côté du sanctuaire, comme dans l’église de Notre-Dame-du-Port.
  32. Prieuré de Saint Martin-des-Champs.
  33. Cluny, Clairvaux, Saint-Denis ; à la fin du XIIe siècle, Pontigny ; Vézelay, l’abbaye aux hommes de Caen, Saint-Remi de Reims.
  34. Saint-Savin près Poitiers.
  35. Voir le plan de l’abbaye de Clairvaux, Architecture monastique, fig. 6.
  36. Plus tard, ces couvertures furent remplacées par des pyramides en pierre fort élevées qui ne sont pas d’un heureux effet.
  37. Plan à l’échelle de 0,005 pour mètre.
  38. Les chapelles du chevet de la cathédrale de Tours sont de même prismatiques sur un soubassement circulaire.
  39. À l’échelle de 0,005 pour mètre.
  40. Voy. au mot Cathédrale l’historique de la construction de la cathédrale d’Amiens. À peine les chapelles de l’abside sont-elles terminées, que les travaux restent suspendus et ne sont repris qu’après un incendie des couvertures inférieures.