Discours sur les psaumes (Augustin)/Psaumes LI à LX

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Discours sur les psaumes : Psaumes LI à LX
Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)

DISCOURS SUR LE PSAUME 51[modifier]

SERMON AU PEUPLE.[modifier]

FAUSSE VANITÉ DES MÉCHANTS.[modifier]

Saül, image de la mort, persécutait David ; David, image de la vie, était persécuté par Saül ; retiré chez le prêtre Achimélech, il est trahi par Doëch. Sous le nom de ce traître on désigne les hommes terrestres, et sous relui de David les hommes célestes ; c’est la totalité du genre humain. Les hommes terrestres ou les méchants se glorifient de ce qu’ils font le mal. Pourquoi s’en glorifier ? il leur est si facile de mal faire ! D’ailleurs, à quoi aboutissent leurs efforts ? À se rendre malheureux, à nous enlever des biens superflus, à s’aveugler, à se perdre pour toujours, à faire l’éternelle risée des justes. Pour les justes, ils tremblent en voyant le sort réservé aux impies, et au lieu de mettre comme ceux-ci leurs espérances en des biens caducs qui causeraient leur perte et les feraient condamner au tribunal de l’Éternel, ils se laissent porter au bien par la confiance en Dieu et le bonheur de le servir.


1. Le psaume dont nous allons entretenir votre charité est peu étendu, mais son titre exige quelques explications ; écoutez-nous donc patiemment, nous vous l’expliquerons de notre mieux, et dans la mesure des grâces que Dieu nous accordera à cet effet. Nous ne pouvons passer outre sans donner un développement suffisant à notre interprétation, puisque, selon le bon plaisir de nos frères, nos paroles doivent être recueillies non seulement par vos oreilles et vos cœurs, mais aussi par le stylet ; nous devons donc avoir en vue nos auditeurs présents et nos futurs lecteurs. Nous vous avons fait lire aussi un passage du livre des Rois, oit il est question de l’événement qui a donné lieu à ce psaume. Saül avait été choisi de Dieu, il était devenu roi, mais à titre transitoire et à cause de la dureté de cœur et des mauvaises dispositions du peuple juif : non pour le bien-être de ce peuple, mais pour sa punition, selon cette sentence de nos livres saints qui parlent ainsi de Dieu : « Il fait régner l’homme hypocrite, parce que le peuple est corrompu[1] ». Arrivé ainsi au pouvoir, Saül persécutait David : David en qui Dieu préfigurait le royaume du salut éternel, David que Dieu avait choisi pour régner toujours dans la personne de ses descendants, puisque notre Roi, le Roi des siècles, avec qui nous devons régner éternellement, devait « naître de la race de David selon la chair[2] ». Dieu choisit, élut et prédestina donc David pour être roi, mais il ne voulut point le laisser monter sur le trône avant de lui avoir fait subir l’épreuve de la persécution et de l’en avoir délivré ; et en cela David devait nous figurer d’avance, et figurer en nous le corps dont le Christ est le chef. Car si notre chef lui-même n’a voulu régner dans le ciel qu’après avoir fourni sur la terre une carrière pénible ; s’il n’a voulu élever jusqu’au ciel le corps dont il s’était revêtu ici-bas, qu’en lui faisant suivre une voie douloureuse, de quel droit les membres oseraient-ils se promettre de pouvoir être plus heureux que leur chef ? « S’ils ont appelé le Père de famille Belzébuth, ne traiteront-ils pas de même ses serviteurs[3] ? » N’espérons donc point un chemin plus facile : marchons où il a marché avant nous, suivons la route qu’il nous a tracée ; ses pas doivent nous servir de guides ; si nous nous écartons, notre perte est certaine. Vois donc ce que figurait David ; vois, par conséquent, ce que figurait Saül : Saül annonçait le règne du mal, David, celui du bien ; celui-ci la vie, l’autre la mort. Nous ne sommes, à vrai dire, persécutés que par la mort ; et, encore, en triompherons-nous à la fin et pourrons-nous lui dire : « O mort, où est ta force ; ô mort, où est ton aiguillon[4] ? » Comment puis-je dire que la mort seule nous persécute ? Parce que si nous n’étions point condamnés à mourir, quel mal pourrait nous faire notre ennemi ? Nuit-il aux anges ? La mort elle-même, source de nos plus amères tribulations, la mort elle-même verra finir son règne, lorsqu’à la fin des siècles nous ressusciterons d’entre les morts : si alors on nous trouve établis dans la justice, sa puissance s’évanouira à notre égard, comme elle s’est évanouie à l’égard de notre chef. Car en mourant, le Christ devint l’assassin de la mort ; au moment où il rendit le dernier soupir, elle périt bien plutôt sous ses coups, qu’il ne succomba lui-même victime de ses atteintes.
2. Si, maintenant, nous voulons étudier le nom même de Saül, nous y rencontrerons encore un sens mystérieux ; car ce nom signifie demande ou désir. Pouvons-nous avoir le moindre doute sur la cause de notre mort ? Le péché de l’homme, en voilà l’origine : l’homme s’est donc, à vrai dire, souhaité la mort ; voilà pourquoi on donne le nom de « désir » à la mort ; car il est écrit : « Dieu n’a point fait la mort, et il ne se réjouit point dans la perte des vivants ; il a créé toutes choses afin de les faire subsister, et il a mis toutes les nations de la terre dans un même de état de santé et de bonheur » ; mais, diras-tu, d’où vient donc la mort ? « Les impies l’ont attirée par leurs mains et leurs paroles ; ils la considéraient comme une amie, ils ont péri[5] ». Ils l’ont désirée et se sont perdus, ils sont tombés dans les pièges de la mort, alors même qu’ils la regardaient comme une amie ; ainsi le peuple juif, en demandant un roi, crut avoir en lui un ami, et il n’y rencontra qu’un ennemi. Cette nation arracha au Seigneur la permission d’avoir un roi, et il lui donna Saül, comme il avait livré en leur propre puissance ceux-là mêmes qui, par leurs mains et leurs désirs, s’étaient efforcés d’attirer la mort ; la mort fut donc figurée en la personne de Saül, c’est pourquoi le dix-septième psaume porte ce titre : « Psaume pour le jour où le Seigneur délivra David de la main de ses ennemis et de la main de Saül ». Il parle d’abord de ses ennemis et ensuite de la main de Saül, parce que la mort, notre plus cruelle ennemie, sera détruite la dernière ; « et de la main de Saül », signifie donc qu’il nous a rachetés de l’enfer et délivrés de l’empire de la mort.
3. Au moment où Saül persécutait le saint homme David, celui-ci s’enfuit en un lieu où il pensait trouver un abri sûr ; pendant sa fuite il s’arrêta en passant chez le prêtre Achimélech, qui lui donna les pains consacrés à Dieu, et ainsi figura-t-il en sa personne la royauté et le sacerdoce ; puisque, selon la parole du Sauveur citée dans l’Évangile, « il mangea les pains de proposition que les prêtres seuls avaient le droit de manger[6] ». Ce fut alors que Sait ! commença à vouloir découvrir ses traces, et s’irrita contre ses serviteurs, parce qu’aucun d’eux ne consentait à le lui livrer : voilà ce que nous avons lu dans le livre des Rois. Quand David vint chez le prêtre Achimélech, le prince des pasteurs de Saül, un Iduméen, nommé Doëch, se trouvait là ; témoin de la colère de son maître, et de la persistance de tous à ne point lui livrer David, Doëch déclara traîtreusement en quel endroit il l’avait aperçu. Saül envoya donc chercher le prêtre avec toute sa famille, et donna l’ordre de les mettre à mort ; mais aucun de ceux qui accompagnaient le roi n’osa, même sur ses ordres réitérés, porter la main sur les prêtres du Seigneur ; pourtant celui qui avait imité Judas dans sa trahison, persévéra comme lui jusqu’à la fin dans ses honteux errements, et continua à faire sortir de la racine empoisonnée de son cœur des fruits tels qu’un mauvais arbre peut en produire. À un signe du roi, ce Doëch tua donc de sa propre main le prêtre avec tous les siens, et leur ville elle-même fut ensuite entièrement détruite. Doëch fut donc l’ennemi du roi David et du prêtre Achimélech. Il n’y avait en lui qu’un homme, et néanmoins il représentait toute une classe d’hommes, comme David, personnification visible de la royauté et du sacerdoce, n’était non plus qu’un homme tout à la fois prêtre et roi, et pourtant représentait une autre classe d’hommes. Voyons donc ce que sont dans le temps présent et sur cette terre ces deux classes d’hommes, afin que nous puissions faire tourner à notre profit les paroles que nous avons chantées ou entendu chanter. Portons notre attention sur Doëch, puis sur ceux que représentent le roi et le prêtre, enfin sur les hommes opposés au Pontife et au roi.
4. D’abord réfléchissez au sens même ries noms, vous y verrez déjà de mystérieuses choses : Doëch signifie mouvement ; Iduméen veut dire terrestre. Voyez donc quelle classe d’hommes désigne ce Doëch en mouvement. Il est terrestre, sa durée ne sera donc pas éternelle : elle est éphémère. Que peut-on attendre d’un homme terrestre ? des œuvres célestes ? Non, car il sera toujours homme. Pour le dire brièvement et sans retard, il y a aujourd’hui ici-bas un royaume terrestre et un royaume céleste. Qu’ils soient de la terre ou du ciel, qu’ils doivent être détruits, ou qu’ils soient destinés à persévérer toujours, ces deux royaumes ont leurs citoyens, passagers comme le temps, mélangés en ce monde les uns parmi les autres ; les membres de celui-ci et les membres de celui-là sont donc comme confondus ensemble. Les citoyens du royaume céleste gémissent, répandus au milieu des citoyens du royaume terrestre ; et si, parfois, je dois le dire encore, les membres du royaume du ciel se trouvent engagés dans les affaires du royaume de la terre, les affaires du royaume des cieux ne restent point non plus tout à fait étrangères aux membres du royaume d’ici-bas ; les divines Écritures nous en fournissent plus d’un exemple. Babylone a vu Daniel et les trois enfants à la tête de l’administration royale. En Égypte Joseph tenait le premier rang après le roi pour exercer cet empire souverain dont le peuple de Dieu devait être plus tard délivré. Comme les trois enfants, comme Daniel, Joseph se livrait donc d’une certaine façon au soin des affaires publiques : de là il résulte évidemment que le royaume terrestre attire à lui les citoyens du royaume céleste, non pour en faire les complices de ses œuvres d’iniquité, mais pour se décharger sur eux du soin de ses affaires, c’est-à-dire de ses intérêts publics. Qu’est-ce que le royaume des cieux ? En quel sens peut-il s’attacher ici-bas pour un temps les membres du royaume terrestre ? ces hommes que l’Apôtre accusait de ne point annoncer le pur Évangile, d’annoncer le royaume des cieux tout en bornant leurs désirs à ce monde périssable, de rechercher leurs propres intérêts tout en prêchant le Christ ? Soyez bien persuadés qu’ils ont été appelés à titre de mercenaires pour travailler au profit du royaume céleste ; car l’Apôtre dit d’eux dans l’élan de sa joie : « Il y en a qui prêchent Jésus-Christ avec un esprit d’envie et de jalousie, avec une intention qui n’est pas pure, croyant qu’ils ajouteront une affliction nouvelle à mes liens : mais que m’importe ? pourvu que Jésus-Christ soit annoncé de quelque manière, par occasion ou par un vrai zèle, je m’en réjouis et m’en réjouirai[7] ». C’est aussi de tels hommes que Jésus-Christ disait : « Les scribes et les pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse, faites donc ce qu’ils disent, mais ne faites pas ce qu’ils font[8] ». Ils parlent le langage de David, ils agissent à la manière de Doëch. Écoutez-les comme si je vous parlais moi-même, mais ne les imitez pas. Voilà les deux classes d’hommes bien distinctes que l’on rencontre en ce monde, c’est d’elles qu’il est question dans ce psaume.
5. En voici le titre : « Pour la fin, intelligence à David, lorsque l’Iduméen Doëch dit à Saül : David est venu en la maison d’Achimélech ». Et pourtant nous lisons qu’il est venu en la maison d’Achimélech. Les noms se ressemblent, il n’y a de différent qu’une syllabe ou plutôt qu’une lettre : nous sommes donc autorisés à penser que les titres ont été probablement changés. En examinant avec attention divers manuscrits des Psaumes, nous avons remarqué le nom d’Abimélech plus souvent que celui d’Achimélech. Dans un autre endroit des psaumes il y a plus qu’une dissimilitude de noms, c’est une différence très marquée entre les noms, et qui ne laisse aucun doute. En effet, David changea de visage, non devant le roi Abimélech, mais devant le roi Achis, dont il prit ensuite congé et quitta la présence, tandis que le titre du psaume porte : « Quand il changea de visage devant Abimélech[9] ». Ce changement de nom renferme un mystère, attachons-nous donc plus particulièrement à découvrir le sens caché ; et, sous prétexte de discuter un point d’histoire, ne négligeons point de soulever le voile qui dérobe à notre vue un trésor secret. En expliquant ce psaume, nous avons fait connaître le sens du nom d’Abimélech, et nous avons dit qu’il signifie : Royaume de mon père. Comment David a-t-il quitté le royaume de son père ? comment est-il parti ? De la même manière que le Christ s’est éloigné du royaume des Juifs pour passer du côté des Gentils. David a été trahi, lorsqu’il est venu prendre possession du royaume de son père ; comme Notre-Seigneur Jésus-Christ a été livré à la mort marquée par Saül, lorsqu’il est venu prendre possession du royaume des Juifs établi par son Père et dont il a dit : « On vous ôtera le royaume de Dieu et on le donnera à un peuple qui produira les fruits de justice[10] ». Voilà sans doute pourquoi l’esprit prophétique, en donnant à ce psaume le titre que vous savez, a dicté le nom d’Abimélech et non point celui d’Achimélech. Pas plus qu’Isaac, qui pourtant figurait la passion du Sauveur, David ne fut mis à mort ; néanmoins le sang coula pour donner à ces toux figures leur signification parfaite : du côté d’Isaac ce fut le sang du bélier ; du côté de David ce fut celui du prêtre Achimélech. Comme ils ne devaient point ressusciter, ils ne levaient pas non plus être mis à mort ; mais, in les délivrant du danger de mourir par l’effusion du sang, Jésus marquait mieux sa résurrection, dont ils étaient ainsi la figure, parce qu’elle lui était réservée, à lui, comme le souverain Seigneur. Nous pourrions en ire davantage sur ce sujet, si nous avions pris à tâche d’expliquer les mystérieuses significations de ces choses passées.
6. Nous venons de parler avec bien de la difficulté, peut-être trop longuement, de ce titre ; mais nous l’avons fait comme Dieu tous a permis de le faire ; puisque nous en sommes venus à bout, parlons maintenant es deux classes d’hommes dont il a déjà été question. Faites attention qu’il y a en onde deux sortes de personnes : les unes souffrent, on souffre au milieu des autres. Celles-ci pensent à la terre, celles-là au ciel ; d’un côté les cœurs sont plongés dans la boue ; de l’autre, ils s’élèvent jusqu’aux anges. Ici on espère les biens temporels dont le monde dispose ; là on a en vue les biens éternels que nous a promis un Dieu fidèle en ses promesses. Ces deux sortes de, personnes se trouvent confondues ensemble. Parfois nous rencontrons à la tête d’une administration terrestre un citoyen de Jérusalem, un citoyen du royaume des cieux : ainsi nous le voyons revêtu de la pourpre, occupant une place parmi les magistrats ; il est édile, prêteur, empereur ; il gouverne une république terrestre ; mais il tient son cœur élevé bien au-dessus de ce bas monde, s’il est chrétien, fidèle et pieux, s’il éprouve du mépris pour ce qui l’entoure, s’il place ses espérances là où il n’est pas encore. À cette classe de personnes appartint autrefois Esther. Cette sainte femme, devenue reine, se trouva dans la périlleuse nécessité de prier pour ses concitoyens, et pendant qu’elle priait en, présence de Dieu dont elle ne pouvait tromper l’infinie science, elle confessa qu’elle n’avait jamais estimé ses ornements royaux plus qu’un vêtement de femme souillé par la boue[11]. Si nous voyons des citoyens du royaume des cieux engagés dans la question des affaires de Babylone, tout occupés du gouvernement des biens terrestres, ne désespérons pas d’eux ; par la même raison n’applaudissons pas à tous ceux qui s’occupent des choses du ciel, parce que bien souvent l’on voit assis sur la chaire de Moïse des fils de pestilence, des hommes dont il est écrit : « Faites ce qu’ils disent, mais gardez-vous de faire ce qu’ils font, car ce qu’ils disent, ils ne le font pas ». Au milieu des embarras du siècle, ceux-là portent leurs affections jusque dans le ciel, et ceux-ci traînent leurs cœurs par terre, au moment même où ils ouvrent la bouche pour des conversations toutes célestes ; viendra plus tard le temps du vanneur ; alors on fera le discernement exact des uns et des autres, et de la sorte aucun bon grain ne tombera dans l’état de paille destinée au feu, aucun fétu de paille ne viendra se mêler au froment que l’on doit renfermer dans les greniers. Mais pendant que les bons et les méchants vivent confondus les unis avec les autres, prenons-en occasion d’écouter notre voix, c’est-à-dire la voix des citoyens du royaume des cieux ; car, s’il est un désir que nous devions former, c’est d’avoir à supporter les méchants plutôt que d’être à charge aux bons ; unissons-nous à cette voix par nos oreilles, notre langue, notre cœur et nos œuvres. Par là nous disons nous-mêmes ce que nous entendons. Parlons d’abord de l’ensemble des hommes mauvais qui appartiennent au royaume de la terre.
7. « Pourquoi celui qui est puissant en malice se glorifie-t-il[12] ? » Considérez bien, mes frères, de quelle nature est la gloire de la malignité, la gloire des hommes mauvais. Quelle est cette gloire ? « Pourquoi celui qui est puissant en malice se glorifie-t-il ? » C’est-à-dire : De quoi peut se glorifier celui qui surabonde de malice ? Il faut être puissant en bonté et non en méchanceté. Y a-t-il de la grandeur à se glorifier d’être méchant ? Le nombre de ceux qui peuvent bâtir une maison est peu considérable, mais le premier ignorant venu peut la détruire. Semer du froment, le cultiver ensuite, en attendre la maturité, user joyeusement du fruit de ses labeurs, voilà le propre d’un petit nombre ; avec une étincelle chacun est à même de réduire en cendres toute la récolte ; donner la vie à un enfant, le nourrir après l’avoir mis au monde, l’élever et le conduire jusqu’à l’adolescence, c’est une grande affaire ; le tuer en un clin d’œil, quoi de plus facile ? Rien de plus aisé que de détruire. Que celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur[13]. Que celui qui se glorifie, se glorifie dans sa bonté. Tu te glorifies, parce que tu es puissant dans le mal. Mais de quoi es-tu capable, ô puissant ? que peux-tu faire ? tu te vantes beaucoup. Tu feras mourir un homme ; un scorpion, un accès de fièvre, un champignon vénéneux peut en faire autant. Égaler en puissance un champignon empoisonné, voilà ce à quoi tu peux réussir ; est-ce là pour toi un sujet d’orgueil ? Les bons citoyens de Jérusalem, qui ne prennent point plaisir à faire le mal, mais qui se réjouissent d’opérer le bien, se glorifient non en eux-mêmes, mais dans le Seigneur. Ils s’efforcent aussi de bien faire, ce qui tend à l’édification, et d’agir de telle sorte que leurs œuvres puissent durer longtemps. Mais quand ils travaillent à détruire, ils le font pour la correction et le profit des autres, et non point dans le but d’opprimer des innocents. Comparée au pouvoir des bons, la puissance des méchants ne mérite-t-elle pas qu’on leur adresse ces paroles du psaume : « Pourquoi celui qui se glorifie, se glorifie-t-il dans la malice ? »
8. « Votre langue a médité l’injustice, elle « a pensé tout le jour à l’iniquité[14] » ; tout « le jour » ; c’est-à-dire en tout temps, sans éprouver de lassitude, sans interruption, sans repos. Quand tu ne fais pas le mal, tu y penses, en sorte que tes mains sont vides d’iniquité, ton cœur en est rempli. Tu fais du mal ; et, si tu ne peux en faire, tu en dis, c’est-à-dire, la médisance sort de tes lèvres, et lorsque tu ne peux même en venir jusque-là, tu veux et tu penses le mal. « Tout le jour » signifie donc sans cesse. À un pareil homme nous souhaitons un châtiment. Mais n’est-il pas pour lui-même un châtiment assez sévère ? Tu le menaces ; lorsque tu le menaces, où veux-tu le jeter ? dans le malheur ? abandonne-le à lui-même. Pour le punir exemplairement, tu veux le livrer aux bêtes. Celles-ci peuvent bien déchirer son corps ; mais il est, lui, incapable de ne pas se déchirer le cœur. Au dedans il est son propre supplice, et tu voudrais le tourmenter au-dehors ? 2 vaut mieux prier Dieu pour lui, afin qu’il soit délivré de lui-même. Remarquez-le toutefois, mes frères, il n’y a dans ce psaume ni prière en faveur des méchants, ni imprécation contre eux, nous ne devons y voir que l’annonce de ce qui leur adviendra ; ne vous imaginez donc pas que le psalmiste, animé de mauvais vouloir envers eux, ait voulu manifester dans ses paroles les sentiments de son cœur, il n’a fait qu’une prophétie. Voyons ce qui suit. Toute ta puissance, toutes ces pensées iniques que tu nourrissais en ton âme durant le jour ; ces réflexions malignes, sans cesse exprimées par ta langue, à quoi ont-elles abouti ? quel en est le résultat ? « Tu as fait le mal comme un rasoir affilé ». Voilà bien ce que les méchants font aux bons, ils leur rasent les cheveux. Mépriser les biens de la terre et la vie même, telle est la disposition d’esprit où se trouvent les vrais citoyens de Jérusalem, parce qu’ils écoutent cette parole de leur Seigneur et Roi : « Ne craignez point ceux qui ne peuvent tuer que le corps et ne peuvent tuer l’âme[15] ». Parce qu’ils ont entendu ces autres paroles de l’Évangile qu’on a lues tout à l’heure : « Que sert-il à l’homme de gagner tout le monde entier, s’il vient à perdre son âme[16] ? » que peut faire le rasoir de Doëch à un homme qui pense ici-bas au royaume des cieux, et qui doit plus tard y demeurer, à un homme qui possède Dieu en lui-même et qui doit être éternellement uni avec Dieu ? Encore une fois, que peut lui faire ce rasoir ? Il lui rasera les cheveux ; il le rendra chauve. Telle a été la destinée du Christ, puisqu’il a été crucifié au sommet du Calvaire. Il en fait un enfant de Coré, qui veut dire Chauve. Par cheveux on entend les choses superflues d’ici-bas ; non point que Dieu ait fait des cheveux un ornement inutile du corps humain, mais comme on peut les couper sans faire souffrir la personne à laquelle on les coupe, ceux qui s’attachent cordialement à Dieu considèrent les biens de la terre du même œil que s’ils étaient des cheveux. Parfois néanmoins tu dois te servir de ces cheveux pour opérer le bien ; par exemple, partager ton pain avec celui que la faim tourmente, recevoir en ta maison l’indigent dépourvu d’un toit protecteur, vêtir le malheureux que tu vois condamné à la nudité. Les martyrs qui ont répandu leur sang pour l’Église à l’imitation du Seigneur et entendu celte parole : « Comme le Christ a donné son urne pour nous, nous devons aussi la donner pour nos frères[17] », les martyrs se sont en quelque façon servis de leurs cheveux pour nous faire du bien ; ils se sont dépouillés en notre faveur de ce que le rasoir de Doëch peut nous ôter d’une manière plus ou moins absolue. Que l’on puisse faire du bien à l’aide de ces cheveux, la femme pécheresse nous en a donné la preuve : prosternée aux pieds du Seigneur elle avait amèrement pleuré ; après les avoir arrosés de ses larmes, elle les essuya avec ses cheveux. Quelle leçon devons-nous tirer delà ? c’est qu’en usant de miséricorde à l’égard d’autrui, tu dois encore lui venir en aide, si tu le peux. Lorsque tu prends pitié de lui, tu sembles verser sur lui des larmes ; tu les essuies avec tes cheveux, quand tu lui procures ton secours. Si telle doit être notre conduite envers tous les hommes, à plus forte raison devons-nous agir de la sorte dès qu’il est question des pieds du Seigneur. Or, quels sont-ils ? Ce sont les saints prédicateurs de l’Évangile dont il est écrit : « Qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix, de ceux qui annoncent les biens[18] ! » Que Doëch aiguise donc sa langue comme un rasoir, que ses machinations deviennent plus ténébreuses encore, qu’il emploie à les ourdir toute sa malice ; il nous enlèvera toutes les superfluités de cette vie passagère, mais pourra-t-il nous arracher les biens nécessaires qui subsisteront éternellement ?
10. « Tu as préféré la malice à la bonté ». Tu avais devant toi la bonté, n’aurais-tu point dû l’aimer ? Il n’aurait fallu ni dépense, ni lointaine navigation pour la posséder ; devant toi se trouvent la bonté et la méchanceté ; compare-les et choisis ; mais peut-être as-tu un œil pour voir la méchanceté et n’en as-tu pas pour voir la bonté. Malheur au cœur méchant ! Le pire est qu’il se détourne pour ne point voir ce qui frappe ses regards. C’est bien de telles gens qu’il a été écrit : « Il n’a pas voulu avoir l’intelligence pour faire le bien » Nous ne pouvons croire qu’il n’ait pu, car il est dit : « Il n’a pas voulu avoir l’intelligence pour faire le bien ». Il a fermé les yeux à la lumière qu’il avait devant lui. Nous lisons ensuite : « Il s’est livré à des pensées iniques, jusque sur son lit[19] », c’est-à-dire, dans le plus profond secret de son cœur. Voilà ce que le Psalmiste reproche à cet Iduméen Doëch, à cet ensemble d’hommes méchants, sans cesse agités d’un mouvement terrestre, passager et non céleste. « Tu as préféré la malice à la bonté ». Veux-tu être assuré que le méchant voit distinctement l’une et l’autre, qu’il se détourne de l’une et choisit l’autre ? Voici la preuve. Pourquoi se plaint-il, lorsqu’il est victime de quelque injustice ? Pourquoi exagère-t-il autant que possible le mal dont il soutire, et fait-il l’éloge de la bonté ? Pourquoi blâme-t-il son persécuteur d’avoir préféré pour lui le mal au bien ? Qu’il soit donc à lui-même sa – propre règle de vie, c’est d’après lui-même qu’il sera jugé, s’il fait ce qui est écrit : « Vous aimerez votre prochain comme vous-même[20] » ; et : « Faites aux autres le « bien que vous voulez qu’ils vous fassent[21] ». Il trouve dans le fond de son cœur la connaissance de ce principe : il ne faut point faire à autrui ce que nous ne voudrions point qui nous fût fait à nous-mêmes. « Tu as préféré la malice à la bonté » ; homme injuste, déréglé et pervers, tu veux mettre l’eau au-dessus de l’huile, mais l’eau reprendra le dessous et l’huile le dessus Tu prétends soumettre la lumière aux ténèbres, mais les ténèbres disparaîtront et la lumière restera. Tu veux placer la terre au-dessus du ciel : entraînée par son propre poids, elle reviendra bientôt en son lieu. Tu périras donc comme submergé, en préférant le mal au bien, car jamais le mal ne vaincra le bien : « Tu as préféré le mal au bien, tu as mieux aimé dire des injustices que parler selon l’équité ». Devant mi l’iniquité et la justice se trouvent, tu n’as qu’une langue et tu la tournes où bon te semble ; pourquoi donc la tournes-tu plutôt du côté de l’iniquité que du côté de la justice ? Tu ne voudrais point te nourrir d’aliments amers, et tu donnes à ta maligne langue l’iniquité pour nourriture. Puisque tu choisis tes aliments, choisis de même tes paroles. Tu donnes à l’iniquité la préférence sur la justice, tu mets la malice au-dessus de la bonté ; mais quoi que tu fasses, qu’est-ce qui prendra le dessus, sinon la justice et la bonté ? En te plaçant d’une certaine manière sur ce qui doit, nécessairement prendre le dessous, non seulement tu ne réussiras jamais avec tes appuis à dominer le bien, mais tu te précipiteras avec eux dans le mal ; voilà pourquoi le Psalmiste ajoute :
11. « Tu as aimé toutes les paroles de submersion[22] ». Dérobe-toi, si tu le peux, au danger de périr submergé Tu fais naufrage et tu t’accroches à du plomb. Si tu ne veux pas noyer, saisis donc une table, monte sur du bois ; que la croix soit ta sauvegarde, si tu ne veux pas noyer. Mais parce que tu es Doëch, Iduméen, parce que tu es ébranlé et terrestre, que fais-tu ? « Tu aimes toutes les paroles de ruine et la langue trompeuse ». Cette langue est venue la première et à sa suite les paroles de ruine. Qu’est-ce qu’une langue trompeuse ? C’est un instrument de fourberie au service de ceux qui pensent une chose et qui en « lisent une autre. Le fruit de tout cela, c’est le bouleversement et la ruine.
12. « C’est pourquoi Dieu te détruira à la fin[23] », quoique tu sembles en ce moment aussi vigoureux que l’herbe des champs paraît l’être avant de subir les ardeurs du soleil. Car toute chair n’est que de l’herbe, et l’éclat de l’homme ressemble à la fleur de l’herbe. L’herbe s’est desséchée, sa fleur est tombée, mais la parole de Dieu demeure éternellement[24]. Attache-toi donc à ce qui demeure éternellement. Si tu t’attaches à l’herbe et à sa fleur, Dieu te détruira à la fin, parce que l’herbe se desséchera et que sa fleur tombera. Il te détruira sinon aujourd’hui, du moins à la fin, quand il prendra le van et qu’il séparera le tas de paille de la masse du froment. Est-ce qu’alors on ne renfermera pas le bon grain dans les celliers ? Est-ce qu’on ne jettera pas la paille dans le feu ? Est-ce que Doëch tout entier ne se tiendra pas à sa gauche, au moment où le Seigneur dira : « Allez au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges ? » « Dieu te détruira donc à la fin, il t’arrachera et te fera sortir de ta tente ». L’Iduméen Doëch est sous la tente, mais le serviteur ne demeurera pas toujours dans la maison de son père[25]. Il fait encore un peu de bien, sinon par ses œuvres, du moins par la parole de Dieu, car tout en cherchant son profit dans le service de l’Église, il prêche encore la parole du Christ. Mais il te fera sortir de ta tente. « En vérité, je vous le dis, ils ont reçu leur récompense ». « Et il arrachera ta racine de la terre des vivants ». Nous devons donc avoir notre racine dans la terre des vivants. Puisse-t-elle y être ! La racine est cachée ; on voit les fruits, mais on ne peut voir la racine. Notre racine, c’est la charité ; nos fruits, ce sont nos bonnes œuvres : tes bonnes œuvres doivent donc provenir de la charité, et alors ta racine se trouve dans la terre des vivants. Doëch en sera arraché, il est impossible qu’il y reste, parce qu’il n’y a point jeté profondément ses racines ; il ressemble aux plantes dont la semence a été jetée sur, la pierre : elles poussent bien des racines, mais comme elles manquent de terre, elles se dessèchent aussitôt que le soleil se lève[26]. Pour ceux qui enfoncent profondément leurs racines, l’Apôtre leur dit : « Je fléchis pour vous les genoux devant le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, afin que vous soyez enracinés et fondés dans la charité ; et, comme vous avez jeté là vos racines, afin que vous puissiez connaître quelle est la hauteur, la largeur, la longueur et la profondeur, et comprendre aussi l’amour de Jésus-Christ envers nous, amour qui surpasse toute connaissance, pour être comblés de toute la plénitude des dons de Dieu ». Une racine si grande, si simple, si féconde, si profondément affermie est bien digne de produire de pareils fruits. Mais la racine de Doëch sera arrachée de la terre des vivants.
13. « Et les justes verront et ils seront saisis de crainte, et ils riront de lui »[27]. Quand craindront-ils ? quand riront-ils ? Cherchons à le comprendre et. à bien voir en quel temps l’on peut craindre et rire d’une manière vraiment utile. Pendant le cours de notre pèlerinage ici-bas, prenons garde de rire, dans la crainte de pleurer ensuite. Nous lisons ce que l’avenir réserve à Doëch, et parce que nous le comprenons et le croyons, nous voyons, mais nous craignons. Il a donc été dit : « Les justes verront et seront saisis de crainte ». À la vue de ce qui adviendra finalement aux méchants, pourquoi tremblons-nous ? parce que l’Apôtre a dit : « Opérez votre salut avec crainte et tremblement[28] ». Pourquoi avec tremblement ? « Que celui qui croit être ferme prenne garde de tomber[29] ». Pourquoi avec tremblement ? parce qu’il est dit en un autre endroit : « Mes frères, si quelqu’un est tombé par surprise en quelque faute, vous qui êtes spirituels, ayez soin de le relever dans un esprit de douceur, chacun de vous pensant à lui-même et craignant d’être tenté de la même manière[30] ». Donc ceux qui sont justes aujourd’hui, qui vivent de la foi et qui connaissent l’avenir réservé à Doëch, craignent pour eux-mêmes le même sort, car ils savent se qu’ils sont aujourd’hui, ils ignorent ce qu’ils seront demain. « Les justes verront d’abord, et ils craindront », et quand riront-ils ? quand le règne de l’iniquité sera venu à son terme ; lorsque le temps de l’incertitude aura disparu, comme il a déjà disparu en grande partie : quand se seront évanouies les ténèbres de ce monde, au milieu desquelles nous ne marchons que guidés par la lumière des Écritures, et toujours tourmentés par la crainte de nous perdre dans les ombres de la nuit. Nous marchons en effet à la clarté de la prophétie ; car voici ce que nous dit l’apôtre saint Pierre : « Nous avons les oracles des prophètes, dont la certitude ne laisse aucun doute et auxquels vous ferez bien de vous arrêter comme devant une lampe qui luit dans un lieu obscur jusqu’à ce que le jour commence à vous éclairer et que l’étoile du matin se lève en vos cœurs[31] ». Tant que nous marchons à la lumière d’une lampe, il nous faut vivre avec le sentiment de la crainte ; mais quand sera venu pour nous le véritable jour, c’est-à-dire quand aura lieu cette manifestation du Christ dont l’Apôtre nous parle en disant : « Lorsqu’apparaîtra. Jésus-Christ votre vie, vous « paraîtrez aussi avec lui dans sa gloire[32] », alors les justes riront de Doëch, alors le temps de lui venir en aide sera passé : aujourd’hui si tu vois un homme de mauvaise conduite, tu travailles à le corriger ; car celui qui vit dans l’injustice, peut se convertir et redevenir bon, comme le juste est capable de perdre son innocence et de devenir coupable. Tu ne dois donc ni avoir de toi trop bonne opinion, ni désespérer d’autrui. Si donc tu es bon, si tu ne préfères point le mal au bien, mets tous tes soins, à ramener dans b chemin droit celui qui marche dans la voie de l’iniquité. Mais quand aura sonné l’heure du jugement, il n’y aura plus lieu à correction, ce sera le moment de la condamnation ; et si alors on se repent, le repentir sera inutile, parce qu’il viendra trop tard. Veux-tu que ta pénitence soit profitable ? N’attends pas, corrige-toi dès aujourd’hui tu es coupable, Dieu est ton juge, efface tes fautes et l’approche de ton juge te remplira de joie. Aujourd’hui il t’exhorte à la conversion afin de n’avoir pas à te juger ; il te demandera plus tard un compte rigoureux, aujourd’hui il se fait ton avocat. Alors donc, mes frères, ce sera le temps de rire. Le livre de la Sagesse nous parle clairement de ces moqueries adressées aux justes par les méchants. Car la Sagesse elle-même, prenant possession des âmes pures, leur fera tenir ce langage : « Je vous reprenais et vous ne m’écoutiez pas, je vous parlais et vous ne prêtiez pas l’oreille à mes discours ; aussi je rirai lorsque je verrai votre perdition[33] ». Ainsi les justes parleront-ils à Doëch. Voyons aujourd’hui et tremblons, dans la crainte de nous entendre dire de semblables paroles ; et, si nous ressemblons à Doëch, corrigeons-nous, afin que vivant aujourd’hui sous l’empire de la crainte, nous puissions plus tard nous livrer à la joie.
14. Que diront alors ceux qui riront ? « Et ils se moqueront de lui et ils diront : Voilà l’homme qui n’a pas mis en Dieu son appui[34] ». Vous le voyez, il est ici question du l’assemblée des hommes terrestres. Plus de biens tu auras, plus grand tu seras : voilà bien la manière dont s’expriment les avares, les ravisseurs du bien d’autrui, les oppresseurs de l’innocence, les envahisseurs des propriétés qui ne leur appartiennent pas, ceux qui refusent de rendre les dépôts à eux confiés. Plus tu posséderas, plus grand tu seras c’est-à-dire, la mesure de ta fortune en argent et en propriétés sera la mesure de ta puissance : « Voilà l’homme qui n’a pas mis en Dieu son appui, mais qui a placé son espérance dans la grandeur de la fortune ». Un pauvre méchant dira peut-être : Je ne suis pas du nombre de ces gens-là, parce que le Prophète a dit. « Il a mis son espérance dans la grandeur de sa fortune » ; puis, jetant les yeux d’une part sur ses haillons, d’autre part, sur son voisin, qui fait partie du peuple de Dieu, mais qui est riche et bien mieux vêtu que lui, il se dira encore intérieurement : Le Prophète a voulu parler de celui-ci : il n’a pas pu parler de moi. Ne t’y trompe pas, il n’y a ni distinction ni exception à faire en ta faveur. Vois et crains, afin de rire plus tard. Les ressources te manquent, mais si ton cœur est rongé par la convoitise, en es-tu plus innocent ? Notre-Seigneur Jésus-Christ dit un jour à un riche : « Va, vends ce que tu possèdes ; donne-le aux pauvres, tu auras un trésor dans le ciel, viens et suis-moi ». Cet homme s’éloigna le cœur chagrin, le Seigneur avait alors donné aux riches un grand sujet de craindre pour leur salut, car il avait ajouté qu’« il serait plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille, qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux. À ces mots, ses disciples contristés se dirent les uns aux autres : S’il en est ainsi, qui est-ce qui pourra se sauver[35] ? » En parlant de la sorte ne faisaient-ils attention qu’au petit nombre des riches ? L’innombrable multitude des pauvres n’occupait-elle point leur pensée ? Ne pouvaient-ils pas se dire : Puisqu’il est aussi difficile, aussi impossible à des riches d’entrer dans le royaume des cieux qu’à un chameau de passer par le trou d’une aiguille, tous les pauvres entreront dans le ciel, les riches seuls en seront exclus ? Y a-t-il beaucoup de riches ? la multitude des pauvres est immense, on les compte par milliers. Ce n’est point de nos vêtements, mais de l’éclat de notre justice que dépendra notre gloire dans le royaume céleste. Les pauvres y seront égaux aux anges de Dieu, revêtus de la robe de l’immortalité, ils brilleront de l’éclat du soleil dans le royaume de leur père. Pourquoi donc nous inquiéter, pourquoi nous tourmenter d’un si petit nombre de riches ? Mais ce n’était point là la pensée des Apôtres ; et lorsque le Seigneur leur disait : « Il serait plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux », et qu’ils demandaient : « Qui est-ce qui pourra se sauver ? » ils avaient en vue les convoitises et non la fortune. Ils voyaient en effet que les pauvres eux-mêmes sont rongés par l’avarice, malgré leur pénurie. L’avarice, voilà la cause de la condamnation des riches ; ce n’est pas leur aisance, et pour vous en assurer, remarquez bien ce que je dis : Ce riche que tu vois à. tes côtés e de la fortune et n’est peut-être pas avare ; pour toi tu ne possèdes rien, mais la soif des richesses te dévore. Un pauvre couvert d’ulcères, accablé de maux, léché par des chiens, n’ayant ni ressources, ni aliments, ni même de quoi se vêtir, a été emporté par les anges dans le sein d’Abraham[36]. À ce souvenir tu te réjouis d’être pauvre ; est-ce que tu désirerais aussi les ulcères de Lazare ? Est-ce que la santé n’est pas pour toi une véritable fortune ? Lazare a tiré son mérite, non de sa pauvreté, mais de sa piété. Qui est celui qui a été emporté par les anges ? Tu le vois ; où a-t-il été emporté ? Tu ne le vois pas. Quel est-il ? Un pauvre accablé de maux et couvert d’ulcères. Où les anges l’ont-ils transporté ? Dans le sein d’Abraham. Si tu lis les Écritures, tu verras qu’Abraham était riche[37]. Sache-le bien, les richesses ne sont point blâmables, car Abraham possédait de l’or en abondance, aussi bien que de l’argent, des troupeaux, des serviteurs ; en un mot, il était riche, et c’est dans son sein que le pauvre Lazare s’est vu transporter. Oui, un pauvre a été reçu dans le sein d’un riche : quel contraste ! Mais non, ils étaient tous deux riches de Dieu ; ils étaient l’un et l’autre pauvres de convoitises.
15. Qu’est-ce donc que l’Écriture condamne en Doëch ? Elle ne dit pas : Voilà l’homme qui a été riche ; mais : « Voilà l’homme qui n’a point mis en Dieu son appui, qui a placé sa confiance dans ses grandes richesses ». Il est condamné, puni, enlevé de sa tente, comme un tourbillon tout terrestre, comme la poussière que le vent emporte de dessus la surface de la terre : il est déraciné et arraché de la terre des vivants, non parce qu’il a été riche, mais parce qu’il a placé ses espérances dans sa fortune au lieu de les placer en Dieu[38]. Est-ce de pareils riches que parle l’apôtre saint Paul quand il dit : « Ordonne aux riches de ce monde de ne pas être orgueilleux » comme Doëch, « et de ne pas mettre leur confiance en des richesses incertaines et périssables », comme Doëch qui a mis son appui dans leur multitude ; mais d’espérer dans « le Dieu vivant » et de ne pas ressembler à Doëch qui « n’a pas pris Dieu pour son appui ? » Enfin, que leur recommande-t-il encore : « Qu’ils soient riches en bonnes œuvres, qu’ils donnent facilement, qu’ils partagent avec les pauvres[39] ». S’ils donnent facilement, s’ils partagent leurs biens avec ceux qui n’en ont pas, passeront-ils par le trou de l’aiguille ? Oui, ils y passèrent, car le chameau y a passé avant eux et pour eux. Il y est en effet entré le premier, celui qui a dû s’abaisser à l’exemple d’un chameau, pour pouvoir être chargé du fardeau de sa passion ; d’ailleurs il a dit lui-même : Ce qui est impossible à l’homme est facile à Dieu[40]. Que Doëch soit donc condamné et que les justes trouvent maintenant en lui un sujet de crainte. Tu as peut-être de la fortune, mais au lieu d’espérer en elle, tu espères en Dieu. Celui qui ne suit pas ton exemple et qui ne cherche pas son appui dans le Seigneur est à juste titre condamné : « Et il a placé son espérance dans « la multitude de ses richesses », pareil en cela à ceux qui disent : Bienheureux le peuple qui possède ces choses, c’est-à-dire, les biens de la terre ; tandis que les adversaires de Doëch répètent : « Bienheureux le peuple qui a pour Dieu le Seigneur ». Le Psalmiste énumère tous les biens qui, selon eux, font le bonheur d’un peuple, car ils parlent comme des enfants étrangers, comme Doëch l’Iduméen, le terrestre : « Leur bouche s’est répandue en vanité, et leur droite est une droite d’iniquité ; leurs enfants sont dans leur jeunesse comme de nouveaux plans d’arbres ; leurs filles sont parées et ornées comme l’est un temple ; leurs celliers sont remplis ; ils regorgent et se déversent l’un dans l’autre : « leurs vaches sont grasses, la clôture de leurs héritages n’est ni brisée ni ouverte à tout venant, on n’entend aucun cri dans leurs places publiques[41] ». Ils semblent trouver dans cette tranquillité d’ici-bas une félicité sans bornes. Mais celui qui est terrestre est aussi ébranlé que la poussière enlevée par le vent de dessus la surface de la terre. Mais enfin, que leur reproche-t-on ? On ne leur reproche pas de jouir de tous ces biens, car il y a des justes qui les possèdent aussi. Alors que leur reproche-t-on ? Écoutez-moi attentivement et vous ne blâmerez point, indistinctement tous les riches, comme vous ne ferez ni de la pauvreté ni des privations auxquelles elle condamne, un titre assuré de salut. Car s’il ne faut point s’appuyer sur les richesses, il ne faut pas davantage compter sur les mérites de la pauvreté ; le Dieu vivant doit être seul le fondement de notre espérance. Encore une fois, que leur reproche-t-on donc ? d’avoir proclamé bienheureux le peuple qui jouit de ces avantages, et d’avoir par conséquent agi comme des enfants étrangers ; « d’avoir parlé le langage de la vanité, d’avoir eu en leur droite une droite d’iniquité ». Et toi, que diras-tu ? « Bienheureux le peuple qui a pour Dieu le Seigneur ».
16. Il est condamné l’homme « qui amis sa confiance dans la grandeur de ses richesses et qui s’est prévalu dans sa vanité », car y a-t-il pensée plus vaine que celle d’attribuer à une pièce de monnaie un pouvoir supérieur à celui de Dieu ? Il est condamné l’homme qui a proclamé bienheureux le peuple riche des biens de la terre. Mais toi qui dis : « Heureux le peuple qui a pour Dieu le Seigneur », que penses-tu de toi ? Où places-tu tes espérances ? « Pour moi », ce sont tous les justes qui parlent ici : « Pour moi, je suis comme un olivier fertile dans la maison de mon Dieu ». Ce langage n’est pas seulement celui d’un homme, c’est le langage de l’olivier fertile dont les rameaux orgueilleux ont été retranchés, et sur lequel on a greffé l’humble olivier sauvage[42]. « Pareil à un olivier fertile dans la maison de mou Dieu, j’ai mis mon espérance dans la miséricorde du Seigneur ». Doëch a dit : « J’ai placé mon espérance dans la multitude de mes richesses » : ainsi il sera déraciné et arraché de la terre des vivants. Pour moi, parce que je suis pareil à un olivier fertile dans la maison du Seigneur », dont les racines vont puiser leur sève dans cette terre des vivants au lieu d’en être arrachées, j’ai mis toute ma confiance dans la miséricorde divine ». Mais peut-être y a-t-il là une réserve. Parfois, en effet, il est des hommes qui se trompent à cet égard, ils adorent Dieu et sous ce rapport ils ne ressemblent point à Doëch ; mais s’ils espèrent en Dieu, c’est dans la vue d’en obtenir des biens temporels, c’est comme s’ils se disaient : J’adore mon Dieu, aussi il me rendra riche, il me donnera des enfants, il m’accordera une Épouse. Dieu seul peut distribuer de tels dons, mais il ne veut point qu’on l’aime dans l’intention d’en obtenir la jouissance, car souvent il les accorde aux méchants, afin d’apprendre aux justes à attendre de sa part autre chose. En quel sens dis-tu donc : « J’ai placé mon espérance dans la miséricorde divine ? » N’est-ce point pour obtenir du Seigneur des avantages temporels ? Non. « J’ai placé mon espérance dans la miséricorde divine pour toujours, pour les siècles des siècles ». À ces paroles : « Pour toujours », il a voulu ajouter ces autres : « Pour les siècles des siècles », afin de montrer plus clairement par cette répétition combien solidement il était établi dans l’amour des choses célestes, dans l’espérance de l’éternel bonheur.
17. Je vous bénirai à jamais et je confesserai que c’est vous qui l’avez fait[43] ». Qu’avez-vous fait ? Vous avez condamné Doëch et couronné David : « Je vous bénirai à jamais et je confesserai que c’est vous qui l’avez fait ». Magnifique aveu : « Vous l’avez fait ». Qu’avez-vous fait, sinon ce qui a été dit tout à l’heure : « Pareil à un olivier fertile dans la maison, de mon Dieu, j’ai placé mon espérance dans la miséricorde du Seigneur pour toujours, pour les siècles des siècles ? » C’est votre œuvre ; l’impie est incapable par lui-même de se justifier. Quel est donc celui qui rend juste et saint ? « Croyant en celui qui justifie l’impie », dit saint Paul. « Qu’as-tu en effet que tu n’aies reçu[44] ? » Comme si tu pouvais le trouver en toi-même ! A Dieu ne plaise que je me glorifie de la sorte, dit l’homme qui s’est déclaré contre Doëch, qui le supporte ici-bas, en attendant qu’il sorte de sa tente et soit arraché de la terre des vivants. Je ne me glorifie point comme si je n’avais rien reçu, je me glorifie en Dieu. Et je confesserai devant vous que vous l’avez fait ; c’est-à-dire, vous l’avez fait sans aucun mérite de ma part, c’est un effet de votre miséricorde. Qu’ai-je fait, moi ? si vous vous le rappelez : « J’ai été d’abord un blasphémateur, je vous ai persécuté, je vous ai insulté ». Et vous qu’avez-vous fait ? J’ai obtenu miséricorde, parce que j’ai agi dans l’ignorance[45]. Je confesserai à jamais devant vous que vous l’avez fait ».
18. « Et j’attendrai votre nom, parce qu’il est doux ». On ne rencontre qu’amertumes en ce monde, mais votre nom est rempli d’agréments ; et si l’on trouve ici-bas quelques douceurs, quelles amertumes on ressent quand on les a goûtées ! La grandeur et la douceur donnent à votre nom la prééminence sur toutes choses. Les méchants m’ont fait le récit de leurs plaisirs ; mais, Seigneur, que leurs charmes sont loin de ressembler à ceux de votre loi[46] ! Si les martyrs n’avaient trouvé aucune douceur dans leurs tourments, auraient-ils pu en supporter les amertumes ? Il était facile pour tous de voir en quelles amertumes ils étaient plongés, mais on ne pouvait guère éprouver la joie qu’ils ressentaient. Le nom de Dieu est donc plein de charmes pour ceux qui préfèrent le Seigneur à tous les plaisirs : « J’attendrai votre nom, parce qu’il est doux ». Mais à qui prouver que le nom de Dieu est doux ? Dis-moi quelle personne peut en savourer les délices ? Fais du miel toutes les louanges possibles ; exagère autant que tu voudras sa douceur ; l’homme qui ne connaît pas le miel ne te comprendra pas avant d’en avoir goûté. Voilà pourquoi le Psalmiste t’invite d’une manière si pressante à faire l’expérience des charmes du nom de Dieu : « Goûtez », dit-il, « et voyez combien le Seigneur est doux[47] ». Tu ne veux pas le goûter et tu dis : Il est doux. À quoi sert de parler ainsi ? Si tu l’as goûté, qu’on le voie dans les fruits de salut que tu produiras, et non pas seulement dans tes paroles, c’est-à-dire dans tes feuilles, parce que tu pourrais bien être maudit de Dieu comme le figuier stérile[48]. « Goûtez », dit le Psalmiste, « et voyez combien le Seigneur est doux ». « Goûtez et voyez ». Si tu goûtes, tu verras. Mais comment en viendras-tu à persuader un homme qui ne goûte pas ? Quels que soient tes efforts à exalter la douceur du nom de Dieu, tes louanges ne seront jamais que des paroles incapables de la faire apprécier ; il en serait tout autrement si tu pouvais la faire savourer. Les impies eux-mêmes entendent les louanges qu’on en fait, mais il n’y a que les saints pour les comprendre. Le Psalmiste sent toute cette douceur du nom de Dieu, il veut en donner une idée et la faire en quelque sorte toucher des yeux, mais il ne trouve personne à qui il puisse expliquer sa pensée ; car, d’une part, les saints qui savourent et connaissent cette douceur du nom de Dieu, n’ont aucunement besoin d’en entendre parler ; d’autre part, les impies sont incapables d’apprécier ce qu’ils ignorent. Que faire alors ? Comment parler de cette douceur du nom de Dieu ? Il se sépare aussitôt de la foule des méchants et il dit : « J’attendrai votre nom, parce qu’il est doux en présence de vos saints ». Votre nom n’est pas doux en présence des impies, mais je sais à qui sa douceur est bien comme, c’est à ceux qui en ont fait l’expérience.


DISCOURS SUR LE PSAUME 52[modifier]

FOI ET ESPÉRANCE[modifier]

Ce psaume nous fait connaître les ennemis de Dieu et du peuple fidèle ; le nombre en est grand, car ce sont tous les impies et les libertins ils nient l’existence de Dieu pour s’autoriser et persévérer dans leur corruption, et, pour être conséquents avec eux-mêmes, ils persécutent son peuple. Mais, en punition de leur langage sacrilège, le Seigneur les frappe d’aveuglement, les remplit d’une crainte insensée et les anéantit ; quant à ses enfants, il les console par l’espérance d’un Sauveur et des joies du ciel.


1. Nous entreprenons de vous expliquer ce psaume, autant du moins que nous le permettra la grâce de Dieu. Notre frère nous ordonne de vouloir le faire, et il offre au Seigneur ses prières, afin que nous le puissions. Si par trop d’empressement nous venons à omettre quelque détail, celui qui daigne dicter nos paroles suppléera lui-même en vos cœurs à l’insuffisance de notre discours. Le titre le ce psaume est : « Pour la fin, pour Mahéleth, intelligence à David ». « Pour Mahéleth ». Si nous en croyons les interprètes des noms hébreux, le sens serait celui-ci : Pour une personne qui enfante ou qui souffre. Qui est-ce qui enfante et qui souffre ici-bas ? Les fidèles le savent, puisqu’ils sont condamnés à y vivre. Le Christ enfante, le Christ souffre ; le chef et les membres enfantent et souffrent, l’un au ciel, les autres sur la terre. S’il n’en était ainsi du Christ, dirait-il : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu[49] ? » Il enfantait un persécuteur, et celui-ci par sa grâce une fois converti enfantait à son tour ; car il fut ensuite éclairé de la lumière d’en haut ; puis ayant pris place parmi les membres du Christ qu’il persécutait, animé des sentiments de la même charité, et comme s’il était dans le travail de l’enfantement, il disait : « Mes petits enfants, pour qui je sens de nouveau les douleurs de l’enfantement, jusqu’à ce que Jésus-Christ soit formé en vous[50] ». Ce psaume a donc trait aux membres du Christ, à son corps qui est l’Église[51], à cet homme un, c’est-à-dire à cette grande unité dont le chef est au ciel. Cet homme gémit, enfante et souffre, mais pourquoi ? Au milieu de quelles gens ? son chef même a pris soin de l’en instruire, de le lui faire connaître, quand il a dit : « L’iniquité abondera et l’on verra se refroidir la charité d’un grand nombre ». Mais « si l’iniquité abonde », et si la charité « d’un grand nombre se refroidit » ; qui est-ce qui restera pour enfanter ? Le voici : « Celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé[52] ». Y aurait-il de la grandeur d’âme à persévérer, s’il ne fallait le faire en dépit de tracasseries, de tentations, de troubles et de scandales sans nombre ? Il n’y a ni obligation ni vertu à tolérer le bien. Mais puisqu’il est dans ce psaume question de cet homme, étudions-en le sens. Les hommes au milieu desquels il gémit et souffre, y sont réprimandés à cause de lui, et, à la fin, se trouvent et se lisent les motifs consolants qui peuvent soutenir la patience de ceux qui enfantent et qui souffrent. Quels sont donc ceux au milieu desquels nous gémissons et souffrons les travaux de l’enfantement, si nous appartenons au corps du Christ, si nous vivons sous le joug de son autorité suprême, si nous occupons une place parmi ses membres ? quels sont-ils ? Écoute, je vais te l’apprendre.
2. « L’insensé a dit dans son cœur : Il n’y a point de Dieu ». Voilà bien les hommes au milieu desquels souffre et gémit le corps du Christ ; et, si telle est cette classe d’hommes, le nombre de ceux que nous enfantons est bien petit ; autant que nous pouvons en juger, il n’y a guère de ces insensés, il paraît bien difficile de rencontrer un homme qui dise dans son cœur : « Il n’y a point de Dieu[53] ». Leur nombre est si restreint qu’ils craignent de s’exprimer ainsi dans la foule où ils vivent : c’est leur cœur qui le dit, car leur bouche n’oserait proférer de telles paroles. Il y en a donc bien peu que nous soyons obligés de supporter, c’est à peine si l’on en peut rencontrer. « Ceux qui disent dans leur cœur : Il « n’y a point de Dieu », sont rares. Mais si nous attachons un autre sens à ce texte, ces impies tout à l’heure si peu nombreux, si rares, presque introuvables, se trouvent tout à coup singulièrement multipliés ; ceux qui vivent mal se montrent à nous ; si nous considérons la conduite des scélérats, des criminels, des hommes corrompus dont le nombre est si grand, en un mot, des personnes qui se font du péché comme un besoin continuel et qui, à force de le commettre, ont perdu toute honte, quelle multitude s’offre à nos regards ! Placé au milieu d’elle, le corps du Christ ose à peine condamner en elle les fautes, dont elle cherche vainement à le rendre coupable : il s’estime trop heureux de conserver intacte son innocence, de ne pas faire ce que la coutume ne lui donne pas la hardiesse de blâmer ; et s’il ne craint point d’élever la voix contre tant de désordres, les réclamations, les cris des libertins ne tardent pas à étouffer la courageuse protestation de ceux qui marchent dans la voie du bien. Ils sont donc ainsi disposés, qu’ils disent dans leur cœur : « Il n’y a point de Dieu ». Je puis en donner la preuve ; la voici : Ils s’imaginent que leur conduite plaît à Dieu. Ils portent la croyance en Dieu, au point de penser qu’il approuve tout ce qu’ils font. Si, éclairé par la sagesse, tu comprends que « l’imprudent a dit dans son cœur : Il n’y a point de Dieu » ; si tu y fais réflexion, si tu examines bien ce fait et que tu en saisisses bien la portée, tu seras convaincu de ceci : c’est que l’homme qui croit que Dieu approuve sa mauvaise conduite, ne croit vraiment pas que Dieu soit Dieu. En effet, pour être Dieu il faut qu’il soit juste ; et, s’il est juste, l’injustice et l’iniquité lui déplaisent. Tu nies donc l’existence de Dieu, en prétendant qu’il est d’accord avec le péché. Si le Dieu qui déteste le mal est seul vrai Dieu, si d’autre part tu ne regardes pas comme tel le Dieu qui n’approuve point le péché, ce langage de ton cœur : Dieu approuve mes désordres, se réduit à celui-ci : Il n’y a point de Dieu.
3. Entendues dans un autre sens, ces paroles ont trait à notre chef, à Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même. Lorsqu’il apparut en ce monde sous la forme d’esclave, ceux qui le crucifièrent dirent aussi : « Il n’est pas Dieu ». Le livre de la Sagesse avait cité par avance leurs paroles. Toutefois, fais d’abord attention au degré de corruption où ils étaient descendus pour être à même de dire en leur cœur : Il n’est pas Dieu . Après avoir lu ce verset : « L’imprudent a dit dans son cœur : Il n’y a pas de Dieu », nous trouvons bien exprimée dans le suivant la cause de ces paroles insensées : « Ils sont corrompus, ils sont devenus abominables dans leurs iniquités ». Tu le vois, ils se sont abandonnés à la corruption, puisque dans l’égarement de leurs pensées, ils ont tenu ce langage dans leur cœur. La désobéissance aux enseignements de la loi engendre la corruption, amène le dévergondage des mœurs, et précipite l’homme dans les derniers excès du mal ; telle est la marche que l’on suit pour en venir à nier Dieu. Quel langage tiennent en effet ceux dont les pensées ne sont pas droites ? « Notre vie est courte ; elle est traversée d’une infinité d’ennuis ». De ce premier dérèglement dans la foi, ils tombent daims cet autre désordre dont parle l’apôtre saint Paul Mangeons et buvons, car demain nous mourrons[54] ». Le livre de la Sagesse développe amplement cette pensée corruptrice : « Couronnons-nous de roses avant qu’elles se flétrissent ; laissons partout des traces de notre joie ». Après avoir ainsi traduit les idées des méchants, il ajoute : « Faisons mourir le pauvre qui est juste[55] ». N’est-ce pas lire : Il n’y a point de Dieu ? Ils semblaient tenir un langage plein de douceur : « Couronnons-nous de rosés avant qu’elles se flétrissent ». Jamais parole fut-elle plus délicate, plus inoffensive ? Croirait-on que cette tendresse de langage doit aboutir à un crucifiement, à des coups d’épée ? Y a-t-il de quoi t’étonner ? La racine des ronces n’est-elle pas non plus douce au toucher ? Serre-la donc dans tes mains, elle ne te blessera pas ; mais en est-il le même de la tige qui en sort ? « Ils sont donc corrompus, ils sont donc devenus abominables dans leurs iniquités. L’imprudent a dit dans son cœur : Il n’y a pas de Dieu ; s’il est le Fils de Dieu, qu’il descende de la croix[56] ». C’est bien dire : « Il n’y a point de Dieu ».
4. Mais comment le corps du Christ gémit-il parmi de telles gens ? Les Apôtres et les disciples du Sauveur y ont gémi en leur temps. Pour nous, quels rapports avons-nous avec eux ? comment au milieu d’eux endurons-nous les douleurs de l’enfantement ? Il en est encore qui disent : Le Christ n’est pas Dieu. Ce qui reste de païens le dit : nous l’entendons dire à ces juifs, qui portent en tout lieu la preuve de leur condamnation. Une multitude d’hérétiques tiennent le même langage. Les Ariens ont dit : Il n’est point Dieu. Les Eunoméens ont dit aussi : Il n’est point Dieu ; nous pouvons ajouter ici, mes frères, que tous les chrétiens dont nous avons parlé tout à l’heure, et qui vivent mal, ne disent pas autre chose. Car lorsque nous leur annonçons que le Christ viendra juger tous les hommes, comme nous l’attestent les Écritures, qui ne peuvent nous tromper, ils aiment mieux prêter l’oreille aux suggestions du serpent, de cet esprit infernal qui n’avait pas craint de donner le démenti à Dieu lui-même dans le Paradis terrestre, et qui avait dit à Adam : « Tu ne mourras pas[57] », quand le Seigneur lui avait formellement attesté qu’il mourrait[58]. Ils font le mal si hardiment qu’ils ne craignent pas de se dire : Le Christ viendra et il accordera à tous le pardon de leurs fautes. Le voilà donc convaincu de mensonge, celui qui s’est annoncé comme devant séparer les justes d’avec les pécheurs, et placer les uns à sa droite et les autres à sa gauche. Le voilà convaincu de mensonge, celui qui s’est annoncé comme devant dire aux justes : « Venez, bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde » ; et aux pécheurs : « Allez au feu éternel qui a été préparé pour le démon et ses anges[59] ». D’après ces paroles, pourrait-il pardonner à tous ? Pourrait-il ne condamner personne ? Il ment donc ; s’exprimer ainsi n’est-ce pas dire : Il n’est pas Dieu ? Prends garde de mentir toi-même. Car tu es homme et il est Dieu. Dieu est la vérité même, et tout homme est menteur[60]. O corps du Christ, que feras-tu au milieu de ces méchants ? Il faut t’en éloigner, par tes affections et tes mœurs. Ne les imite pas, n’entre point en société avec eux, ne donne à leurs désordres ni ton consentement, ni ton approbation ; inflige-leur plutôt le châtiment d’un blâme sévère. Pourquoi prêter attention à des hommes qui parlent de la sorte : « Ils sont corrompus et sont devenus abominables dans leurs iniquités, il n’en est aucun parmi eux pour faire le bien ? » « Du haut du ciel le Seigneur a jeté les yeux sur les enfants des hommes, afin de voir s’il en est qui aient l’intelligence ou qui cherchent Dieu[61] ». Qu’est-ce à dire ? Tous ceux qui disent : Il n’y a pas de Dieu, sont-ils corrompus ? sont-ils tous devenus abominables ? Eh quoi ! s’ils en étaient là, Dieu l’ignorerait-il ? ou plutôt serions-nous à même de pénétrer les secrètes pensées de leurs cœurs, s’il ne nous en faisait la grâce ? S’il le savait, s’il en avait la connaissance, pourquoi donc est-il écrit que « du haut du ciel il a jeté ses regards sur les enfants des hommes pour voir s’il en est qui aient la sagesse ou qui cherchent Dieu ? » Ces paroles désignent non une personne instruite, mais une personne qui cherche à s’instruire : « Du haut du ciel le Seigneur a jeté ses regards sur les enfants des hommes, afin de voir s’il en est qui aient l’intelligence ou qui cherchent  Dieu ». Et comme s’il avait trouvé ce qu’il cherchait à apercevoir en jetant ses regards du haut du ciel, il prononce ce jugement « Tous se sont écartés de la voie et sont de-« venus inutiles ; il n’y en a pas qui fassent le « bien ». De ce verset surgissent deux difficultés peu aisées à résoudre. Si Dieu regarde du haut du ciel pour voir s’il y a un homme qui ait l’intelligence ou qui cherche Dieu, l’insensé peut s’imaginer que Dieu ne connaît pas tout. Voilà la première difficulté ; voici la seconde : S’il n’y a pas un homme pour faire le bien, s’il n’y en a pas un seul, où trouver celui qui supporte au milieu des méchants des douleurs pareilles à celles de l’enfantement ? Pour résoudre la première difficulté, il faut se rappeler que l’Écriture attribue à Dieu lui-même ce que la créature fait sous l’influence de la grâce. Ainsi, par exemple, si tu prends pitié d’un pauvre, on dit que c’est Dieu qui en a pitié, parce que tu agis par son inspiration. Tu te connais toi-même, c’est lui qui t’éclaire ; si tu lui dis comme le Prophète « Seigneur, vous allumerez ma lampe, mon Dieu, vous dissiperez mes ténèbres[62] ». Mais parce qu’il t’aide à te connaître, parce qu’il te donne la connaissance de toi-même, il te connaît ; car, s’il n’en était ainsi, comment pourrait-on dire : « Le Seigneur votre Dieu vous tente pour savoir si vous l’aimez[63] ? » Que-signifie : pour savoir ? Afin de vous communiquer par sa grâce cette science. Nous devons donc entendre dans le même sens ces paroles : « Du haut du ciel le Seigneur a jeté « ses regards sur les enfants des hommes, afin « de savoir s’il en est qui aient la sagesse ou « qui cherchent Dieu ». Puisse-t-il nous venir en aide et nous accorder la faveur de mettre en pratique les bons désirs qu’il a déposés dans nos cœurs ! Selon l’apôtre saint Paul : « Nous n’avons point reçu l’esprit de ce monde, mais l’Esprit de Dieu, afin que nous connaissions les dons que Dieu nous a faits ». Cet Esprit qui nous a fait connaître les-faveurs dont Dieu nous a gratifiés, nous fait aussi mettre une différence, entre ceux à qui ces faveurs ont été refusées et nous ; il nous aide à les comparer à nous et à les connaître. Si, en effet, nous comprenons que tout ce que nous possédons de bien nous vient uniquement de la bonté et de la générosité de l’auteur de tout bien, il nous sera aussi facile de comprendre que ceux à qui il n’a rien accordé ne peuvent rien avoir. Cette science nous vient de l’Esprit de Dieu, et par cela même que nous le voyons, il est dit que Dieu le voit, car il est la source de notre science. Il faut encore entendre dans le même sens ces autres paroles : « L’esprit examine tout, même ce qu’il y a de plus élevé en Dieu ». Non pas que l’Esprit examine, puisqu’il connaît tout, mais parce que Dieu te le donne pour te faire approfondir toutes choses ; et comme sa grâce te fait agir, on dit qu’il fait ce que tu ne pourrais faire sans lui, Donc, quand tu fais quelque chose, Dieu est censé le faire. C’est donc par une faveur de l’Esprit de Dieu qu’ils ont reçu, que ses enfants « jettent leurs regards sur les enfants des hommes pour voir s’il en est qui aient la sagesse ou qui cherchent Dieu ». Mais parce qu’ils le font par l’influence de sa grâce et de son Esprit, on dit que Dieu le fait, c’est-à-dire qu’il regarde et qu’il voit. Pourtant, puisque ce sont des hommes qui regardent et qui voient, pourquoi dire : « Du haut du ciel ? » Parce que saint Paul a dit : « Votre demeure est dans le ciel[64] ». N’est-ce point par le cœur que vous voyez, que vous regardez pour comprendre ? Chrétien, puisque c’est par le cœur que tu agis de la sorte, vois donc si ton cœur est en haut ; en ce cas, tu jettes du haut du ciel tes regards sur la terre ; et comme tu le fais par la grâce de Dieu, « le Seigneur jette du haut du ciel ses regards sur les enfants des hommes » ; suivant notre manière de voir on peut ainsi résoudre là première difficulté.
6. Que voyons-nous en regardant, en jetant les yeux sur les enfants des hommes ; qu’est-ce que Dieu aperçoit ? Que peut remarquer celui à qui le Seigneur fait la grâce de voir ? Écoute, je vais te le dire : « C’est que tous se sont écartés de la voie et sont devenus inutiles : il n’y en a pas qui fasse le bien, il n’y en a pas un seul ». S’il n’y en a pas qui fasse le bien, s’il n’y en a pas un seul, il n’y aura donc pas de justes pour gémir au milieu des méchants ? Attends, dit le Seigneur, ne te hâte point de te prononcer ; j’ai donné aux hommes le pouvoir de bien faire, mais avec le secours de ma grâce et non pas avec leurs propres forces ; car d’eux-mêmes ils sont méchants ; quand ils font le mal, ils sont enfants des hommes, ils sont mes coulants quand ils se conduisent bien. Par la puissante bonté de Dieu, les enfants des hommes deviennent ses enfants, parce que son Fils est devenu le Fils de l’homme. Voyez quelle admirable société s’est établie entre Dieu et nous ; il nous a promis de nous rendre participants de sa divinité, ne devait-il point, sous peine de parjure, devenir d’abord lui-même participant de notre mortalité ? Le Fils de Dieu donc pris part à notre nature humaine pour nous donner part à sa nature divine. Celui qui a promis de te faire entrer en communion de ses biens a voulu entrer auparavant en communion de tes maux. Il l’a promis sa divinité, mais avant tout il t’a manifesté son immense charité. Que si tu nous enlèves ce que nous avons reçu en devenant enfants de Dieu, tu ne trouveras plus tel nous que les vices des enfants des hommes, et alors tu verras combien sont vraies ces paroles : « Il n’y en a pas qui fasse le bien, il n’y en a pas un seul[65] ».
7. « Est-ce qu’ils n’acquerront pas la science, iceux qui commettent l’iniquité et qui dévorent mon peuple comme un morceau de pain ? Est-ce qu’ils n’acquerront pas la science[66] ? » Est-ce qu’il ne leur sera pas donné de voir ? Parlez, menacez, élevez la voix comme une femme qui enfante, comme sue personne qui souffre. Car ils dévorent votre peuple de la même manière qu’on dévore un morceau de pain. Il y a donc ici un peuple de Dieu que l’on dévore, et pourtant : « Il n’y en a pas qui fasse le bien, il n’y en à pas un seul ». Ce que nous avons dit tout à l’heure, nous aide à répondre : ce peuple que l’on dévore, ce peuple qui souffre au milieu des méchants, ce peuple qui gémit et enfante au milieu d’eux, se compose d’enfants des hommes devenus enfants de Dieu : voilà pourquoi on le dévore. « Car vous avez confondu le conseil du pauvre, parce qu’il a mis en Dieu son espérance[67] ». Le plus souvent, en effet, la raison pour laquelle on méprise et l’on dévore le peuple de Dieu, c’est sa qualité même de peuple de Dieu. Que je me livre, dit-on, à la rapine ; que je devienne spoliateur : si ma victime est un chrétien, quel mal me fera-t-elle ? Celui qui parle en faveur des victimes et menace les persécuteurs, celui-là parle en faveur de son peuple, car il dit : « Est-ce que ceux qui commettent l’iniquité n’acquerront pas la science ? » L’homme qui voyait le voleur et courait avec lui, qui entrait en partage avec les adultères, qui s’asseyait et méditait contre son frère, qui tendait un piège au fils de sa mère, cet homme a dit dans son cœur : « Il n’y a pas de Dieu ». C’est pourquoi le Seigneur lui dit en retour : « Tu as fait cela et je me suis tu ; tu as supposé l’iniquité en moi, tu as cru que je te ressemblerais », c’est-à-dire, si je te ressemblais je ne serais pas Dieu. Et il ajoute : « Je te reprendrai, je te ferai comparaître devant toi-même ». Maintenant tu ne veux pas te connaître, tu ne veux point par là éprouver de déplaisir ; plus tard tu te connaîtras et tu pleureras. Dieu forcera nécessairement les méchants à reconnaître leur iniquité. S’il ne le faisait pas, où donc seraient ceux qui doivent dire : « A quoi nous a servi notre orgueil ? qu’avons-nous retiré de l’éclat de nos richesses ? » Alors ils seront instruits, ceux qui ne veulent pas s’instruire aujourd’hui : « Est-ce qu’ils n’acquerront pas la science, tous ceux qui font le mal et qui dévorent mon peuple commue un morceau de pain ? » Quel sens donner à ce qui suit : « Comme un morceau de pain ? » Ils dévorent mon peuple comme on mange le pain. Parmi les aliments qui servent à notre nourriture, nous choisissons tantôt les uns, tantôt les autres. Nous ne mangeons pas toujours les mêmes légumes, la même sorte de viande, les mêmes fruits, mais toujours nous mangeons du pain. Quelle est donc la signification de ces paroles : « Ils dévorent mon peuple comme un morceau de pain ? » Ceux qui dévorent mon peuple comme un morceau de pain, le font sans interruption, sans fin.
8. « Ils n’ont pas invoqué Dieu[68] ». Le Prophète console ici celui qui gémit ; il l’exhorte surtout à ne point imiter les méchants, dans la crainte de le voir entraîné au mal par le spectacle des prospérités dont ils jouissent habituellement. Tu entreras en possession de ce qui t’a été promis, l’espérance des méchants se borne au temps présent ; la tienne a pour objet les biens éternels ; ce qu’ils espèrent leur échappera, jamais tu ne perdras ce que tu attends ; les avantages de ce monde sont trompeurs, ceux auxquels tu aspires sont véritables « Car ils n’ont point invoqué « Dieu ». Est-ce que de telles gens ne le prient pas tous les jours ? Non, ils ne le prient pas. Attention ! je vais essayer avec l’aide de Dieu de vous le faire comprendre. Dieu veut qu’on le serve et qu’on l’aime gratuitement, c’est-à-dire dans le sentiment d’un pur amour, parce qu’il se donne lui-même, mais non parce qu’en outre de lui-même il donne encore autre chose. Aussi l’homme qui prie Dieu de lui donner des richesses, n’invoque pas Dieu, mais il invoque les biens dont il veut s’enrichir. Appeler à soi, n’est-ce point le vrai sens du mot invoquer ? Invoquer signifie donc appeler à soi. En effet, quand tu dis : Seigneur, accordez-moi de la fortune, ton désir n’est pas que Dieu lui-même vienne à toi, tu ne veux y voir venir que la fortune. Ce dont tu souhaites entrer en possession, voilà ce que tu invoques. Si tu invoquais Dieu, il viendrait lui-même à toi et serait ton trésor. Le plus vif objet de tes désirs, c’est une aire remplie de toutes parts, peu t’importe que ton âme reste vide des biens célestes. Dieu remplit le cœur et non les celliers. De quelle utilité peuvent être pour toi les biens extérieurs, si tu es dénué des biens intérieurs ? Ceux-là donc ne prient pas Dieu qui le prient pour obtenir de lui les avantages temporels, les biens d’ici-bas, le bonheur de cette vie terrestre et passagère. Aussi que lisons-nous ensuite ? « Ils ont été saisis par la crainte là où il n’y avait rien à craindre ». Que l’on perde sa fortune, y a-t-il là un vrai sujet de crainte ? Non, et pourtant on redoute une pareille perte. On aurait bien raison de trembler si l’on venait à perdre la sagesse ; et c’est précisément là qu’on ne se trouble pas. Écoute, réfléchis et saisis bien le caractère des méchants.
9. L’on confie à un homme un petit sac d’argent : il ne veut point le rendre, il le regarde comme sa propriété, il ne pense pas qu’on puisse le lui réclamer, il le considère comme lui appartenant, il refuse de s’en dessaisir. Il lui est facile de voir ce qu’il craint de perdre, ce qu’il refuse d’avoir ; son âme est partagée entre l’argent et la probité. Plus est précieuse à tes yeux l’une rie ces choses, plus on doit craindre de la perdre. Pour garder l’or tu perds la probité. Tu souffres un dommage bien plus considérable que celui de rester pauvre, et le gain que tu as fait te comble de joie : tu as été saisi de crainte là où tu n’avais rien à craindre. Rends cet argent. Je dis trop peu en m’exprimant ainsi : perds-le pour ne point perdre la fidélité. Tu crains de rendre cet argent, et tu consens à perdre la probité. Les martyrs ne se sont point emparés des richesses d’autrui, afin de ne point perdre la foi. Ils ont même poussé le désintéressement jusqu’à mépriser les leurs. Ils ont perdu leur âme pour la retrouver dans la vie éternelle[69]. Ils ont donc été saisis de crainte quand il fallait craindre. Mais ceux qui ont dit du Christ : « Il n’est pas Dieu, ceux-là ont tremblé quand il n’y avait pas sujet de le faire ». En effet, ils ont dit : « Si nous le laissons aller, les Romains viendront et ils nous ôteront notre pays et notre royaume[70] ». Quelle folie, quelle imprudence de dire dans son cœur : « Il n’est pas Dieu ». Tu as craint de perdre la terre, et tu as perdu le ciel ; tu as craint de voir les Romains venir et t’enlever ton pays et ton royaume ; auraient-ils été à même de t’enlever ton Dieu ? Que te reste-t-il, sinon la nécessité d’avouer que tu as laissé échapper de tes mains ce que tu as voulu conserver contre les droits de la justice ? En faisant mourir le Christ, tu as perdu ton pays et ton royaume. Vous avez préféré la mort du Christ à la perte de votre pays, et vous avez perdu tout à la fois votre pays, votre royaume et le Christ. La crainte les a portés à crucifier le Sauveur, mais pourquoi cela ? « Parce que Dieu disperse les ossements de ceux qui veulent plaire aux hommes ». Ils voulaient plaire aux hommes, et ils ont tremblé à la pensée de perdre leur pays. Mais le Christ dont ils ont dit : Il n’est pas Dieu, a mieux aimé déplaire à des hommes de leur caractère, il a préféré déplaire aux enfants des hommes, et non point aux enfants de Dieu. Aussi leurs ossements ont-ils été dispersés, tandis que les siens sont demeurés intacts : « Eux ont été couverts de confusion, parce que « Dieu les a méprisés ». Et de fait, mes frères, ils ne pouvaient, en ce qui les concernait, être couverts d’une confusion plus complète, car la nation juive a cessé d’exister en ces lieux où les Israélites avaient mis le Christ à mort, précisément dans l’intention de conserver leur pays et leur royaume ; et toutefois, en leur manifestant ainsi son mépris, Dieu a voulu les exciter à se convertir. Qu’ils reconnaissent donc maintenant le Christ ; qu’après avoir dit de lui : Il n’est pas Dieu, ils proclament sa divinité ; qu’ils reviennent à l’héritage de leurs pères, Abraham, Isaac et Jacob, et possèdent avec leurs ancêtres la vie éternelle, quoiqu’ils aient perdu la vie temporelle ! Comment cela ? en cessant d’être enfants des hommes, et en devenant enfants de Dieu ; car tant qu’ils resteront dans leur incrédulité, et ne consentiront point à se convertir, à eux s’appliqueront ces paroles : « Il n’y en a pas qui fasse le bien, il n’y en a pas un seul ; ils ont été couverts de confusion, parce que Dieu les a méprisés ». Le Prophète semble se tourner vers eux, et leur dire : « Qui est-ce qui donnera de Sion un Sauveur à Israël ? » Insensés, vous outragez, vous insultez, vous souffletez, vous couvrez de crachats, vous couronnez d’épines, vous crucifiez. Savez-vous qui ? « Qui est-ce qui donnera de Sion le salut à Israël ? » N’est-ce point celui-là même de qui vous avez dit : « Il n’est pas Dieu ? » « Ce sera Dieu, quand il fera cesser la captivité de son peuple ». Celui-là seul peut faire cesser la captivité de son peuple, qui a consenti à se livrer entre nos mains. Mais qui est-ce qui le comprendra ? « Jacob sera dans la joie, et Israël dans l’allégresse ». Oui, ce Jacob, oui, cet Israël qui a tenu son aîné sous sa dépendance, sera dans l’allégresse, parce qu’il aura l’intelligence de toutes choses.


DISCOURS SUR LE PSAUME 53[modifier]

SERMON AU PEUPLE.[modifier]

MÉPRIS DU MONDE.[modifier]

D’après le titre de ce psaume, David s’était réfugié chez les Ziphéens pour y trouver un abri contre les poursuites de Saül ; mais il fut trahi par ceux-là mêmes an milieu desquels il avait espéré trouver un toit hospitalier. David représentait, en cette circonstance, le Sauveur et ses disciples, comme les Ziphéens figuraient les mondains, dont l’éclat n’est que passager. La

prière adressée à Dieu par le roi fugitif du sein de sa retraite, convient donc parfaitement à Jésus-Christ et à l’Église, dont les membres sincères sont cachés aux yeux du monde. L’humilité du chrétien et l’éclat du mondain ne dureront pas ; de là, pour le premier, le désir de ne point briller ici-bas, de ne pas mettre ses espérances dans les éphémères futilités de la terre, mais de les placer en Dieu et de le servir pour lui-même.


1. Si nous saisissons bien le sens du titre de ce psaume, sa longueur même nous sera avantageuse ; et, puisque le Psaume est court, nous emploierons, à expliquer le titre, le temps que l’explication du psaume laissera à notre disposition. Du sens de ce titre bien compris dépend l’intelligence du psaume dont nous venons de chanter les versets : car l’homme qui lit bien l’inscription placée au frontispice d’une maison, y pénètre sans crainte, et ne s’égare pas quand il y est entré, parce que l’inscription a été mise au seuil de l’édifice, dans l’unique but d’indiquer les moyens de ne point s’y égarer. Ce psaume est ainsi conçu : « Pour la fin, dans les hymnes, intelligence à David, lorsque les habitants de Ziph vinrent trouver Saül pour lui dire : David n’est-il pas caché chez nous[71] ? » Nous savons que Saül persécutait le saint homme David : il était la figure du royaume de ce monde, prédestiné non pas à la vie, mais à la mort. Nous nous souvenons de l’avoir déjà expliqué à votre charité. Vous devez le savoir aussi ; et, si vous le saviez déjà, vous le rappeler. David préfigurait le Christ ou le corps du Christ. Qu’était-ce donc que les Ziphéens ? Il y avait un bourg du nom de Ziph, dont les habitants s’appelaient Ziphéens : David s’était retiré sur leur territoire pour échapper aux poursuites de Saül, qui le recherchait et voulait le faire mourir. À peine eurent-ils connaissance de ce fait, qu’ils allèrent indiquer à Saül la retraite de sa victime, et lui dire : « Est-ce que David n’est point caché chez nous[72] ? » Cet acte de lâcheté ne leur fut d’aucun profit, comme il ne fut pour David la cause d’aucun mal : il ne servit qu’à manifester clairement la méchanceté de leurs dispositions. Pas plus après leur trahison qu’auparavant, Saül ne réussit à s’emparer de David ; et même, comme il se trouvait dans une caverne de ce pays, et, à vrai dire, sous la main de David, celui-ci ne voulut point en profiter pour le faire mourir : il renonça à l’occasion favorable qui se présentait, et lui fit grâce de la vie[73]. Pour Saül, il lui fut impossible de mettre à exécution ses projets homicides.
2. Peu nous importe de connaître la valeur morale des Ziphéens ; occupons-nous de ceux que le Psalmiste veut nous désigner sous ce nom. Si nous cherchons la signification de ce mot, nous trouverons qu’il veut dire : florissants, éclatants. Les ennemis du saint roi David brillaient de je ne sais quel éclat : ils paraissaient au grand jour, tandis que David se cachait. Si nous voulons bien comprendre ce psaume, il nous faut savoir quelles sont, parmi les hommes, ces personnes brillantes. Voyons d’abord celles que David préfigurait en se dérobant aux regards d’autrui : il nous sera ensuite plus facile de connaître celles que ses ennemis représentaient en paraissant au grand jour. Saint Paul nous apprend quel est ce David qu’on n’aperçoit pas, lorsque, s’adressant aux membres du Christ, il leur dit : « Vous êtes morts, et votre vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu ». Et quand fleuriront ces fidèles cachés aujourd’hui ? « Lorsque Jésus-Christ, qui est votre vie, paraîtra », ajoute-t-il, « vous paraîtrez aussi avec lui dans la gloire[74] ». Quand ces membres du Christ fleuriront, les Ziphéens ressembleront à une herbe qui se dessèche ; car, voyez à quelle fleur l’Écriture compare leur gloire. « Toute chair n’est que de l’herbe, et tout l’éclat de la chair est comme la fleur de l’herbe ». En fin de compte, « l’herbe se dessèche, et sa fleur fanée tombe à terre ». Et quel sera le sort de David ? Écoute ce qui suit : « Mais la parole de Dieu demeure éternellement[75] ». Il y a donc ici-bas deux classes d’hommes, qu’il nous faut bien distinguer l’une de l’autre, et entre lesquelles nous devons nécessairement choisir. À quoi te servirait-il, en effet, de les connaître, si tu devais être indifférent à faire un choix ? Tu as aujourd’hui le pouvoir de choisir ; le temps viendra où ce pouvoir ne t’appartiendra plus, car alors Dieu se hâtera de rendre à chacun selon ses œuvres. Qui sont donc ces Ziphéens si brillants, sinon ce corps de Doëch l’Iduméen, dont nous avons déjà, il y a quelques jours, entretenu votre charité ? C’est d’eux qu’il a été dit : « Voilà l’homme qui n’a pas pris Dieu pour son appui, mais qui a mis son espérance dans la multitude « de ses richesses, et placé sa force dans la vanité ». Voilà bien ces enfants du siècle, dont l’Évangile a voulu notas parler, quand il nous a dit qu’ils sont dans leurs affaires plus rusés que les enfants de la lumière ; car on les voit supputer toutes les chances d’un avenir qui ne leur appartiendra peut-être pas. Vous savez quelle conduite l’économe infidèle tint à l’égard de son maître : il travailla pour lui-même aux dépens de celui-ci, en remettant à ses créanciers une partie de leur dette, afin de trouver chez eux un asile lorsqu’il serait privé de sa charge. Il avait agi de mauvaise foi, et, pourtant, son maître lui donna des louanges, non pas sans doute à cause de l’injustice qu’il avait commise, mais en raison de l’adresse qu’il avait montrée. À plus juste titre devons-nous, surtout après la recommandation expresse de Notre-Seigneur Jésus-Christ, nous préparer des amis avec le Mammon d’iniquité[76]. Par Mammon on entend les richesses. Nous ne devons avoir de trésor que dans le ciel, où nous habiterons éternellement. C’est pourquoi ceux-là seuls donnent à l’argent le nom de richesses, qui ne savent jeter de l’éclat que sur la terre, et qui ne veulent point s’en servir de manière à se préparer des amis pour l’éternité. La raison en est qu’ils ne connaissent pas les véritables richesses. Les pécheurs, qui brillent comme l’herbe pour un temps, sont seuls à leur donner le nom de richesses : et voilà les Ziphéens, les adversaires de David, les hommes qui jettent en ce monde un si vif éclat.
3. Parfois il arrive que des enfants de lumière, entraînés par la faiblesse humaine, portent leur attention sur de pareils hommes, et quand ils voient le bonheur sourire aux méchants, ils chancellent dans leur route, et ils se disent : Quel avantage retiré-je de mon innocence ? À quoi me sert d’être fidèle lieu, d’observer ses commandements, d n’être à charge à personne, de ne rien dérober à qui que ce soit, de ne jamais nuire à autrui, d’être, autant que possible utile à prochain ? Je remplis tous mes devoirs : les mécréants sont heureux, et moi, je souffre ! Eh quoi ! voudrais-tu être aussi un Ziphéen ? Ils sont tous brillants en ce monde ; mais, au jugement de Dieu, ils se dessécheront, puis ils seront jetés dans le feu éternel. Est-ce cela que tu désires pour toi ? As-tu mis en oubli les promesses de celui qui est descendu du ciel vers toi ? Ne connais-tu pas l’exempte qu’il t’a lui-même donné ? Si l’éclat des Ziphéens méritait d’exciter tes désirs, ton Sauveur ne s’en serait-il pas revêtu pour les jours de sa vie mortelle ? Ou bien, la puissance de le faire lui a-t-elle manqué ? Il a préféré ne pas se faire connaître ; il a mieux aimé dissiper les soupçons que Ponce Pilate élevait sur la nature de sa puissance, et répondre à ses questions, comme s’il adressait la parole à ces orgueilleux Ziphéens eux-mêmes : « Mon royaume n’est pas de ce monde[77] ». Il se cachait donc ici-bas, et tous les hommes vertueux s’y cachent, à son exemple, parce que leur véritable bien est au dedans d’eux : il est caché dans leur cœur, dans ce cœur où se trouvent leur foi, leur charité, leur espérance, leur trésor. De tels biens paraissent-ils au regard du monde ? Non, ils s’y dérobent, et la récompense que lieu leur réserve ne paraît pas davantage. Comment donc se fait-il que l’éclat des mondains soit si vif ? Il éblouit les yeux, mais il ne les éblouira pas toujours. Pareil à la beauté de ces herbes qui naissent et gardent leur verdeur en hiver, pour se flétrir aux premières ardeurs du soleil d’été, il ne durera qu’un moment. Ne nous livrons donc pas à ces pensées que le Prophète développe dans un autre psaume. Il avoue qu’il a failli tomber de défaillance et qu’il a marché d’un pas chancelant dans la voie de Dieu, parce qu’il a vu l’éclat et le bonheur des méchants. Néanmoins, dès qu’il a connu ce que Dieu, souverainement ennemi du mensonge, réserve pour l’avenir aux pécheurs, ce qu’il promet aux justes malheureux, il s’écrie, dans les transports de sa joie et de sa reconnaissance : « Que le Dieu d’Israël est bon pour ceux qui ont le cœur droit ! mes pas ont chancelé je me suis vu sur le point de tomber ». Et pourquoi ? « Parce qu’à la vue du tranquille bonheur des méchants, la jalousie s’est emparée de mon cœur ». Mais sa démarche s’est raffermie, lorsqu’il a pénétré les mystères de l’avenir. Il ajoute dans un autre verset du même psaume : « J’ai trouvé en cela une grande obscurité » ; c’est-à-dire, une grande difficulté s’est présentée à mon esprit. Pourquoi les hommes qui font le mal en cette vie, y sont-ils néanmoins si heureux ? Pourquoi ceux qui pratiquent la vertu, y sont-ils, au contraire, sujets à tant de peines ? Cette difficulté me semblait singulièrement grave, et presque impossible à résoudre. « Je ne vois qu’obscurité devant moi, jusqu’à ce que j’entre dans le sanctuaire de Dieu, et que je pénètre les mystères de l’avenir[78] ». Quels mystères l’avenir doit nous révéler ? L’Évangile nous les a déjà fait connaître : « Lorsque le Fils de l’homme viendra, tous les peuples de la terre seront rassemblés devant lui, et il les séparera, comme un pasteur sépare les agneaux d’avec les boucs : il mettra les brebis à la droite, elles boucs à la gauche[79] ». Les Ziphéens seront d’abord mis de côté, puis ils seront jetés au feu. Verra-t-on briller ceux qui seront placés à la gauche ? car alors ils gémiront : alors leur âme sera saisie de repentir, mais d’un repentir hors de saison alors ils s’écrieront : « De quoi nous a servi notre orgueil ? Quel avantage retirons-nous du faste de nos richesses ? Tout cela a passé comme l’ombre[80] ». O Ziphéens, qui êtes maintenant à la gauche il est trop tard pour vous repentir d’avoir brillé dans l’ombre. Au lieu de reconnaître David, quand il se cachait au milieu de vous, pourquoi le trahissiez-vous ? Si alors vous vous étiez corrigés, votre douleur présente ne vous serait point inutile. Il y a un repentir utile, et un repentir qui ne l’est pas. Tu te repens utilement, lorsque tu t’accuses, lorsque tu te reproches ta conduite désordonnée, lorsqu’à la suite de ces secrets reproches, tu combats tes mauvaises habitudes, lorsque, après leur avoir fait la guerre, tu t’en corriges, lorsque tu te convertis, et que, te dépouillant du vieil homme et te revêtant du nouveau, tu préfères les ignominies du Christ à la gloire des Ziphéens. Pendant que tu renfermes ton trésor dans ton cœur, et que tu es caché parmi les Ziphéens, pendant que tu conserves aussi en secret l’espoir de ton éternelle récompense, s’il t’arrive d’occuper dans le monde un poste élevé, n’en conçois aucun orgueil, car l’orgueil que tu en ressentirais, te précipiterait dans l’éphémère vanité des Ziphéens. Imite plutôt l’exemple d’Esther, de cette sainte femme qu’admira autrefois le peuple juif. Mariée à un roi étranger, elle apprit à quel péril se trouvait exposée toute sa nation, et la nécessité urgente d’intercéder auprès du souverain en faveur d’Israël : elle se mit donc en prière, et, pendant son oraison, elle confessa à Dieu que tous ses ornements royaux n’avaient pas à ses yeux plus de prix qu’un vêtement de femme souillé par la menstruation[81]. Des hommes ne pourraient-ils pas faire ce que font des femmes, et l’Église chrétienne aurait-elle moins de force que cette femme juive ? Je dirai donc à votre charité : « Si les richesses vous surviennent en abondance, n’y arrêtez point votre cœur[82] ». Si abondantes qu’elles soient, si grande que soit ici-bas ta prospérité, ne te fie pas à cette mer, ne te fie point à ses apparences séduisantes. Si tu deviens riche, et que ta fortune s’accroisse sans cesse, foule aux pieds les biens de la terre, attache ton cœur à Dieu. En t’élevant au-dessus d’eux, et donnant à Dieu tes affections, tu ne seras pas exposé à tomber lorsqu’ils manqueront sous tes pieds. Ainsi il ne t’arrivera point, par le fait d’une pensée déréglée et peu chrétienne, ce qui est marqué en un autre psaume. Après avoir parlé de l’éclat des Ziphéens, le Prophète ajoute : « Vos pensées sont étrangement profondes ». Oui, je le répète : « Vos pensées sont étrangement profondes : l’imprudent ne les comprendra pas ; l’insensé n’en saisira pas le sens »[83]. Qu’est-ce qu’il ne comprendra pas ? le voici : « Les méchants s’élèveront comme l’herbe, et tous ceux qui commettent l’iniquité paraîtront ; et, finalement, ils périront à jamais dans la suite de tous les siècles ». L’éclat des méchants les a fascinés, et ils ont dit en eux-mêmes : Les méchants sont en honneur ; à ce trait, il me semble que Dieu les aime. Entraînés alors par le désir de partager la gloire temporelle des méchants, ils se sont précipités dans le mal, et leur perte ne sera point de quelques instants, comme leur éclat, mais elle durera autant que les siècles des siècles. En voici la raison : L’imprudent ne comprendra pas, et l’insensé ne pénétrera pas les secrets de l’avenir, parce qu’il n’entre pas dans le sanctuaire du Seigneur pour en avoir l’intelligence ; et, parce que cette intelligence est difficile à acquérir, ce psaume commence par nous faire voir David caché au milieu des Ziphéens, ne désirant nullement leur éclat, mais surtout pratiquant l’humilité, afin de posséder en Dieu une beauté secrète et cachée, Quel est donc le titre de ce psaume ? Qu’y est-il dit de David ? : « Pour la fin, dans les hymnes » c’est-à-dire, dans les louanges. Et quelles louanges ? « Le Seigneur me l’a donné, le Seigneur me l’a ôté ; il a été fait selon son bon plaisir : que son saint nom soit béni[84] ! » La perte de tous ses biens était-elle une preuve que Job était desséché ? Non ; les feuilles étaient tombées, mais la racine restait toujours vigoureuse. Donc, « pour la fin, dans les hymnes ». Et ensuite ? « Intelligence à David ». Intelligence, par opposition à ces autres paroles : « L’imprudent ne connaîtra pas ces choses, et l’insensé ne les comprendra point. Intelligence à David, lorsque les Ziphéens vinrent trouver Saül, et lui dirent : Est-ce que David ne s’est point retiré chez nous ? » Que David soit caché chez vous, si vous le voulez ; mais que, du moins, votre gloire ne soit pas la sienne. Écoute donc sa prière.
4. « Dieu, sauvez-moi par votre nom, et jugez-moi par votre puissance[85] ». Que l’Église, cachée parmi les Ziphéens, redise ces paroles. Qu’elles se retrouvent aussi sur les lèvres de ce corps chrétien, qui renferme dans son cœur le trésor de ses bonnes œuvres, et y conserve l’espérance de la récompense immortelle promise à ses mérites. Que l’Église dise donc : « O Dieu, sauvez-moi par votre nom, et jugez-moi par votre puissance ». O Christ, vous êtes venu sur la terre ; vous y êtes apparu dans l’humilité : vous avez été méprisé, flagellé, crucifié, mis à mort ; mais, trois jours après, vous êtes ressuscité : le quarantième jour vous êtes monté aux cieux ; vous êtes assis à la droite de votre Père, et personne ne vous y voit. Puis, vous on avez fait descendre le Saint-Esprit, et ceux qui en étaient dignes l’ont reçu. Brûlant du feu de votre amour, ils se sont répandus au milieu des nations pour annoncer au monde la gloire de votre humilité : je vois votre nom placé au-dessus de tous les noms, le genre humain en connaît la grandeur ; et pourtant, l’on ne nous a annoncé que votre faiblesse. L’Apôtre des nations, saint Paul, a déclaré ne savoir rien autre chose, parmi nous, que Jésus et Jésus crucifié[86] : par là il voulait nous exciter à préférer les ignominies du Sauveur à la gloire et à l’éclat des Ziphéens. Cependant le même apôtre ajoute, en parlant du Christ : « Quoiqu’il soit mort à cause de sa faiblesse, il vit néanmoins par la puissance de Dieu[87] ». Il est donc venu mourir par infirmité, et il viendra juger par la puissance de Dieu : mais la faiblesse même de sa croix a environné son nom d’une brillante auréole de gloire. Quiconque ne croira pas à ce nom, que la faiblesse a illustré, sera saisi d’épouvante, quand Jésus-Christ viendra juger le monde dans l’éclat de sa puissance. Faible autrefois, mais revêtu de force au jour du jugement, puisse-t-il ne point nous jeter à la gauche, quand il viendra vanner son grain ; et, pour cela, puisse-t-il nous sauver par son nom, et nous juger par sa puissance ! Quel est l’homme assez téméraire pour oser dire à Dieu : « Jugez-moi ? » Quand on veut maudire un homme, ne lui dit-on pas : « Que Dieu te juge ? » Oui, ce serait une véritable malédiction, s’il te jugeait dans sa puissance, sans te sauver par son nom ; mais s’il te sauve d’abord par son nom, il te jugera ensuite favorablement ; sois tranquille : un pareil jugement n’aboutira point pour toi à la punition éternelle, il ne servira qu’à te séparer des méchants. Le Psalmiste s’exprime ainsi en un autre endroit : « O Dieu, jugez-moi et séparez ma cause de celle du peuple qui n’est pas saint[88] ». Qu’est-ce à dire : « Jugez-moi ? » Distinguez-moi des Ziphéens, au milieu desquels je me trouve caché ; je supporte aujourd’hui leur éclat mais vienne bientôt pour moi le moment de briller. L’éclat de la leur n’a duré qu’un instant ; elle a disparu dès que l’herbe s’est desséchée. De quel éclat brillerai-je à mon tour ? « Ils seront plantés dans la maison du Seigneur : ils fleuriront dans les palais de notre Dieu[89] ». Nous fleurirons donc aussi, mais notre beauté ne se flétrira pas : elle sera pareille à la beauté des feuilles de cet arbre planté sur le bord de l’eau, et dont il est écrit : « Et ses feuilles ne tomberont pas[90] ». Donc : « O Dieu, sauvez-moi par votre nom ; jugez-moi dans votre puissance ».
5. « O Dieu, écoutez ma prière : prêtez l’oreille aux paroles de ma bouche ». Que les paroles de ma bouche parviennent jusqu’à vos oreilles, parce que je ne vous demande point l’éclat des Ziphéens. « Prêtez l’oreille aux paroles de ma bouche ». Prêtez l’oreille, car ma prière a beau retentir à l’oreille des Ziphéens, ils ne l’écoutent pas, parce qu’ils ne la comprennent pas. La possession des biens temporels est pour eux un sujet de joie, mais ils ne savent nullement désirer les biens éternels. Que ma prière arrive jusqu’à vous, poussée hors de moi et portée vers vous par le désir de jouir de vos éternels bienfaits : je la dirige vers vous ; aidez-la à y parvenir, à ne pas s’arrêter au milieu de sa course, à ne point retomber à terre. Lors même que vous ne m’accorderiez point ce que je sollicite de votre miséricorde, je ne me troublerai pas ; car, j’en suis sûr, je l’obtiendrai de vous un jour. Il est dit qu’un homme, se trouvant dans le péché, a prié Dieu, et que, pour son plus grand bien, il n’a pas été exaucé. Le désir des biens temporels l’avait porté à prier Dieu ; et parce qu’il se trouvait plongé dans les tribulations de cette vie, il aurait souhaité voir le terme de ses peines et le retour de sa passagère prospérité : c’est pourquoi il s’écria « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? » Ce sont les propres paroles du Christ, paroles adressées par lui à Dieu en faveur de ses membres. « Le cri de mes péchés », dit-il encore, « éloigne de moi le salut : je crie pendant le jour, et vous ne m’écoutez pas ; je crie pendant la nuit, et vous ne m’exaucez pas, afin de m’inspirer la sagesse[91] ». C’est-à-dire : Je crie vers vous la nuit ; et, si vous ne m’exaucez pas, ce n’est point pour me laisser dans mon imprudence, c’est au contraire pour m’enseigner la sagesse ; c’est pour m’apprendre ce que je devais vous demander, Je vous demandais, en effet, des choses qui auraient pu contribuer à me rendre malheureux. O homme, tu demandes des richesses. Tu ne sais donc pas combien d’autres hommes les richesses ont rendus malheureux ? Te seraient-elles plus profitables ? Des pauvres nombreux ont trouvé leur sécurité à rester inconnus ; à peine étaient-ils devenus riches, à peine avaient-ils brillé aux regards du monde, que déjà des hommes, plus puissants qu’eux, en faisaient leur victime et leur proie, S’ils avaient compris le réel avantage de demeurer dans la solitude et l’oubli du monde, ils ne se seraient point trouvés exposés aux dangereuses convoitises de gens qui les recherchaient, non pour ce qu’ils étaient, mais pour ce qu’ils possédaient. En fait de biens temporels, nous vous avertissons et nous vous prions dans le Seigneur de ne rien demander en particulier, mais d’attendre de la bonté de Dieu ce qu’il sait vous être utile. Car vous ignorez absolument ce qui vous convient le mieux. Ce qui vous plairait davantage vous serait souvent nuisible, et vous trouverez parfois votre profit en ce qui vous sourit le moins. Vous êtes malades ; ne prescrivez pas vous-mêmes au médecin les remèdes qu’il doit vous appliquer. Le docteur des nations, l’apôtre saint Paul lui-même a dit : « Nous ne savons ce que nous devons demander »[92]. À plus forte raison l’ignorons-nous nous-mêmes. Il lui semblait qu’il priait d’une manière convenable, quand il conjurait le Seigneur de lui ôter l’aiguillon de la chair, cet ange à qui Dieu avait permis de le souffleter, afin qu’il ne pût s’enorgueillir de la grandeur de ses révélations. Comment le Tout-Puissant répondit-il à sa prière ? Lui accorda-t-il ce qu’il demandait ? Non ; il ne fit que ce qui était le plus avantageux pour l’Apôtre. Voici sa réponse : « J’ai prié par trois fois le Seigneur de l’éloigner de moi, et il m’a répondu : Ma grâce te suffit, car l’infirmité sert à perfectionner la vertu[93] ».J’ai appliqué le remède sur le mal : je sais quand je l’ai appliqué, c’est à moi de savoir quand il faudra l’ôter. Le malade ne doit ni se retirer d’entre les mains du médecin, ni lui donner des conseils. Ainsi faut-il raisonner et agir dans toutes les circonstances de la vie. Les tribulations t’accablent ? si tu sers bien Dieu, tu te rappelleras qu’il sait ce qui convient à chacun. Tu nages dans les eaux de la prospérité ? prends surtout soin qu’elle ne gâte pas ton cœur, et ne t’éloigne pas de celui qui t’a rendu heureux. David, comprenant ces choses, dit à Dieu : « Seigneur, écoutez ma prière : rendez-vous attentif aux paroles de ma bouche ».
6. « Car les étrangers se sont élevés contre moi[94] ». Quels étrangers ? Est-ce que David n’était pas juif, et de la tribu de Juda ? Ziph appartenait à la même tribu et à la même nation. Comment les Ziphéens pouvaient-ils être des étrangers ? Par rapport au pays, à la tribu, à la parenté, ils ne l’étaient pas ; mais ils l’étaient quant à l’éclat. En veux-tu la preuve ? Dans un autre psaume, on désigne sous le nom d’enfants étrangers « ceux dont la bouche est remplie de paroles vaines, et dont la droite est une droite d’iniquité ». Le Psalmiste rend ensuite compte de l’éclat des Ziphéens. « Dans leur jeunesse, leurs enfants sont comme de nouveaux plants d’arbres ; leurs filles sont ornées et parées comme un temple ; leurs celliers sont pleins et regorgent de l’un dans l’autre ; leurs brebis sont fécondes et fertiles ; leurs vaches sont grasses ; il n’y a dans leurs haies ni passage, ni lacune, et l’on n’entend aucun cri dans leurs places publiques ». Voilà bien les Ziphéens : voilà bien ceux qui brillent pour un temps. « Ils ont proclamé bienheureux le peuple qui possède toutes ces choses ». N’est-ce point à juste titre qu’on leur donne le nom d’étrangers ? Et toi, qui es caché au milieu des Ziphéens, que dis-tu ? « Bienheureux le peuple qui a pour Dieu le Seigneur[95] ». C’est cette pensée qui a dicté et porté vers le trône de l’Eternel la prière du Prophète : « O Dieu, rendez-vous attentif à ma voix, parce que les étrangers se sont élevés contre moi, et que les puissants ont cherché mon âme ».
7. Mes frères, tous ceux qui bornent leurs espérances à ce bas monde, travaillent d’une nouvelle manière à la perte des saints qui ne partagent point leurs folles illusions. Maintenant, rien ne les sépare les uns des autres : ils vivent tous ensemble, mais ils sont singulièrement opposés les uns aux autres : ceux-ci ne recherchent que les biens temporels et les joies fugitives de la terre ; ceux-là placent leur plus ferme espérance dans le Seigneur Dieu. Les Ziphéens semblent être d’accord avec toi, mais ne te fie pas trop à leurs pacifiques apparences : le temps de se montrer tels qu’ils sont réellement n’est pas venu : qu’une occasion se présente, qu’on blâme quelqu’un d’entre eux de son éclat mondain, je ne dis pas que celui-là offensera l’évêque, mais j’affirme qu’il ne s’approchera pas même de l’Église, dans la crainte de perdre un peu de cet éclat passager. Pourquoi vous parlé-je ainsi, mes frères ? Parce qu’au nom de Jésus-Christ vous m’écoutez tous aujourd’hui volontiers ; et, parce que vous comprenez mes paroles, vous y donnez votre approbation : vous n’applaudiriez pas à mon discours si vous n’en saisissiez point parfaitement le sens. Mais cette intelligente disposition d’esprit doit porter des fruits : en portera-t-elle ? on le verra dans l’occasion. L’on dit que vous êtes des nôtres : néanmoins, s’il survient une tentation, ne passerez-vous pas subitement dans les rangs des étrangers, et ne pourra-t-on pas dire de vous : « Les étrangers se sont élevés contre moi, et les puissants ont cherché mon âme ? » Ne devra-t-on pas vous appliquer encore ces autres paroles : « Ils n’ont point eu Dieu en vue ? » Peut-il vraiment avoir Dieu en vue, celui qui ne porte ses regards que vers les choses de la terre, qui cherche à entasser trésor sur trésor, à multiplier ses troupeaux, à remplir ses celliers, à dire à son âme : « Tu as des biens en abondance, réjouis-toi, fais bonne chère, rassasie-toi ? » Peut-il avoir Dieu en vue, celui qui se glorifie de la sorte, et qui brille ainsi de l’éclat des Ziphéens, celui qui mérite par là de s’entendre dire : « Insensé », c’est-à-dire homme dépourvu d’intelligence, homme imprudent ; cette nuit même on te redemandera ton âme : à qui passeront tous les biens que tu avais amassés pour elle[96] ? Ils m’ont point eu Dieu en vue ».
8. « Car voilà que Dieu vient à mon secours[97] ». Et ceux au milieu desquels je suis caché ne le savent pas. S’ils avaient Dieu en vue, ils comprendraient comment le Seigneur me vient en aide, car il vient au secours de tous les saints ; mais ce secours est intérieur, et les hommes ne l’aperçoivent pas. Comme les impies trouvent, dans leur conscience, la source des plus grandes peines, ainsi les justes trouvent, dans la leur, la source des plus grandes joies. « Notre gloire », dit l’Apôtre, est dans le témoignage de notre conscience[98] ». C’est dans l’intérieur de sa conscience, et non dans l’éclat extérieur des Ziphéens, que se glorifie celui qui dit : « Car le Seigneur vient à mon secours ». Si éloigné de moi que soit l’objet de mes espérances, le secours, dont je suis aujourd’hui favorisé de sa part, me comble de joie, et ces délices, qui surabondent maintenant en moi, me font comprendre combien sont injustes ces paroles de certains hommes : « Qui est-ce qui nous a montré des biens ? – Seigneur, la lumière de votre visage est imprimée sur nous. Vous avez répandu la joie dans mon cœur[99] ». « Vous avez répandu la joie », non sur ma vigne, ou mes troupeaux, ou mon aire, ou ma table, mais « dans mon cœur : car le Seigneur vient à mon secours » Comment vient-il à ton secours ? « Et le Seigneur est le protecteur de mon âme ».
9. « Faites retomber sur mes ennemis le mal qu’ils veulent me faire[100] ». Si brillants qu’ils soient, si vif éclat qu’ils projettent aujourd’hui, ils seront plus tard jetés au feu. « Et dispersez-les par votre puissance n. Pour le moment, tu les vois florissants, tu les vois s’élever de terre comme l’herbe verdoyante ne sois ni assez imprudent ni assez insensé pour te laisser éblouir par de telles apparences ; tu périrais éternellement[101] ». Car : « Faites retomber sur mes ennemis le mal qu’ils veulent me faire ». Si, en effet, tu appartiens au corps de David, il les dispersera par sa puissance. Le bonheur de ce monde leur sourit, mais Dieu emploiera son pouvoir à les faire périr. Toutefois, leur joie et leur perte seront d’inégale durée l’une n’est que passagère, l’autre sera éternelle : l’une provient de la possession de biens trompeurs ; l’autre les condamnera à de véritables tourments. « Seigneur, dispersez par votre puissance » tous ces hommes que vous avez tolérés dans votre faiblesse.
10. « Je vous offrirai des sacrifices volontaires[102] ». Peut-on comprendre, sur le dire d’un autre, quel est ce bien du cœur de l’homme, si ou ne le connaît par une expérience personnelle ? Quel sens donner à ces paroles : « Je vous offrirai des sacrifices volontaires ? » Je vais vous le dire : comprenez-moi, si vous le pouvez et comme vous le pourrez ; et, si vous ne le pouvez, du moins croyez-moi, et priez Dieu de vous accorder la grâce de saisir ma pensée. Devons-nous passer outre sans vous avoir expliqué ce verset ? Je l’avoue à votre charité, le goût que j’y trouve m’invite assez de lui-même à vous en parler, et je rends grâces à Dieu de ce que vous prêtez à mes paroles une si grande attention. Si je m’apercevais que vous éprouvez de l’ennui à m’entendre, je me tairais : néanmoins, et autant que Dieu m’en ferait lai grâce, je m’en entretiendrais dans le secret de mon âme. Vienne donc sur mes lèvres l’expression des pensées de mon cœur ; que ma parole les manifeste au grand jour ! Expliquons, comme nous le pourrons, ces quelques mots : « Je vous offrirai des sacrifices volontaires ». De quel sacrifice est-il ici question, mes frères ? Quelle offrande digne de lui ferai-je au Seigneur pour le remercier de ses bienfaits ? Irai-je chercher comme victime la brebis la plus grasse du troupeau ? Choisirai-je un bélier ? Aviserai-je le plus beau bœuf de l’étable ou rapporterai-je des parfums du pays de Saba ? Que faire ? Que lui offrir, sinon ce qu’il dit lui-même : « Le sacrifice de louanges m’honorera[103] ». Qu’est-ce à dire : « Volontaire ? » J’aime gratuitement l’objet de mes louanges. Je loue Dieu, et je mets mon bonheur dans l’accomplissement de ce devoir : j’y trouve ma joie, car celui que je loue est le sujet de ma gloire. Mais, en cela, je ne ressemble aucunement à ces amateurs de farces théâtrales, qui saluent de leurs acclamations un cocher, un chasseur, le premier histrion venu, qui invitent les autres témoins de ces farces à les imiter et à crier comme eux, et qui, à la fin, sont trop souvent réduits à rougir de la défaite de leurs coryphées. Il ne doit pas en être ainsi quand nous louons Dieu : que notre louange soit volontaire : aimons-le sincèrement : aimons-le, louons-le gratuitement. En parlant de la sorte, nous voulons dire : pour lui-même, et non pour autre chose. Si tu loues Dieu pour obtenir de lui quelque autre chose, tu ne l’aimes pas gratuitement. Ne rougirais-tu pas de ne devoir qu’à tes richesses l’affection de ta femme ? N’aurais-tu pas lieu de craindre qu’elle se rende coupable d’adultère dans le cas où tu deviendrais indigent ? Si tu exiges d’une Épouse un amour gratuit, seras-tu admis à aimer Dieu d’une manière intéressée ? O avare, quelle récompense le Seigneur te réserve ! Il ne te donne pas la terre ; mais, en se donnant lui-même à toi, il te donne celui qui a fait le ciel et la terre. « Je vous offrirai des sacrifices volontaires ». Ne lui en offre point de forces ; car si ta louange est intéressée, elle est par là même forcée. Si, en effet, tu possédais ce qui charme ton cœur, tu ne louerais pas Dieu. Écoute bien ce que je dis. Tu loues Dieu, par exemple, pour obtenir de lui une fortune considérable : si tu connaissais un autre moyen de te la procurer, la demanderais-tu à Dieu ? Lui offrirais-tu le tribut de tes hommages ? Donc, en louant Dieu à propos de la fortune que tu veux acquérir, tu le loues forcément et non pas d’un plein gré, car alors tu aimes autre chose que lui. Voilà pourquoi le Prophète a dit : « Je vous offrirai des sacrifices volontaires. Méprise toutes choses, considère Dieu avant tout. Les bienfaits tirent leur prix de celui-là même qui nous les distribue, car tous les biens temporels nous viennent de sa main généreuse : aux uns, il les accorde pour leur bonheur ; aux autres, pour leur malheur : à tous il les accorde suivant la hauteur et la profondeur de ses jugements. En présence de ces impénétrables jugements de Dieu, l’Apôtre se sentait saisi d’épouvante et s’écriait : « O profondeur de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont incompréhensibles ! Que ses voies sont impénétrables ! Qui est-ce qui peut sonder toutes ses voies ou comprendre tous ses desseins[104] ! » Il sait donc quand il enrichit et qui il enrichit, quand il appauvrit et qui il appauvrit. Demande-lui aujourd’hui ce qui plus tard te sera utile, ce qui te sera éternellement avantageux. Pour lui, aime-le gratuitement. Pourrait-il te donner quelque chose de meilleur que lui-même ? Si, parmi ses bienfaits, tu trouves mieux que lui, demande-le. « Je vous offrirai des offrandes volontaires ». Pourquoi, « volontaires ? » Parce qu’elles seront gratuites. Qu’est-ce à dire : gratuites ? « Et je confesserai votre nom, Seigneur, parce qu’il est bon » : pour nul autre motif que sa bonté même. Le Prophète dit-il : Seigneur, je rendrai hommage à votre nom, parce que vous m’accordez des terres fertiles, de l’or et de l’argent, d’immenses richesses, une fortune considérable, d’éclatantes dignités ? Non. Que dit-il donc ? « J’exalterai votre nom parce qu’il est bon ». Je ne trouve rien de meilleur que votre nom ; « c’est pourquoi, Seigneur, je lui rendrai hommage parce qu’il est bon ».
11. « Car vous m’avez délivré de toute affliction[105] ». Par là, j’ai compris que votre nom est bon. Si j’avais pu le connaître avant d’être éprouvé par la tribulation, elle ne m’aurait pas sans doute été nécessaire ; mais Dieu l’a permise pour me donner un salutaire avertissement : une fois averti, j’ai loué votre saint nom. En effet, je n’aurais point su où je me trouve, si je n’avais appris à connaître ma faiblesse. Vous m’avez donc délivré de toutes mes peines, « et j’ai porté mes regards sur mes ennemis ». J’ai considéré ces Ziphéens : mon cœur s’est élevé au-dessus de leur éphémère beauté ; j’ai passé outre et je suis parvenu jusqu’à vous : de là, j’ai jeté les yeux sur ces Ziphéens, et j’ai vu que « toute chair est pareille à l’herbe des champs », et que « tout l’éclat de l’homme ressemble à l’éclat de la fleur champêtre[106] » C’est ce que le Prophète avait déjà dit ailleurs : « J’ai vu u l’impie élevé comme les cèdres du Liban j’ai passé, et il n’était déjà plus ». « Il n’était déjà plus ». Pourquoi ? Parce que tu étais passé : tu étais passé, parce que tu n’avais pas inutilement entendu ces paroles : Élevé ton cœur ; parce que tu n’étais pas resté sur la terre où tu pouvais te corrompre ; parce que tu avais élevé ton âme jusqu’à Dieu ; parce que tu t’étais élevé au-dessus des cèdres du Liban. De la hauteur où tu t’étais placé, tu avais jeté les yeux sur l’impie, et il n’était déjà plus. Tu l’avais cherché, et il était devenu impossible de le trouver. Tu n’es plus désormais sujet à souffrir, parce que tu es entré dans le sanctuaire de Dieu, et que tu as pénétré les mystères de l’avenir. Telle est la conclusion que tire le Psalmiste : « Et j’ai porté mes regards sur mes ennemis ». Efforcez-vous donc, mes frères, d’entrer dans les mêmes dispositions d’esprit : ouvrez vos cœurs, rendez plus clairvoyants les yeux de votre âme, apprenez à aimer Dieu d’une manière gratuite, à mépriser le temps présent, à offrir à Dieu un sacrifice volontaire de louanges, afin qu’après vous être placés au-dessus de l’éclat passager des mondains, vous puissiez dominer du regard tous vos ennemis.


DISCOURS SUR LE PSAUME 54[modifier]

SERMON AU PEUPLE.[modifier]

AMOUR DE DIEU ET DU PROCHAIN.[modifier]

Figuré par David, le chrétien se trouve environné de méchants ; dans ses pénibles épreuves, il a recours à la prière, à l’espérance, à la patience et au pardon. Ses sens se révoltent à la pensée des mauvais traitements auxquels il est en butte ; mais, loin de s’ouvrir à la haine, son cœur s’ouvre à la charité il voudrait mourir, mais l’amour pour le prochain te retient ici-bas. Obligé de rester au milieu de ses ennemis, il se retire du moins dans la solitude de sa conscience, mais il n’y rencontre que le trouble ; alors il recourt de nouveau à la prière, à une prière animée par le pur amour de la gloire de Dieu et la confiance en lui. Son amour pour Dieu lui fait désirer la punition et l’aveuglement de ceux qui le détestent et l’oublient : sa confiance lui fait demander, pour lui-même, d’être éclairé et affermi dans la foi.


1. Le titre de ce psaume est : « Pour la fin, dans les hymnes, intelligence à David[107] ». Quelle est cette fin ? Nous allons vous l’expliquer, mais en peu de mots, parce que vous le savez déjà. « Jésus-Christ est la fin de la loi, pour justifier tous ceux qui croient en lui[108] ». Dirigeons donc notre intention vers cette foi ; dirigeons-la vers Jésus-Christ. Pourquoi est-il appelé notre fin ? Parce que nous devons lui rapporter tout ce que nous faisons, et que, quand nous serons parvenus à le posséder, nous n’aurons plus rien, ni à désirer, ni à acquérir. Il y a deux sortes de fins : l’une qui consiste à périr ; l’autre à se perfectionner : on entend ce mot dans un sens ou dans l’autre, suivant les circonstances. Ainsi, quand on dit : Cette viande est finie, on ne donne pas au mot finie la même signification que lorsqu’on dit : Ce vêtement est fini. La manière de s’exprimer est la même dans les deux cas ; mais, dans le premier, on veut dire : ces aliments sont consommés, ils n’existent plus ; dans le second, ce vêtement est achevé, il est parfait. Notre fin doit consister dans notre perfection, et notre perfection, c’est le Christ : c’est en lui que nous devenons parfaits, car nous sommes ses membres, et il est notre chef. On dit qu’il est la fin de la loi, parce que, sans lui, personne ne peut l’accomplir. Lors donc que, dans les psaumes, vous lisez ces mots : « Pour la fin » (et plusieurs d’entre eux portent ce titre), votre pensée ne doit pas s’arrêter à une idée de mort, mais à l’idée de la consommation de la perfection.
2. « Dans les hymnes » : dans les louanges. Que nous soyons dans la tribulation et l’angoisse, ou dans le bonheur et la joie, notre devoir est de louer celui qui nous instruit en nous éprouvant, et qui nous console par ses bienfaits : car la louange de Dieu doit se trouver toujours dans le cœur et sur les lèvres du chrétien. S’il bénit le Seigneur au moment de la prospérité, qu’il ne le maudisse pas à l’heure de l’épreuve, mais qu’il accomplisse cette recommandation du Psalmiste Je bénirai le Seigneur en tout temps : ses louanges se trouveront toujours sur mes lèvres[109]. Si le bonheur te sourit, reconnais dans la conduite de Dieu à ton égard les caresses d’un père. Es-tu soumis à l’épreuve ? Vois-y la main d’un père qui te corrige. Qu’il te caresse ou te corrige, il t’instruit pour te rendre digne de l’héritage qu’il te réserve.
3. Quel est le sens de ces mots : « Intelligence à David ? » Nous le savons : David était un saint prophète, roi d’Israël, fils de Jessé[110] ». Mais parce que, selon la chair, Jésus-Christ est sorti de sa race pour notre salut[111], il est souvent désigné sous le nom de David : et l’on parle de David en figure, c’est-à-dire pour parler du Christ, à cause de l’origine charnelle qu’il a tirée de David. Sous un rapport, il est fils de David ; et, sous un autre, il en est le Seigneur. Fils de David selon la chair, il en est le Seigneur en tant que Dieu. Si toutes choses ont été faites par lui[112], par lui aussi a été créé David, de la race de qui il s’est fait homme. Aussi quand le Sauveur interrogea les Juifs, et leur demanda de qui le Christ était Fils, « ils répondirent : de David ». Voyant qu’ils s’arrêtaient à la chair, et perdaient de vue la divinité, il redressa leur jugement et leur fit cette question : « Comment donc David, parlant sous l’inspiration du Saint-Esprit, l’appelle-t-il son Seigneur en disant : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied ? Si donc David, parlant par le Saint-Esprit, l’appelle son Seigneur, comment peut-il être son Fils[113] ? » Il leur proposa cette difficulté, mais il ne nia pas qu’il fût le fils de David. Vous voyez qu’il est le Seigneur de David : expliquez-moi comment il en est le Fils ; vous voyez qu’il en est le Fils, dites-moi comment il en est le Seigneur. La foi catholique tranche cette difficulté. Comment est-il le Seigneur de David ? « Parce que au commencement était le Verbe, que le Verbe était en Dieu, que le Verbe était Dieu ». Comment en est-il le Fils ? Parce que le « Verbe s’est « fait chair, et qu’il a habité parmi nous »[114]. David est la figure du Christ. Le Christ, comme nous l’avons sot dit à votre charité, est tout à la fois tète et corps. Nous ne devons point nous considérer comme lui étant étrangers, puisque nous sommes ses membres : ne nous croyons pas, non plus, autres que lui, parce que, dit l’Apôtre, « ils seront deux dans une même chair : ce sacrement est grand, je dis dans Jésus-Christ et dans l’Église[115] ». Jésus-Christ, dans son ensemble, est en même temps tête et corps ; nous devons donc appliquer ces paroles : « Intelligence à David », à nous aussi bien qu’au Christ, car nous sommes comme lui, désignés sous le nom de David. Que les membres du Christ aient l’intelligence, que le Christ ait l’intelligence dans ses membres, et que ses membres l’aient en lui, parce que la tête et les membres ne font qu’un seul et même Christ. La tête était dans le ciel, et elle disait : « Pourquoi me persécutes-tu[116] ? » Nous sommes avec lui dans le ciel par nos espérances, et il est avec nous sur la terre par la charité. Donc, « Intelligence à David ». Puissent les paroles que nous entendons devenir pour nous une source de réflexions ! Puisse l’Église avoir l’intelligence, car c’est pour nous une grave obligation de nous appliquer sérieusement à comprendre de quels maux nous sommes accablés en cette vie, de quels maux nous désirons être délivrés, quand, à la fin de l’Oraison dominicale, nous disons : « Seigneur, délivrez-nous du mal[117] ». Par un effet de cette intelligence, le Psalmiste déplore ici quelqu’une des nombreuses tribulations dont nous sommes accablés peu dans le cours de notre vie. Pour celui qui n’a point cette intelligence, il ne joint par ses gémissements à ceux du Psalmiste. Nous devons nous le rappeler, nos très-chers frères, si nous avons, comme créatures, des traits de ressemblance avec Dieu, c’est uniquement par notre intelligence. Nous sommes en effet, sous une multitude de rapports, inférieurs aux animaux ; mais ce qui donne à l’homme de la ressemblance avec Dieu, c’est précisément ce qui établit une différence marquée entre lui et les bêtes. De toutes les facultés qu’il a reçues de la munificence divine, la raison seule le distingue des brutes. Ce don, qui nous est propre et particulier, ce don de l’intelligence, que nous tenons de la bonté du Créateur, plusieurs le méprisent : aussi le Seigneur leur fait-il un reproche sévère de leur conduite : « Ne vous rendez point », leur dit-il, « semblables au chevalet au mulet, qui sont privés d’intelligence[118] ». « L’homme », ajoute-t-il ailleurs, « avait été élevé en dignité ». Quelle était cette dignité, sinon sa ressemblance avec Dieu ? « L’homme », donc, « avait été élevé en dignité, et il ne l’a pas compris : on l’a comparé aux bêtes dépourvues de raison, et il leur est devenu semblable[119] ». Comprenons bien à quel degré d’honneur nous avons été élevés : ayons intelligence. Si nous avons l’intelligence, il nous est facile de voir que notre demeure d’ici-bas n’est pas le séjour de la joie, mais qu’elle est celui des gémissements : le moment de tressaillir d’allégresse n’est pas encore venu : nous sommes encore condamnés à nous plaindre. Et si la joie habite déjà dans les cœurs, elle est occasionnée par l’espérance, et non par la possession de l’objet que nous désirons. Les promesses divines nous réjouissent, car celui qui nous les a faites n’est point trompeur. Mais, quant au temps présent, apprenez de quels maux, de quelles sollicitudes nous y sommes accablés ; et, si vous êtes dans la bonne voie, remarquez bien que mes paroles s’appliquent à vous-mêmes. Pour celui qui n’est pas encore engagé dans le chemin de la vertu, il s’étonne de voir ces membres de David condamnés à de telles épreuves, parce qu’il ne s’y voit pas exposé. Et, tant qu’il ne ressent point de pareils maux, il n’est point du nombre des membres du Christ ; ce qu’éprouve le corps du Christ, il ne l’éprouve pas, parce qu’il n’en fait pas partie : qu’il y entre, et il verra par sa propre expérience quels sont ces maux. Que le Prophète parle donc ; écoutons-le, et disons avec lui :
4. « Mon Dieu, écoutez ma prière et ne méprisez pas ma demande : soyez attentifs à me secourir et exaucez-moi[120] ». Ces paroles sont celles d’un homme affligé, accablé d’ennuis et de tribulations. Livré à une épreuve pénible, brûlé du désir d’en être délivré, il a recours à la prière. Il nous reste maintenant à apprendre en quels maux il se trouve plongé ; et, quand il nous l’aura dit, nous devrons reconnaître que nous avons parts à son affliction : unis dans la souffrance, nous le serons aussi dans la prière. « Je suis affligé dans mon exercice, et je suis troublé ». Affligé, troublé, en quoi ? « Dans mon exercice » Il va parler des méchants qui le font souffrir et des épreuves qu’ils lui font subir : voilà son exercice. Ne vous imaginez point que les méchants sont inutiles en ce monde, et que Dieu ne les emploie pas à opérer le bien. Il accorde la vie aux méchants, soit pour leur donner le temps de se convertir, soit afin de les faire servir à éprouver les bons. Puissent ceux qui nous persécutent aujourd’hui, revenir au bien et partager nos épreuves : néanmoins, aussi longtemps qu’ils nous tourmentent, puissions-nous à notre tour ne pas les prendre en haine ! En effet, de ce qu’ils sont aujourd’hui dans la mauvaise voie, il nous est impossible de conclure que, plus tard, ils ne se convertiront pas : bien souvent il arrive que, au lieu de haïr un ennemi comme tu le crois, tu détestes sans le savoir un de tes frères. Les saintes Écritures nous l’attestent : le démon et ses anges sont condamnés au feu éternel : eux seuls ne nous laissent aucun espoir de les voir revenir au bien : nous avons à soutenir contre eux une lutte invisible, et c’est à cette lutte que l’Apôtre veut nous préparer, quand il nous dit : « Nous n’avons pas à combattre contre la « chair et le sang », c’est-à-dire, contre des hommes que nous sommes à même de voir ; « mais contre les principautés et les puissances, contre les princes de ce monde, de ces ténèbres[121] ». À l’entendre s’exprimer de la sorte, et dire : « de ce monde », tu croirais peut-être que le gouvernement du ciel et de la terre appartient au démon, mais ne t’y trompe pas ; aux mots « de ce monde », il a ajouté : de ces ténèbres. Par « le monde », il a entendu : les amis du monde. « Le monde » selon lui, ce sont les impies et les pécheurs : c’est du monde que l’Évangile a dit : « Le monde ne l’a pas connu[122] ». Car si le monde n’a pas connu la lumière parce qu’elle luit dans les ténèbres, et si les ténèbres ne l’ont point comprise, ces ténèbres, qui n’ont point compris la lumière, lorsqu’elle se présentait à eux, voilà ce que l’Ecriture veut nous désigner sous le nom de monde, et les démons sont les princes de ces ténèbres. Au témoignage des saintes Écritures, il est donc certain que jamais aucun de ces princes des ténèbres ne se convertira. Mais ces ténèbres, qu’ils gouvernent, et ceux qui étaient ténèbres, ne deviendront-ils pas lumière ? Nous ne saurions l’affirmer, car l’Apôtre a dit à des hommes entrés dans les rangs des fidèles : « Vous étiez autrefois ténèbres ; mais, maintenant, vous êtes lumière dans le Seigneur[123] ». En vous-mêmes vous étiez ténèbres ; vous êtes lumière dans le Seigneur. Ainsi, mes frères, tant que dure leur méchanceté, les méchants servent à éprouver les bons. Écoutez-moi quelques instants, et comprenez-moi bien. Si tu es bon, tu n’auras pour ennemi qu’un méchant ; mais le Seigneur t’a donné la règle de la douceur que tu dois montrer à. son égard. Il faut que tu imites la bonté de ton Père céleste, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et qui fait tomber la pluie sur les justes et sur les pécheurs[124]. Si tu as un ennemi, Dieu lui-même n’en manque pas. Tu as pour ennemi un homme qui a été comme toi créé par Dieu, et Dieu a pour ennemi sa propre créature. En plusieurs endroits de l’Écriture, nous voyons que les méchants et les pécheurs sont ennemis de Dieu : personne, pas même eux, ne lui peut rien reprocher : tous ceux qui se déclarent contre lui sont des ingrats : tout ce qu’ils ont de bien, ils l’ont reçu de lui ; les maux mêmes dont ils souffrent sont un effet de sa miséricorde à leur égard, car, s’il les éprouve, c’est afin de les empêcher de s’enorgueillir ; c’est afin que, devenus humbles, ils reconnaissent la suprême majesté du Très-Haut ; néanmoins, il leur pardonne. Et toi, quel bien as-tu fait ? quel service as-tu rendu à cet ennemi que tu supportes si difficilement ? Le Seigneur l’a comblé de bienfaits : il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants ; il fait tomber la pluie sur les justes-et suries pécheurs ; et toi, qui ne peux ni faire lever le soleil ni faire tomber la pluie, tu ne peux conserver seulement la douceur à l’égard de mon ennemi, afin de posséder ici-bas la paix réservée aux hommes de bonne volonté[125] ? Tu as donc reçu le charitable commandement d’imiter ton Père céleste et d’aimer tes ennemis, car il est dit dans l’Évangile : « Vous aimerez vos ennemis[126] » Mais comment pourrais-tu t’exercer à l’accomplir, si tu n’avais rien à supporter de la part d’aucun ennemi ? Tu le vois donc : les méchants te servent à quelque chose : si Dieu les épargne, puisse son indulgence s’étendre aussi jusqu’à toi ! car si, aujourd’hui, tu es bon, ce n’est peut-être qu’après avoir été méchant. Si, au contraire, il ne les épargnait pas, on ne te verrait pas maintenant occupé à lui rendre grâces. De ce que tu es passé de l’iniquité à la justice, il ne suit nullement que le chemin de l’une à l’autre doive être fermé aux autres.
5. Placé au milieu des méchants, tourmenté par leurs procédés haineux, quelle prière le Prophète adresse-t-il à Dieu ? Que dit-il ? « Je suis affligé dans mon exercice ». Après avoir essayé de porter la charité jusqu’à aimer ses ennemis, il a été accablé de tristesse en se voyant en butte à l’inimitié d’une foule d’adversaires, et, comme assailli par autant de chiens enragés, il a défailli sous le fardeau de la faiblesse humaine. Une tentation affreuse s’est présentée alors à son esprit ; il a senti son âme envahie par une pensée diabolique, celle de prendre en haine ses ennemis. Alors il a lutté contre ce mouvement désordonné de son cœur ; il a voulu porter sa charité jusqu’à la perfection ; et, au milieu de ce combat, au milieu de cette lutte, il est tombé dans le trouble. Il avait déjà dit dans un autre psaume : « La colère a troublé mes yeux » ; et il avait ajouté : « J’ai vieilli au milieu de mes ennemis[127] ». La tempête l’avait assailli, et il avait, comme Pierre, commencé à s’enfoncer dans les flots[128]. Celui qui aime ses ennemis, marche d’un pas ferme sur les vagues de cette vie. Le Christ marchait sans crainte sur les eaux de la mer, parce que nulle épreuve ne peut éteindre en lui l’amour qu’il éprouve pour ses ennemis. Lorsqu’il était attaché à la croix, il s’écria en effet : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font[129] ». Pierre voulut imiter Jésus. Jésus marchait sur les eaux en qualité de chef, et Pierre en qualité de corps, « parce que », avait dit le Sauveur, « sur cette pierre je bâtirai mon Église ». Il reçut l’ordre de marcher sur les eaux, et il y marcha, soutenu par la grâce de son Maître, et non par ses propres forces ; mais, quand il se vit assailli par la tempête, il eut peur, et les flots cédèrent sous ses pas, et il fut troublé dans son exercice. Quelle était cette tempête ? « La voix de l’ennemi et la persécution du pécheur ». L’Apôtre, plongé dans l’eau, s’écria : « Seigneur, sauvez-moi, je péris[130] ». Ainsi s’exprime le Psalmiste : « Seigneur, exaucez ma prière et ne méprisez pas ma demande : soyez attentif à me secourir, exaucez-moi ». Pourquoi ? Quelles sont tes souffrances ? Quelle est la cause de tes gémissements ? « Je suis accablé d’ennuis dans mon exercice ». Vous m’avez placé au milieu des méchants, afin qu’ils exercent ma patience : mais l’épreuve est trop au-dessus de mes forces : calmez mes alarmes, et rendez-moi la paix : tendez-moi une main secourable ; retirez-moi des eaux de la tribulation où je commence à m’engloutir. « Je suis devenu triste dans mon affliction : la voix u de mon ennemi, les persécutions des pécheurs m’ont jeté dans le trouble, car ils ont travaillé à faire peser sur moi leurs injustices ; et, dans leur colère, ils me noircissent » Vous comprenez quels sont et cette tempête et ces flots. Ses ennemis l’insultaient, comme on insulterait une personne plongée dans l’humiliation ; et, pourtant, il priait : ils exerçaient sur lui leur rage en l’accablant de leurs bruyantes injures, et, dans le secret de son cœur, il invoquait le Dieu qu’ils ne voyaient pas.
6. Lorsque le chrétien se sent en butte à de pareilles tribulations, il ne doit ni se laisser conduire par le sentiment de la haine, ni se raidir contre ses persécuteurs : il lui est inutile de lutter contre la tempête : recourir à la prière pour conserver la charité, tel est son devoir. Ton âme doit en effet demeurer inaccessible à la crainte des mauvais procédés de ton ennemi. Quel mal pourrait-il te faire ? Il peut te dire beaucoup d’injures, t’accabler de reproches sanglants, te noircir par ses calomnies : mais, en définitive, n’as-tu pas pour toi cette parole du Sauveur : « Réjouissez-vous et tressaillez d’allégresse, parce que votre récompense sera grande dans le ciel[131] ? » Ton ennemi multiplie ici-bas ses injures, et tu t’assures une plus ample récompense pour le ciel. Mais qu’il ajoute encore à l’iniquité de sa conduite, qu’il pousse sa malice jusqu’à l’extrême, ton avenir ne saurait t’inspirer aucune inquiétude, puisque à toi s’adressent ces paroles du Sauveur : Ne craignez « point ceux qui ne tuent que le corps, et ne peuvent tuer l’âme[132] ». Pourquoi craindre l’ennemi qui te tourmente ? Que ton cœur ne se trouble donc pas, et ne perde rien de cette charité que tu dois ressentir pour lui. Cet ennemi est homme ; il est chair et sang : il n’en veut qu’à ce qu’il voit en toi. Mais tu as un autre ennemi, un ennemi invisible : c’est le prince des ténèbres, qui se sert de cet homme de chair et de sang comme d’un instrument pour te faire souffrir ; il en veut à tes biens invisibles : il cherche à t’enlever et à détruire tes richesses intérieures. Tu as donc deux ennemis, ne l’oublie pas. L’un est visible, l’autre est caché : ton ennemi visible est un homme ; ton ennemi invisible, c’est le démon. Cet homme est pareil à toi sous le rapport de sa nature humaine : par rapport à la foi et à la charité, il ne te ressemble pas encore, mais il pourra te ressembler plus tard. De ces deux ennemis, vois l’un et comprends l’autre : aime le premier, prends garde au second. Ton ennemi visible veut faire disparaître ce qui te donne de l’avantage sur lui : par exemple, si tes richesses surpassent les siennes, il veut te rendre pauvre : si tu le domines par ta haute position, il cherche à t’abaisser : si tu es plus fort que lui, son ambition est de t’affaiblir : ses efforts tendent à détruire en toi ou à te prendre ce qui lui porte ombrage. Ton ennemi caché prétend aussi te dépouiller des avantages que tu as sur lui : tu l’emportes sur ton semblable par le bonheur, qui est ici-bas ton partage : pour le démon, tu lui deviens supérieur par ta charité à l’égard de tes ennemis. De même que l’homme, opposé à toi, s’efforce de t’enlever la félicité temporelle dont tu jouis, de la diminuer, de la détruire ; de même le démon cherche à triompher des avantages que tu as sur lui. Travaille donc à garder toujours dans ton cœur l’amour pour ton ennemi, puisque cet amour te rend victorieux du démon même. Que l’homme te persécute autant qu’il le pourra, qu’il te ravisse par la violence ce qu’il pourra, si tu continues à aimer ton ennemi visible, la victoire sur ton ennemi caché est à toi.
7. Pendant que le Prophète priait, plongé dans le trouble et l’ennui, ses yeux étaient aussi comme troublés par la colère. Garder longtemps de la colère contre son semblable, c’est déjà. le détester. La colère trouble les yeux ; la haine aveugle ; la colère est une paille ; la haine est une poutre. Tu nourris parfois de la haine dans ton cœur, et tu réprimandes celui qui se fâche ; tu détestes le prochain, et celui que tu blâmes n’est qu’irrité contre lui ; tu mérites donc qu’on t’applique ces paroles : « Ote premièrement la poutre qui se trouve dans ton œil ; tu verras ensuite à tirer la paille qui est dans l’œil de ton frère »[133]. Voyez la différence qui existe entre la colère et la haine. Tous les jours des pères de famille s’emportent contre leurs enfants : trouvez-en un seul qui les déteste. Plongé dans le trouble et la tristesse, le Prophète priait et luttait contre les ressentiments que lui inspiraient tous les outrages de ses détracteurs, car il ne voulait, ni les surpasser en méchanceté, ni leur rendre injure pour injure, ni haïr aucun d’eux voilà ce qu’il demandait à Dieu par ses prières et ses larmes : « La voix de mon ennemi, les persécutions des pécheurs m’ont jeté dans le trouble et la tristesse, car ils ont travaillé à faire peser sur moi leur injustice, et, dans leur colère, ils me noircissent. Mon cœur s’est troublé en moi ». Il avait déjà exprimé les mêmes sentiments dans un autre psaume : « La colère a troublé mes yeux[134] ». « Mes yeux se sont troublés » : et qu’est-il arrivé ? « La crainte de la mort s’est abattue sur moi ». La charité est pour nous la vie : si elle est la source de la vie, la haine est le principe de la mort. Quand un homme craint de haïr celui qu’il aimait, il craint la mort, mais une mort plus redoutable, plus intime que celle du corps, la mort de l’âme. Tu tremblais à la vue d’un homme qui te persécutait : quel mal pouvait-il te faire, puisque, pour te rassurer, le Seigneur t’a dit : « Ne craignez point ceux qui ne peuvent vous ôter que la vie du corps[135] ? » Par ses mauvais traitements, il aurait pu faire mourir ton corps, tes sentiments haineux ont tué ton âme ; il aurait privé de la vie le corps de son prochain, tu as fait périr une âme, qui est la tienne : donc, « la crainte de la mort s’est abattue sur moi ».
8. « La crainte et le tremblement m’ont saisi, et je me suis trouvé plongé dans les ténèbres, et j’ai dit[136] » Celui qui déteste son frère est encore dans les ténèbres ; car si la charité est lumière, la haine est ténèbres[137]. Quel langage se tient à lui-même l’homme qui est tombé dans cette faiblesse, et qui se sent troublé dans son exercice ? « Qui est-ce « qui me donnera des ailes comme à la colombe ? Je m’envolerai et je me reposerai ». L’objet de ses désirs, c’était la mort ou la solitude. Tant que je suis en cette vie, dit-il, et qu’on me commande d’aimer mes ennemis, je sens que les outrages, toujours nouveaux, dont ils m’accablent et me noircissent, troublent mes yeux, affaiblissent ma vue, pénètrent jusque dans mon cœur, et donnent la mort à mon âme. Je voudrais m’éloigner dans la crainte d’ajouter à mes péchés de nouvelles fautes, si je continuais à demeurer ici ; mais je suis faible. Je désirerais, du moins, me voir séparé davantage du reste des hommes, afin que mes plaies ne se rouvrent point sous le coup de nouvelles blessures, et que, rendu à la santé, je puisse me livrer encore à mon exercice. Voilà ce qui arrive souvent, mes frères : et, d’ordinaire, le serviteur de Dieu voit surgir en son âme le désir de la solitude : la multitude de ses tribulations et des scandales qui frappent ses regards, en est le seul motif : voilà pourquoi il dit : « Qui est-ce qui me donnera des ailes ? » Des ailes lui manquent-elles, ou plutôt, celles dont il est pourvu sont-elles liées ? S’il en manque, il faut qu’on lui en donne ; s’il en a, il faut lui rendre la liberté de s’en servir. De celui qui délie les ailes d’un oiseau on peut dire indifféremment, ou qu’il les lui donne, ou qu’il les lui rend. L’oiseau qui ne peut se servir de ses ailes pour s’élever dans les airs, n’en a véritablement pas : et des ailes qui ne peuvent se mouvoir, sont à vrai dire un fardeau. « Qui est-ce », dit le Psalmiste, « qui me donnera des ailes comme à la colombe ? Et je m’envolerai, et je me reposerai ». Où se reposera-t-il ? Ces paroles ont un double sens ; car l’Apôtre a dit : « Je désire mourir, et me trouver réuni au Christ, ce qui, sans aucun doute, est le plus avantageux ». Malgré sa force, sa grandeur d’âme, son courage intrépide, quoiqu’il fût un intrépide soldat du Christ, saint Paul s’est troublé dans son exercice l’Écriture en fait foi, car il a dit : « Que désormais personne ne m’inquiète[138] ». On croirait qu’il a emprunté au Psalmiste ce passage : « L’ennui me saisit quand je vois les « pécheurs abandonner votre loi[139] ».
Bien souvent un homme s’efforce de redresser ceux qui dépendent de lui, et dont les mœurs dépravées et corrompues inspirent à sa vigilance la plus vive sollicitude ; mais souvent aussi son adresse et ses soins demeurent stériles ; alors, il faut qu’il les supporte, puisqu’il est incapable de les ramener au bien. Ce malheureux, qui résiste à tes généreux efforts, t’appartient, soit parce qu’il est homme comme toi, soit parce que d’ordinaire les liens de la communion ecclésiastique vous unissent ensemble. S’il est membre de la même Église, que feras-tu ? En quel endroit te réfugier ? Comment te séparer de lui pour n’avoir plus rien à supporter de sa part ? Approche-toi de lui : adresse-lui la parole, exhorte-le, flatte-le, menace-le, réprimande-le. J’ai fait tout cela ; j’ai dépensé, j’ai épuisé tout ce que j’avais de forces, et je ne vois pas que j’aie réussi en quelque chose ; je suis à bout de ressources ; il ne me reste donc qu’à gémir et à pleurer. En présence de l’inutilité de mes efforts, mon cœur pourra-t-il jamais trouver le repos ? Je dirai donc : « Qui est-ce qui me donnera des ailes comme à la colombe ? » « Comme à la colombe », et non point, comme au corbeau. La colombe cherche, en prenant son vol, à échapper à ceux qui la tourmentent ; mais elle ne perd point pour cela la charité. Elle est le symbole de l’amour, et l’on aime à entendre ses cris plaintifs. Nul être n’est si ami des gémissements ; elle se plaint nuit et jour : on dirait que Dieu l’a placée ici-bas parce qu’il faut y gémir. Quel est donc le langage de cet homme, au cœur duquel la charité ne s’éteint pas ? Je ne puis supporter les outrages des hommes ; ils grincent des dents contre moi ; la rage les transporte ; la colère s’est allumée en eux, et, dans leur fureur, ils me noircissent ; je ne puis leur être utile ; puissé-je donc goûter le repos quelque part, éloigné d’eux corporellement, mais uni de cœur à eux tous ! Puisse mon amour pour eux ne point s’ébranler en moi ! Mes paroles et mes entretiens leur sont inutiles : je leur ferai peut-être plus de bien par mes prières. Les hommes parlent ainsi ; mais, d’habitude, ils se trouvent si étroitement liés, qu’ils sont incapables de prendre leur essor : ce n’est point la glu qui paralyse leurs ailes, c’est le devoir. Si le devoir et les exigences de leur charge les arrêtent, s’ils ne peuvent s’éloigner, ils sont, du moins, à même de dire avec saint Paul : « Je désirerais mourir et « me voir réuni au Christ : c’est ce qui m’est le plus avantageux ; mais je dois encore rester en vie à cause de vous[140] ». Pareil à une colombe que retient, non pas la passion, mais la charité, il ne pouvait s’envoler : il ne manquait pas de mérites pour cela : la nécessité de remplir son devoir y mettait seule obstacle. Néanmoins, le désir de la séparation doit toujours vivre dans notre cœur : celui-là seul le comprend, qui se trouve déjà engagé dans la voie étroite[141] ; car il sait que les persécutions ne font pas défaut à l’Église, même en ce temps où elle semble se reposer tranquillement de toutes celles qu’ont subies les martyrs. Non, les persécutions ne manquent pas de nos jours, car elle est vraie cette parole de l’Apôtre : « Tous ceux qui veulent vivre avec piété dans le Christ, souffriront persécution »[142]. Tu ne souffres pas persécution, c’est que tu ne veux pas vivre avec piété dans le Christ. Veux-tu la preuve de ce que tu as entendu tout à l’heure ? Commence à vivre pieusement dans le Christ. Mais en quoi consiste cette vie pieuse ? À ressentir au dedans de toi-même la vérité de ces paroles de saint Paul, et à répéter : « Qui est-ce qui est faible, sans que je sois faible moi-même ? Qui est-ce qui est scandalisé, sans que je me sente enflammé[143] ? » Les faiblesses et les scandales des autres, telles étaient les persécutions dont il avait à souffrir. Est-il maintenant nécessaire de demander, si, de nos jours, il y a des persécutions à souffrir ? Ceux qui s’y trouvent exposés, disent que jamais elles n’ont été plus nombreuses. Souvent, quand on voit de loin un homme, on dit de lui : Celui-là est bien heureux. Pourquoi tient-on ce langage ? Parce qu’on voit ses peines propres, sans voir celles d’autrui ; ou bien, on n’a rien à souffrir et l’on ne compatit nullement aux douleurs qui tourmentent et consument les autres. Que l’on commence donc à vivre pieusement dans le Christ, et l’on sentira bientôt toute la vérité de ce que dit saint Paul, et l’on désirera avoir des ailes, et l’on voudra s’éloigner, s’enfuir et demeurer dans le désert.
9. Pourquoi, en effet, les serviteurs de Dieu vont-ils, en si grand nombre, peupler la solitude des déserts ? Qu’en pensez-vous, mes frères ? S’ils trouvaient le bonheur au milieu des hommes, s’éloigneraient-ils de toute société humaine ? Et, pourtant, à quoi réussissent-ils en lin de compte ? Ils s’éloignent, ils s’enfuient, ils établissent leur demeure dans le désert, c’est vrai : mais parviennent-ils à n’y rencontrer personne ? La charité qui les anime les réunit ensemble ; et, dans la multitude de leurs compagnons, il en est qui exercent leur patience. Toute assemblée nombreuse renferme infailliblement, en son sein, des méchants : Dieu sait que nous avons besoin d’être exercés, et il fait entrer dans nos rangs, et des gens qui ne persévéreront pas, et des hypocrites qui ne se sont pas même encore engagés dans la voie où ils devraient toujours marcher. Il le sait aussi ; nous devons nécessairement supporter les méchants et tirer profit de ce que nous sommes bons : aimons nos ennemis, réprimandons-les, châtions-les, excommunions-les, séparons-les même de nous ; mais toujours sous l’inspiration de la charité : car voyez ce que dit l’Apôtre : « Si quelqu’un « n’obéit pas à notre parole, faites-le-moi connaître par une lettre, et n’ayez plus rien de commun avec lui ». Et afin que tu ne te laisses point emporter par la colère, et que les yeux ne se troublent pas, il ajoute : « Ne le regardez pas comme un ennemi, mais reprenez-le comme un frère, afin qu’il rougisse[144] ». Ainsi, il ordonne la séparation, sans détruire la charité. Par là, tes yeux ne s’éteignent pas, et la vie demeure entière en loi, car la perte de la charité serait ton coup de mort. C’est ce que redoutait le Psalmiste, quand il disait : « La crainte de la mort s’est abattue sur moi » ; et, pour que je ne perde pas la vie de la charité, « qui est-ce qui me « donnera des ailes comme à la colombe ? Et « je volerai, et je me reposerai ». Où aller ? De quel côté diriger mon vol ? En quel lieu trouverai-je le repos ? Je me suis éloigné « par la fuite, et j’ai établi ma demeure dans le désert ». En quel désert ? Partout où tu pourras fixer ton séjour, d’autres hommes s’y réuniront avec toi : ils chercheront la solitude et vivront avec toi : tu ne peux refuser de vivre en compagnie de tes frères, et, dès lors, tu rencontres des méchants ; dès lors, tu es condamné à souffrir. « Je me suis éloigné par la fuite et j’ai établi ma demeure « dans le désert ». En quel désert ? Ne serait-ce point dans celui de ta conscience, dans cette solitude, où nul ne saurait entrer, où personne n’habite avec toi, où tu rencontres la société de Dieu seul ? Car si tu choisissais, comme lieu de retraite, un désert ordinaire, un endroit quelconque, que ferais-tu de ceux qui viendraient se joindre à toi ? Tant que tu vivras parmi les hommes, tu ne pourras te séparer de tes semblables. Porte plutôt tes regards sur le divin Consolateur, sur notre Seigneur et notre Roi, sur notre Maître et notre Créateur, sur celui qui est devenu créature au milieu de nous : rappelle-toi qu’entre ses douze disciples, il y en eut un qu’il dut supporter.
10. « Voilà », dit le Prophète, « que je me suis éloigné par la fuite, et que j’ai établi ma demeure dans le désert[145] ». Je vous l’ai déjà fait remarquer : peut-être s’est-il enfui dans la solitude de sa conscience ; peut-être a-t-il trouvé là une retraite capable de lui procurer le repos. Néanmoins, sa charité l’y troublait ; car, s’il avait rencontré un désert dans sa conscience, sa charité ne l’y laissait pas seul. Sa conscience le consolait intérieurement, mais des tribulations venues du dehors le tourmentaient : tranquille du côté de lui-même, mais inquiet du côté des autres, il s’écrie : « J’attendais celui qui devait me « délivrer du découragement et de la tempête ». Te voilà exposé aux flots de la mer, à la fureur des vents : tu n’as plus qu’une ressource, c’est de crier : « Seigneur, je « péris[146] ». Daigne celui qui marche sur les eaux sans trembler, te tendre une main secourable ! Puisse-t-il te soutenir au milieu de tes alarmes, établir solidement sur lui-même ta sécurité, te parler Intérieurement et te dire : Jette les yeux sur moi ; rappelle-toi ce que j’ai moi-même enduré ! Si tu es condamné à endurer un frère méchant ou un ennemi étranger, n’ai-je pas eu le même sacrifice à faire ? Au-dehors, les Juifs frémissaient de rage contre moi : au dedans, j’étais trahi par un de mes disciples. La tempête est déchaînée ; mais « il délivre de la crainte et de la tempête ». Les vents et les vagues secouent ton esquif : n’est-ce point parce qu’il dort en ton cœur ? Une mer furieuse ballottait la barque conduite par les disciples : pendant ce temps-là, Jésus dormait. À la fin, il leur vint en pensée que celui qui dormait au milieu d’eux, était le Créateur et le Maître des vents : ils s’approchèrent donc du Christ et l’éveillèrent : aussitôt il commanda aux vents, et à la tempête succéda un grand calme[147]. Si ton cœur est en proie à l’agitation, faut-il s’en étonner ? Tu as perdu le souvenir de celui en qui tu crois : tu manques de patience pour souffrir, parce que tu oublies ce que le Christ a souffert pour toi. Si le Christ n’occupe point les pensées, il dort : éveille-le, ranime ta foi. Il dort en toi, dès que tu oublies ses souffrances ; quand tu en gardes la mémoire, il y veille. Que si tu t’appliques de tout ton cœur à la considération de ses souffrances, ne supporteras-tu pas les tiennes avec patience, et même avec bonheur ? Ne seras-tu pas heureux d’avoir quelque ressemblance avec ton roi humilié et persécuté ? Les consolations et la joie que tu puiseras dans cette pensée, seront, pour toi, la preuve que le Christ s’est levé, qu’il a commandé aux vents et que le plus grand calme a succédé à la tempête. « J’attendais celui qui devait me délivrer de a mes alarmes et de la tempête ».
11. « Seigneur, précipitez-les dans les abîmes, et divisez leurs langues[148]». Expression d’un désir et non d’un mouvement de colère de la part du Prophète : car, mes frères, il avait jeté les yeux sur ceux qui le persécutaient et noircissaient sa réputation. A ceux qui se sont élevés pour le mal, il est utile d’être profondément abaissés ; pour ceux qui ont malicieusement conspiré, il est avantageux que « leurs langues soient divisées » ; qu’ils s’accordent pour le bien et qu’ils parlent tous le même langage. « Tous mes ennemis », dit-il ailleurs, « murmuraient ensemble contre moi[149] ». Qu’ils perdent cet accord pour le mal ; que leurs langues soient divisées ; qu’ils ne s’entendent plus. « Seigneur, précipitez-les dans les abîmes, et divisez leurs langues ». « Précipitez-les dans les abîmes » : pourquoi ? parce qu’ils se sont élevés. « Divisez » : pourquoi ? parce qu’ils ont méchamment conspiré. Souviens-toi de cette tour bâtie par les orgueilleux après le déluge : quel fut leur langage ? « Pour qu’un « nouveau déluge ne nous engloutisse pas, élevons une haute tour[150] ». Ils se croyaient bien abrités contre le bras de Dieu par leur orgueil ; ils bâtirent une tour élevée, et le Seigneur divisa leurs langues ; ils commencèrent à ne plus s’entendre, et c’est alors que se forma la multitude des langues. Une seule langue avait jusque-là régné dans le monde ; l’unité de langage était utile aux hommes qui s’accordaient pour le bien et demeuraient dans l’humilité ; mais lorsque leur réunion dégénéra en une assemblée de conspirateurs, Dieu prit pitié d’eux et divisa leurs langues, afin qu’ils ne fussent plus à même de se comprendre et de former une société mauvaise. Les langues ont donc été divisées par l’orgueil des hommes ; elles ont été réunies par l’humilité des Apôtres ; l’esprit d’orgueil fut la cause de leur division : l’Esprit-Saint fut le principe de leur réunion. Lorsqu’en effet le Saint-Esprit descendit sur les disciples du Sauveur, ils parlèrent toutes les langues, tout le monde les comprit ; auparavant dispersées, les langues se rassemblèrent. Si donc les hommes agissent encore par méchanceté, s’ils sont encore païens, il est bon pour eux que leurs langues soient dans la confusion ; mais s’ils veulent ne parler qu’une seule langue, qu’ils viennent tous dans le giron de l’Église : ils y rencontreront sans doute une grande diversité dans la manière de parler, mais aussi, ils y rencontreront la même foi, parlant a leurs cœurs le même langage. « Seigneur, précipitez-les dans les abîmes, et divisez leurs « langues ».
12. Car j’ai vu l’injustice et la contradiction dans leur ville ». C’était avec raison qu’il cherchait à fuir dans le désert, puisqu’il voyait, dans leur ville, l’iniquité et la contradiction. Il est une ville pleine de troubles ; sus habitants ont bâti la tour dont nous venons de parler ; la confusion est sou partage ; elle a nom Babylone et se trouve dispersée parmi les innombrables nations du monde ; c’est de son sein que sortent, pour former l’Église, tous ceux qui se retirent dans le désert d’une bonne conscience, car ils voient la contradiction régner dans cette ville. Le Christ est venu. – Qui est le Christ ? – N’es-tu pas une ville de contradiction ? C’est le Fils de Dieu. – Dieu a-t-il un Fils ? – N’es-tu pas une ville de contradiction ? Il est né d’une Vierge, il est mort dans les tourments, il est ressuscité. – Comment cela peut-il se faire ? – N’es-tu pas une ville de contradiction ? Remarque au moins le glorieux éclat de sa croix. Cette croix, que ses ennemis ont insultée, a déjà trouvé place au front des rois ; l’événement a déjà prouvé la puissance de Celui qui y a été attaché ; il a dompté le monde, non par les armes, mais par le bois de sa croix. Ses ennemis avaient cru que ce bois était digne de tous les mépris ; ils s’arrêtaient devant lui, secouaient la tête et disaient : « S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende de sa « croix[151] ». Cloué à ce bois, il tendait les bras à ce peuple incrédule et ennemi. Si celui qui vit de la foi est juste[152], celui-là est injuste qui n’a pas la foi. Par le mot « injustice », j’entends donc la perfidie. Le Seigneur voyait donc l’iniquité et la contradiction dans la ville ; il étendait ses bras vers un peuple incrédule et ennemi ; il en attendait patiemment le retour au bien et disait : « Mon « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce « qu’ils font[153] ». On ne peut en douter, les restes de cette ville le persécutent encore aujourd’hui ; ils sont encore animés, à son égard, du même esprit de contradiction ; sa croix est aujourd’hui imprimée sur tous les fronts, et, de là, il tend encore ses bras à ces restes incrédules et ennemis. « Parce que j’ai B vu l’iniquité et la contradiction dans la « ville ».
13. « Jour et nuit l’iniquité et la douleur « environneront ses murailles[154] », ses remparts, c’est-à-dire ces nobles citoyens qui en sont comme les chefs. Si ce prince, dit-on souvent, se faisait chrétien, personne ne resterait païen ; c’en serait fait du paganisme du jour où cet homme deviendrait chrétien. Chaque jour on répète le même propos. Oui, si ce grand personnage embrassait la religion chrétienne, on ne rencontrerait plus un seul païen. Mais, parce qu’ils persistent dans leur fausse religion, ils sont comme les murs de cette cité incrédule et pleine de contradiction. Combien de temps encore resteront-ils debout ? Pas toujours, car ils seront renversés. L’arche fait le tour des murailles de Jéricho ; bientôt elle le fera pour la septième fois, et alors s’écrouleront les remparts de cette ville sans foi et animée de l’esprit de contradiction[155] En attendant, le Prophète se trouble dans son exercice, et, dans la nécessité où il se trouve de supporter les contradictions des restes de cette ville, il désire avoir des ailes pour s’envoler ; il souhaite la tranquillité du désert. Mais non ; qu’il demeure ferme au milieu des contradictions ; qu’il supporte les menaces ; qu’il boive les opprobres ; qu’il attende Celui qui le délivrera des alarmes et de la tempête ; qu’il porte ses regards sur son Chef, sur son modèle, et si les réalités de la vie le jettent dans le trouble, que, du moins, ses immortelles espérances ramènent le calme dans son âme. « Jour et nuit l’iniquité environnera ses « murailles ; la douleur et l’injustice se trouvent au milieu d’elle ». Il y a là de la douleur, parce qu’il y a là de l’iniquité ; on y voit l’injustice, c’est pourquoi on y voit la douleur. Qu’ils écoutent donc Celui qui leur tend les bras et leur dit : « Venez à moi, vous tous qui souffrez ». Vous le poursuivez de vos clameurs, de vos contradictions et de vos outrages, et il vous appelle : « Venez à moi, vous « tous que l’orgueil fait souffrir, et vous trouverez le repos dans mon humilité », car, ajoute-t-il, « apprenez de moi que je suis doux « et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes[156] ». En effet, pourquoi souffrent-ils, sinon parce qu’ils manquent de douceur et de l’humilité du cœur ? Dieu s’est abaissé ; rougir en face de cette humiliation de son Dieu, voilà le devoir de l’homme orgueilleux.
14. « Sur ses places on rencontre toujours « l’usure et la tromperie[157] ». L’usure et la tromperie sont des crimes ; elles devraient donc, au moins, se dérober aux regards du public ; loin de là, elles s’étalent et s’exercent au grand jour. Celui qui se tient dans l’intérieur de sa maison pour faire le mal, rougit encore de sa conduite ; mais, « sur ses places on rencontre toujours l’usure et la tromperie ». L’usure est élevée à la hauteur d’une profession ; on dit qu’elle est un art ; ceux qui l’exercent forment une corporation, mais une corporation nécessaire au bien-être de la cité, qui recueille le bénéfice de sa profession, et qui, loin de se cacher, ne craint pas de se montrer sur les places publiques. À côté de cette usure il en est une autre plus coupable encore ; elle consiste à ne point pardonner les offenses d’autrui, et à avoir les yeux troublés quand tu récites ces paroles de l’Oraison dominicale : « Remettez-nous nos dettes ». Lorsque tu prieras et que tu en seras venu en cet endroit de la prière, à quoi t’arrêteras-tu ? Une parole outrageante est venue frapper tes oreilles, et pour cela tu exiges la honte d’une condamnation ? Malheureux usurier en fait d’injures ! N’exige pas plus que tu n’as donné. Tu as reçu un soufflet, et tu réclames la mort de ton agresseur ? Usure condamnable ! Comment pourras-tu prier ? Et si tu abandonnes la prière, comment trouveras-tu accès auprès de Dieu ? Tu diras : « Notre Père, qui êtes aux cieux, que votre nom soit sanctifié ; que votre règne arrive ; que votre volonté soit faite sur la terre comme dans le ciel ; donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien ». Tu arriveras enfin à ces paroles : « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent[158] ». Qu’il y ait de ces usures dans cette ville méchante, j’y consens ; mais que jamais elles ne pénètrent à l’intérieur de cette cité où l’on se frappe la poitrine. À quel parti t’arrêteras-tu, quand lu te trouveras en cet endroit de ta prière ? C’est le divin avoué qui a composé pour toi cette formule de prière ; il savait d’avance l’opposition de ses paroles avec ta conduite ; aussi a-t-il ajouté : « Car en vérité je vous le dis, si vous remettez aux hommes leurs offenses qu’ils vous ont faites, les vôtres aussi vous seront remises ; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes leurs offenses, votre Père ne vous pardonnera pas a non plus les vôtres[159] ». Qui est-ce qui a dit cela ? Celui qui connaît tes dispositions, et qui le voit debout devant lui pour le prier. Il a voulu devenir ton avocat, ton avoué, ton intercesseur auprès de Dieu ; il sera plus tard ton juge et il te dit : Tu n’obtiendras rien autrement. Que faire alors ? Si tu ne prononces pas ces paroles, tu n’obtiendras rien ; il en sera de même, si lu les prononces contre ta façon de penser. Il faut donc que tu les répètes avec franchise ou que tu agisses d’accord avec elles, ou bien tu ne mériteras pas de voir ta prière exaucée ; car ceux qui ne se conduisent pas ainsi, sont du nombre de ces usuriers coupables dont nous avons parlé. Qu’il en soit ainsi de ceux qui adorent ou cherchent les idoles ; mais, ô peuple de Dieu, ô peuple de Jésus-Christ, ô corps sacré de ce divin chef, qu’il n’en soit jamais ainsi de toi ! Considère le lien de la paix qui vous unit ; considère les promesses de vie qu’on t’a faites. Quel bénéfice le procureraient tes exigences à l’égard de celui qui t’a offensé ? La vengeance pourrait-elle guérir les blessures de ton âme ? Aurais-tu à te réjouir du mal d’autrui ? Tu as eu à supporter des traitements mauvais : pardonne, afin que vous ne soyez pas deux méchants. « Sur ses places a on rencontre toujours l’usure et l’iniquité ».
15. Tu ne peux supporter la contradiction et l’iniquité qu’on rencontre dans cette ville ; voilà donc pourquoi tu cherchais la solitude ; voilà pourquoi tu désirais des ailes ; voilà la cause de tes murmures. Repose-toi au milieu de ceux qui sont, comme toi, dans le sein de l’Église. Ne cherche pas la solitude ; écoute ce que dit le Prophète en parlant d’eux : « Si un ennemi m’avait insulté ». Il avait dit plus haut qu’il était troublé dans son exercice parles clameurs de son ennemi et les persécutions des pécheurs ; car il se trouvait peut-être dans cette ville qui bâtit par orgueil une haute tour, et qui vit ses langues divisées par la destruction de son œuvre[160], Écoute les gémissements qui tombent de ses lèvres dans le sein même de l’Église, à cause des périls où l’exposent des faux frères, a Si un ennemi m’avait insulté, je l’aurais souffert en patience ; et si celui qui me haïssait a avait ouvert la bouche », c’est-à-dire s’il m’avait orgueilleusement insulté, s’il m’avait traité fièrement, s’il m’avait menacé de me faire tout le mal possible, je me serais peut-être dérobé à ses invectives. Qu’une personne, vivant hors de l’Église, te persécute, où te réfugieras-tu pour lui échapper ? Au milieu des membres de ta communion. Mais, dans le cas présent, te reste-t-il autre chose à faire qu’à te retirer dans la solitude ? « Mais toi », continue-l-il, « toi qui étais un même cœur « avec moi, toi qui étais mon ami et mon « guide ! » Autrefois, peut-être, tu m’as donné des conseils, tu m’as servi de guide, tu m’as aidé par de salutaires avertissements ; nous avons vécu ensemble dans l’Église de Dieu : a Mais toi, qui étais un même cœur avec moi, « toi qui étais mon ami et mon guide, toi ((qui prenais en ma société d’agréables « repas ! » Quels sont ces repas, ces aliments si doux ? Tous ceux qui se trouvent ici ne le savent pas ; pour ceux qui en ont été instruits, ils ne doivent pas s’en prévaloir avec aigreur ; ils doivent pouvoir dire à ceux qui l’ignorent : « Goûtez et voyez combien le Seigneur est a doux. Tu prenais en ma société d’agréables « aliments ; nous avons marché d’un même a pas dans la maison du Seigneur ». D’où est donc venue cette pénible mésintelligence ? Elle est venue de celui qui était dans l’Église et qui en est sorti. Il avait marché d’un même pas avec moi dans la maison du Seigneur ; depuis, il a bâti une autre maison contre celle de Dieu. Pourquoi a-t-il abandonné celle où nous marchions ensemble d’un même pas ? pourquoi s’est-il éloigné de celle où nous prenions tous deux de si doux aliments ?
16. « Que la mort les surprenne et qu’ils « descendent vivants dans l’enfer ». C’est ainsi que le Prophète rappelle à notre souvenir les origines du schisme d’Israël ; voilà comment il nous remet en mémoire l’époque où des orgueilleux se séparèrent de ce premier peuple de Dieu, et prétendirent faire des sacrifices en dehors du temple ; une mort d’un genre nouveau vint les frapper ; la terre s’entr’ouvrit sous leurs pas et les engloutit tout vivants[161]. « Que la mort », dit-il, « les surprenne, et qu’ils descendent tout vivants dans l’enfer ». Que veut dire le mot « vivants ? » Qu’ils sachent qu’ils vont périr, et que néanmoins ils périssent. Périr vivant, être englouti dans les abîmes de la terre, veut donc dire ici : être dévoré, consumé par les passions terrestres.
Tu dis à un homme : Mon frère, pourquoi souffres-tu ? Nous sommes frères, nous invoquons le même Dieu, nous croyons au même Christ, nous lisons le même Évangile, nous récitons le même psaume, nous répondons le même Amen, nous chantons le même Alléluia, nous célébrons la même pâque ; pourquoi donc es-tu hors de l’Église, tandis que je suis un de ses membres ? Pressé par ces raisons ; touchant en quelque sorte du doigt la vérité de ce qu’on lui dit, cet homme répond : Que Dieu rende à nos ancêtres selon leurs œuvres. N’est-il pas vrai qu’il meurt tout vivant ? Tu le presses davantage et tu ajoutes : C’est bien assez que tu aies eu le malheur de te séparer de nous ; faut-il y ajouter celui d’un second baptême ? J’ai autant que toi, avoue-le ; mais tu me détestes ; pourquoi détester en moi le Christ ? De telles gens reconnaissent souvent leur infortune ; ils en gémissent et ils disent : Nous te comprenons bien, nous faisons mal ; ah ! si seulement nous pouvions agir d’autre manière ! Mais pouvons-nous changer les choses établies par nos ancêtres ? « Qu’ils descendent vivants a dans les enfers ! » Si tu mourais avant d’y descendre, saurais-tu ce que tu fais ? Mais, puisque tu n’ignores pas que tu fais le mal, et que néanmoins tu persistes à le vouloir faire, ne descends-tu pas tout vivant dans les enfers ? Mais pourquoi la terre s’est-elle entr’ouverte seulement sous les pas des chefs pour les engloutir, tandis que le feu du ciel est tombé sur le peuple qui les suivait, et l’a consumé tout entier[162] ? Le Psalmiste, en nous rappelant ce châtiment, nous parle d’abord de la punition du peuple, puis de celle des chefs de la sédition. « Que la mort descende sur eux ! » Voilà pour ceux sur lesquels le feu du ciel est tombé ; aussitôt il ajoute : « Qu’ils soient précipités vivants dans l’enfer ». Par là il veut désigner ceux que la terre engloutit tout vivants dans ses abîmes. Il commence par les plus petits pour finir par les plus grands. « Que « la mort descende » sur ceux qui ont écouté et suivi les séditieux. Pour les chefs et les princes, « qu’ils soient précipités tout vivants a dans les enfers », parce que les Écritures sont entre leurs mains, et parce qu’en les lisant tous les jours ils ont appris que l’Église catholique s’est répandue dans tout l’univers, de façon à ne laisser place à aucune objection ni à aucun témoignage en faveur de leur schisme. Ils le savent bien ; ils n’ignorent donc pas que ce qu’ils font est mal ; ils descendent donc tout vivants dans les enfers. Pour les autres, le feu de la colère divine les a consumés ; brûlés du désir de la contention, ils n’ont point consenti à se séparer de leurs chefs ; ces méchants les ont entraînés dans le mal ; le feu est venu en eux s’ajouter au feu, et la flamme dévorante de la colère de Dieu est venue se joindre à la flamme de la discorde. « Que la mort descende sur eux et qu’ils « soient précipités tout vivants dans les enfers, « parce que la malice est dans leur tente au « milieu d’eux ». « Dans leurs tentes », où ils ne sont que comme des étrangers et en passant ; car ils ne demeureront pas toujours sur la terre, quoiqu’ils apportent, dans la défense d’intérêts passagers, un acharnement extrême. « L’iniquité est donc dans leurs tentes ; « elle se trouve au milieu d’eux ». Que peuvent-ils avoir davantage, au milieu d’eux, que leur propre cœur ?
17. « Pour moi, j’ai crié vers le Seigneur ». Ce sont lus paroles du corps de Jésus-Christ : son unité est dans l’angoisse, l’ennui, les tourments et le trouble de son exercice. Cet homme unique, cet ensemble des membres d’un même corps, crie vers Dieu des extrémités de la terre, dans l’ennui profond où son âme est plongée : « J’ai », dit-il, a crié vers « vous des extrémités de la terre, pendant « que l’angoisse oppressait mon cœur[163] ». Il était unique, mais il représentait l’universalité, l’ensemble des membres du corps ; quoique se trouvant en tous lieux, il n’avait qu’une voix pour crier, des extrémités de la terre, vers le Seigneur. Si plusieurs n’étaient pas unis en lui, comment pourrait-il, des extrémités de la terre, ne faire entendre qu’un même cri ? « Pour moi, j’ai crié vers le Seigneur ». C’est bien : crie vers le Seigneur, et non pas vers Donat, dans la crainte d’avoir pour Ion Seigneur celui qui a renoncé à servir avec loi le Seigneur. « J’ai crié vers le Seigneur, et il m’a exaucé ».
18. « Le soir, le matin et à midi, je raconterai cl j’annoncerai, et il écoulera ma voix ». Ne garde pas le silence : annonce hautement ce que tu as appris, « le soir », sur le passé ; « le matin », sur l’avenir ; « à midi », sur l’éternité. À ce qu’il appelle « le soir », se rapporte ce qu’il raconte ; « au malin », ce qu’il annonce ; « à midi », l’accomplissement de ses désirs. Par le midi, il entend le sommet d’où l’on ne descend point vers le couchant : à midi, la lumière du soleil se trouve à son plus haut degré d’élévation ; c’est alors que se montre dans toute sa splendeur l’éclat de la sagesse, et que le feu de la charité fait sentir toute son ardeur. « Le soir, le matin, « à midi ». « Le soir », Jésus a été attaché à la croix ; « le matin », il est ressuscité ; il est monté au ciel « à midi ». « Le soir », je raconte la patience du Christ mourant ; j’annonce, « le matin », la nouvelle vie de sa résurrection ; je le prierai d’exaucer ma prière, lorsque « à midi » il sera assis à la droite de son Père. Celui qui intercède pour nous dans le ciel écoulera ma voix[164]. Quelle sécurité est celle du prophète ! Quelle est sa consolation ! Comme il se sent devenu plus fort contre les alarmes et la tempête, contre les méchants, contre les pécheurs du dehors et du dedans, contre ceux qui, après avoir appartenu à l’Église, en sont sortis !
19. C’est pourquoi, mes frères, tous ceux qui, réunis avec vous dans l’enceinte de l’Église, vous apparaissent comme des turbulents, des orgueilleux, des gens conduits par l’intérêt, vaniteux, dépourvus d’un zèle chaste, pur et tranquille pour la gloire de Dieu, suffisants, toujours prêts, s’ils en trouvaient l’occasion, à semer autour d’eux la discorde, tous ceux-là sont la paille de l’aire du Seigneur[165]. Le vent de l’orgueil les a déjà réduits à ce petit nombre que vous voyez ; mais la paille n’en sortira en totalité qu’au jour du jugement, en ce jour où le Seigneur purifiera son aire. Pour nous, nous n’avons plus qu’à chanter, à prier et à gémir avec le Psalmiste, et à dire, dans le sentiment de la jilus complète sécurité : a II rachètera mon a âme dans la paix ». Cette prière a trail à ceux qui n’aiment pas la paix : « Il rachètera « mon âme dans la paix », parce que j’étais pacifique avec ceux qui la délestent[166]. « Il rachètera mon âme dans la paix ; il la délivrera « de ceux qui s’approchent de moi ». Car, par rapport à ceux qui sont loin de moi, ma cause n’est pas en danger. J’ai bien moins à craindre un homme qui me dit : Viens, adore cette idole : un pareil homme est singulièrement loin de moi. Mais quand je dis à quelqu’un : Es-tu chrétien ? et qu’il me répond : Oui, je le suis ; j’ai près de moi mon ennemi : sa proximité est dangereuse. « Il rachètera mon âme dans la paix ; il la délivrera de ceux qui s’approchent de moi, car ils étaient avec moi en beaucoup ». Pourquoi ai-je dit qu’ils s’approchent de moi », sinon parce qu’ « ils étaient avec moi en beaucoup ? » Ce verset a deux sens. « Ils étaient avec moi en beaucoup de choses ». Nous avions les uns et les autres le même baptême : en cela, ils étaient avec moi ; nous lisions le même Évangile : en cela, ils étaient avec moi. Nous célébrions ensemble les fêtes des martyrs : en cela, ils étaient avec moi. Nous solennisions la même fête de Pâques : en cela encore, ils étaient avec moi. Mais nous n’étions pas tout à fait d’accord, car je n’étais avec eux ni dans le schisme, ni dans l’hérésie. Unis en beaucoup de points, nous différions en quelques-uns ; mais, parce qu’ils sont en désaccord avec moi sur un petit nombre de choses, il ne leur sert de rien de s’accorder avec moi sur beaucoup d’autres. Car voyez, mes frères, combien de choses nous énumère saint Paul, qui pourtant nous deviennent inutiles, dès qu’une seule nous manque, a Quand », dit-il, « je parlerais le langage des hommes et des « anges eux-mêmes, quand j’aurais le don de prophétie, quand je pénétrerais tous les mystères et que j’aurais une parfaite science a de toutes choses, quand je transporterais les montagnes, que je distribuerais mon bien « aux pauvres et que je livrerais mon corps au supplice du feu » : que de choses il énumère ! et pourtant, que la charité manque au milieu de ce merveilleux ensemble, elle l’emportera toute seule sur toutes les autres qualités, si nombreuses qu’elles soient[167]. D’accord avec moi dans foules les pratiques religieuses, ils en diffèrent sous le rapport de la charité, car ils ne l’ont pas. « Ils étaient avec moi en « beaucoup de choses ». Autre sens : « Parce qu’ils étaient avec « moi en beaucoup », ceux qui se sont séparés de moi étaient avec moi, non pas en petit nombre, mais en grand nombre. Sur toute la surface de la terre, il y a peu de bon grain, mais beaucoup de paille. Que veut donc dire le Prophète ? Ils étaient avec moi comme de la paille ; ils n’y étaient pas comme du bon grain : la paille, je le veux bien, est proche, voisine du froment : tous deux viennent de la même semence ; le même champ les produit tous deux ; à l’une et à l’autre la même pluie donne la même sève ; à tous deux sont réservés le même moissonneur, le même fléau, le même van, mais non le même cellier : « Parce qu’ils étaient avec « moi en grand nombre ».
20. « Dieu m’exaucera, et il les humiliera, « lui qui est avant tous les siècles ». Car ils ont placé leur confiance dans je ne sais quel chef, qui s’est mis à leur tête et qui n’est que d’hier. « Celui qui est avant tous les siècles « les humiliera ». Quoique le Christ soit né, dans le temps, de la Vierge Marie, néanmoins « le Verbe était au commencement », avant tous les siècles, « et le Verbe était en « Dieu, et le Verbe était Dieu[168] ». Celui qui est « avant tous les siècles, les humiliera, car il « n’y a pas de changement pour eux ». Je parle de ceux pour lesquels il n’y a pas de changement. Il savait que quelques-uns persévéreraient dans la méchanceté et y mourraient. Nous le voyons, en effet, il n’y a pas de changement pour eux. Ceux-là ne changent pas, qui meurent dans le dérèglement, dans le schisme ; Dieu les humiliera, parce qu’ils se sont élevés par leur séparation ; ils seront humiliés par leur condamnation. Il n’y a point de changement pour eux, car on ne peut appeler de ce nom le mouvement d’une personne, non vers le bien, mais vers le mal : ils ne changeront ni maintenant, ni au moment de la résurrection, car nous ressusciterons tous, mais nous ne serons pas tous changés[169]. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de changement pour eux, et qu’ils n’ont pas craint Dieu. Mes frères, je ne vois à cela qu’un remède : c’est qu’ils craignent le Seigneur et qu’ils abandonnent le parti de Donat. Tu dis à un donatien : Tu périras dans l’hérésie, dans le schisme ; il faut que Dieu te punisse de ton infidélité ; tu seras condamné, il est inutile de te flatter ; ne prends point un aveugle pour ton guide, « car si un aveugle 8 en conduit un autre, ils finissent par tomber tous deux dans le précipice[170] ». Peu m’importe : je vivrai aujourd’hui comme j’ai vécu hier : ce qu’ont été mes parents, je le serai moi-même. – Tu ne crains pas Dieu. – Inspire-lui la crainte de Dieu. Si, à ses yeux, l’Ecriture est la parfaite expression de la vérité, parce que tel est l’enseignement chrétien, qui n’est point sujet à l’erreur, comment pourra-t-il persévérer dans l’hérésie, surtout quand il portera son attention sur le spectacle frappant de l’existence de l’Église catholique, de cette Église que Dieu a répandue par tout le monde, dont il annonce l’admirable extension avant de l’opérer, à l’égard de laquelle enfin il a accompli toutes ses promesses ? Que ceux qui ne craignent pas Dieu prennent garde à eux et qu’ils tremblent, car a il a étendu son bras pour leur rendre suivant leurs mérites ».
21. « Ils ont profané son alliance ». Voici en quels termes est conçue cette alliance qu’ils ont profanée : « Toutes les nations « de la terre seront bénies en votre race[171] ». Ils ont profané son alliance. Et toi, que dis-tu à rencontre de ces paroles du divin Testateur ? L’Afrique seule a mérité la grâce de posséder saint Donat : l’Église du Christ est demeurée en lui seul. Dis donc : L’Église de Donat. Pourquoi dis-tu : L’Église du Christ, puisqu’il a été dit de lui : a En lui a seront bénies toutes les nations de la terre ? » Veux-tu suivre Donat ? Renonce au Christ, et alors tu seras libre. Écoutez ce qui suit : « Us a ont profané son alliance ». Quelle était cette alliance ? « Des promesses ont été faites à « Abraham et à sa race ». L’Apôtre ajoute : « Mes frères, lorsqu’un homme a fait un contrat ou un testament qui a été confirmé, « nul ne peut le casser ni y ajouter quoi que a ce soit. Or, des promesses ont été faites h a Abraham et à sa race ». L’Écriture ne dit pas : À ceux de sa race, comme si elle eût voulu en marquer plusieurs, mais « à sa race », c’est-à-dire à l’un de sa race, qui est le Christ[172]. C’est donc en ce Christ que reposent les promesses de l’alliance : « En ta race seront bénies toutes les nations de la terre ». Tu as donc profané celte alliance, puisque lu as fait schisme avec l’ensemble de toutes les nations, et que tu fais bande à part. Que tu aies été retranché et i)rivé de l’héritage céleste, c’est un effet de la colère de Dieu ; car, écoule bien ce qui suit : « Ils ont profané son alliance, ils ont été séparés par a la colère de son visage ». Se peut-il quelque chose de plus formel ? Est-il possible de désigner plus clairement les hérétiques ? « Ils ont été divisés par la colère de son visage ».
22. « Et son cœur s’est approché ». De qui veut nous parler le Prophète, sinon de celui qui les a séparés dans sa colère ? Pourquoi a son cœur s’est-il approché ? » C’est pour que nous comprenions ses desseins ; car les hérétiques ont servi à asseoir la vérité catholique, et ceux qui ne suivent pas les enseignements de la foi ont contribué à affermir ceux qui lui sont restés fidèles. Il y avait, dans nos saints livres, une foule de passages obscurs : des hérétiques se sont séparés, qui ont soulevé des doutes, au grand détriment de la tranquillité de l’Église de Dieu ; les obscurités ont disparu, et l’on a connu la volonté du Seigneur. Voilà pourquoi il est dit dans un autre psaume : a II s’est fait une assemblée de taureaux au milieu des peuples, qui les ont « suivis comme des vaches, afin de faire sortir ceux qui avaient été purifiés par l’argent[173] ». « Faire sortir », signifie faire paraître, faire briller : ainsi, dans l’art de travailler l’argent, on appelle ressorteurs ceux qui donnent une forme à un informe lingot. Il y avait donc, dans les rangs du peuple de Dieu, une multitude d’hommes capables de connaître et d’expliquer parfaitement le sens des Écritures : mais ils ne se faisaient pas connaître eux-mêmes et ne s’appliquaient à résoudre aucune difficulté, parce que personne ne songeait à en soulever. Est-ce qu’on avait traité d’une manière complète du mystère de la sainte Trinité, avant d’entendre blasphémer les Ariens ? Avait-on dit tout ce qui concerne la pénitence, tant que les Novatiens n’avaient point fait d’objection à ce sujet ? Ainsi, jusqu’au moment où certains hérétiques se séparèrent de l’Église et soutinrent la nécessité de réitérer le baptême, on n’avait point épuisé les questions qui y ont trait. On n’avait point non plus parlé nettement de l’unité de l’Église, comme on l’a fait depuis que ce nouveau schisme a ébranlé ceux d’entre les catholiques qui étaient faibles ; mais alors, ceux qui étaient pleinement instruits de ces matières ont dû, pour empêcher la perte des âmes infirmes, réfuter les vaines subtilités (les impies, et éclaircir, par leurs discours, ce qu’il y avait d’obscur dans l’Écriture sainte. De la sorte, la colère du visage de Dieu a séparé ces malheureux, et son cœur s’est approché de nous. Comprenez donc ce que le Prophète a dit en un autre psaume : « L’assemblée a des taureaux », c’est-à-dire des orgueilleux, confiants dans leur force, « au milieu des vaches des peuples ». Qu’appelle-t-il des vaches ? Les âmes faciles à séduire. Et pourquoi cela ? « Afin de faire sortir », de faire paraître ceux qui étaient cachés, « et qui sont a purifiés par l’argent ». Cet argent désigne la parole de Dieu, « Les paroles du Seigneur « sont des paroles pures et chastes ; c’est un argent purifié par le feu, purgé de toutes « les souillures de la terre et épuré sept « fois[174]». Voyez comme l’Apôtre éclaircit ce passage et en fait ressortir le sens caché, « Il faut », dit-il, « qu’il y ait des hérésies, afin que l’on découvre parmi vous ceux qui sont éprouvés[175] ». Que veut dire le mot « éprouvés ? » Il signifie : « Affermis par l’argent », par la parole de Dieu. « Et afin qu’on les découvre ? » Qu’ils sortent. Pourquoi ? À cause des hérétiques. Qu’est-ce à dire ? À cause de « l’assemblée des taureaux, au milieu des vaches des « peuples ». Voilà pourquoi « la colère du visage de Dieu les a divisés » : voilà pourquoi « son cœur s’est approché ».
23. « Ses discours sont plus doux que l’huile : a ils sont perçants comme des flèches ». Certaines paroles de l’Écriture semblaient dures, tant qu’elles n’étaient pas comprises : leur signification une fois saisie, elles ont paru douces à entendre. La première hérésie qui se soit déclarée parmi les disciples du Christ, a pris pour prétexte de son existence la dureté des discours du Sauveur. Il avait dit : « Si quelqu’un ne mange ma chair et ne boit mon sang, il n’aura point la vie en lui ». Ses disciples ne pénétrèrent pas le sens de ses paroles, et ils se dirent les uns aux autres : « Cette parole est dure : qui est-ce qui pourra « l’entendre ? » Us se plaignirent donc de cette dureté de ses discours, et ils se séparèrent de lui : aussi resta-t-il seul avec ses douze apôtres. Ceux-ci lui représentèrent que leurs compagnons avaient été scandalisés de l’entendre : alors il leur répondit : « Voulez-vous aussi me quitter ? Seigneur », dit saint Pierre, « où irions-nous ? Vous avez les paroles « de la vie éternelle[176]». Nous vous en conjurons, soyez attentifs à la leçon de l’Apôtre ; et, comme des enfants, apprenez de lui à être pieux. Est-ce que Pierre saisissait déjà, dans toute son étendue, le sens caché de ce discours de Jésus-Christ ? Non, il ne le saisissait pas, mais il croyait pieusement à la bonté des paroles qu’il ne comprenait pas. Par conséquent, si la parole de Dieu est dure, et qu’elle ne soit pas encore comprise, qu’elle reste dure pour les impies, mais que ta piété l’adoucisse pour toi, parce que, quand tu la comprendras, elle deviendra pareille à l’huile, et pénétrera jusqu’à tes os.
24. Pierre avait vu ses compagnons se scandaliser de la parole divine, trop dure à leur avis, et s’éloigner de lui, et alors il lui avait dit : « Seigneur, vous avez les paroles de la vie a éternelle : à qui pourrions-nous aller ? » Il semblerait que le Prophète est dans les mêmes sentiments que le prince des Apôtres, et qu’il tient à Dieu le même langage ; il ajoute : « Jette dans le sein du Seigneur toute ta sollicitude, et il te nourrira ». Tu es petit ; tu ne comprends pas encore le sens caché des paroles divines : il y a peut-être là du pain, et tu ne peux encore te nourrir que de lait[177]. Ne t’irrite pas contre les mamelles que tu suces ; elles te rendront capable de l’asseoir plus tard à une table : aujourd’hui, tu ne saurais encore y prendre place. Voilà que, par suite de l’éloignement des hérétiques, plusieurs passages de l’Écriture ont perdu leur dureté et se sont amollis : de durs qu’ils étaient, les discours du Seigneur sont devenus plus doux que l’huile ; « et, pourtant, ce sont des flèches ». Entre les mains des prédicateurs de l’Évangile ils sont devenus une arme puissante. Munis de telles armes, ces prédicateurs les lancent au cœur de ceux qui les écoutent : ils les attaquent à temps et à contre-temps, et ces discours et ces paroles sont comme des flèches destinées à percer le cœur des hommes et à les disposer à la paix. Ces paroles étaient dures et elles se sont adoucies, et, pourtant, elles n’ont rien perdu de leur force : elles se sont changées en flèches. « Ses discours sont devenus doux comme de l’huile, et ils sont perçants comme des flèches ». Tu n’es peut-être pas encore capable de manier ces armes : ce que ces discours renferment d’obscurité n’est peut-être pas encore à la portée de ton intelligence ; ce qu’ils ont de dur ne s’est peut-être pas encore amolli pour toi : « Jette donc, dans le sein de Dieu, ta sollicitude, et il te nourrira ». Jette-toi dans les bras de Dieu ; et, si tu veux agir ainsi, que personne ne se substitue à lui. « Jette sur lui ta sollicitude ». Vois comment saint Paul, ce grand soldat de Jésus-Christ, a défendu aux petits de se décharger sur lui-même de tous leurs soins, « Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous ? ou bien, est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés[178] ? » N’était-ce pas leur dire : « Déchargez-vous sur le Seigneur de « tous vos soins, et il vous nourrira ? » Aujourd’hui un enfant veut se jeter avec sa sollicitude dans les bras du Seigneur, et voilà que je ne sais quel étranger se présente à lui, et lui dit : C’est moi qui te reçois. Cet enfant ressemble à un vaisseau qui est devenu le jouet de la tempête, et l’étranger lui dit : Je te reçois. Réponds-lui : Je cherche un port afin de m’y réfugier, et non pas un rocher pour me briser contre lui : « Jette dans le sein de « Dieu ta sollicitude, et il te nourrira », et vois bien qu’il est comme un port où tu trouveras ton salut. « Il ne permettra pas que le « juste soit éternellement agité ». Tu sembles ballotté au gré des flots de la mer orageuse de cette vie : tu arriveras au port ; seulement, avant d’y entrer, aie soin de ne pas laisser briser le câble qui te relient à l’ancre : maintenu par l’ancre, le vaisseau peut être agité : jamais la tempête ne le pousse loin du rivage, et, bien qu’il soit agité aujourd’hui, il ne le sera pas toujours. C’est à celle agitation que le Prophète faisait tout à l’heure allusion, quand il disait : « Je me suis affligé dans mon a exercice, et je me suis troublé : j’attendais « celui qui devait me délivrer du découragement et de la tempête ». Lorsqu’il parlait, il était en proie à l’agitation, mais il ne devait pas être toujours agité, car il était fortement retenu à l’ancre, et cette ancre était son salut. « Il ne permettra pas que le juste soit éternellement agité ».
25. Mais que deviendront les impies ? « Pour vous, Seigneur, vous les conduirez dans un puits de corruption[179] ». Ce puits de corruption désigne un abîme de ténèbres. « Vous « les conduirez dans un puits de corruption » : parce que, quand un aveugle en conduit un autre, ils tombent tous les deux dans le précipice[180]. Dieu les conduit dans le puits de la corruption, non parce qu’il est l’auteur de leurs fautes, mais parce qu’il est le juge de leurs iniquités : il les a abandonnés aux passions de leur cœur[181] : car ils ont préféré les ténèbres à la lumière ; ils ont mieux aimé être aveugles que jouir de la vue. Le Seigneur Jésus a brillé aux yeux de l’univers entier : qu’ils s’unissent donc à tous les autres hommes, et qu’ils chantent : « Il n’y a personne qui « puisse se dérober à l’ardeur bienfaisante de « ses rayons ^ ». Mais non ; ils se sont séparés de tous pour s’attacher à. un seul : ils ont quitté tout le corps pour suivre un membre pourri ; ils ont abandonné la vie pour se jeter dans la mort : quel sera leur châtiment, sinon de tomber dans le puits de la corruption ?
26. « Les hommes de sang et d’hypocrisie ». Le Prophète les appelle a hommes de « sang », en raison de l’influence désastreuse et meurtrière qu’ils exercent autour d’eux : si seulement ils se bornaient à tuer les corps, sans toucher aux âmes ! Le sang qui s’échappe d’une plaie corporelle fait mal à voir : mais voit-on saigner le cœur de celui qu’on a rebaptisé ? Un spectacle pareil ne frappe que les regards de l’âme. Les circoncellions ne se font pas faute de commettre des meurtres visibles, et, par conséquent, nous pouvons les appeler à la lettre « des « hommes de sang ». Considère leurs armes, et dis-moi s’ils ne sont pas plutôt des hommes de sang que des hommes de paix. Ils ne se contentent pas de porter en leurs mains des bâtons : on y voit encore des frondes, des haches, des pierres, des lances : munis de ces instruments dangereux, ils se répandent et pénètrent partout où ils peuvent : ils ont soif du sang innocent ; ils sont donc, à vrai dire, a des hommes de sang ». Quoi qu’il en soit, nous serions encore tentés de dire : Plaise à Dieu que de tels hommes se bornent à faire mourir les corps sans faire périr les âmes ! Et qu’ils ne se l’imaginent pas : nous ne détournons point de leur sens les paroles du Psalmiste, quand nous appelons « hommes de sang », ceux qui tuent les âmes, car ils ont donné le même nom à leurs Maximianistes, Ils les ont, en effet, condamnés, et, dans la sentence de condamnation prononcée contre eux, les membres de leur concile ont dit : « Leurs pieds sont prompts et légers pour répandre le sang : l’affliction et le malheur a se trouvent dans leurs voies, ils n’ont point connu le chemin de la paix[182] ». Voila ce qu’ils ont dit des Maximianistes. Et moi, je demande à quelle époque les Maximianistes sont devenus des assassins ? Je suis loin de dire qu’ils ne se seraient pas rendus coupables de meurtre, s’ils avaient pu se trouver en assez grand nombre pour espérer l’impunité ; mais enfui leur petit nombre les a rendus timides : ils préféraient souffrir eux-mêmes ce qu’ils ne pouvaient faire souffrir aux autres. J’interroge donc un donatiste, et je lui dis : Dans ton concile, tu as appliqué aux Maximianistes ces paroles ; « Leurs pieds étaient agiles a pour répandre le sang ». Eh bien ! indique-moi une seule personne que les Maximianistes aient touchée du bout du doigt. Me répondra-t-il autre chose que ce que je dis moi-même ? Ceux qui se sont séparés de l’unité, qui séduisent les âmes et les fout par conséquent mourir, ne sont-ils pas de vrais assassins ? S’ils ne tuent pas les corps, n’ôtent-ils pas la vie aux âmes ? Tu as parfaitement expliqué les paroles du Psalmiste ; et, puisque tu agis de la sorte, ne cherche point à te dérober aux conséquences de tes explications. « Les « hommes de sang et de ruse ». Leur ruse consiste à tromper les autres, à dissimuler leurs pensées, à séduire les âmes. Qui sont donc ceux « que la colère de Dieu a séparés ? » ce sont « des hommes de sang et de ruse ».
27. Qu’est-ce que le Prophète dit de pareilles gens ? « Us n’iront pas à la moitié de leurs « jours ». « Ils n’iront pas à la moitié de leurs a jours », c’est-à-dire, ils ne réussiront pas comme ils se le promettent : ils décherront avant que se soit écoulée la série des jours sur lesquels ils fondent leurs espérances. Ne ressemblent-ils pas à cette perdrix dont il a été écrit : « Ils l’abandonneront au milieu de ses « jours et, à la fin de sa vie, elle sera folle et a insensée[183] ? » Us réussissent, mais seulement pour un temps, car voici ce que dit l’Apôtre : a Les méchants et les imposteurs se fortifieront de plus en plus dans le mal, séduisant « les autres et se trompant eux-mêmes. – Si « un aveugle sert de guide à un autre aveugle, « ils tombent tous les deux dans le précipice[184]». C’est donc à juste titre que le Prophète dit qu’ails tombent dans un puits de corruption ». Qu’est-ce donc que dit l’apôtre saint Paul : « Ils se fortifieront de plus en plus dans le mal », mais ce ne sera pas pour longtemps, puisqu’un peu auparavant il avait dit : Mais leurs progrès auront des bornes, c’est-à-dire, « ils n’iront pas à la moitié de leurs jours ». Écoutez ce qu’il ajoute, et vous y verrez la raison de ces paroles : « Leur folie sera connue de tout le monde, de la même manière que fut manifestée la folie de ces personnes[185] ». « Les a hommes de sang et de ruse n’iront pas à la « moitié de leurs jours : pour moi. Seigneur, « j’espérerai en vous ». Les méchants n’arriveront pas à la moitié de leurs jours, puisqu’ils ont mis dans l’homme leur espérance ; mais moi, pourquoi passé-je des jours de cette vie au jour de l’éternité ? Parce que c’est en vous, ô mon Dieu, que j’ai placé mon espoir.

DISCOURS SUR LE PSAUME 55[modifier]

PRÊCHÉ À CARTHAGE.[modifier]

CONFIANCE DURANT L’ÉPREUVE.[modifier]

Comme David, comme le Sauveur surtout, les justes sont ici-bas tourmentés par les pécheurs ; malgré leurs souffrances, ils sont à l’abri de la crainte, ils sont confiants et tranquilles, parce qu’en réalité leurs ennemis ne peuvent leur faire de mal ; parce que la tribulation nous perfectionne et nous rend pareils à Jésus-Christ ; parce que les méchants se convertiront eux-mêmes plus tard, sous l’influence de la colère divine et de leur propre humilité ; parce qu’enfin Dieu est un bon Père, qui récompensera les justes de leur affectueux dévouement pour lui. Assurés de leur délivrance comme s’ils en étaient déjà les témoins, ils s’attachent au Seigneur d’une manière plus parfaite, et lui offrent leur cœur comme une louange digne de lui.


1. Lorsque nous sommes sur le point d’entrer dans une maison, nous portons nos regards sur le frontispice, afin d’y lire le nom de celui qui l’habite et de celui à qui elle appartient ; par là, nous évitons de pénétrer mal à propos où il ne faut pas, et de nous tenir par timidité en dehors d’une maison où nous pourrions entrer. De même qu’au portail de cette habitation se trouve cette inscription : Cet immeuble appartient à tel ou tel propriétaire, ainsi lisons-nous en tête de ce psaume le titre suivant : « Pour la fin ; pour le peu ple qui s’est éloigné des saints ; à David, pour l’inscription du titre, lorsque les étrangers le prirent dans Geth ». Voyons quel est ce peuple qui s’est éloigné des saints, pour l’inscription du titre. Ce psaume a trait à David, et, vous le savez déjà, ce nom doit être entendu dans un sens spirituel, car il est, à vrai dire, question ici de celui-là seul dont l’Apôtre a dit : « Le Christ est la fin de la loi pour la justification de ceux qui croient[186] ». Aussi, quand tu lis : « Pour la fin », porte tes regards vers le Christ, dans la crainte de t’arrêter en chemin et de ne point parvenir au but. Car n’importe où tu t’arrêtes, si tu ne t’es pas encore élevé jusqu’au Christ, la sainte Écriture ne te dit rien autre chose que ceci : Marche ! car, dans l’endroit où tu es, la sécurité te se trouve pas encore. Il est un lieu où l’on peut s’établir en toute sûreté ; il est une pierre sur laquelle s’élève une maison solide qui n’a rien à craindre ni de la pluie, ni de la tempête. Les fleuves ont rompu leurs digues, et leurs eaux furieuses sont venues la battre en brèche, et elle ne s’est pas écroulée, parce qu’elle était bâtie sur la pierre[187] ; et cette pierre, c’était le Christ[188]. C’est le Christ qui est désigné sous le nom de David, car il a été dit de lui : « Il est né, selon la chair, de la race de David[189] ».
2. Quel est donc ce peuple qui s’est éloigné des saints, pour l’inscription du titre ? Ce titre lui-même va nous le dire. Pendant la passion du Seigneur, au moment où il fut attaché à la croix, on écrivit une inscription, car il y en avait une là, et elle était écrite en hébreu, en grec et en latin : « Voici le roi des Juifs » ces trois langues étaient comme trois témoins appelés à confirmer l’authenticité de ce titre, parce que toute parole tire son autorité de la déposition de deux ou trois témoins[190]. À la lecture de ce titre, les Juifs s’indignèrent et dirent à Pilate : « Garde-toi d’écrire : C’est le Roi des Juifs ; mais : Il s’est dit le Roi des Juifs ». Écris donc ses paroles, et n’écris pas que ce qu’il a dit est vrai. Mais parce que ces paroles d’un autre psaume sont vraies « Ne change rien à l’inscription du titre », Pilate répondit : « Ce que j’ai écrit est écrite. Comme s’il avait voulu dire : Si vous aimez la fausseté, moi je n’altère pas la vérité. Les Juifs regardèrent cette réponse comme un outrage ; ils en devinrent furieux et s’écrièrent : « Nous n’avons point d’autre roi que César »[191] ; et parce qu’ils se trouvaient offensés de la teneur de l’inscription, ils s’éloignèrent des saints. Que ceux qui reconnaissent et disent que Jésus-Christ est leur Roi, s’approchent des saints et s’attachent fortement au Saint par excellence ; mais que ceux qui ont protesté contre l’inscription placée au-dessus du Christ, qui ont refusé de reconnaître Dieu pour leur Roi et qui lui ont préféré un homme, que ceux-là soient rejetés loin des saints ! Une nation qui met son bonheur à obéir à un homme, une nation qui repousse bien loin d’elle la royale autorité du Seigneur, une nation qui oublie que se soumettre à la royauté de Dieu, c’est régner soi-même et exercer sur ses passions un empire souverain, cette nation s’est constituée dans un état de complet éloignement à l’égard des saints. Par conséquent, mes frères, vous ne devez point regarder les Juifs comme seuls coupables d’une pareille faute ; ils en ont donné le premier exemple, et, en considérant leur conduite, chacun devrait y voir un écueil à éviter. Ils ont ouvertement renié Jésus-Christ comme Roi ; ils ont choisi César. Sans doute César est un roi, mais un roi homme parmi d’autres hommes, pour gouverner tes choses de la terre ; or, il y a un autre Roi, qui exerce son empire sur les choses du ciel. La puissance de l’un ne dépasse point les limites de cette vie passagère ; celle de l’autre embrasse l’éternité. Celui-ci appartient au ciel, celui-là à la terre ; le roi de ce monde est soumis au Roi du ciel ; le Roi du ciel est supérieur à tout. En demandant César pour roi, les Juifs n’ont donc point péché ; leur crime a consisté à ne point accepter la royauté du Christ. Il y en a beaucoup maintenant pour ne pas reconnaître la puissance souveraine du Christ, qui règne dans les cieux et gouverne toutes choses. Voilà ceux qui nous font souffrir, et nous trouvons dans ce psaume de quoi nous affermir contre eux. Il faut nécessairement que nous ayons à souffrir de leur part jusqu’à la fin ; il n’en serait pas de même si Dieu ne le jugeait utile pour nous. Toute tentation est, en effet, une épreuve, et toute épreuve porte ses fruits ; car, d’ordinaire, l’homme s’ignore lui-même ; il ne sait ni ce dont il est capable, ni ce dont il est incapable ; tantôt il présume à tort de lui-même, et parfois il doute de ses forces quand il n’a pas lieu de s’en défier ; une tentation se présente : c’est pour lui un moyen de s’interroger sur sa valeur réelle et de se connaître tel qu’il est. Dieu le connaissait, mais il ne se connaissait pas lui-même. Par un sentiment de confiance présomptueuse, Pierre avait cru que ce qu’il n’avait pas encore se trouvait en lui ; il s’était imaginé qu’il était assez fort pour persévérer jusqu’à la mort dans la fidélité à Notre-Seigneur Jésus-Christ ; Pierre ignorait combien il était faible, mais Dieu le savait. On lui répondit qu’il se trompait et qu’il était encore incapable d’un pareil dévouement. Celui qui lui parlait de la sorte l’avait créé et devait lui donner le courage nécessaire à un pareil sacrifice ; le Sauveur savait qu’il n’avait pas encore communiqué cette grâce à Pierre ; Pierre ignorait qu’il ne l’avait pas encore reçue ; le moment de la tentation arrivé, il renia son Maître, puis il pleura, et enfin il reçut la force d’en haut[192]. Nous n’avons rien de nous-mêmes ; il nous faut donc demander, mais nous ne savons ce que nous devons demander ; nous recevons la grâce de Dieu, mais nous ignorons la nécessité de lui témoigner notre reconnaissance ; par conséquent les tentations et les peines sont toujours indispensables dans le cours de notre vie, pour nous instruire ; mais nos tribulations ne peuvent avoir d’autre cause que les hommes séparés des saints. Remarquez-le bien, mes frères, cette séparation n’est pas physique et corporelle ; elle est toute spirituelle et morale. Il arrive souvent, en effet, qu’un homme, très éloigné de toi par la distance des lieux, se trouve néanmoins en parfaite union avec toi, parce qu’il aime ce que tu aimes. Il peut se faire aussi que ton voisin soit uni de cœur avec toi, parce que vos mutuelles affections se portent sur le même objet ; mais par une raison tout opposée, il arrivera qu’un habitant de la même maison soit bien éloigné de toi, parce qu’il aime le monde et que tu aimes Dieu.
3. Mais quel est le sens de ces autres paroles, qui appartiennent encore au titre et le complètent : « Les Allophyles se sont saisis de David dans Geth ». Geth était une ville des Allophyles, c’est-à-dire des étrangers, d’un peuple éloigné des saints ; dès lors qu’ils sont étrangers, au lieu de se rapprocher des saints, ils s’en éloignent ; et tous ceux qui refusent de reconnaître le Christ pour leur Roi, deviennent des étrangers. Pourquoi cela ? Parce que la vigne, autrefois plantée par la main du Seigneur, ne donna que des fruits amers et mérita ainsi d’entendre le Seigneur lui adresser ce reproche : « Vigne étrangère, pourquoi tes fruits sont-ils devenus amers[193] ? » Dieu ne lui a pas dit : Tu es ma vigne, parce que, si elle eût été sa vigne, les fruits qu’elle donna eussent été remplis de douceur ; et parce que ses fruits devinrent amers, elle cessa d’être la vigne du Seigneur ; elle devint étrangère pour lui. « Les Allophyles se saisirent » donc « de la personne de David ». De fait, l’Écriture nous raconte que David, fils de Jessé, roi d’Israël, se retira chez les Allophyles pour échapper aux poursuites de Saül[194] ; il entra dans leur ville et même dans le palais de leur roi ; mais elle ne nous dit pas qu’ils l’aient retenu prisonnier. Les Allophyles ont donc retenu et retiennent encore dans Geth notre véritable David, Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui est né de la race du roi d’Israël. Nous avons dit que Geth était une ville. Si nous cherchons à connaître le sens de ce nom, nous trouverons qu’il signifie pressoir. Jésus-Christ, notre Chef, le Sauveur de tout le corps, qui est né d’une Vierge, qui a été attaché à la croix, et qui nous montre déjà, dans le mystère de sa chair ressuscitée, l’espérance et le modèle de notre propre résurrection, Jésus-Christ se trouve encore ici-bas ; il y est présent dans son corps, et ce corps c’est l’Église. Le corps est intimement uni à son Chef, et le Chef, parlant au nom du corps, s’écrie : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu[195] ? » Et le corps est dans son Chef, selon cette parole de l’Apôtre : « Il nous a ressuscités avec lui, et il nous a fait asseoir avec lui dans le ciel[196] ». Nous sommes assis avec lui dans le ciel, et il souffre avec nous sur la terre ; c’est en espérance que nous sommes avec lui dans le ciel, et c’est par charité qu’il souffre avec nous sur la terre. En vertu de cette mutuelle union, qui semble ne faire de nous et de Jésus-Christ qu’un seul homme, l’Époux et l’Épouse ne sont plus qu’une seule chair ; voilà pourquoi le Sauveur a dit : « Ils ne sont plus deux, mais ils sont une seule chair[197] ». Comment donc le Christ est-il retenu prisonnier dans Geth ? Son corps, c’est-à-dire son Église, est enfermé dans le pressoir ? Qu’est-ce à dire, dans le pressoir ? pans les tribulations. Mais il y a un avantage d’être serré dans le pressoir. À la vigne, le raisin n’est pas pressé ; il y apparaît dans son entier, mais il n’en sort rien. On le porte au pressoir, on l’y foule, on l’y écrase, ou semble lui faire tort ; mais le tort apparent qu’on lui cause est loin d’être inutile : sans cela le raisin demeurerait stérile.
4. Les hommes qui se sont éloignés des saints les font souffrir. Que ceux-ci lisent donc attentivement ce psaume ; qu’ils s’y reconnaissent ; et, puisqu’ils sont sujets aux tribulations dont il parle, qu’ils répètent la prière du Prophète, Il n’est pas nécessaire que celui qui n’endure rien redise les paroles du Psalmiste ; je n’y astreins nullement les chrétiens placés en dehors des tourments de la vie ; mais qu’ils prennent garde de s’éloigner des saints en voulant s’écarter de la souffrance. Chacun de nous doit penser à son ennemi ; et, s’il est chrétien, son ennemi c’est le monde. Toutefois, en entendant l’explication de ce psaume, ne reportons point nos pensées sur nos inimitiés particulières, car nous devons le savoir, nous n’avons pas à combattre contre la chair et le sang, mais contre les princes, les puissances et les esprits de malice, ou, en d’autres termes, contre le démon et ses anges[198]. La raison en est facile à saisir : quand des hommes nous tourmentent, c’est le démon qui leur en suggère la pensée, qui anime leur volonté et les tourne à sa guise comme des vases qui lui appartiennent. Ne l’oublions donc pas, nous avons deux ennemis ; l’un visible et l’autre invisible ; l’homme que nous voyons et le démon que nous ne voyons pas. Aimons l’homme, mettons-nous en garde contre le démon ; prions pour l’homme, prions contre le démon, et disons à Dieu : « Seigneur, prenez pitié de moi, parce que l’homme m’a foulé aux pieds ». Si un homme te foule aux pieds et t’écrase, ne crains rien, pourvu que tu produises du vin, car tu n’es devenu raisin que pour être ainsi écrasé. « Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que l’homme m’a foulé aux pieds. L’homme », qui s’est éloigné des saints, « m’a fait la guerre et m’a tourmenté pendant tout le jour ». Mais pourquoi ne pas entendre du démon ces dernières paroles ? Serait-ce parce qu’on ne l’a jamais désigné sous le nom d’homme ? L’Évangile ferait-il erreur quand il dit : « L’homme ennemi a fait cela[199] ? » Quoiqu’il ne soit pas homme, il peut donc, en une certaine manière, s’appeler de ce nom. Ainsi parlait le Psalmiste, et il avait en vue, soit le démon, soit le peuple qui s’était éloigné des saints, soit chacun de ceux qui l’avaient suivi, c’est-à-dire les hommes dont le démon se sert pour tourmenter le peuple de Dieu, ce peuple inviolablement attaché aux justes, au Saint des saints, au Roi dont la dignité suprême, consacrée par l’inscription de la croix, a suffi à remplir d’indignation ses ennemis, à les repousser et à les séparer de lui ; mais quelles que soient les personnes entrevues par le Prophète, il doit dire : « Prenez pitié de moi, Seigneur, car l’homme m’a foulé aux pieds ». Ce mauvais traitement ne doit en rien diminuer son énergie ; toujours il doit garder le souvenir de celui qu’il invoque et dont l’exemple soutient son courage. La première grappe de raisin serrée dans le pressoir fut le Christ ; et quand les tortures de la passion eurent écrasé cette grappe, il en sortit ce qui rend « si précieuse et si belle cette coupe qui enivre[200] ». En considérant son chef, le corps donc doit dire : « Prenez pitié de moi, Seigneur, parce que l’homme m’a foulé aux pieds ; il m’a fait la guerre et m’a affligé pendant tout le jour ». « Pendant tout le jour », toujours. Que personne ne se dise : Au temps de nos ancêtres on souffrait beaucoup ; ce temps est passé, on ne souffre plus aujourd’hui. Si tu penses que, de nos jours, il n’y ait rien à endurer, tu n’as pas encore commencé à vivre en chrétien ; car où serait la vérité de ces paroles de l’Apôtre : « Tous ceux qui veulent vivre avec piété dans le Christ souffriront persécution[201] ». Si donc tu ne souffres aucun mauvais traitement à cause du Christ, n’est-il pas à craindre que tu n’aies pas encore commencé à vivre pieusement en lui ? Lorsque tu auras embrassé une vie pieuse et chrétienne, alors tu seras entré dans le pressoir ; prépare-toi à être écrasé. Puisses-tu alors ne pas être un raisin desséché ! Puisses-tu, sous la presse, donner abondance de vin !
5. « Pendant tout le jour mes ennemis m’ont foulé aux pieds[202] ». Mes ennemis sont ceux qui se sont séparés des justes. Nous avons expliqué ces mots. « Je craindrai la hauteur du jour ». Que veut dire : « La hauteur du jour ? » Cette expression est peut-être bien élevée pour notre intelligence ; chose facile à comprendre, puisqu’il est question « de la hauteur du jour ». Des hommes se sont éloignés des saints : ils ont peut-être agi de la sorte, parce qu’ils n’ont pu parvenir jusqu’à « la hauteur du jour », dont les douze apôtres sont les heures brillantes ; aussi se sont-ils égarés dans le jour, ceux qui ont attaché le Sauveur à la croix, ne voyant en lui qu’un homme ordinaire. Mais pourquoi ont-ils été plongés dans les ténèbres et se sont-ils, en conséquence, éloignés des saints ? Le jour luisait dans les hauteurs, et ils n’ont pas connu celui qui s’y dérobait à leurs regards ; s’ils avaient connu ce Roi de gloire ; ils ne l’auraient jamais crucifié[203]. Éblouis par l’éclat de ce jour, ils se sont éloignés des saints, ils en sont devenus les ennemis, ils les tourmentent et les écrasent comme on écrase le raisin dans le pressoir. On peut encore donner un autre sens à ce passage : « La hauteur du jour a fait que mes ennemis m’ont foulé aux pieds pendant tout le jour », c’est-à-dire toujours. « La hauteur du jour » ou bien l’orgueil fastueux des hommes. Quand ils foulent aux pieds les justes, ils sont plus élevés qu’eux, et ceux qui sont foulés aux pieds sont au-dessous de ceux qui les écrasent. Toutefois, que la hauteur des hommes sous les pieds desquels tu te trouves ne te fasse pas trembler, car elle est éphémère ; elle n’est que d’un jour, sa durée ne sera pas éternelle.
6. « Parce que le grand nombre de ceux qui me font la guerre, sera dans la crainte ». Quand seront-ils saisis de crainte ? Lorsque aura passé le jour de leur élévation, car ils ne s’élèvent que pour un temps, et ensuite la crainte les saisira. « Pour moi, Seigneur, j’espérerai en vous ». Le Prophète ne dit point : Pour moi, je ne craindrai pas ; mais : « Le grand nombre de ceux qui me font la guerre, sera dans la crainte ». Lorsque sera venu le jour du jugement, alors toutes les nations de la terre se lamenteront[204] ; et quand le signe du Fils de l’homme aura paru dans les cieux, la tranquillité des justes sera parfaite, car, en ce moment, ils verront se réaliser ce qu’ils espéraient, ce qu’ils désiraient, ce dont ils demandaient l’accomplissement ; pour les autres, le temps de la pénitence sera entièrement écoulé, parce que, au moment où ils auraient pu se repentir d’une manière utile, leur cœur se sera endurci contre les avertissements de Dieu. Pourront-ils élever un mur pour se garantir contre ses jugements ? Admire la piété de celui qui parle ici, et, si tu fais partie de son corps, imite-le. Après avoir dit : « Le grand nombre de ceux qui me font la guerre sera dans la crainte », il n’ajoute pas : Pour moi, je ne craindrai point, car il redoute de laisser supposer que la cause de sa fermeté se trouve en lui-même et dans ses propres forces ; il a peur de s’élever dans le temps et de voir son orgueil passager le priver de tout droit au repos éternel ; il veut donc faire bien comprendre d’où lui vient sa fermeté. « Pour moi », dit-il, « j’espérerai en vous, Seigneur ». Il n’exprime pas ici un sentiment de présomption, il indique le motif de son assurance. Si je n’éprouve aucune crainte, ce pourrait être un effet de l’endurcissement de mon cœur, car il en est beaucoup chez qui un orgueil démesuré étouffe toute appréhension. Que votre charité veuille bien y réfléchir ; autre chose est la santé du corps, autre chose son insensibilité, autre chose encore son immortalité. La santé parfaite est, en effet, l’immortalité. On nomme encore ainsi, dans un certain sens, l’exemption d’infirmités dont nous jouissons dans le cours de notre vie mortelle. Ne pas être malade s’appelle avoir la santé ; à simple vue, le médecin déclare qu’on en jouit ; aussitôt que commence la maladie, la santé est altérée ; elle est rétablie, dès que la guérison se manifeste. Il est donc facile de le remarquer et de vous en convaincre ; le corps humain peut passer par ces trois états différents : la santé, l’insensibilité et l’immortalité[205]. En santé, il est exempt de maladie ; néanmoins, il souffrirait si l’on venait à le froisser ou à le tourmenter. La douleur n’existe point pour celui qui en a perdu le sentiment ; plus il devient étranger à la souffrance, plus dangereux est son état. Quant à l’immortalité, elle ne connaît, non plus, aucune douleur ; pour elle, la corruption est comme anéantie ; le corps corruptible s’est revêtu d’incorruptibilité, le corps mortel s’est revêtu d’immortalité ’. Nulle souffrance, ni dans un corps parvenu à l’immortalité, ni dans un corps devenu insensible. Que l’homme insensible ne se croie point pour cela immortel ; celui qui souffre est plus près de l’immortalité que celui chez qui se trouve éteint le sentiment de la douleur. Tu rencontres un homme altier, orgueilleux et insolent, qui s’est mis dans l’esprit de ne rien craindre ; le crois-tu plus fort que celui qui a dit : « Nous ne trouvons que combats au-dehors, et au dedans que sujets de crainte[206] ? » Le crois-tu plus fort que notre Chef, que notre Seigneur Dieu, qui a dit « Mon âme est triste jusqu’à la mort[207] ? » Non, un pareil homme n’est pas plus fort. Que son insensibilité aie te charme pas, car, au lieu de se revêtir d’immortalité, il s’est dépouillé de tout sentiment. Néanmoins, une affectueuse amitié ne peut être étrangère à ton âme, et l’Ecriture blâme ceux qui ont le cœur sec ; qu’un sentiment plein de vigueur t’anime donc et te fasse dire : « Qui est-ce qui est faible, sans que je le sois moi-même ? qui est-ce qui est scandalisé, sans que je brûle[208] ? » Si saint Paul fût resté étranger au scandale et à la perte des faibles, sa raideur et son insensibilité te sembleraient-elles les meilleures dispositions possibles ? Loin de là. Tu n’y verrais point un signe de la tranquillité de son âme ; ce serait un irrécusable témoignage de sa stupidité. Sans aucun doute, mes frères, lorsque nous serons parvenus à ce lieu fortuné, à cette demeure désirable, à cette félicité souveraine, à cette patrie céleste, où notre âme tranquille sera plongée dans une quiétude et une joie éternelles, nous n’y serons sujets à aucune douleur, parce qu’il n’y aura là rien qui puisse nous faire souffrir. « Le grand nombre », dit le Psalmiste, « de ceux qui me font la guerre, sera saisi de crainte ». Les hommes stupides, qui ne craignent rien aujourd’hui, seront alors eux-mêmes troublés par l’épouvante, car la terreur qui s’emparera d’eux, sera si grande qu’elle brisera et broiera leur cœur, si endurci qu’il soit. « Le grand nombre de ceux qui me font la guerre sera saisi de crainte ; pour moi, Seigneur, j’espérerai en vous ».
7. « En Dieu je me louerai de mes paroles ; j’ai placé mes espérances dans le Seigneur, je ne craindrai point ce que l’homme pourra me faire[209] ». Pourquoi ? Parce que j’espérerai en Dieu. Pourquoi ? Parce qu’en Dieu je me louerai de mes paroles. Si c’est en toi que tu loues tes paroles, je ne te dis pas d’être exempt de crainte, car il est impossible qu’il en soit ainsi pour toi ; si, en effet, tu prononces des paroles de mensonge, ces paroles t’appartiendront en propre, par cela même qu’elles seront menteuses ; si, au contraire, elles sont l’expression de la vérité, et que, pourtant, tu les attribues à ton mérite, au lieu d’y voir un effet de la grâce divine, elles seront vraies en elles-mêmes, mais tu seras un menteur. Si, enfin, tu reconnais que tu ne peux rien dire de convenable dans la sagesse de Dieu et dans la foi de la vérité, à moins d’en avoir reçu le pouvoir de celui dont il est dit : « Qu’as-tu, que tu n’aies point reçu[210] ? » alors, tu loues tes paroles en Dieu, afin d’être loué par la parole de Dieu. En honorant, comme venant de Dieu, les dons qu’il t’a départis, tu honores Dieu lui-même, et le Seigneur, qui t’a fait ce que tu es, t’honorera aussi ; mais, dès que tu honores, comme venant de toi et non pas de Dieu, ce qu’il t’a donné, tu t’éloignes du Saint des saints, de la même manière que les Allophyles se sont éloignés des justes. Donc, « en Dieu je louerai mes paroles ». Si ce sont « mes paroles » que je loue, comment puis-je les louer « en Dieu ? » Ce sont « mes paroles », et je les louerai « en Dieu ». Je les louerai « en Dieu », parce qu’elles me viennent de lui ; ce sont mes paroles, parce qu’il m’a fait la grâce de les prononcer. Tout en me les inspirant, il a voulu qu’elles devinssent les miennes, dès lors que j’aimerais celui de qui elles viennent ; il me les a inspirées ; donc, elles m’appartiennent. S’il n’en était ainsi, comment pourrions-nous dire : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien[211] ? » Comment disons-nous que ce pain est nôtre, puisque nous prions qu’on nous le « donne ? » Si tu demandes à Dieu ton pain, tes mains ne resteront pas vides, et tu ne feras point preuve d’ingratitude en disant que ce pain est le tien. Si tu ne disais pas : « Notre pain », c’est que tu ne l’aurais pas encore reçu de la munificence divine ; si, au contraire, tu dis qu’il est à toi en ce sens qu’il viendrait de toi, tu perds le don de Dieu, parce que tu te montres ingrat à l’égard de celui qui t’avait comblé de ses bienfaits. « Je louerai » donc « mes paroles en Dieu », parce qu’il est le principe de tous les discours conformes à la vérité. « Je louerai mes paroles », parce que j’étais altéré et que j’ai puisé à cette source pour y étancher ma soif. « En Dieu, je louerai mes paroles ; j’ai placé mes espérances dans le Seigneur, et je ne craindrai point ce que l’homme pourra me faire ». N’es-tu pas l’homme qui disait tout à l’heure : « Seigneur, prenez pitié de moi, parce que l’homme m’a foulé aux pieds ; durant tout le jour il m’a fait la guerre et m’a tourmenté ? » Comment dis-tu maintenant : « Je ne craindrai pas ce que l’homme pourra me faire ? » Que te fera-t-il ? Tu as dit, il n’y a qu’un instant : « Il m’a foulé aux pieds, il m’a accablé de tribulations ». Agir ainsi à ton égard, n’est-ce rien ? Le Prophète porte ses regards sur le vin qui coule du pressoir, et il répond : Oui, l’homme m’a foulé aux pieds » ; oui, « il m’a accablé de tribulations », mais, en définitive, que peut-il me faire ? J’étais une grappe de raisin ; je deviendrai du vin. « J’ai placé mes espérances en Dieu ; je ne craindrai point ce que l’homme pourra me faire ».
8. « Durant tout le jour ils avaient mes paroles en abomination[212] ». Il en est ainsi, vous ne l’ignorez pas. Dites la vérité, prêchez-la : Annoncez le Christ aux païens, montrez l’Église aux hérétiques, parlez à tous du salut ; ils s’insurgent contre mes paroles ; ils les prennent en abomination. En agissant de la sorte, à qui s’attaquent-ils, sinon à celui en qui « je louerai mes discours ? » « Tout le jour, ils avaient mes paroles en abomination ». Il devrait leur suffire de les détester, sans rien faire de plus que les décrier et les rejeter ; mais non, ces paroles coulent de la plus pure source de la vérité ; quand ils les détestent et les rejettent, comment agissent-ils à l’égard de celui qui les a inspirées ? Le voici : « Tous leurs desseins à mon égard ne tendaient qu’au mal ». Ils ont un suprême dégoût pour le pain ; peuvent-ils aimer beaucoup le vase dans lequel on le leur présente ? « Tous leurs desseins à mon égard ne tendaient qu’au mal ». S’ils ont tenu cette conduite envers le Sauveur, le corps doit accepter ce que la tête a accepté elle-même, afin de ne point s’en séparer. Ton Sauveur a été méprisé, et tu voudrais être honoré de ceux qui se sont éloignés des saints ! Il ne convient pas que tu cherches à obtenir ce qui ne lui a pas été donné. « Le disciple n’est pas au-dessus de son maître, ni le serviteur au-dessus de son Seigneur[213] ». S’ils ont donné le nom de Béelzébub au Père de famille, à bien plus forte raison devront-ils le donner à ses domestiques ! « Tous leurs desseins à mon égard étaient tournés au mal ».
9. « Ils habiteront comme étrangers, et ils se cacheront[214] ». Habiter un pays comme étranger, c’est voyager hors de son propre pays ; ceux qu’on nomme habitants étrangers, demeurent dans un pays qui n’est pas le leur. Tout homme est, ici-bas, un voyageur en pays étranger ; vous nous y voyez, parce que nous sommes entièrement couverts de chair ; mais cette enveloppe charnelle vous empêche d’apercevoir le fond de nos cœurs. Voilà pourquoi l’Apôtre a dit : « Ne jugez pas avant le temps, jusqu’à ce que vienne le Seigneur qui éclairera les ténèbres les plus secrètes, et qui fera voir à découvert les pensées du cœur ; et, alors, chacun recevra de Dieu sa gloire et sa récompense[215] ». En attendant ce grand jour, pendant le cours de ce pèlerinage terrestre, chacun de nous porte son cœur en lui-même, et tous les cœurs sont un livre fermé pour tous les autres. Par conséquent, « ils habiteront comme des étrangers et ils se cacheront » ceux dont les desseins sont méchants à l’égard du juste qu’ils persécutent. Ils voyagent en ce lieu d’exil ; ils y sont revêtus de chair ; aussi cachent-ils leur fourberie dans le secret de leur cœur ; ils y renferment toutes leurs pensées mauvaises. Pourquoi ? Parce que cette vie est un voyage en pays étranger. Qu’ils mettent tous leurs soins à déguiser leurs pensées ; un jour viendra où ce qu’ils cachent sera étalé aux regards de tous, où ils ne pourront plus se cacher eux-mêmes. On peut encore donner un autre sens à ces paroles : « Ils se cacheront ». Cette seconde explication plaira peut-être davantage. Les hommes qui se sont séparés des saints, s’introduisent parfois dans leurs rangs, revêtus du manteau de l’hypocrisie, et le mal qu’ils font au corps du Christ est d’autant plus déplorable qu’on ne peut les éviter, comme s’ils lui étaient entièrement étrangers. Dans le récit de ses tribulations l’Apôtre place, au nombre de ses plus pénibles, celles qui lui sont venues des hypocrites : « Périls des eaux », dit-il ; « périls des voleurs, périls du côté de ma nation, périls de la part des gentils, périls dans la ville, périls dans les déserts, périls sur mer », et il ajoute : « Périls de la part des faux frères[216] ». Ils sont surtout à craindre, ceux dont il est dit dans un autre psaume : « Ils entraient pour voir[217] ». Ils entrent pour soir, et personne ne peut leur dire : N’entre pas pour voir. Car s’il entre, c’est en qualité de frère, et non comme étranger : on ne s’en défie pas. « Ils habiteront donc comme étrangers, et ils se cacheront ». Puisqu’ils entrent dans l’Église, comme dans une grande maison, sans intention d’y demeurer toujours, « ils y habiteront comme étrangers ». Le Seigneur a voulu nous faire comprendre que de tels pécheurs sont des esclaves, car, suivant l’oracle évangélique, « celui qui commet le péché est l’esclave du péché » ; c’est pourquoi il y est dit : « Le serviteur ne demeurera pas toujours dans la maison, mais le fils y « demeurera éternellement[218] ». Celui qui entre dans l’Église en qualité d’enfant, n’y restera pas comme étranger, mais il y demeurera jusqu’à la fin[219]. Mais celui qui y pénètre comme un esclave, comme un fourbe, comme un pécheur, qui n’obéit que sous le regard du maître, qui cherche à dérober, à accuser, à blâmer, celui-là n’y entre que comme étranger, il n’y demeurera pas d’une manière fixe et permanente. Mes frères, de pareilles gens ne doivent nous inspirer aucune crainte : « J’ai placé en Dieu mon espérance : je ne craindrai pas ce que l’homme pourra me faire ». Qu’ils entrent dans notre maison, qu’ils y séjournent, qu’ils usent de dissimulation, qu’ils cachent leurs pensées, peu importe : ils ne sont que chair. Pour toi, mets tes espérances dans le Seigneur, et la chair ne sera pas capable de te faire du mal. Mais l’homme m’accable d’afflictions, il me foule aux pieds. —. Puisque tu es raisin, si tu es écrasé, tu donneras du vin : les peines que tu auras à endurer, porteront des fruits, car un autre verra ta patience et l’imitera. Pour apprendre à supporter ceux qui te font souffrir, n’as-tu pas toi-même porté tes regards sur ton chef, sur cette première grappe de raisin, sur le Sauveur, en la compagnie de qui l’homme, c’est-à-dire, le traître Judas est entré pour voir, a établi son séjour et s’est caché ? Pourquoi craindrais-tu les hypocrites, qui entrent dans l’Église, y demeurent et s’y cachent ? Tu n’as aucun motif de le faire. Judas, le père de ces fourbes, a vécu dans la société du Sauveur, et Jésus le connaissait : Judas vivait avec lui comme fin étranger, et, quoiqu’il déguisât avec soin ses intentions perverses, les secrets de son cœur n’étaient nullement un mystère pour son maître : il fut choisi, et puisque tu devais ignorer de quels hommes il faudrait t’éloigner, le Christ a voulu te faire trouver, dans sa propre conduite, un sujet de consolation. Il aurait pu ne pas choisir Judas, car il le connaissait : n’avait-il pas dit, en effet, à ses disciples : « Est-ce que je ne vous ai pas choisis tous les douze ? Et pourtant, il y en a un parmi vous qui est un démon[220] ». De là pourrait-on inférer que le démon a été choisi ? Et si Notre-Seigneur ne l’a pas choisi, comment les Apôtres se sont-ils trouvés au nombre de douze, au lieu de ne se trouver qu’au nombre de onze ? Comme les autres, Judas a été choisi, mais dans un autre but. Les onze ont été choisis pour être éprouvés ; Judas l’a été pour tenter. Tu devais ignorer de quels hommes méchants il faudrait t’éloigner, de quels fourbes et de quels hypocrites il te faudrait prendre garde ; tu ne devais pas connaître ceux qui habiteraient avec toi comme étrangers, et te déguiseraient leurs pensées perverses : comment le Sauveur aurait-il pu te servir d’exemple, s’il ne t’avait dit : J’ai eu l’un d’entre eux en ma compagnie ; je t’ai donné d’avance un modèle en ma personne ; j’ai supporté, j’ai voulu souffrir à côté de moi un homme dont les déguisements m’étaient parfaitement connus, et, par là, te donner une consolation pour les circonstances où tu ne saurais distinguer tes ennemis ? Un hypocrite m’a fait souffrir : un hypocrite agira de même à ton égard ; pour être plus fort, pour te tourmenter davantage, on t’accusera, on t’imputera des crimes imaginaires ; je suppose que ces calomnies prévalent contre toi : seras-tu seul victime de ces procédés coupables ? N’en ai-je pas été moi-même la victime ? Oui, les calomnies des méchants ont prévalu contre moi, et, toutefois, elles ne m’ont point ravi le ciel. Quoique le corps du Sauveur fût déjà enseveli, de faux témoins se présentèrent encore pour déposer contre lui : ce n’avait pas été assez, pour ses ennemis, de le calomnier devant les tribunaux ; ils voulurent le flétrir encore jusque dans son tombeau. Ayant reçu de l’argent comme prix de leur mensonge, ils firent cette déposition : « Pendant que nous dormions, ses disciples sont venus et l’ont enlevé[221] ». Il fallait vraiment que ces Juifs fussent devenus aveugles, pour croire à un témoignage aussi incroyable, pour croire au témoignage de gens endormis. Ou bien, les témoins ne dormaient pas, et alors, on ne devait pas ajouter foi à leurs paroles, puisqu’elles étaient mensongères : ou bien, ils dormaient réellement ; et, alors, comment ont-ils pu voir ce qui se passait ? « Ils habiteront comme des étrangers et ils se cacheront ». Ils auront beau demeurer et se cacher, que pourront-ils faire ? « Pour moi, j’ai mis en Dieu mon espérance : je ne craindrai point ce que l’homme pourra me faire ».
10. « Ils observeront toutes mes démarches ». Les hommes, qui habitent comme étrangers et se cachent, ne le font que pour voir où la faiblesse humaine nous fera tomber : ils sont attentifs à chacun de nos pas, et, dès que nous venons à tomber, ils saisissent nos pieds, afin de nous faire périr : ou bien, ils mettent leur pied devant nous pour nous jeter à terre ; ou bien encore, et surtout, ils s’efforcent de trouver, en notre conduite, un prétexte à accusations. Quel est celui qui ne tombe jamais en faute ? Y a-t-il rien de plus facile, surtout quand on parle ? Car n’est-il pas écrit : « Si quelqu’un ne pèche point par la langue, il est parfait[222] ? » Qui est-ce qui osera se dire ou se croire arrivé à la perfection ? Il est donc indubitable qu’on pèche en parlant. Ceux qui demeurent parmi nous comme étrangers et qui s’y cachent, examinent toutes nos paroles : ils s’ingénient à nous tendre des pièges et à lancer contre nous d’inextricables mensonges, au milieu desquels ils s’embarrassent eux-mêmes, avant d’y embarrasser les autres : par là, ils se prennent d’abord eux-mêmes, et périssent les premiers dans les lacets où ils prétendaient prendre et faire périr les autres. L’homme exposé à leurs artifices, rentre dans son propre cœur, et de là, il élève ses pensées vers Dieu, et il apprend à dire : « En Dieu, je louerai mes discours ». Tout ce que j’ai dit de bon et de vrai, je l’ai dit pour Dieu, et sous son inspiration ; et si, par hasard, j’ai dit ce que je ne devais pas dire, c’est comme homme que je l’ai dit, mais comme homme soumis à Dieu, à ce Dieu qui soutient celui qui marche dans le chemin droit, qui rappelle par ses menaces celui qui s’égare, qui pardonne à celui qui reconnaît ses fautes, qui lui fait rétracter ses paroles imprudentes, qui le relève de ses chutes. Car le juste tombera et se relèvera sept fois, mais les impies persévéreront dans le mal[223]. Qu’aucun d’entre nous ne craigne donc ces hommes hypocrites, acharnés à nous suivre, à scruter nos paroles, je dirais presque, à compter les syllabes qui s’échappent de nos lèvres. Qu’aucun de nous ne redoute les violateurs des divins commandements. Il s’ingénie à trouver en toi quelque chose de répréhensible : se servir de toi pour croire en Jésus-Christ, c’est le moindre de ses soucis. Examine avec soin les discours de celui que tu reprends ; vois s’ils ne renferment pas des avis salutaires pour toi. – Mais les discours d’un homme qui pèche en parlant, peuvent-ils renfermer des conseils qui me soient utiles ? – L’avantage que tu pourrais en retirer, ce serait peut-être de te montrer moins censeur de paroles, et de recueillir plus soigneusement les bonnes recommandations. « Ils observeront toutes mes démarches ».
11. « Comme mon âme l’a déjà endurée ». Je parle de ce que j’ai déjà enduré : je parle par expérience. « Comme mon âme l’a déjà enduré, ils habiteront comme étrangers et se cacheront ». Que mon âme supporte donc, et ceux du dehors, qui aboient contre moi comme des chiens furieux, et ceux qui, au dedans, me dérobent leurs pensées. La tentation qui vient du dehors, ressemble à un torrent impétueux : puisse-t-elle te trouver fortement attaché à la pierre ! Qu’elle vienne nous frapper, mais puisse-t-elle aussi nous laisser debout ! Ce sera la preuve que notre maison est bâtie sur la pierre[224]. Si l’ennemi est au dedans, il y habitera comme étranger et s’y cachera : puisse-t-il être auprès de nous, comme la paille est auprès du froment ! On amènera les bœufs pour battre l’aire : la tentation servira de fléau ; tu seras séparé de la paille, et celle-ci se trouvera brisée.
12. « Vous les sauverez pour rien[225] ». Le Prophète nous apprend à prier pour nos ennemis. « Ils habiteront comme des étrangers et se cacheront », parce qu’ils sont des fourbes, des hypocrites, des trompeurs : prie pour eux et ne dis pas : Cet homme est si méchant, si corrompu ! Dieu le ramènera-t-il au bien ? Ne désespère pas de lui : fais attention à celui que tu pries, et non à celui pour lequel tu pries. Tu vois la dangereuse maladie de l’un : ne vois-tu pas, chez l’autre, le pouvoir de guérir ? « Ils habiteront comme des étrangers, et se cacheront, comme mon âme l’a déjà éprouvé. Supporte-les, prie pour eux, et tu verras l’accomplissement de ces paroles : « Vous les sauverez pour rien ». Les sauver, ce n’est rien pour vous, Seigneur, car il ne vous en coûte aucun effort. Leur misérable état ne laisse aux hommes aucun espoir, et d’un mot, vous les guérissez ; leur guérison sera pour nous un sujet d’étonnement, et, pourtant, elle ne vous coûtera rien. « Vous les sauverez pour rien ». On peut expliquer ces paroles d’une autre manière : Vous les sauverez sans aucun mérite de leur part. « Auparavant », dit saint Paul, « j’ai été un blasphémateur, un persécuteur et un homme injuste[226] ». Les prêtres lui donnaient des lettres, afin que, partout où il rencontrerait des chrétiens, il pût les emmener et les jeter en prison[227]. Et, pour mieux réussir dans sa coupable mission, il habitait d’abord comme étranger, et se cachait. Certes, chez lui, il n’y avait aucun mérite : on ne pouvait y trouver que des motifs de condamnation ; il n’avait aucune bonne œuvre à offrir à Dieu. Néanmoins il fut sauvé. « Vous les sauverez gratuitement ». Ils n’amèneront dans votre temple, ni boucs, ni béliers, ni taureaux ; ils n’y apporteront ni offrandes, ni parfums ; ils ne répandront point sur votre autel la liqueur d’une bonne conscience. Eu eux vous ne trouverez que rudesse, corruption et horreur ; et, puisqu’ils ne mériteront, sous aucun rapport, que vous les sauviez, « vous les sauverez pour rien » ; c’est-à-dire que vous leur donnerez gratuitement votre grâce. Quels mérites le larron pouvait-il offrir sur la Croix ? D’un repaire de brigands il avait passé au pied d’un tribunal ; du tribunal, on l’avait conduit à la potence ; de la potence, il entra au paradis[228]. Il éleva la voix, parce qu’il avait crus. Mais qui est-ce qui lui avait donné la foi, sinon le Sauveur crucifié à côté de lui ? « Vous les sauverez pour rien ».
13. « Vous conduirez les peuples dans votre « colère ». Vous vous irritez et vous les conduisez ; vous les punissez et vous les sauvez : vous les épouvantez et vous les rétablissez dans la tranquille paix de la justice. Que veulent dire, en effet, ces paroles : « Vous les conduirez dans votre colère ? »[229] Vous semez des tribulations sous chacun de leurs pas, afin que, plongés dans la peine, les hommes aient recours à vous, au lieu de se laisser séduire par de folles joies et une sécurité trompeuse. Il semblerait que vous êtes irrité, et, de fait, vous agissez en père. Un enfant qui méprise les ordres paternels, attire sur lui la colère de l’auteur de ses jours ou le soufflette, on le frappe, on lui tire les oreilles, on le traîne par les bras, on le conduit à l’école. « Vous conduirez les peuples dans votre colère ». Combien sont entrés dans la maison de Dieu, combien ont contribué à la remplir, qui s’y sont trouvés amenés par sa colère ! Accablés de tribulations, ils se sont vus remplis de foi. La tribulation nous secoue, comme on secoue un vase pour en faire sortir les immondices qu’il contient, et alors la grâce vient remplir notre âme. « Vous conduirez les peuples dans votre colère ».
14. « Seigneur, je vous ai fait connaître ma vie ». Vous m’avez accordé le bienfait de la vie : voilà pourquoi je vous l’ai fait connaître. Est-ce que Dieu ignore quel don il t’a fait ? Pourquoi donc le lui annonces-tu ? Aurais-tu la prétention de lui apprendre quelque chose ? Non, sans doute. Pourquoi donc le Prophète dit-il : « Je vous ai fait connaître ? » Serait-ce, Seigneur, parce que cette connaissance pourrait vous être utile ? Quel avantage le Seigneur pourrait-il en tirer ? Dieu y gagne pour sa gloire. Quand l’apôtre saint Paul disait : « J’ai été d’abord un blasphémateur, un pécheur, un homme injuste », comment faisait-il connaître sa vie ? Il la faisait connaître en ajoutant : « Mais j’ai obtenu miséricorde[230] ». Il a annoncé sa vie, non pour lui-même, mais pour Dieu : car il l’a annoncée de manière à en amener d’autres à la foi ; il l’a annoncée, non pour son propre avantage, mais pour l’avantage de la cause de Dieu. En effet, il ajoute : « Car Jésus-Christ est mort et il est ressuscité, afin que celui qui vit ne vive plus pour lui-même, mais pour celui qui est mort en faveur de tous[231] ». Si tu vis, ce n’est pas de toi-même que tu tiens ce bienfait, parce que c’est Dieu qui te l’a accordé ; fais-le donc connaître, non pour toi, mais pour lui ; ne cherche point ton intérêt, ne vis pas pour toi : vis pour celui qui est mort en faveur de tous. L’Apôtre, parlant de certains réprouvés, ne dit-il pas : Ils cherchent tous leur avantage, et ils oublient les intérêts de Jésus-Christ ?[232] Si, de la connaissance que tu donnes de ta vie, tu cherches à tirer ton utilité personnelle au lieu d’en tirer celle des autres, c’est pour toi que tu la fais connaître, et non pour Dieu. Mais si tu l’annonces de manière à exciter le prochain à la recevoir lui-même de la main qui te l’a donnée, tu l’annonces pour la gloire de ton bienfaiteur ; aussi recevras-tu une plus ample récompense, par cela même que le don de Dieu n’a pas trouvé en toi un ingrat. « Seigneur, je vous ai fait connaître ma vie, vous avez mis mes larmes en votre présence ». Vous avez exaucé ma prière. « Selon la promesse que vous m’en avez faite ». Votre conduite envers moi a répondu à vos promesses. Vous m’aviez dit que vous écouteriez le cri de ma douleur : j’ai cru à votre parole, j’ai pleuré, et vous m’avez exaucé. Par vos promesses vous avez montré une miséricorde infinie à mon égard, et vous avez manifesté votre infaillible véracité par votre fidélité à les accomplir. « Selon la promesse que vous m’en aviez faite ».
15. « Que mes ennemis retournent en arrière[233] ». C’est pour leur bien, et non pour leur malheur, que le Prophète exprime ce désir : la cause de leur persévérance dans le mal se trouve dans leur persistance à marcher toujours devant eux. Tu engages ton ennemi à bien vivre, à se corriger : il méprise tes conseils, il rejette bien loin tes avis : Voilà, dit-il, un grand personnage pour me donner des conseils ! Voilà un grand docteur pour m’instruire ! Il prétend l’emporter sur toi, et, parce qu’il se regarde comme supérieur à toi, il ne se corrige pas. Il ne remarque pas que tes paroles ne sont pas de toi ; il ne remarque pas que tu fais connaître ta vie, non pour toi-même, mais pour Dieu : il veut marcher le premier, et il ne se corrige pas : il serait avantageux pour lui de se retourner en arrière, et de marcher à la suite de celui qu’il voudrait précéder. Avant sa passion, le Sauveur entretenait ses disciples des douleurs qu’il devait alors endurer ; Pierre, saisi d’horreur, s’écria : « Non. Seigneur, il n’en sera pas ainsi ». Il avait dit, peu de temps auparavant : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant », et il avait reconnu sa divinité ; et déjà il tremblait de le voir mourir, comme s’il ne voyait plus en lui qu’un homme. Mais le Seigneur était venu en ce monde pour souffrir, et nous ne pouvions arriver au salut qu’à la condition d’être rachetés au prix de son sang. Au moment où Pierre avait confessé hautement sa divinité, Jésus l’avait félicité et lui avait dit : « Ce n’est ni la chair ni le sang qui te l’ont révélé, mais c’est mon Père, qui est dans le ciel. C’est pourquoi tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes « de l’enfer ne la vaincront pas, et je te donnerai les clefs du royaume des cieux ». Voyez quelle récompense il accorde à cette confession pleine de vérité, de dévouement et de foi : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant ». Dès que le Sauveur parla de sa passion à ses disciples, Pierre eut peur de le voir mourir ; toutefois, sa mort était la condition essentielle de notre salut ; il s’écria donc : « Non, Seigneur, il n’en sera pas ainsi ». Et Jésus, qui lui avait dit, quelques instants auparavant : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église », lui répondit alors : « Arrière, Satan, arrière : tu es pour moi un scandale ». Comment l’homme que l’on avait appelé Pierre, et proclamé bienheureux, est-il devenu si vite digne de recevoir le surnom de Satan ? « Parce que », ajouta le Sauveur, « tu n’as point de goût pour les choses de Dieu : tu n’en as que pour les choses de l’homme[234] ». Quelques instants plus tôt il goûtait les choses de Dieu, « car ni la chair ni le sang ne t’ont révélé cela, mais mon Père, qui est dans le ciel ». Quand il louait ses paroles en Dieu, on ne l’appelait que du nom de Pierre : il mérita celui de Satan, dès qu’il parla de lui-même, sous l’influence de la faiblesse de l’homme et d’une affection charnelle, parce qu’ainsi il mettait obstacle à son salut personnel et à celui des autres. Il voulut avoir le pas sur le divin Maître, et donner au guide céleste des conseils inspirés par une sagesse tout humaine. « Non, Seigneur, il n’en sera pas ainsi ». Tu dis : « Non », et tu ajoutes : « Seigneur ? » S’il est le Seigneur, n’agit-il pas avec une souveraine puissance ? S’il est le maître, ne sait-il pas ce qu’il doit faire, ce qu’il doit enseigner ? Néanmoins, tu prétends conduire ton guide, instruire ton maître, donner des ordres à ton Seigneur, dicter à Dieu tes volontés. Tu veux primer le Très-Haut ! « Arrière ! » Un souhait plus utile à ses ennemis pouvait-il sortir de la bouche du Prophète : « Que mes ennemis retournent en s arrière ? » mais qu’ils ne restent pas derrière. Qu’ils retournent en arrière, afin de ne plus marcher les premiers, mais de manière à marcher toujours et à ne pas rester derrière. « Que mes ennemis retournent en arrière ».
16. « Quel que soit le jour où je vous invoque, je sais que vous êtes mon Dieu ». Admirable science ! Le Prophète ne dit pas : Je sais que vous êtes Dieu ; il dit : « Je sais que vous êtes mon Dieu ! » Oui, il est ton Dieu, car il te vient en aide. Oui, il est ton Dieu, car tu lui appartiens. Voilà pourquoi il est écrit : « Bienheureux est le peuple qui a pour Dieu le Seigneur ! » Pourquoi est-il dit : « Qui a pour Dieu le Seigneur ? » Où est l’homme dont il ne soit pas le Dieu ? Il est le Dieu de tous, mais particulièrement de ceux qui l’aiment, qui s’attachent à lui, qui le possèdent et l’adorent ; ils font, en quelque sorte, partie de sa maison ; ils sont comme les membres de sa grande famille, puisqu’ils ont été rachetés au prix du sang de son Fils unique. O ineffable bonté de Dieu ! Nous lui appartenons, et il est devenu notre héritage ! Les étrangers, qui ont été éloignés des justes, ne sont pour lui que des enfants dont il ne s’occupe pas. Voyez ce qu’en dit ailleurs le Psalmiste : « Mon Dieu, délivrez-moi de la puissance des enfants étrangers, dont la « bouche a publié la vanité, et dont la droite est une droite d’injustice ». Remarque leur grandeur : grandeur d’un jour ! gloire orgueilleuse et éphémère ! « Leurs enfants ressemblent à des plantes nouvelles : leurs filles sont ornées comme un temple ». Il donne la description du bonheur de ce monde, de ce bonheur dont les apparences trompeuses séduisent l’homme, auquel on attache le plus grand prix, que l’on préfère à la véritable, à l’éternelle félicité. Ceux qui négligent les biens durables, deviennent par là même des enfants étrangers : ce ne sont plus des enfants de Dieu. Le Prophète continue « Leurs fils ressemblent à des plantes nouvelles leurs filles sont ornées comme des temples leurs celliers sont remplis ; ils regorgent et se déversent l’un dans l’autre : leurs brebis sont fécondes et de produits abondants : leurs vaches sont grasses : la clôture de leurs héritages n’est ni brisée ni ouverte à tout venant : on n’entend aucun cri dans leurs places publiques ». Que lisons-nous ensuite ? « Ils ont proclamé bienheureux le peuple qui possède de tels avantages ». Mais qui est-ce qui tient ce langage ? des enfants étrangers, « dont la bouche publie la vanité ». Et toi, que dis-tu ? « Bienheureux le peuple qui a pour Dieu le Seigneur[235] ». Il n’envisage aucun des bienfaits que dispense aux hommes la main du Seigneur : il n’a en vue que le Dieu qui se donne lui-même. Mes frères, tous les biens énumérés par les enfants étrangers, Dieu les donne : il les accorde même aux étrangers, même aux méchants, même aux blasphémateurs, car il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants : il fait tomber la pluie sur les justes et sur les pécheurs : il les accorde parfois aux bons ; parfois aussi il les leur refuse, comme il les donne et les refuse aux méchants ; mais, tandis qu’il réserve à ceux-ci un feu éternel, il se réserve à lui-même pour ceux-là[236]. Il y a donc un mal exclusivement réservé aux pécheurs, comme il y a un bien spécialement destiné aux justes ; et, enfin, comme intermédiaire entre ce bien et ce mal, il y a des biens et des maux répartis indistinctement entre les uns et les autres.
17. Aimons donc Dieu, mes frères ; aimons-le d’un amour chaste et pur. Notre affection n’est pas pure, si nous aimons Dieu pour la récompense que nous en attendons. Hé quoi ! si nous servons Dieu, n’en recevons-nous pas une récompense ? Oui, et cette récompense sera le Dieu lui-même que nous servons : il sera notre récompense, car nous le verrons tel qu’il est[237]. Vois en quoi consiste cette récompense qui t’est réservée. Qu’est-ce que Notre-Seigneur Jésus-Christ dit à ceux qui l’aiment ? « Celui qui m’aime, garde mes commandements : celui qui m’aime, sera aimé de mon Père, et je l’aimerai ». Que lui donnerez-vous donc ? « Je me montrerai à lui[238] » Si tu n’aimes pas Dieu, cette récompense te paraîtra de mince valeur : aime-le, qu’il soit l’objet de tes désirs les plus ardents, sers-le gratuitement comme tu as été racheté par lui, car, sous aucun rapport, tu n’avais mérité qu’il mourût pour toi : considère toutes les grâces dont il t’a comblé ; brûle du désir de le posséder, et alors, tu ne lui demanderas rien autre chose que lui-même : il te suffira, Si avare que tu puisses être, Dieu te suffit. Ton désir de posséder va peut-être jusqu’à vouloir devenir le maître de toute la terre, peut-être même du ciel. Celui qui a créé l’un et l’autre est plus grand que tous les deux. Mes frères, oserai-je le dire ? Que les mariages d’ici-bas vous apprennent en quoi consiste un amour chaste et pur : ces mariages se ressentent nécessairement de l’infirmité humaine. Celui-là n’aime pas son Épouse, qui s’unit à elle pour sa dot ; et celle-là n’aime pas son Époux, qui l’aime uniquement à cause des quelques présents ou des grands biens qu’elle en a reçus. On a vu souvent un mari, d’abord fortuné, devenir ensuite très pauvre : une multitude d’hommes se sont vus proscrits. À partir de ce jour de chastes Épouses les ont chéris davantage. Le malheur des maris a souvent servi d’épreuve pour reconnaître la pureté des unions conjugales : afin de montrer qu’elles n’aimaient personne autre, des femmes, loin d’abandonner leurs maris, se sont alors plus fortement attachées à eux. Si donc une femme aime son mari, qui n’est pourtant qu’un homme, d’une manière si désintéressée et si pure ; si un homme s’affectionne si gratuitement, et d’une amitié si chaste, une femme qui n’est que chair, comment devons-nous aimer Dieu, ce véritable et sincère Époux des âmes, qui leur communique le pouvoir d’engendrer pour la vie éternelle, et qui ne permet pas aux nôtres de demeurer stériles ? Aimons-le donc si vivement, que nous n’en aimions pas d’autre, et alors se réalisera en nous cette parole que nous avons récitée et chantée, et qui, à vrai dire, se trouve être la nôtre : « Quel que soit le jour où je vous invoque, je sais que vous êtes mon Dieu ». Invoquer Dieu, c’est l’invoquer tout seul : aussi, comment certains autres hommes ont-ils agi, d’après l’Écriture ? « Ils n’ont pas invoqué Dieu ». Pourtant ils croyaient l’invoquer, puisqu’ils le priaient de leur accorder des héritages, d’augmenter leur fortune, de prolonger leur vie, de veiller sur tous leurs autres intérêts temporels. En quels termes l’Écriture parle-t-elle de pareilles gens ? « Ils n’ont pas invoqué Dieu ; aussi la crainte les a-t-elle saisis là où il n’y avait rien à craindre[239] ». Que veulent dire ces paroles : « Quand il n’y avait rien à craindre ? » Ils tremblaient de se voir dépouillés de leur argent, de remarquer, dans leur maison, une moins grande quantité de meubles, de vivre en ce monde moins longtemps qu’ils ne le pensaient. « Mais la crainte les a saisis là où ils n’avaient rien à craindre ». Ne voyons-nous pas là l’histoire des Juifs ? « Si nous le laissons vivre, les Romains viendront et ruineront notre ville ». « Ils ont tremblé quand ils n’avaient rien à craindre. Je sais que vous êtes mon Dieu ». Richesses inappréciables du cœur ! ineffable lumière des yeux de l’âme ! confiance et sécurité bien dignes d’admiration ! « Je sais que vous êtes mon Dieu ».
18. « Je me louerai en Dieu de mes paroles ; je louerai en Dieu mes discours. J’ai mis en Dieu mon espérance ; je ne craindrai point ce que l’homme pourra me faire[240] ». Nous avons déjà donné le sens de ces paroles.
19. « Mon Dieu, j’ai en moi les vœux que je vous offrirai, et les louanges que je chanterai en votre honneur[241] » Faites des vœux au Seigneur votre Dieu, et accomplissez-les[242]. Quels vœux lui ferez-vous ? que lui rendrez-vous ? immolerez-vous en son honneur des animaux comme ceux qu’on lui offrait jadis ? Non, il ne faut rien lui offrir de pareil ; tu as assez en toi-même à lui consacrer et à lui rendre. Tire du fond de ton cœur, comme d’un coffre précieux, l’encens de la louange ; offre-lui le sacrifice de la foi dans le riche sanctuaire d’une bonne conscience ; embrase du feu de la charité tout ce que tu lui offriras. Oui, tu trouveras en toi-même les vœux que tu dois offrir à Dieu en sacrifice de louanges. « Mais, pourquoi le louer ? quel bienfait t’a-t-il accordé ? « Parce que vous avez délivré mon âme de la mort ». C’est là la vie que le Prophète fait connaître à Dieu : « Seigneur, je vous ai fait connaître ma vie ». Qu’étais-je, en effet ? J’étais mort, et la cause de ma mort se trouvait en moi-même. Et par votre grâce qui suis-je ? Je suis vivant. « C’est pourquoi, Seigneur, j’ai en moi les vœux que je vous offrirai et les louanges que je chanterai en votre honneur ». J’aime mon Dieu, personne ne me l’enlèvera ; personne, non plus, ne sera capable de me ravir ce que je veux lui offrir, car mes présents sont renfermés dans mon cœur. C’était donc à bien juste titre que le Psalmiste disait tout à l’heure, dans le sentiment d’une noble confiance : « Qu’est-ce que l’homme pourrait me faire ? » Qu’il me persécute, qu’il me fasse librement souffrir, qu’il vienne à bout d’accomplir tous les mauvais desseins qu’il forme contre moi, que pourra-t-il m’enlever ? S’il me dépouille de mon or, de mon argent, de mes troupeaux, de mes esclaves, de mes servantes, de mes propriétés, de mes maisons, de tout ce que je possède, pourra-t-il aussi m’enlever les vœux qui sont en moi, les louanges que je veux chanter en l’honneur de Dieu ? Satan fut autorisé à tenter le saint homme Job, en un clin d’œil il lui enleva tout ; il le dépouilla de la fortune qu’il possédait, le priva de ses domaines et fit mourir tous ses héritiers[243]. Toutes ces pertes, Job ne les subit point l’une après l’autre, mais toutes ensemble, tout d’un coup, subitement ; il apprit au même moment tous ses malheurs. Dépouillé de tout, il resta seul ; toutefois il y avait encore dans son cœur des vœux pour Dieu ; il s’y trouvait des louanges à chanter en l’honneur du Très-Haut ; le coffre précieux de ce cœur juste demeura à l’abri des atteintes du démon ; il était rempli d’offrandes pour l’Eternel. Voici ce qui y était renfermé, voici ce qu’il en fit sortir ; écoute bien : « Le Seigneur me l’avait donné, le Seigneur me l’a ôté ; rien ne s’est fait sans la volonté de Dieu ; que son saint nom soit béni ». O richesses intérieures, sur lesquelles le démon ne peut étendre la main ! Il offrait en sacrifice à Dieu ce que Dieu lui avait donné ; le Seigneur l’avait enrichi, et c’était avec ces richesses qu’il faisait au Seigneur l’offrande la plus agréable. Dieu te demande des louanges ; il veut que tu confesses son nom ; lui offriras-tu quelques-uns des fruits de ton champ ? C’est lui qui a fait tomber sur ce champ les pluies qui l’ont fécondé. Lui donneras-lu une partie de tes trésors ? C’est encore lui qui t’en a gratifié. Pourras-tu vraiment lui offrir une chose que tu n’aies pas reçue de sa munificence ? Y a-t-il rien dont tu ne doives lui être reconnaissant ? Enfin, lui donneras-tu quelque chose qui vienne de ton cœur ? C’est de lui que te sont venues la foi, l’espérance et la charité ; voilà l’offrande par excellence, voilà le vrai sacrifice à lui faire. L’ennemi est à même de t’enlever tout le reste malgré toi ; ces dons intérieurs, il ne te les ravira pas, à moins que tu n’y consentes. Les biens extérieurs, on peut en être privé malgré soi ; on voudrait posséder de l’or et l’on en perd ; on voudrait avoir une maison et on en est dépouillé ; mais, à moins de le mépriser, personne ne peut être dépouillé du don de la foi.[244]
20. « Seigneur, j’ai en moi les vœux que je vous offrirai et les louanges que je chanterai en votre honneur, parce que vous avez délivré mon âme de la mort, et mes yeux de toute larme, et mes pieds de toute chute, afin que je vous plaise dans la lumière des vivants[245] ». Il n’est pas étonnant que ces paroles déplaisent aux enfants étrangers qui se sont éloignés des justes, puisque la lumière des vivants ne brille point à leurs yeux, et qu’ainsi ils ne peuvent voir ce qui plaît à Dieu. La lumière des vivants, c’est la lumière des immortels, c’est le flambeau des saints. Celui qui n’est point plongé dans les ténèbres plaît if Dieu dans la lumière des saints. On examine un homme et tout ce qu’il a, et néanmoins on ne le connaît pas ; mais en lui il n’y a pas de mystère pour Dieu ; parfois le démon lui-même ne le connaît pas, et s’il ne le tente pas, il se voit réduit à ignorer qui il est. C’est ce qui est arrivé pour le saint homme Job, dont je parlais tout à l’heure. Dieu le connaissait parfaitement et rendait témoignage à sa vertu ; le démon ne le connaissait pas ; aussi disait-il : « Est-ce gratuitement que Job sert son Dieu ? » Voyez la manière dont il cherche à irriter Dieu ; c’est le sublime du genre ; voyez ce qu’il lui reproche. Devant Dieu Job était un bon serviteur, un homme soumis en toutes choses et parfait en toutes ses œuvres. Parce qu’il était riche et que l’abondance et la joie se trouvaient dans sa maison, le démon fit cette remarque que, si Job servait fidèlement le Seigneur, c’était sans doute à cause de tous les biens qu’il en avait reçus. « Est-ce gratuitement que Job sert son Dieu ? » Chez lui, l’amour gratuit pour Dieu était la vraie lumière, la lumière des vivants. Dieu, qui lisait dans le cœur de son serviteur, y voyait cet amour pur, et ce cœur éclairé de la lumière des vivants était pour lui un objet de complaisance ; et le démon l’ignorait, parce qu’il était plongé dans les ténèbres. Le Seigneur donna donc au démon le pouvoir de tenter Job, non pour acquérir par l’intermédiaire de celui-ci une connaissance qu’il avait déjà, mais pour mettre sous nos yeux un modèle à imiter. S’il n’en avait pas été ainsi, verrions-nous dans ce saint homme un exemple que nous devons et voulons suivre ? La tentation eut lieu ; Job perdit tout ce qu’il possédait : ses biens, ses serviteurs, ses enfants ; tout, excepté Dieu, lui fut enlevé ; il resta donc seul. Toutefois, Satan lui avait laissé sa femme ; mais, de sa part, était-ce un acte de commisération ? il se souvenait de celle qui l’avait aidé à séduire Adam ; s’il laissa à Job son Épouse, ce fut à titre de soutien pour lui-même, et non à titre de consolation pour sa généreuse victime. Rempli de Dieu, possédant en son âme les vœux et les louanges qu’il voulait offrir à l’Eternel, Job fit voir qu’il servait le Seigneur gratuitement, d’une manière désintéressée, et qu’après avoir tout perdu il était toujours le même, parce qu’il possédait encore Celui dont la munificence l’avait enrichi. « Le Seigneur m’avait tout donné, il me l’a ôté ; rien ne s’est fait sans la volonté du Seigneur : que son saint nom soit béni ! » Couvert de plaies depuis les pieds jusqu’à la tête, mais l’âme saine, éclairé de la lumière des vivants, de la lumière qui brillait dans son cœur, il répondit aux infernales suggestions de sa femme : « Tu as parlé comme une femme qui a perdu le sens[246] », c’est-à-dire, comme une femme que n’éclaire point la lumière des vivants, car la lumière des vivants c’est la sagesse, et les ténèbres des insensés c’est la folie. « Tu as parlé comme une femme qui a perdu le sens ». Tu vois mon corps, mais tu n’aperçois pas le flambeau qui illumine mon cœur. N’aurait-elle pas dû alors aimer son mari d’un amour plus vif ? Elle l’aurait pu, mais ses yeux étaient incapables de contempler la beauté intérieure de cette âme d’élite ; elle ignorait combien ce cœur était agréable à Dieu, en raison des vœux et des louanges dont il était rempli et qu’il voulait offrir au Tout-Puissant. Admirable impossibilité pour le démon, de ravir ce trésor si précieux ! Merveilleuse conservation de ce bien intérieur que Job possédait et voulait posséder plus parfaitement encore en marchant de vertus en vertus ! Mes frères, puissent tous ces exemples nous porter à aimer Dieu gratuitement, à placer toujours en lui notre espérance, et à ne craindre ni les hommes ni les démons ! Ni les uns ni les autres ne peuvent agir contre nous sans la permission de Dieu, et jamais Dieu ne permet que ce qui peut nous être utile. Supportons les méchants et soyons bons, car nous avons été méchants nous-mêmes, et ceux-là encore dont nous osons nous permettre de désespérer, Dieu les sauvera pour rien. Ne désespérons donc du salut de personne ; prions pour tous ceux qui nous font souffrir, et ne nous éloignons jamais de Dieu. Qu’il soit notre richesse, notre espérance et notre salut ; il est ici-bas notre consolateur, au ciel il sera notre récompense ; sur la terre et dans le ciel il nous donnera la vie dont il est la source, et dont il est écrit : « Je suis la voie, la vérité et la vie[247] ». Ainsi pourrons-nous lui plaire ici-bas dans la lumière de la foi ; au ciel, en sa présence, dans la lumière de son visage, dans la lumière des vivants.


DISCOURS SUR LE PSAUME 56[modifier]

SERMON AU PEUPLE[modifier]

ESPÉRANCE EN DIEU.[modifier]

Jésus-Christ, voulant nous porter à nous aimer les uns les autres, nous a aimés le premier ; et cet amour, il nous l’a particulièrement manifesté dans sa passion. Le psaume LVIe a trait à cette passion du Sauveur ; nous y trouvons des rapprochements qui conviennent bien mieux à Jésus-Christ qu’à David : ainsi, le titre du psaume et celui de la croix, la caverne où se cacha David pour échapper aux poursuites de Saül et le tombeau où le Sauveur cacha sa divinité. La prière du roi fugitif convient donc parfaitement à l’Homme-Dieu-souffrant : comme elle dépeint bien la faiblesse de son humanité sainte, sa confiance en Dieu le Père, l’inanité des efforts de ses ennemis, la honte qui est devenue leur partage, la gloire qui résulte pour lui des ignominies de sa passion ! Admirable exemple donné à chacun de nous au milieu des épreuves de la vie ! Puissions-nous le suivre !


1. Mes frères, l’Évangile que nous venons d’entendre nous fait connaître l’immense charité de Notre-Seigneur et Sauveur pour nous, de Jésus-Christ, toujours Dieu dans le sein de son Père, devenu homme parmi nous, en se revêtant de notre chair, et assis maintenant à la droite du Père éternel. Oui, par la lecture qui vous a été faite, vous avez dû comprendre combien nous aime notre Rédempteur. Il nous a lui-même donné et fait connaître la mesure de son amour pour nous, en nous disant que son commandement nous oblige à nous aimer les uns les autres[248]. De plus, il n’a pas voulu nous laisser de doutes ou d’inquiétudes sur l’étendue de l’affection que nous devons mutuellement nous porter : il a précisé les bornes de cette affection, pour qu’elle plaise à Dieu et devienne parfaite, c’est-à-dire, qu’elle ne soit inférieure à aucune autre ; il nous a donné à cet égard un enseignement positif, exprès, car il a dit : « On ne peut avoir une plus grande charité que de donner sa vie pour ses amis[249] ». Il a pratiqué lui-même ce qu’il a enseigné : ses Apôtres ont suivi ses préceptes et ses exemples, et ils nous ont appris que nous devons marcher sur leurs traces. Imitons donc Jésus-Christ sans doute nous ne lui ressemblons pas sous tous rapports : comme notre Créateur, il est bien différent de nous ; mais puisqu’il a bien voulu se faire homme pour nous, nous avons, selon son humanité, des traits de ressemblance avec lui. S’il eût été le seul à nous donner l’exemple, aucun de nous peut-être ne devrait oser marcher sur ses traces, car il n’a pas cessé d’être Dieu en devenant homme ; mais, en tant qu’homme, il a eu des imitateurs : Seigneur, il en a eu dans ses serviteurs ; Maître, il en a eu dans ses disciples : ceux que nous pourrions appeler nos pères, parce qu’ils sont entrés avant nous dans sa famille, nos compagnons dans le service de Dieu, ont marché à sa suite : d’ailleurs, il ne nous commanderait pas de faire ce qu’il a fait lui-même, s’il le jugeait impossible. Si tu compares la grandeur de ta faiblesse à la difficulté du précepte, et que le courage te manque, puise de la force dans les exemples placés sous tes yeux. L’exemple lui-même te remplit de crainte : mais n’as-tu pas à côté de toi celui qui, après t’avoir donné l’exemple, te donnera la force de le suivre ? Écoutons maintenant ce psaume ; par une heureuse coïncidence, et par un effet de la grâce divine, il concorde parfaitement avec l’Évangile de ce jour, et il nous rappelle la charité de Jésus-Christ qui a donné sa vie pour nous, afin que nous donnions aussi la nôtre pour nos frères[250]. Il y a donc entre l’Évangile d’aujourd’hui et ce psaume, rapport et accord : nous pouvons apprendre par la lecture de l’un et de l’autre combien Notre-Seigneur nous a aimés en donnant sa vie pour nous, puisque le LVIe psaume a trait à sa passion. Vous savez déjà, sans aucun doute, que considéré dans son entier, le Christ est en même temps tête et corps. Comme tête, notre Sauveur a souffert sous Ponce-Pilate, il est ressuscité ensuite d’entre les morts, et il est maintenant assis à la droite de son Père son corps, c’est l’Église ; non pas telle ou telle Église, mais l’Église répandue dans tout l’univers : cette Église qui comprend tout à la fois les hommes aujourd’hui vivant dans son sein, et ceux qui lui ont appartenu dans les siècles passés, et ceux qui lui appartiendront après nous jusqu’à la fin des siècles. Dans son intégrité, l’Église se compose de tous les fidèles, parce qu’ils sont tous membres du Christ ; elle a sa tête dans le ciel, d’où celle-ci gouverne le reste du corps. Le corps est privé de la vue de son divin Chef, mais il lui est uni par les liens de la charité. Puis donc que le Christ, envisagé dans son entier, est en même temps tête et corps, nous devrons comprendre en ce sens les mots de tête et de corps, et les lui appliquer, toutes les fois que nous les rencontrerons dans la lecture de n’importe quel psaume. Le Sauveur n’a pas voulu que dans ces différents passages on parlât de lui sans parler de nous, puisqu’il n’a pas voulu s’en séparer ; n’a-t-il pas dit, en effet : « Voilà que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles[251] ? » S’il est avec nous, il parle en nous, il parle de nous, il parle par nous : de même, parlons-nous en lui, et disons-nous pour cela la vérité, tandis que nous tombons dans l’erreur et le mensonge dès que nous voulons parler en nous-mêmes et d’après nous.
2. Ce psaume a donc trait à la passion du Seigneur : aussi commence-t-il par ces mots « Pour la fin[252] ». Jésus-Christ est la fin. En quel sens ? Il est la fin, non pour consumer, mais pouf’ consommer. Consumer, c’est détruire : consommer, c’est conduire à la perfection. Quand nous disons qu’une chose est finie, nous parlons de sa fin, mais nous n’entendons pas toujours ce mot dans le même sens. Si nous disons que le pain est fini, que le vêtement est fini, nous n’attachons pas à ces paroles une signification analogue. Le pain est fini, quand il est mangé ; le vêtement est fini, quand il est terminé. Le pain est détruit, le vêtement est parfait. Le Christ est donc la fin de notre entreprise ; quels que soient, en effet, nos efforts, c’est en lui et par lui que nous nous perfectionnons, et notre perfection consiste à parvenir jusqu’à lui : et lorsque tu y seras parvenu, tu n’auras plus d’autre but à atteindre, car il est ta fin. Ton voyage n’a d’autre but que l’endroit où tu vas ; une fois arrivé là, tu y restes. Ainsi celui vers qui tu te diriges, est la fin de tes recherches, de tes projets, de tes efforts, de tes intentions : dès que tu seras parvenu à le posséder, tu ne désireras plus rien, parce que tu ne saurais posséder rien de meilleur. Jésus-Christ nous a donc donné l’exemple de la vie que nous devons mener en ce monde : il nous donnera, dans l’autre, la récompense de notre fidélité à suivre ses traces.
3. « Pour la fin. Ne corromps rien, pour David sur l’inscription du titre ; lorsqu’il fuyait de devant la face de Saül dans une caverne ». Si nous nous reportons à la sainte Écriture, nous verrons que le saint roi d’Israël, David, qui a donné son nom au Psautier, a été persécuté par Saül, aussi roi du même peuple ; beaucoup d’entre nous le savent pour avoir lu ou entendu lire les Écritures[253]. Saül devint donc le persécuteur de David : l’un était violent, et l’autre d’un caractère extrêmement doux ; celui-ci se montrait aussi simple, aussi patient, aussi bienfaisant que celui-là se montrait jaloux, cruel et ingrat. David usa de tant de ménagements à l’égard de Saül, qu’ayant vu tomber celui-ci entre ses mains, il ne lui fit aucun mal et ne le toucha pas même du bout du doigt. Dieu lui ménagea l’occasion de faire mourir son persécuteur : il préféra lui pardonner et lui laisser la vie. Un pareil bienfait ne désarma point Saül ; il continua de tendre des embûches à son bienfaiteur. Au moment où ce roi, déjà réprouvé de Dieu, persécutait celui qui était choisi d’avance pour lui succéder, David s’éloigna de la présence de Saül, et se réfugia dans une caverne. Mais quel rapport cet événement peut-il avoir avec le Christ ? Si tout ce qui se passait alors figurait l’avenir, il est ici bien plus question du Christ que de David, car j’ignore, à vrai dire, comment on pourrait appliquer à celui-ci les paroles précitées : « Ne corromps rien sur l’inscription du titre » : car jamais on n’a écrit de titre pour David, et, par conséquent, Saül n’en a jamais altéré. Nous voyons, au contraire, que, pendant la passion du Sauveur, on a fait une inscription ainsi conçue : « Roi des Juifs » : ce titre devait attacher une honte éternelle au front des scélérats qui avaient trempé leurs mains dans le sang de leur roi. Saül représentait les Juifs, comme David était la figure de Jésus-Christ. Selon l’Évangile des Apôtres, comme nous le croyons et le confessons tous, Jésus-Christ est né, selon la chair, de la race de David[254] ». En tant que Dieu, il est élevé au-dessus de David, de tous les hommes, du ciel et de la terre, des Anges, de toutes les choses visibles et invisibles, parce que tout a été fait par lui, et que sans lui rien n’a été fait[255]. Il a daigné se faire homme et sortir de la race de David, pour descendre jusqu’à nous : il est né de la tribu de David, à laquelle appartenait la Vierge Marie, qui a enfanté le Christ[256]. On plaça donc au-dessus du Christ cette inscription : « Roi des Juifs » Saül, comme nous l’avons dit, représentait le peuple juif David était la figure du Christ ; et le titre indiqué dans le psaume préfigurait celui-ci « Roi des Juifs ». Les Juifs s’irritèrent de ce qu’on avait écrit : « Roi des Juifs » ; il leur répugnait d’avoir pour roi l’homme qu’ils avaient eu le pouvoir de crucifier, car ils ne prévoyaient pas alors que l’image de cette croix à laquelle ils l’avaient attaché, ornerait un jour la couronne des rois. Exaspérés de ce qu’on lui avait donné ce titre, ils allèrent trouver Pilate, ce juge auquel ils avaient proposé de mettre à mort le Christ, et ils lui dirent : « N’écrivez pas : Roi des Juifs, mais écrivez qu’il s’est donné pour le roi des Juifs » Mais comme le Saint-Esprit avait déjà dit par la bouche du Psalmiste « Ne corromps rien sur l’inscription du titre », Pilate leur répondit : « Ce que j’ai écrit est écrit[257] » Pourquoi voudriez-vous me faire mentir ? Je n’altère pas la vérité.
4. Nous comprenons maintenant le sens de ces paroles : « Ne corromps rien sur l’inscription du titre ». Que veulent dire ces autres : « Quand David fuyait de devant la face de Saül dans une caverne ? » Il est vrai que ceci est arrivé à David ; mais puisque nous voyons que l’inscription du titre ne le concerne pas, cherchons à comprendre comment la fuite dans une caverne concerne le Christ. Évidemment la caverne où David se réfugia, était une figure ; elle représentait quelque autre chose. D’abord, pourquoi s’y retira-t-il ? Pour se cacher et empêcher son ennemi de le trouver. Qu’est-ce que se cacher dans une caverne ? C’est se cacher sous terre. En effet, l’homme qui se retire dans une caverne, se retire sous terre, pour ne pas être vu : Jésus s’était couvert de terre, car le corps dont il s’était revêtu, était de la terre, et il se cachait ainsi, afin que les Juifs ne pussent apercevoir sa divinité ; si, en effet, ils l’avaient connu, jamais ils n’auraient crucifié le Roi de gloire[258]. Pourquoi n’ont-ils pas trouvé le Roi de gloire ? Parce qu’il s’était caché dans une caverne ; c’est-à-dire, il ne présentait à leurs regards que l’infirmité de sa chair : sous ce voile épais, dérobé en quelque sorte à leurs yeux par ce vêtement de terre, il déguisait la grandeur majestueuse de sa divinité. Aussi les Juifs crurent-ils crucifier un homme, parce qu’ils méconnurent en lui le Dieu ; ils n’avaient pu s’emparer de lui que parce qu’il était homme, c’est pourquoi ils ne purent crucifier et mettre à mort en lui que l’homme. Il ne laissa voir que de la terre à ceux qui le cherchaient dans de mauvaises intentions, comme il réserve la vie éternelle à ceux qui le cherchent avec droiture ; selon la chair, il s’éloigna de la présence de Saül et s’enfuit dans une caverne. Si tu consens à voir dans cette fuite la passion du Sauveur, tu le remarqueras, il s’est dérobé aux regards des Juifs jusqu’au point de mourir. Tant qu’il n’eut pas rendu le dernier soupir, les Juifs, malgré la rigueur des tourments qu’ils lui faisaient endurer, s’imaginaient toujours que s’il était le Fils de Dieu, il pouvait s’échapper de leurs mains, et prouver, par quelque prodige, sa divine origine. Le livre de la Sagesse l’avait prédit : « Condamnons-le à une mort honteuse, et nous verrons si ce qu’il a dit est vrai. S’il est vraiment le Fils de Dieu, le Seigneur prendra sa défense, et il le délivrera de la puissance de ses ennemis[259] ». On le crucifia, personne ne vint le délivrer ils crurent donc qu’il n’était pas le Fils de Dieu. Aussi l’insultèrent-ils, lorsqu’il fut attaché à la croix ; ils passaient devant lui en secouant la tête, et disaient : « Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix. Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même[260] ». En tenant ce langage, « ils se sont », dit le livre de la Sagesse, « égarés dans leurs pensées, parce que leur propre malice les a rendus aveugles[261] ». Pour celui qui a facilement pu sortir vivant du tombeau, était-ce bien difficile de descendre de la croix ? Mais pourquoi a-t-il voulu se montrer patient jusqu’à son dernier soupir ? C’était afin de se retirer dans la caverne, loin des regards de Saul. Par caverne on peut entendre un lieu placé en dessous de la surface de la terre : or, il est un fait certain, que tout le monde connaît, c’est que le corps du Sauveur a été enfermé dans un sépulcre qu’on avait creusé dans la pierre. Ce tombeau fut donc la caverne où il se réfugia pour éviter la présence de Saül ; et, tant qu’il n’y fut pas déposé, les Juifs continuèrent à exercer contre lui leur malice. Qu’il ait été l’objet de leurs procédés méchants, jusqu’au moment où il fut enseveli, en voici la preuve. Même après sa mort, et avant qu’on l’eût détaché de la croix, ils percèrent son côté d’un coup de lance ; mais dès qu’il fut enseveli par les soins des personnes qui assistèrent à ses funérailles, ils n’eurent plus sur sa chair divine aucun pouvoir. Le Seigneur sortit vivant, libre des atteintes de ses ennemis et de la corruption, de cette caverne où il s’était retiré pour échapper aux poursuites de Saül ; puis il se montra à ses membres, tout en se dérobant aux regards des impies, dont Saül était la figure. Après sa résurrection ses membres corporels furent touchés par ses membres spirituels, car ceux-ci n’étaient autres que les Apôtres, et les Apôtres portèrent alors leurs mains sur son corps ressuscité, et ils crurent[262]. Alors aussi on vit que la persécution de Salit n’avait abouti à rien. Passons maintenant à l’explication du psaume, car nous avons suffisamment parlé de son titre ; nous en avons dit tout ce que le Seigneur a bien voulu nous suggérer.
5. « Ayez pitié de moi, ô mon Dieu ; ayez « pitié de moi, parce que mon âme met sa « confiance en vous[263] ». C’est Jésus-Christ qui dit au milieu des tourments de sa passion : « Ayez pitié de moi, Seigneur » Un Dieu dit à Dieu : « Ayez pitié de moi ». Celui qui, avec son Père, prend pitié de toi, crie en toi-même : « Ayez pitié de moi ». Et quand il s’écrie : « Ayez pitié de moi », il prie à ta place, car il emprunte tes paroles ; c’est pour te délivrer qu’il s’est fait homme, et c’est comme homme qu’il dit : « Ayez pitié de moi, Seigneur, ayez pitié de moi n. Et par homme, j’entends son âme et son corps. Le Verbe s’est revêtu de l’homme tout entier : et l’homme tout entier est devenu le Verbe. Toutefois, de ce que l’Évangile a dit : « Le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous[264] », il ne faut point conclure que le Fils de Dieu s’est uni à un corps sans âme ; car on donne le nom de chair à l’homme, comme il nous est facile de nous en convaincre par ce passage de la sainte Écriture : « Et toute chair verra le salut de Dieu[265] ». Un corps sans âme pourrait-il voir ce salut de Dieu ? En parlant des hommes le Sauveur dit à son tour : « Comme vous lui avez donné la puissance sur toute chair[266] ». N’avait-il reçu de puissance que sur les corps ? Lui qui était venu surtout pour sauver les âmes, n’avait-il reçu, relativement à elles, aucun pouvoir ? Il y avait donc, tout à la fois, en Jésus-Christ, une âme et un corps, un homme complet, et le Verbe était uni à cet homme : et cet homme et le Verbe étaient un seul homme, comme le Verbe et cet homme étaient un seul Dieu. Qu’il dise donc : « Ayez pitié de moi, Seigneur, ayez pitié de moi ». Pour nous, ne nous étonnons ni de la prière qu’il adresse à son Père, ni de la miséricorde qu’il exerce à notre égard : il ne prie en notre faveur que parce qu’il est miséricordieux envers nous. C’est par bonté qu’il s’est fait homme : il est venu en ce monde, non par une nécessité résultant de sa nature, mais parce qu’il avait résolu de nous délivrer des nécessités où nous engageait notre condition. « Ayez pitié de moi, Seigneur ; ayez pitié de moi, parce que mon âme a mis sa confiance en vous ». Tu entends la prière du Maître : apprends de là à prier toi-même. Il a prié, afin de t’enseigner à le bien faire ; comme il a souffert, afin de te montrer à souffrir ; comme encore il est sorti vivant d’entre les morts, pour exciter en toi l’espérance de la résurrection.
6. « J’espérerai à l’ombre de vos ailes, jusqu’à ce que passe l’iniquité ». Sans aucun doute, c’est Jésus-Christ tout entier qui a prononcé ces paroles : ce sont aussi les nôtres. Loin d’être arrivée à son terme, l’iniquité se trouve encore dans toute sa force, et le Sauveur lui-même nous annonce qu’à la fin des temps il y aura une surabondance de méchanceté. « Parce que », dit-il, « l’iniquité se multipliera, on verra se refroidir la charité de plusieurs : mais celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé[267]. Quel est l’homme qui persévérera jusqu’à la fin, jusqu’à ce que l’iniquité soit arrivée à son terme ? C’est celui qui fera partie du corps du Christ, qui sera du nombre de ses membres, et qui aura appris de son chef à garder la patience et à persévérer toujours. Tu passes, avec toi passent toutes les épreuves qui tourmentent ton existence ici-bas. Tu te diriges vers une autre vie où sont déjà entrés tous les saints : tu y entreras toi-même, si tu es saint. Cette autre vie est aujourd’hui le partage des martyrs : sois martyr, et elle deviendra aussi ton héritage. Mais parce que tu seras passé de cette vie terrestre dans la vie éternelle, crois-tu que c’en est fait de l’iniquité ? Si des méchants meurent, d’autres viennent au monde ; et de même qu’ils se succèdent de manière à ce que les uns prennent la place laissée vide par la mort des autres, de même aussi des justes nouveaux viennent se substituer aux justes qui sortent de ce monde. Jusqu’à la consommation des siècles, il ne manquera donc jamais de méchants pour tourmenter les justes, ni de justes pour supporter les méchants. « Et j’espérerai à l’ombre de vos ailes, jusqu’à ce que passe l’iniquité ». C’est-à-dire : Vous me protégerez, et afin que l’ardeur brûlante du péché ne me dessèche pas, vous me mettrez à l’ombre de vos ailes.
7. « Je crierai vers le Dieu Très-Haut[268] ». S’il est le Très-Haut, comment peut-il entendre les cris de ta prière ? Le Prophète le savait par expérience, car il ajoute : « Le Seigneur m’a comblé de ses bienfaits » S’il m’a fait du bien avant même que je le cherche, pourra-t-il ne pas m’écouter, lorsque je ferai monter vers son trône les accents de ma prière ? Le Seigneur Dieu nous a donné la preuve de son infinie bonté, en nous envoyant son Fils, afin qu’il mourût pour nos péchés, et qu’il ressuscitât pour notre justification[269]. Pour qui a-t-il voulu soumettre son Fils à la nécessité de mourir ? Pour les impies. Ils ne cherchaient pas Dieu, et Dieu les cherchait. Le Seigneur est donc élevé au-dessus de toutes choses ; et, pourtant, il a les yeux ouverts sur nos épreuves : nos cris s’élèvent facilement jusqu’à lui, car il est près de ceux dont le cœur est brisé de douleur[270]. « Je crierai vers le Dieu Très-Haut, vers le Dieu qui m’a comblé de ses bienfaits ».
8. « Du haut du ciel il a envoyé, et m’a sauvé[271] ». C’est un fait indubitable : le Fils de Dieu fait homme, devenu chair et participant à notre nature, a été sauvé : du haut du ciel, Dieu le Père lui a envoyé son secours et l’a sauvé : du haut de son trône, il l’a protégé et l’a fait sortir vivant du tombeau ; mais comment a-t-on pu vous dire que le Seigneur Jésus s’est ressuscité lui-même ? C’est que nous lisons dans la sainte Écriture, et que son Père l’a ressuscité, et qu’il s’est ressuscité lui-même. Son Père l’a ressuscité : écoute l’Apôtre, il te l’affirme, car il dit : « Jésus-Christ s’est rendu obéissant jusqu’à la mort, et jusqu’à la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a élevé dans la gloire, et lui a donné un nom qui est au-dessus de tous les noms[272] ». Vous venez d’apprendre que le Père a ressuscité son Fils, et l’a élevé en gloire ; apprenez maintenant de sa propre bouche qu’il a fait lut-même sortir son corps vivant du tombeau. Comparant ce corps à un temple, il dit aux Juifs : « Détruisez ce temple, et je le rebâtirai en trois jours ». L’Évangéliste a bien soin de nous faire saisir parfaitement le sens de ces paroles, car il ajoute : « Il parlait du temple de son corps[273] ». C’est donc comme chair, c’est comme homme qu’il prie ici et qu’il dit : « Du haut du ciel il a envoyé et m’a sauvé ».
9. « Il a fait tomber dans l’opprobre ceux qui me foulaient aux pieds ». Il a livré à la honte ceux qui l’ont foulé aux pieds, ceux qui l’insultaient lorsqu’il était attaché à la croix, ceux enfin qui l’ont crucifié, comme s’il n’était qu’un homme, parce qu’ils n’ont point compris qu’il était Dieu. Voyez si l’événement n’a pas justifié ces paroles : il n’est pas ici question d’un événement à venir, pour lequel on nous demande notre croyance : il s’agit d’un fait accompli que nous pouvons voir de nos yeux. Les Juifs ont fait souffrir le Christ : ils se sont laissé dominer par l’orgueil contre lui. En quel endroit ? Dans la ville de Jérusalem. Ils y étaient les maîtres : voilà pourquoi ils s’y montraient si orgueilleux : voilà pourquoi ils y levaient si hautement la tête. Après la passion du Sauveur, ils en ont été arrachés, et ils ont perdu le royaume à la tête duquel ils n’ont pas voulu placer le Christ. Voyez comme ils sont tombés dans l’opprobre : les voilà dispersés au milieu de toutes les nations, incapables de s’établir n’importe où, ne tenant nulle part une place fixe. Il reste encore assez de ces malheureux Juifs pour porter en tous lieux nos livres saints, à leur propre confusion. Quand, en effet, nous voulons prouver que le Christ a été annoncé par les Prophètes, nous montrons aux païens ces saintes lettres. Les adversaires de notre foi ne peuvent nous reprocher, à nous chrétiens, d’en être les auteurs et de les avoir fait parfaitement concorder avec l’Évangile, afin de faire croire que ce que nous prêchons avait été prédit d’avance : car la vérité de notre Évangile ressort avec évidence de ce fait palpable, que toutes les prophéties relatives au Christ sont entre les mains des Juifs, et qu’ils les possèdent toutes. Par là, des ennemis nous fournissent eux-mêmes, dans ces Écritures divines, des armes pour réfuter et convaincre d’autres ennemis. Quelle honte leur a donc été infligée ? C’est qu’ils sont les dépositaires des livres où le chrétien trouve le fondement le plus solide de sa foi. Ils sont nos libraires : ils ressemblent à ces serviteurs qui portent des livres derrière leurs maîtres : ceux-ci les lisent à leur profit : ceux-là les portent sans autre bénéfice que la fatigue d’en être chargés. Tel est l’opprobre infligé aux Juifs : voilà comme s’accomplit en eux cette prédiction si ancienne : « Il a fait tomber dans l’opprobre ceux qui me foulaient aux pieds ». Quelle honte pour eux, mes frères, de lire ce verset, et de ressembler à des aveugles qui se trouvent en face d’un miroir ! Devant les saintes Écritures, dont ils sont les dépositaires, les Juifs sont dans une condition analogue à celle d’un aveugle devant un miroir : on l’y voit, et il ne s’y voit pas lui-même. « Il a fait tomber dans l’opprobre ceux qui me foulaient aux pieds ».
10. En entendant ces paroles : « Du haut du ciel il a envoyé et m’a sauvé », tu as cherché peut-être à savoir ce qu’il a pu envoyer du ciel ; qui il a envoyé de ce bienheureux séjour. A-t-il député un ange pour sauver le Christ ? Est-ce bien au serviteur à sauver son maître ? Tous les anges sont des créatures mises au service du Christ. Dieu a pu les envoyer pour obéir à ses ordres et le servir : mais ils n’ont point reçu la mission de lui venir en aide, car il est écrit que les anges le servaient[274]. En cela ils n’imitaient point l’homme charitable, qui soulage un indigent : ils remplissaient à l’égard du Tout-Puissant l’office de serviteurs assujettis à son autorité suprême. « Il m’a sauvé » : qu’a-t-il donc « envoyé du ciel ? » Le voici, car le verset suivant nous le dit : « Du haut du ciel il a envoyé sa miséricorde et sa vérité ». Dans quel but ? « Et il a arraché mon âme du milieu des jeunes lionceaux ». « Il a », dit-il, « envoyé du ciel sa miséricorde et sa vérité » ; et le Sauveur ajoute : « Je suis la vérité[275]2 ». Dieu a donc envoyé sa vérité pour arracher mon âme de ce lieu de douleurs, du milieu des jeunes lionceaux : il a, pour la même raison, envoyé sa miséricorde. Nous voyons, dans nos saints livres, que le Christ est tout à la fois miséricorde et vérité ; miséricorde, pour compatir à nos misères ; vérité, pour accomplir les promesses qu’il nous a faites. N’est-ce point ce que j’ai dit tout à l’heure, quand j’ai affirmé qu’il s’est ressuscité lui-même ? Car si c’est la vérité qui a ressuscité le Sauveur ; si c’est la vérité qui a arraché son âme du milieu des lionceaux, comme c’est la miséricorde qui l’a porté à mourir pour nous : la vérité l’a de la même façon retiré vivant d’entre les morts pour notre justification. De fait, il avait annoncé qu’il ressusciterait, et la vérité ne saurait mentir : et parce qu’il était la vérité, parce qu’il n’était pas menteur, il montra à ses Apôtres des cicatrices véritables, car il avait reçu de véritables blessures. Les disciples touchèrent ces cicatrices, ils y portèrent les mains, ils les examinèrent de leurs propres yeux. Après avoir mis ses doigts dans son côté ouvert, l’un d’eux s’écria : « Mon Seigneur et mon Dieu[276] ! » Sa miséricorde l’avait porté à mourir pour ce disciple : la vérité le porta à ressusciter encore pour lui. « Il a envoyé du ciel sa miséricorde et sa vérité, et il a arraché mon âme du milieu des jeunes lionceaux ». Qu’était-ce que ces jeunes lionceaux ? C’était ce peuple dégradé, indignement trompé et séduit par les princes des prêtres : les lions, les jeunes lionceaux n’étaient autre que ces mêmes princes. Tous ont frémi : tous ont mis le Christ à mort. La suite de ce psaume va nous apprendre leur triste fin.
11. « Et il a arraché mon âme du milieu des jeunes lionceaux ». Pourquoi dis-tu : « Et il a arraché mon âme ? » À quelles épreuves ton âme avait-elle été soumise pour en être arrachée ? « J’ai dormi dans le trouble ». Par ces paroles, Jésus-Christ marque sa mort. À la vérité, nous lisons que David s’est réfugié dans une caverne, mais le texte sacré ne nous dit pas qu’il y ait dormi. Autre est ce David qui s’est caché dans une caverne ; autre est ce David qui a dit : « J’ai dormi dans le trouble ». L’Évangile nous parle de ce trouble, qui venait non de lui-même, mais de ceux qui le tourmentaient. Il dit qu’il a été troublé, moins pour exprimer l’état d’une âme qui ne tremblait réellement pas, que pour faire connaître les pensées de ses ennemis à son égard. Ils s’imaginaient l’avoir troublé et vaincu ; mais, quoique dans le trouble, il dormait. Au milieu du trouble il était si calme qu’il dormait à son gré. Quand on est agité, on ne dort pas : aussi, tous ceux qui éprouvent du tourment se réveillent-ils bientôt, ou se trouvent-ils dans l’impossibilité absolue de se livrer au sommeil. Pour Jésus, il fut troublé, et néanmoins il dormit. Humilité infinie d’un Dieu, qui veut bien se laisser ainsi troubler ! puissance plus grande encore de celui qui est capable de dormir dans un pareil trouble ! D’où lui venait ce pouvoir de dormir ? Il le dit lui-même : « J’ai le pouvoir de donner mon âme, et j’ai celui de la reprendre ; personne ne me la ravit malgré moi : c’est moi – même qui la donne et qui la reprends ensuite[277] ». Ses ennemis le troublaient, et lui dormait. Adam préfigurait le Christ quand Dieu lui envoya un sommeil pour tirer de son côté la première femme[278]. Dieu ne pouvait-il pas tirer du côté du premier homme la femme qu’il lui destinait, sans avoir besoin de l’endormir ? Ou bien voulut-il qu’Adam fût plongé dans le sommeil, pour ne point lui laisser sentir qu’il lui enlevait une côte ? Enfin, quel est l’homme assez profondément endormi pour ne pas s’éveiller au moment où l’un de ses os se brise ? Celui qui a pu enlever une côte à un homme endormi sans lui faire éprouver aucune douleur, aurait certainement pu agir de même à l’égard d’un homme éveillé. Mais pourquoi Dieu at-il voulu envoyer un sommeil à Adam, pour le moment où il devait lui prendre une de ses côtes ? Parce qu’au moment où le Christ dormait sur l’arbre de la croix, une Épouse a été tirée pour lui de son côté ; pendant qu’il était attaché à la croix, on lui perça le côté avec une lance[279], et de cette plaie découlèrent les sacrements de l’Église. « J’ai dormi dans le trouble ». Dans un autre psaume il s’exprime clairement à cet égard : « Je me suis endormi », dit-il, « et j’ai pris du repos ». Il marque bien ici sa puissance, car il aurait pu se borner à dire, comme il vient de le faire : « Je me suis endormi ». Quel est donc le sens de ces paroles : « Je me suis endormi », sinon : « Je me suis endormi », parce que je l’ai bien voulu. Ce né sont point mes ennemis qui m’ont forcé à dormir contre mon gré : je me suis laissé aller au sommeil, parce que tel a été mon bon plaisir : car « j’ai le pouvoir de donner mon âme et j’ai celui de la reprendre » ; c’est pourquoi il ajoute : « Je me suis endormi et j’ai pris du repos, et je me suis éveillé, parce que le Seigneur m’a pris sous sa garde[280] ».J’ai dormi dans le « trouble ». D’où lui venait ce trouble ? Qui est-ce qui le tourmentait ? Voyons en quels termes il reproche le mauvais état de leur conscience aux Juifs qui cherchaient à s’excuser de la mort du Christ. Suivant le récit de l’Évangile, ils le traduisirent au tribunal du gouverneur romain, pour ne pas être accusés de l’avoir condamné à mort. Aussi, quand Pilate leur eut dit : « Prenez cet homme, et jugez-le vous-mêmes selon votre loi », répondirent-ils : « Il ne nous est permis de faire mourir personne[281] ». une leur était pas permis de mettre à mort le Christ ; leur était-il plus permis de le traîner aux pieds d’un juge, pour le faire condamner au dernier supplice ? Qui est-ce qui s’est rendu coupable de déicide ? Est-ce celui qui a cédé devant les clameurs d’un peuple en déliré ? N’est-ce pas plutôt ce peuple qui, par ses cris furieux, a extorqué d’un juge pusillanime une condamnation à mort ? Appelons-en au témoignage du Sauveur lui-même ; qu’il nous fasse connaître les vrais auteurs de sa mort. Prononcera-t-il le nom de Pilate ? Mais il a condamné malgré lui le Christ. Sans doute, il l’a fait frapper de verges et revêtir d’une tunique méprisable ; et, après cela, il l’a fait exposer à leurs regards ; mais dans quel but ? C’était afin que leur rage, assouvie par le spectacle de ses blessures sanglantes, n’exigeât pas de sa faiblesse une suprême condamnation. Voilà pourquoi, en les voyant persister à réclamer la mort de leur victime, il lava ses mains, comme nous le voyons dans l’Évangile, et s’écria : « Je suis innocent du sang de ce juste[282] ». À ton avis, Pilate, qui a cédé aux cris de la multitude, est-il innocent ?. Non : mais incontestablement ceux-là sont encore plus coupables, qui ont obtenu par leurs cris son sanglant supplice. Interrogeons le Sauveur, écoutons-le : il nous dira à qui il attribue sa mort, car il a dit : « J’ai dormi dans le trouble ». Interrogeons-le, et disons-lui : Puisque vous avez dormi dans le trouble, apprenez-nous quels sont ceux qui vous ont persécuté et fait mourir. Est-ce bien Pilate qui vous a livré aux soldats pour vous faire attacher à la croix et transpercer de clous ? Écoute, il va te le dire. Ce sont « les enfants des hommes ». Il désigne évidemment par là ceux qui l’ont fait souffrir. Mais comment ont-ils pu le faire mourir, puisque leur main n’était point armée ? lls n’ont pas tiré l’épée contre lui ; ils ne se sont point précipités sur sa personne ; et, pourtant, ils l’ont fait mourir : voici comment. « Leurs dents sont des armes et des traits perçants ; leur langue est une épée tranchante ». Remarquez-le bien : si leurs mains sont dépourvues d’armes, leur bouche est armée. C’est de là qu’est sorti le glaive qui a tué le Christ, comme, de la bouche du Christ, est sortie l’épée qui a donné la mort au peuple juif. Car le Sauveur est armé d’une épée à deux tranchants : par sa résurrection il en a frappé ses ennemis, et il a tiré du milieu d’eux ceux qu’il prédestinait à la foi[283]. L’épée des Juifs était malfaisante, celle du Christ était salutaire ; les flèches des uns donnaient la mort, les flèches de l’autre communiquaient la vie : car il tient en ses mains des traits bienfaisants : ce sont ses paroles saintes, avec lesquelles il blesse les cœurs, afin de s’en faire aimer. Bien différentes sont les flèches de ses ennemis : bien autre est leur glaive. « Les dents des enfants des hommes sont des armes et des traits perçants : leur langue est une épée tranchante ». La langue des enfants des hommes est une épée tranchante : leurs dents sont des armes et des traits perçants. À quel moment les ont-ils mis en œuvre, sinon quand ils ont crié : Crucifiez-le ! Crucifiez-le[284] !
13. Mais, ô mon Dieu, quel mal vous ont-ils fait ? Que le Prophète se livre maintenant aux transports de la joie. Dans tous les versets que nous venons d’expliquer, c’était Dieu qui parlait : nous entendions le Prophète, mais il nous parlait au nom de Dieu : Dieu était en lui. Mais quand le Prophète nous parle en son propre nom, le Seigneur se sert de lui comme d’un organe, car il lui dicte la vérité qu’il doit annoncer. Maintenant donc, mes frères, écoutons le Prophète nous parlant en son propre nom. Le Prophète avait vu en esprit le Seigneur Jésus humilié, sanglant, frappé de verges, couvert de crachats, privé de l’usage de ses mains, souffleté, couronné d’épines, attaché à la croix : il avait vu la cruauté de ses ennemis et sa patience, leur joie insensée et son apparente défaite ; et, après tant d’humiliations de sa part, et tant de rage furieuse de la leur, il avait vu sa résurrection, et l’inanité des tourments dont les Juifs l’avaient accablé : alors, transporté de joie à la vue d’un spectacle qui semblait s’étaler sous ses yeux, il s’écrie : « O Dieu, élevez-vous au plus haut des cieux ! » Attaché à la croix en tant qu’homme, et comme Dieu, élevé au plus haut des cieux, voilà le Christ, Que vos ennemis restent sur la terre : pour vous, montez au plus haut des cieux, afin de les juger. Que sont devenus ces furieux ? Où sont leurs dents tranchantes comme des épées, et perçantes comme des flèches ? Est-ce « que les blessures qu’ils ont faites, ne ressemblent pas aux blessures que les enfants font avec leurs flèches ? » Le Psalmiste s’exprime ainsi dans un autre endroit pour montrer l’inutilité de leurs mauvais traitements et des fureurs auxquelles ils se sont abandonnés.
Ils n’ont pu nuire à celui qui a été crucifié un moment, mais qui est bientôt sorti vivant du tombeau pour aller s’asseoir dans le ciel : « Les blessures qu’ils ont faites, ressemblent donc aux blessures que les enfants font avec leurs flèches[285] ». Avec quoi les enfants se font-ils des flèches ? Avec des roseaux. Et alors, quelles flèches ! quelle force quel arc ! quels coups ! quelles blessures ! « Seigneur, élevez-vous au plus haut des cieux, et que votre gloire se répande sur toute la terre ! » Pourquoi, Seigneur, êtes-vous élevé au plus haut des cieux ? Mes frères, nous ne voyons pas que Dieu soit élevé au plus haut des cieux, mais nous le croyons ; que sa gloire soit au-dessus de toute la terre, nous le croyons et nous le voyons. Veuillez remarquer le lamentable aveuglement des hérétiques. Ils se sont séparés de l’unité de l’Église de Jésus-Christ : ils tiennent à une partie et perdent le tout ; ils refusent d’être en communion avec cet univers où s’est répandue la gloire du Sauveur. Nous autres catholiques, nous sommes partout, parce que d’un bout du monde à l’autre, partout où s’est manifestée la gloire de Jésus-Christ, on nous trouve unis par les liens d’une même foi. Nous voyons aujourd’hui l’accomplissement de cette prophétie de David : « Notre Dieu est élevé au plus haut des cieux, et sa gloire est répandue sur toute la terre ». O hérésie insensée ! tu crois avec moi ce que tu ne vois pas, et tu ne crois pas ce qui se passe sous tes yeux ? Tu crois avec moi que le Christ est élevé au plus haut des cieux, quoique nous ne le voyions pas ; et tu nies que sa gloire soit répandue sur toute la terre, et néanmoins, il suffit d’ouvrir les yeux pour le voir. « Élevez-vous, Seigneur, au plus haut des cieux, et que votre gloire se répande sur toute la terre ».
14. Le Prophète laisse de nouveau parler le Seigneur. Pendant que le Prophète se livre aux transports de la joie et s’écrie : « Élevez-vous, Seigneur, au plus haut des cieux, et que votre gloire se répande sur toute la terre », Dieu lui-même commence à nous entretenir : il nous affermit et semble nous dire : Quel mal m’ont fait ceux qui me persécutaient ? Pourquoi nous adresse-t-il ces paroles ? Parce que nos ennemis nous persécutent aussi : mais ils ne réussiront pas davantage à nous nuire. Que votre charité écoute le Sauveur : il nous parle et nous encourage par son exemple. « Ils ont préparé un piège à mes pieds ; ils ont courbé mon âme[286] ». Ils ont voulu comme l’arracher du ciel et la précipiter dans les abîmes de la terre. « Ils ont courbé mon âme. Ils ont creusé une fosse devant moi, et y sont eux-mêmes tombés ». Est-ce à moi ou à eux-mêmes qu’ils ont nui ? Le Christ s’est montré Dieu, car il s’est élevé au plus haut des cieux, et sa gloire s’est répandue sur toute la terre. Nous voyons son règne : où se trouve le royaume des Juifs ? Parce qu’ils ont fait ce qu’ils ne devaient pas faire, ils ont été punis comme ils le méritaient. « Ils ont creusé une fosse et y sont eux-mêmes tombés ». Ils ont persécuté le Christ ; il n’en a pas souffert : eux seuls en ont pâti. Toutefois, mes frères, n’allez pas vous imaginer qu’une telle punition soit pour les seuls Juifs, car quiconque prépare un piège pour son frère, doit nécessairement y tomber le premier. Faites-y bien attention, mes frères ; considérez les choses en chrétiens, et ne vous laissez point séduire par les apparences. Parce que je vous parle de la sorte, quelqu’un d’entre vous pense peut-être à tel ou tel homme, qui a voulu tromper son frère ou lui tendre des pièges. Cet homme a tenté, en effet, de tromper le prochain, et il y a réussi : son frère est tombé dans les embûches qu’on lui avait tendues ; il s’est vu dépouiller de son bien, jeter en prison, accabler par de faux témoignages, enlacer dans des accusations capables de compromettre son honneur et sa vie. Le premier semble avoir joué le rôle d’oppresseur ; le second, celui d’opprimé ; celui-ci paraît avoir eu le dessous ; celui-là, le dessus : et alors, on croirait volontiers à une erreur, à une fausseté de ma part, parce que j’ai dit que celui qui prépare un piège à son frère, y tombe infailliblement le premier. Je m’adresse ici à des chrétiens : cherchez donc la preuve de ce que je vous dis dans les événements du passé que vous avez appris à connaître elle s’y trouve. Les païens ont persécuté les martyrs : on s’est emparé de ces défenseurs de la foi, on les a chargés de chaînes, on les a jetés en prison ; ils se sont vu envoyer aux bêtes : les uns ont fini par le fer, les autres par le feu. Les persécuteurs ont-ils vraiment remporté la victoire : les martyrs ont-ils été véritablement vaincus ? Non. L’auréole de la gloire couronne les martyrs dans le sein de Dieu : pour les païens, le piège où ils sont tombés, c’est l’abîme de leur conscience : car voilà bien le précipice où se jettent les impies, une conscience pervertie et troublée. N’est-ce point tomber dans un précipice, que de n’avoir plus pour guide le flambeau de la foi chrétienne, et d’être ainsi frappé d’aveuglement ? Oserais-tu le croire ? Si l’on n’était tombé dans le piège, on verrait devant soi. On ne sait pas plus où l’on va que le voyageur qui s’est jeté dans un trou, et qui a perdu son chemin. Ainsi en est-il de tous les méchants : en s’engageant dans la voie du crime, ils se sont écartés du droit chemin.
Mais ton ennemi est peut-être déjà parvenu à te livrer aux mains des voleurs, de gens injustes, ou de juges circonvenus par lui : pendant que ton âme est noyée dans l’affliction, il est dans la joie, il s’abandonne aux transports de l’allégresse. Prends-y garde, je te l’ai déjà dit : ne considère pas les choses avec les idées d’un païen : vois-les d’un œil chrétien. Ton adversaire se livre à la joie cette joie même est la fosse où il tombe. La tristesse d’un homme qui souffre injustement, est de beaucoup préférable à la joie d’un méchant qui fait le mal. La joie à laquelle le méchant s’abandonne, est vraiment le précipice où il se jette : une fois qu’il y est tombé, il ne voit plus rien ; il est devenu aveugle. Tu te lamentes, pour avoir perdu tin vêtement : ton frère a perdu la foi, et tu ne verses aucune larme sur lui ? En est-il un seul parmi vous qui ait fait une perte semblable ? Ton ennemi t’assassine, tu tombes sous ses coups : vit-il ? Es-tu mort ? Non. Chrétiens, qu’avez-vous fait de votre foi ? Que devient celui qui meurt corporellement ? Écoutez le Seigneur ; il vous dit : « Celui qui croit en moi vivra, lors même qu’il mourrait »[287]. Par une conséquence naturelle, celui qui ne croit pas est mort, lors même qu’il est vivant. « Ils ont creusé une fosse devant moi, et ils y sont eux-mêmes tombés ». Il faut nécessairement qu’il en soit ainsi à l’égard de tous les méchants.
15. Par leur patience les bons ont le cœur toujours prêt à faire la volonté de Dieu ; ils mettent leur gloire à souffrir, et ils disent : « Mon cœur est prêt, Seigneur[288] ; mon cœur est prêt : je chanterai et je psalmodierai vos louanges ». Comment mon ennemi s’est-il conduit à mon égard ? Il m’a tendu un piège : mais mon cœur est prêt. Il a préparé une fosse devant moi, pour m’y faire tomber, et je ne préparerais pas mon cœur à souffrir ses ruses méchantes ? Il a préparé une fosse devant mes pieds, afin de m’opprimer, et je ne préparerais pas mon cœur à le supporter ? Puisqu’il a creusé cette fosse, il y tombera pour moi, je chanterai et je psalmodierai. Écoute l’Apôtre : son cœur était prêt, car il imitait parfaitement le Seigneur son Dieu. « Nous nous glorifions », dit-il, « dans l’affliction, car l’affliction produit la patience, la patience produit la pureté, la pureté produit l’espérance, et l’espérance ne confond point, parce que l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit, qui nous a été donné[289] ». Il souffrait, il était chargé de chaînes, jeté en prison, accablé de coups, éprouvé par la faim, la soif, le froid et la nudité, surchargé enfin de travaux et de douleurs[290] et, pourtant, il disait : « Nous nous glorifions dans nos afflictions ». Comment pouvait-il parler de la sorte, sinon parce que son cœur était prêt ? C’est pourquoi il chantait et psalmodiait. « Mon cœur est prêt, Seigneur ; mon cœur est prêt ; je chanterai et je psalmodierai vos louanges ».
16. « Réveillez-vous, ma gloire[291] ». Ainsi s’exprime celui qui s’était réfugié dans une caverne, loin de la présence de Saül. « Réveillez-vous, ma gloire ». Que Jésus soit glorifié après sa passion. « Réveillez-vous, ma harpe et mon luth ». Qui est-ce qu’il invite à se réveiller ? Je vois bien ici deux instruments de musique, mais je ne vois dans le Christ qu’un seul corps : une seule chair est ressuscitée, tandis que nous voyons se lever la harpe et le luth. Autre est la harpe, autre est le luth. On nomme instruments de musique tous les objets qui contribuent à cet art ; qu’ils soient de grande dimension et se gonflent à l’aide du vent, peu importe ; pourvu qu’ils servent à moduler des airs et qu’on puisse les saisir, on les appelle ainsi, quelle que soit d’ailleurs leur forme. Tous ces instruments sont différents les uns des autres : je voudrais, autant que Dieu me le permettra, vous faire comprendre en quoi consiste cette différence, vous en expliquer la raison et vous montrer pourquoi le Prophète dit à tous : « Levezvous ». Nous en avons déjà fait la remarque : il n’y a eu, en Jésus-Christ, qu’un seul corps pour ressusciter, tandis que le Psalmiste dit : « Levez-vous, ma harpe et mon luth ». Pour la harpe, celui qui en joue la porte dans ses mains : ses cordes sont tendues mais l’endroit d’où elles tirent leurs sons, et le bois concave qui pend et qui résonne, dès qu’on le touche, parce qu’il reçoit l’air, se trouvent à l’extrémité supérieure de cet instrument. Le luth, au contraire, porte à son extrémité inférieure ce bois concave et sonore. Dans la harpe, les cordes reçoivent donc d’en haut leurs sons : dans le luth, elles les reçoivent d’en bas : entre ces deux instruments, voilà toute la différence. Que nous représentent-ils l’un et l’autre ? Le Christ, notre Seigneur et notre Dieu, réveille sa harpe et son luth, et il dit : « Je me lèverai dès le matin ». Vous voyez là, sans doute, une allusion à sa résurrection, car nous connaissons l’Évangile, et vous savez à quelle heure il est sorti du tombeau. Combien de temps chercherons-nous encore le Sauveur au milieu des ténèbres ? Le jour est venu, reconnaissons-le donc : il est ressuscité dès le matin ». Mais que signifient la harpe et le luth ? Le Christ s’est servi de son corps pour deux sortes d’œuvres bien différentes : pour opérer des miracles, et pour endurer des tourments. Les miracles venaient d’en haut : les souffrances venaient d’en bas.

DISCOURS SUR LE PSAUME 57[modifier]

SERMON AU PEUPLE.[modifier]

RESPECT DE LA JUSTICE ET DE LA VÉRITÉ.[modifier]

C’est une loi naturelle de respecter les droits de la justice et de la vérité, car ils sont inscrits dans le cœur humain et doivent se refléter dans la conduite. Mais les actes démentent trop souvent les principes. Les Juifs, les hérétiques et les pécheurs en donnent la preuve par leur astucieux entêtement à ne rien entendre qui les éclaire ou les gêne ; mais leur malice se retourne contre eux, et, pour les punir, Dieu se contente de les abandonner aux passions de leur cœur, qui les aveuglent et les font cruellement souffrir. Puissions-nous profiter de leur exemple et mettre en pratique les leçons de la justice et de la vérité !


1. Nous devrions bien plutôt écouter qu’expliquer les paroles que nous venons d’entendre Il semblerait que la vérité fait un discours au genre humain tout entier, car elle dit à tous : « Si vous parlez vraiment selon la justice, enfants des hommes, soyez justes dans vos jugements ». Est-il, en effet, rien de plus facile, n’importe à quel scélérat, que de parler selon la justice ? Interrogez le premier venu sur une affaire de justice : si ses intérêts ne sont pas en cause, ne vous donnera-t-il pas facilement une réponse conforme aux règles de l’équité ? La raison en est simple : au moment où la main du Créateur nous tirait du néant, la Vérité a écrit, au fond de nos cœurs, ces paroles : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse[292] ». Personne ne pouvait ignorer ce principe, même avant que Dieu donnât sa loi, car il devait servir à juger ceux-là mêmes à qui la loi n’avait pas été donnée. Mais, afin d’empêcher les hommes de se plaindre, et de dire qu’il leur avait manqué quelque chose pour opérer leur salut, on écrivit sur des tables ce qu’ils ne lisaient plus dans leurs cœurs. Ce principe y était gravé, mais ils ne voulaient pas le lire. On plaça donc sous leurs yeux ce qu’ils seraient obligés d’apercevoir dans leur conscience : la voix que Dieu lui fit entendre au-dehors, força l’homme à rentrer en lui-même, selon cette parole de nos livres saints : « L’impie sera interrogé dans ses pensées[293] ». Où se rencontre une interrogation, là se trouve une loi. Les hommes, recherchant les biens extérieurs, sont comme sortis hors d’eux-mêmes : alors, on leur a donné une loi extérieure, une loi écrite : il ne faudrait pas conclure de là qu’il n’y avait pas de loi gravée dans le cœur humain : seulement, ô homme, comme tu avais pris la fuite, et que tu t’étais éloigné de ton propre cœur, le Dieu qui se trouve partout arrête ta course vagabonde, et te force à rentrer en toi-même. Aussi, comment la loi écrite parle-t-elle à ceux qui ont méconnu la loi gravée dans leurs cœurs[294] ? Le voici : « Violateurs de la loi, rentrez en vous-mêmes[295] ». Qui est-ce qui t’a appris à ne pas vouloir qu’un autre s’approchât de ta femme ? qui est-ce qui t’a appris à ne pas vouloir qu’on te vole ? qui est-ce enfin qui t’a appris à ne pas vouloir qu’on te fasse souffrir une injustice ou mille autres mauvais procédés dont on pourrait parler en général et en particulier ? On pourrait interroger les hommes sur une multitude de choses, et leur demander, relativement à chacune d’elles, s’ils voudraient les souffrir : et ils répondraient aussitôt, à haute et intelligible voix : Non, je ne consentirai pas à cela. Mais, si tu ne veux pas te soumettre à ce mauvais traitement, crois-tu que tu sois le seul homme vivant ? Est-ce que tu ne vis pas en société avec le genre humain tout entier ? Celui qui a été créé par la même main que toi, est ton frère : nous avons tous été créés à l’image de Dieu, et cette image subsiste en nous, à moins que nous n’ayons détruit l’œuvre du Créateur par des passions basses et terrestres. Par conséquent, « ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse ». Ce que tu ne veux pas souffrir de la part des autres, tu le trouves mauvais ; une loi intérieure, gravée dans ton cœur, te force à le reconnaître. Mais tu le faisais toi-même, et celui qui en souffrait se plaignait hautement de tes violences. Pourquoi es-tu obligé de rentrer en toi-même, dès qu’un autre t’inflige les mêmes mauvais traitements ? Le vol est-il légitime ? Non. Je demande si l’adultère est une bonne action, et tous s’écrient : Non. L’homicide est-il permis ? Tous répondent encore : Nous le détestons. Est-il beau de désirer le bien d’autrui ? Il n’y a qu’une voix pour dire : Non. Si tu n’en conviens pas encore avec les autres, qu’un homme désire avoir injustement ce qui t’appartient : tu ne trouves rien de répréhensible dans sa conduite ? Alors, tu es libre de répondre comme il te plaira. Il y a donc parmi les hommes, et sur ces différents, points, unanimité à dire que de pareilles choses ne sont pas bonnes. Nous pouvons raisonner de la même manière au sujet de toute bonne action, qu’il s’agisse de rendre service, de faire du bien, ou qu’il soit simplement question de ne faire aucun tort au prochain. Je parle à un homme qui a faim, je lui dis : Tu souffres de la faim ; un autre, ton voisin, a du pain ; il en possède au-delà du nécessaire, il sait que tu en as besoin, il ne t’en donne pas ; sa conduite te déplaît, parce que tu as faim ; auras-tu le droit de dire que tu fais bien, quand, ayant le nécessaire, tu refuseras de secourir un frère que tu vois dans le besoin ? Un étranger arrive dans ton pays, ne sachant où il prendra son repos ; on ne le reçoit nulle part ; il accuse hautement d’inhumanité les habitants de cette ville ; il prétend que des barbares l’auraient mieux reçu. Il sent vivement l’injustice dont il a à souffrir : pour toi, tu ne la sens peut-être pas : ce que tu as à faire, c’est de te mettre, par la pensée, à la place de cet étranger, – et alors tu comprendras comment on peut trouver mauvais de ne pas recevoir ce que tu refuses dans ton pays à un voyageur inconnu. Je vous le demande à tous : est-ce vrai ? Oui. Est-ce juste ? Oui, encore.
2. Mais écoutez le Psalmiste : « Si ce que vous « dites est vraiment juste, enfants des hommes, soyez justes dans vos jugements ». Soyez justes, non pas seulement en paroles, mais encore en actions. Si tu parles d’une manière et que tu agisses de l’autre, tes paroles sont bonnes, mais tes jugements sont mauvais. Je te demande lequel vaut mieux, de l’or ou de la fidélité ? Comme tu n’es ni perverti ni ennemi de la vérité, au point de donner la préférence à l’or, tu réponds à ma demande en te déclarant pour la fidélité : tu parles alors selon la justice. As-tu entendu le Psalmiste ? « Si ce que vous dites est vraiment juste, enfants des hommes, soyez justes dans vos jugements ». Quelle preuve donner de la différence qui se trouve entre tes jugements et tes paroles ? J’ai déjà reçu de toi un témoignage non équivoque de la préférence que tu donnes à la fidélité. Mais voilà qu’un ami est venu je ne sais d’où pour te visiter, et, en l’absence de tout témoin, il t’a confié un trésor. Personne, du moins du côté des hommes, personne, si ce n’est lui et toi, ne connaît cet acte de confiance. Il y avait là pourtant un témoin, un témoin invisible, mais un témoin qui voit tout. Avant de remettre en tes mains son trésor, ton ami a eu peut-être soin d’écarter toute autre personne : il t’a conduit dans un endroit secret, dans la chambre où tu couches : mais ce témoin du dépôt, qu’on ne voit point dans l’intérieur d’une chambre à coucher, habite le fond de vos consciences. Ton ami, après t’avoir confié la somme d’argent dont il s’agit, a repris le chemin de sa demeure, gardant à cet égard un silence absolu vis-à-vis des membres de sa famille, espérant d’ailleurs revenir au moment opportun, et rentrer en possession de son bien, car un homme doit-il tromper ceux avec lesquels il est lié d’affection ? Cependant, comme les choses de ce monde sont fragiles, cet homme vient à mourir laissant un fils pour hériter de lui : cet enfant ne sait ce que possédait son père ; il ignore le dépôt confié à la garde de ta bonne foi. Homme prévaricateur, rentre ; oui, rentre dans ton cœur : une loi s’y trouve écrite ; cette loi, la voici : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse ». Suppose que tu es l’auteur même du dépôt, que tu n’en as rien dit à aucun des tiens, et qu’en mourant tu as laissé un fils : quel procédé aurais-tu le droit d’attendre de la part de ton ami ? Réponds-moi : prononce toi-même la sentence. En ton âme est dressé le tribunal du juge : le Seigneur Dieu y est assis : ta conscience fait l’office d’accusateur : le bourreau, c’est la crainte. Tu vis au milieu d’intérêts humains : tu fais société avec des hommes : vois donc quelle manière d’agir tu exigerais de ton ami à l’égard de ton fils. Je sais bien ta pensée, je connais ta réponse qu’elle te serve donc de guide pour prononcer ton jugement. Prononce la sentence : elle sera juridique. La vérité ne sait pas se taire : ses déclarations viennent de plus loin que les lèvres : elles viennent du cœur ; prêtes-y l’oreille, et conforme à ses décisions la conduite que tu tiendras envers le fils de ton ami. Forcé par le besoin, cet enfant est peut-être devenu un vagabond : il ne sait ce que possédait son père : il ignore quel usage il a fait de son bien : ou ne lui a jamais dit en quelles mains il en a fait le dépôt. Suppose qu’il est ton fils : tu méprises son père, parce qu’il est mort : agis comme si ce père était vivant, et, afin de ne point perdre la vie de l’âme, conduis-toi de la même manière que tu désirerais voir dans les autres, si tu venais à mourir. Mais l’avarice donne des conseils bien différents : elle commande des choses contraires à la loi de Dieu. Autres sont les ordres du Seigneur ; autres ceux de l’avarice. Dans le paradis, notre Créateur nous enjoint ses volontés : le serpent séducteur, venant à l’encontre, enjoint le contraire. Rappelle en ta mémoire ta première chute en Adam : c’est à cause d’elle qu’il te faut mourir, souffrir, manger ton pain à la sueur de ton front : c’est à cause d’elle que la terre se couvre pour toi de ronces et d’épines[296]. Puisses-tu trouver dans les leçons de l’expérience la sagesse que tu n’as pas voulu puiser dans les préceptes du Seigneur ! Néanmoins la cupidité l’emporte : pourquoi la vérité n’est-elle pas la plus puissante ? Que sont aussi devenues ces paroles, si conformes à la justice, que tu prononçais tout à l’heure ? Je te vois résolu à nier le dépôt confié à tes soins : tu n’as d’autre pensée que celle d’en frustrer l’héritier de ton ami. Il n’y a qu’un instant, je t’avais demandé lequel tu aimais le mieux, lequel tu préférais de l’or ou de la bonne foi : pourquoi parler d’une manière et agir de l’autre ? Ce passage du psaume ne t’inspire-t-il aucune crainte ? « Si vous parlez vraiment selon la justice, enfants des hommes, soyez justes dans vos jugements ». Tu m’as dit que la bonne foi est de beaucoup la meilleure, et voilà que dans ton jugement tu donnes la préférence à l’or. Tes paroles ne laissaient pas supposer de ta part une semblable manière d’agir : tes paroles sont justes, tes jugements sont faux. Quand tu parlais ainsi d’après les règles de la justice, tu parlais donc contre ta façon de penser ! « Si vous parlez vraiment selon la justice, enfants des hommes, soyez justes dans vos jugements ». En me répondant d’une manière aussi juste, tu parlais donc par respect humain et sans franchise.
3. Mais il en est temps, mes frères ; arrivons, s’il vous plaît, au sujet de ce psaume. Les paroles qu’il renferme sont pleines de douceur : l’Église les connaît parfaitement, parce qu’elles ont souvent retenti à ses oreilles. Ce sont les paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ : ce sont les paroles de tout son corps : ce sont celles de l’Église militante, de cette Église qui voyage comme exilée sur la terre, à travers mille écueils, au milieu d’ennemis qui la flattent et la maudissent. Si tu n’aimes point les adulateurs, tu ne craindras pas davantage ceux qui te feront des menaces. Le Psalmiste a examiné tous les hommes, et il s’est aperçu que tous parlent selon la justice. Qui est-ce qui oserait s’exprimer autrement ? Ne s’exposerait-il pas à passer pour un homme injuste ? Le Prophète semble donc les entendre tous ; on dirait qu’il examine les mouvements de leurs lèvres ; il leur adresse cet avertissement : « Si vous parlez vraiment selon la justice », si vous parlez sincèrement selon la justice, si votre langage ne dément pas les secrètes pensées de votre cœur, « enfants des hommes, soyez justes dans vos jugements ». Écoute l’Évangile, il s’exprime de la même manière que le Psalmiste : « Hypocrites », dit le Sauveur en s’adressant aux Pharisiens, « comment pouvez-vous dire de bonnes choses, puisque vous êtes mauvais ? Ou bien rendez bons l’arbre et ses fruits : ou bien rendez-les mauvais »[297]. Muraille de boue, pourquoi vouloir te blanchir ? Je sais ce que tu es à l’intérieur : tes belles apparences ne me trompent pas. Je sais ce que tu montres : je n’ignore pas davantage ce que tu caches. « Car », suivant le langage de l’Évangile, Jésus-Christ n’avait pas besoin que quelqu’un lui rendît témoignage sur la valeur des hommes, car il savait parfaitement ce qu’il y avait en eux[298] ». « Il n’ignorait pas ce qu’il y avait dans le cœur humain », puisqu’il l’avait créé, qu’il s’était fait homme pour ramener l’homme égaré. Voyez-le donc : n’y a –-t-il pas une liaison surprenante entre toutes ces paroles : « Hypocrites, comment pouvez-vous dire de bonnes choses, puisque vous êtes mauvais ? Si donc vous parlez selon la justice, enfants des hommes, soyez justes dans vos jugements ». Avez-vous tenu le langage de la droiture, quand vous avez dit : « Maître, nous savons que vous êtes juste et que vous ne faites acception de personne[299] ? » Pourquoi votre cœur était-il alors plein de ruse méchante ? Pourquoi, après avoir détruit en vous l’image de votre Créateur, lui présentiez-vous celle de César ? Si l’on a entendu vos paroles, l’expérience a aussi démontré de quelle nature étaient vos jugements ; car, n’avez-vous pas crucifié celui à qui vous donniez le nom de juste ? « Si donc vous parlez vraiment selon la justice, que vos jugements soient justes, ô enfants des hommes ». Pourquoi me dites-vous : « Nous savons que vous êtes juste », puisque je prévois d’avance quel sera votre jugement, puisque vous crierez : « Crucifie-le, crucifie-le ? ». « Si donc vous parlez vraiment selon la justice, enfants des hommes, soyez justes dans vos jugements ». Qu’avez-vous fait, en effet, lorsque vous avez persécuté le Dieu-Homme, et que vous avez mis à mort votre Roi ? De ce que vous l’ayez fait mourir, il ne suivait pas qu’il ne serait pas votre Roi, puisqu’il devait ressusciter. Quand il s’était agi du titre placé sur la croix du Sauveur, et où l’on avait écrit en trois langues différentes, en hébreu, en grec et en latin : « Voici le Roi des Juifs[300] », un juge, qui n’était qu’un homme, avait su répondre : « Ce que j’ai écrit est écrit ». Et Dieu n’aurait pas su dire : Ce que j’ai écrit est écrit ? Oui, il est votre Roi : vivant, il est votre Roi ; crucifié, il est votre Roi ; il est ressuscité, il est remonté au ciel ; et, là encore, il est votre Roi : plus tard, il reviendra, et malheur à vous, car alors il n’aura pas cessé d’être votre Roi. Allez maintenant, parlez selon la justice, et toutefois ne vous mettez pas en peine de juger avec droiture, ô enfants des hommes ! Vous ne voulez pas juger avec droiture : la droiture présidera au jugement qu’on rendra contre vous. Car il vit, votre Roi ; il ne meurt plus : désormais la mort n’exercera plus sur lui son empire[301]. Il vient : « Violateurs de sa loi, rentrez en vous-mêmes[302] ». Il viendra ; corrigez-vous avant sa venue, prévenez son avènement par une humble confession[303]. Il viendra, et il est votre Roi. Souvenez-vous du titre qui a été attaché à sa croix. Vous avez beau ne pas voir l’inscription, elle y est : quoiqu’on ne la lise pas sur la terre, elle se conserve du moins toujours dans le ciel. Pensez-vous que le texte de cette inscription ait été altéré ? Quel est le litre de ce psaume ? « Pour la fin ; ne corromps rien, à David, sur l’inscription du titre ». Cette inscription du titre n’est donc pas altérée. Le Christ, voilà votre Roi, parce qu’il est le Monarque universel ; « parce que la royauté lui appartient et qu’il gouvernera tous les peuples[304] ». Dès lors que vous êtes soumis à sa puissance suprême, il vous avertit avant de venir ; il vous dit : Je ne vous juge pas encore, mais je vous exhorte à penser à vous, Si je vous fais aujourd’hui des menaces, c’est afin de n’avoir pas à vous juger plus tard et à vous punir. « Si donc, ô enfants des hommes, vous parlez vraiment selon la justice, soyez justes dans vos jugements ».
4. Mais comment agissez-vous maintenant ? Pourquoi vous parlé-je ainsi ? « Pendant que vous êtes sur la terre, vous ne travaillez qu’à former dans votre cœur des desseins injustes[305] ». Mais votre cœur est-il bien seul occupé d’injustices ? Écoute ce qui suit : Car les mains suivent le cœur ; elles lui obéissent : l’un réfléchit, les autres agissent : et quand elles n’agissent pas, c’est par impuissance et non par défaut de volonté. Quoique tu ne puisses accomplir tous tes désirs, dès lors que tu les as formés, Dieu t’en tient compte. « Pendant que vous êtes sur la terre, vous ne travaillez qu’à former dans votre cœur des desseins coupables ». Que lis-tu ensuite ? « Avec l’iniquité, vos mains font une chaîne ». « Elles font une chaîne », c’est-à-dire, le péché vient du péché, il engendre à son tour le péché ; la cause en est dans le péché. Expliquons-nous. Un homme s’est rendu coupable de vol, c’est un péché : il a été vu, et il cherche à tuer le témoin de sa mauvaise action : voilà un péché enchaîné à un autre. Si, par un secret jugement de Dieu, il réussit à se défaire, par le meurtre, de cet importun témoin, il sent bien qu’il est connu comme assassin, et alors il prend ses mesures pour en finir avec un homme qui peut déposer contre lui : aux deux premières fautes il en enchaîne une troisième. Sur ces entrefaites, et afin de n’être ni surpris ni convaincu d’avoir commis de tels crimes, il consulte un astrologue. Nouveau péché ajouté aux trois autres. Peut-être l’astrologue lui donne-t-il une réponse désagréable et inquiétante. Il a donc recours à un aruspice, et il le prie de faire pour lui des expiations : celui-ci déclare qu’une expiation lui est impossible ; il faut donc s’adresser à un sorcier. Comptez, si vous le pouvez, tous les anneaux de cette chaîne de péchés. « Avec l’iniquité vos mains font une chaîne ». Jusques à quand te livreras-tu à ce détestable métier ? Jusques à quand ajouteras-tu péché à péché ? Dégage-toi donc ; brise ces chaînes de péchés. Mais, dis-tu, je ne puis. Élevé vers Dieu les cris de ta prière, et dis-lui : « Malheureux que je suis ! qui est-ce qui me délivrera de ce corps de mort[306] ? » La grâce de Dieu viendra en toi, et alors tu trouveras ton bonheur dans le bien, comme tu le trouvais autrefois dans le mal ; et, dégagé de tes chaînes, rendu à la liberté, tu feras monter vers le trône de l’Eternel les accents de ta reconnaissance : « Seigneur, vous avez brisé les liens qui me retenaient captif[307]. Vous avez brisé mes liens », c’est-à-dire, vous m’avez pardonné mes péchés. Vois si les péchés ne sont pas de véritables liens. « Chacun, dit l’Écriture, est embarrassé dans les lacets de ses péchés[308] ». Ce ne sont pas de simples liens, ce sont des lacets : on appelle de ce nom ce qui se fait avec des crins tressés : en d’autres termes, tes péchés s’entrelaçaient les uns dans les autres. « Malheur », dit Isaïe, « malheur à ceux qui traînent leurs péchés comme une longue corde[309] ». Que veulent dire ces paroles : « Malheur à ceux qui traînent leurs péchés comme une longue corde ? » Malheur à ceux qui font une chaîne avec l’iniquité. Nos péchés nous punissent autant qu’ils nous embarrassent : le Seigneur Jésus s’arma d’un fouet fait de cordes pour chasser du temple tous ceux qui y faisaient un trafic indécent[310]. Mais parce que tu ne sens pas le poids de tes chaînes, tu ne yeux pas encore les voir brisées : elles te plaisent, tu trouves en elles ton bonheur ; mais elles te paraîtront bien lourdes, quand le Seigneur dira : « Qu’on lui lie les mains et les pieds, et qu’on le jette dans les ténèbres extérieures : il y aura là pleur et grincement de dents[311] ». Tu te sens saisi d’horreur et d’épouvante ; tu frappes ta poitrine : à ton avis il est mal de commettre le péché, il est beau de pratiquer la vertu. « Enfants des hommes, si vous parlez vraiment selon la justice, soyez donc justes dans vos jugements ». Faites passer vos paroles dans vos actions, et que votre conduite soit l’expression de votre manière de parler. Ne faites pas de chaînes avec l’iniquité, parce que les liens que vous feriez en cette vie serviraient plus tard à vous ôter l’usage de vos membres. Il en est qui n’écoutent pas cet avertissement, quoique tous n’y soient pas sourds : ceux qui ne les écoutent pas, Dieu les connaît d’avance.
5. « Les pécheurs se sont éloignés dès le sein de leurs mères ; ils se sont égarés avant d’en sortir : ils n’ont dit que des faussetés ». Lorsqu’ils parlent iniquité, ils disent des faussetés, parce que l’iniquité est la fausseté même : et quand ils parlent justice, leur langage est encore aussi peu droit, parce que leur cœur dément en secret les paroles qui sortent de leur bouche. Pourquoi le Prophète dit-il : « Les pécheurs se sont éloignés dès le sein de leurs mères ? » Cherchons-en avec soin la raison : car peut-être a-t-il voulu dire que Dieu connaît d’avance, dès le sein de leur mère, ceux qui commettront le péché. D’où vient, en effet, que Rébecca, étant encore enceinte, et portant dans ses entrailles deux jumeaux, le Seigneur dit : « J’aime Jacob et je déteste Esaü[312] ? » Ne dit-il pas encore : « L’aîné sera assujetti au plus jeune ? » C’était là, sans doute, un secret jugement de Dieu, mais un jugement qui s’exerçait dès le sein de la mère ; « car les péchés se sont éloignés » dès leur origine. De quoi se sont-ils éloignés ? De la vérité. De quoi encore ? de la céleste patrie, de la vie bienheureuse. En ont-ils été éloignés dès le sein de leur mère ? Quels pécheurs ont été éloignés même avant de naître ? Qui est-ce qui pourrait venir au monde, s’il n’était d’abord enfermé dans le sein maternel ? Et parmi ceux qui nous écoutent inutilement, y en aurait-il un seul en cette vie, s’il n’était préalablement né ? Les pécheurs ont donc peut-être été éloignés d’un autre sein, dans lequel la charité souffrait au point de dire par la bouche de l’apôtre saint Paul : « Mes petits enfants, pour qui je ressens de nouveau une sorte de travail de l’enfantement, jusqu’à ce que Jésus-Christ soit formé en vous »[313]. Demeure donc en ce sein ; attends que tu y sois formé. N’aie pas la prétention de t’attribuer l’usage du jugement que tu n’as pas encore. Tu es encore charnel : tu es conçu, car dès lors qu’on t’a donné le nom de chrétien, tu as apparu dans les entrailles de ta mère sous l’influence d’un certain sacrement. L’homme, en effet, ne se forme pas seulement des entrailles de sa mère, il se forme aussi dans ses entrailles ; il naît d’abord dans les entrailles maternelles ; puis il en tire sa substance. Voilà pourquoi il a été dit de Marie : « Ce qui est né en vous est du Saint-Esprit »[314]. Le Sauveur n’était pas encore né de la sainte Vierge, mais il était déjà né en elle. De petits enfants naissent donc dans les entrailles de l’Église, et il est pour eux avantageux de ne naître que parfaitement formés, parce qu’ils tomberaient de son sein, pareils à des avortons. Puisse-t-elle t’engendrer, et ne pas avorter ! Sois patient, jusqu’au moment où ta formation sera complète, jusqu’au jour où tu seras affermi par l’enseignement de la vérité ; reste enfermé dans les entrailles de ta mère. Mais si, par impatience, tu viens à les ébranler, elle te jettera hors de son sein : sa douleur sera grande ; mais elle sera moins à plaindre que toi.
6. « Les pécheurs se sont-ils éloignés dès le sein de leurs mères ? ils se sont égarés avant d’en sortir : ils n’ont dit que des faussetés ». Se sont-ils égarés dès le sein de leur mère, parce qu’ils ont dit des faussetés ? ou plutôt, ont-ils dit des faussetés, parce qu’ils se sont égarés dès le sein de leur mère ? En effet, le sein de l’Église est le séjour permanent de la vérité ; et quiconque s’en éloigne doit infailliblement dire des faussetés. Oui, je le dis, l’erreur et le mensonge se trouvent nécessairement dans la bouche de quiconque n’a pas voulu naître dans ses entrailles, ou s’est vu rejeté par elle comme un avorton, après qu’il a été conçu. C’est pourquoi les hérétiques déclament contre l’Évangile : parlons donc spécialement de ces malheureux, que nous voyons avec douleur rejetés du sein de notre commune mère. Nous leur lisons ce passage de l’Évangile : Voici les paroles du Christ : « Il fallait que le Christ souffrît et ressuscitât le troisième jour ». À ces mots, je reconnais, disent-ils, notre chef ; c’est bien là l’Époux. Reconnais donc aussi avec moi l’Épouse, car vois ce qui suit : « Et que l’on prêchât en son, nom la pénitence et la rémission des péchés parmi toutes les nations, en commençant par Jérusalem ». – Viens ici, viens ici. – Voilà l’Église répandue « parmi toutes les nations, en commençant par Jérusalem » : aussi je ne dis pas : Viens ici, puisqu’elle vient elle-même à toi. Mais ils restent sourds et demeurent en opposition avec l’Évangile ; ils ne nous permettent pas de leur lire la parole de Dieu ; et, tandis qu’ils se vantent de l’avoir préservée des flammes, ils s’efforcent de l’effacer avec leur langue ; ils parlent en leur nom et ils ne disent que des choses vaines. Tel et tel, s’écrient-ils, ont livré les saints livres. Je le dis plus liant qu’eux, et je dis ce qui est : Oui, tel et tel sont des traditeurs. Mais que m’importe ? Ceux que tu viens de citer, tu ne peux trouver leurs noms dans l’Évangile : je ne pourrais davantage t’y montrer les noms de ceux dont je parle. Ôtons nos livres, n’ayons en main que celui de Dieu. Écoute : c’est Jésus-Christ qui te parle, c’est la vérité qui te dit : « Il fallait qu’on prêchât en son nom la pénitence et la rémission des péchés parmi toutes les nations, en commençant par Jérusalem »[315]. – Non, répondent-ils, nous n’écouterons pas : c’est plutôt à vous d’écouter ce que nous vous disons : ce que dit l’Évangile, nous ne consentons pas à l’entendre. « Les pécheurs se sont éloignés dès le sein de leur mère : ils se sont égarés avant d’en sortir ; ils ont dit des faussetés ». Pour nous, disons la vérité, puisque nous l’avons entendue : c’est Dieu, et non pas un homme qui nous a parlé. Un homme peut mentir ; il est impossible que la vérité nous trompe. Si je reconnais le Christ, qui est la vérité même, c’est la vérité qui m’apprend à le connaître : c’est encore elle qui m’aide à connaître l’Église, cette Église à qui Dieu a donné communication de la vérité. Qu’on ne vienne point me dire des faussetés. Quand on a été formé dans les entrailles de l’Église pour s’égarer dès son sein, et qu’on veut me dogmatiser, j’ai le droit de savoir d’abord ce qu’on a l’intention de m’enseigner. Vous vous êtes éloignés dès le sein de votre mère, vous vous êtes égarés même avant d’en sortir : je le vois, et j’écouterais vos enseignements ? Mais vous ne pouvez me dire que des faussetés ! « ils se sont égarés dès le sein de leur mère ; ils ont dit des faussetés »[316].
7. « Leur fureur est pareille à la fureur d’un serpent ». Vous allez entendre quelque chose d’important. « Leur fureur est pareille à celle d’un serpent ». Comme si nous l’avions interrogé sur le sens de ces paroles, le Prophète ajoute : « D’un aspic qui est sourd » ; pourquoi est-il sourd ? « Et qui se bouche les oreilles ». Sa surdité vient donc de ce qu’il se bouche les oreilles. « Il se bouche donc les oreilles, et n’écoute ni la voix de l’enchanteur, ni celle du remède que lui prépare le sage ». Ce que nous disons ici, nous l’avons entendu dire à d’autres ; nous disons ce que les hommes, appliqués à l’étude de ces choses, ont pu y comprendre, ce que l’Esprit-Saint connaît bien mieux que personne. Le Prophète s’est exprimé ainsi, sans doute, parce qu’il peut se faire que ce que nous avons entendu dire soit l’exacte vérité. Lorsqu’un marse enchanteur a commencé à exercer son influence sur l’aspic, par la récitation de quelques formules particulières, comme en emploient les magiciens, savez-vous ce que fait ce reptile ? Veuillez avant tout, mes frères, faire une remarque ; je vous préviens d’avance, afin qu’aucun d’entre vous n’éprouve de scrupule à écouter ce que je vais dire ; quelles que soient les comparaisons dont elle se sert, jamais la sainte Écriture ne donne d’importance et d’estime à l’objet même de la comparaison ; elle ne fait qu’en tirer une similitude. Ainsi, le Sauveur n’a pas donné son approbation à ce juge inique, dépourvu de toute crainte de Dieu et des hommes, qui ne voulait point écouter la veuve de l’Évangile ; il ne s’est servi de son exemple que pour faire une comparaison[317]. Jésus-Christ n’a pas non plus prétendu louanger l’homme indolent, qui a donné trois pains à son ami, plutôt pour échapper à ses importunités que pour lui témoigner son affection ; néanmoins, il a utilisé son exemple et en a fait le sujet d’une comparaison. Des objets très peu dignes de louanges servent donc parfois à établir, dans certaines limites, d’utiles similitudes. Parce que les divines Écritures vous parlent d’enchanteurs, êtes-vous en droit de croire que vous devez vous rendre au milieu des Marses ? S’il en était ainsi, vous devriez aussi fréquenter les spectacles et les théâtres, puisque l’Apôtre a dit : « Je ne lutte pas, comme si je battais l’air[318] ». Car lutter, c’est donner le spectacle des cinq combats. Saint Paul a parlé de la lutte par simple comparaison ; voulait-il nous inspirer du goût pour ces sortes de spectacles ? Il a dit encore : « Celui qui combat dans la lice s’abstient de tout[319] ». Un chrétien doit-il, en conséquence de ces paroles, affecter de courir au théâtre, et de s’occuper de vanités pareilles ? Quand on se sert devant toi d’une comparaison, remarque donc attentivement ce qu’on veut t’apprendre et te défendre. Ainsi a-t-on voulu tirer une similitude du fait d’un Marse, qui enchante un aspic, pour le faire sortir de sa ténébreuse demeure ? il veut l’amener au jour ; l’aspic se plaît dans l’obscurité, au sein de laquelle il s’enveloppe et se cache ; et, comme il ne veut pas en sortir, il refuse d’écouter la voix fascinatrice à laquelle il se sent porté à obéir malgré lui ; pour cela, que fait-il ? Il presse contre terre l’une de ses oreilles, tandis qu’à l’aide de sa queue il ferme l’autre ; voilà comment il agit pour éviter de son mieux le piège du charmeur, et ne point sortir de son repaire. Le Saint-Esprit compare à ce reptile certains pécheurs, sourds à la voix de Dieu, et qui, loin de mettre en pratique la parole du Seigneur, font tout leur possible pour ne pas même l’entendre.
8. Chose pareille s’est vue aux premiers jours du Christianisme. Le martyr Étienne prêchait la vérité, il voulait comme charmer des âmes plongées dans les ténèbres, et les amener à la lumière ; arrivé au point de leur parler du Christ, il ne put se faire entendre de ces âmes volontairement endurcies. Aussi que nous dit d’elles la sainte Écriture ? Que nous rapporte-t-elle à leur endroit ? Voici ce qu’elle nous raconte : « Ils bouchèrent leurs oreilles ». Ce qu’ils firent ensuite, l’histoire de la passion d’Etienne nous l’apprend. Ils n’étaient pas sourds, mais ils se sont rendus tels. Les oreilles de leur cœur étaient fermées ; toutefois la vérité fut si forte que, traversant les oreilles de leur corps, elle vint frapper violemment celles de leur cœur ; alors ils bouchèrent même les oreilles de leur corps, et en vinrent à lapider le saint[320]. C’étaient bien des aspics, frappés de surdité et plus durs que les pierres dont ils accablèrent leur enchanteur ; ils n’écoutèrent ni la voix du charmeur, ni celle « du remède « que leur mélangeait le sage ». Qu’est-ce que ce remède mélangé par le sage ? Un remède mélangé veut dire, sans doute, un remède préparé. Demandons-nous comment un remède peut être tel sans être préparé ? Les prophéties, la loi, tous les commandements étaient des remèdes, mais des remèdes non encore préparés ; leur préparation a été opérée par la venue du Sauveur. Les Juifs n’ayant pu les supporter, à cause de leur simplicité native, ces remèdes ne guérissaient pas. Le Christ est venu leur donner toute leur perfection. Étienne s’efforçait de les charmer et de leur insinuer ce remède préparé ; ils ne voulurent pas seulement l’entendre ; ils bouchèrent leurs oreilles par opposition à celui-là même qui avait donné au médicament toute sa vertu, car à peine avaient-ils entendu prononcer le nom du Sauveur, qu’ils avaient déjà pris cette précaution d’une surdité volontaire. Leur fureur était devenue pareille à celle d’un serpent. Pourquoi fermer vos oreilles ? Attendez, écoutez ; puis, si vous le pouvez, vous vous emporterez. Ce qu’ils voulaient, c’était non pas écouter, mais s’irriter. S’ils avaient prêté l’oreille aux paroles du saint, ils auraient bien pu se calmer et bien faire. « Leur fureur est semblable à celle d’un serpent ».
9. Tels sont encore aujourd’hui ceux qui nous font souffrir. Dès le premier abord, ils se croyaient en possession de la vérité : mais Dieu n’a pas cessé de soutenir son Église ; il n’a pas différé de les confondre. On a prêché la vérité dans cette Église ; dans le sein de cette bonne mère on a étalé au grand jour tous leurs mensonges. La lumière s’est montrée à tous ; tous les yeux ont pu contempler cette ville, placée sur la montagne, et qui ne peut demeurer cachée, ce flambeau élevé sur le chandelier, et qui brille aux regards de tous ceux qui habitent la maison[321]. Où l’Église de Dieu est-elle encore inconnue ? En quels endroits n’ont pas encore pénétré les rayons de la vérité chrétienne ? Le Sauveur n’est-il pas cette montagne immense, qui s’est formée d’une petite pierre, et qui s’étend sur toute la face de l’univers »[322] ? Voilà ce qui les convainc d’erreur ; ils n’ont rien à dire contre l’Église. À quoi sont-ils réduits ? À nous dire : Pourquoi nous chercher ? Que nous voulez-vous ? Retirez-vous de nous. À dire à leurs partisans : Que personne d’entre vous n’engage de conversation avec eux ! Ne les fréquentez pas, ne les écoutez pas. Leur fureur est pareille à celle des serpents, « à la fureur d’un aspic sourd, qui se bouche les oreilles, et qui n’entend ni la voix de l’enchanteur, ni la voix du médicament que lui prépare le sage ». D’après ce passage, n’est-il pas facile d’imaginer de quel remède veut parler le Prophète, puisqu’il y est question de la voix ? Est-ce qu’un médicament aune voix ? Oui, il est un remède qui peut parler ; ce remède, nous vous l’apportons ; écoutez donc ce qu’il vous dit, mais non à la manière d’un aspic sourd. « Enfants des hommes, si vous parlez « vraiment selon la justice, que vos jugements soient justes ». C’est la parole « du remède », mais « du remède préparé par le sage ». Car Jésus-Christ est venu pour accomplir la loi et les Prophètes[323], pour affermir la vérité elle-même, pour établir enfin les deux commandements, qui renferment toute la loi et tous les Prophètes[324].
10. On dit que, pour boucher parfaitement ses oreilles, l’aspic presse l’une contre terre, et qu’à l’aide de sa queue, il ferme l’autre. Voulons-nous voir encore en cela un autre mystère ? Demandons-nous quel est le sens de ce fait ? Dans la queue, il faut voir le symbole des choses passées, qui sont derrière nous ; nous devons donc tourner le dos au passé, pour porter notre attention vers ce qu’on nous promet ; ne nous attachons donc d’affection ni à notre vie passée, ni à la vie présente ; c’est l’avis que nous donne l’Apôtre : « Quel fruit », nous dit-il, « avez-vous retiré de ce qui vous fait maintenant rougir[325] ? » Il nous défend par là de nous rappeler avec plaisir le passé ; par là, aussi, il arrête le désir secret d’en jouir encore, et ainsi nous empêche-t-il de reporter nos affections dans la terre d’Égypte. Pour le présent, en quels termes nous commande-t-il de le mépriser ? « Nous ne regardons point les choses visibles ; nous ne considérons que les choses invisibles. Les choses visibles appartiennent au temps et passent vite ; mais les choses invisibles sont éternelles[326] ». Il raisonne de la même manière au sujet de la vie présente : « Si nous espérons en Jésus-Christ seulement en ce qui regarde la vie présente, nous sommes les plus misérables de tous les hommes »[327]. Oublie donc le passé ; car, pendant son cours, tu as mal vécu ; méprise le présent, parce qu’il s’écoule avec rapidité, et qu’en y attachant tes affections, tu trouverais en lui l’obstacle le plus sérieux à l’acquisition des biens à venir. Si la vie présente fait ton bonheur, tu appliques une oreille contre terre ; et, si le passé te charme encore, malgré la vitesse avec laquelle il s’éloigne de toi, tu fermes avec la queue ton autre oreille. Va donc au jour, c’est ton devoir ; écoute la voix du remède que t’a préparé le sage ; sors des ténèbres ; ainsi marcheras-tu à la lumière, et pourras-tu dire, dans le sentiment de la joie : « J’oublie ce qui est derrière moi, et je m’avance vers ce qui est devant moi[328] ». L’Apôtre ne dit pas : J’oublie ce qui est passé, pour mettre mon bonheur dans le présent. En affirmant qu’il oublie le passé, il montre qu’il ne se sert pas de la queue pour fermer l’une de ses oreilles ; et, en ajoutant qu’il s’avance vers les choses de l’avenir, il fait preuve de n’être point assourdi par les affaires du moment. Puisqu’il entend, il est juste qu’il prêche ensuite, qu’il se livre aux transports de la joie, et que, sous l’influence de ce sentiment d’allégresse, il se dépouille de son premier vêtement et vienne au grand jour annoncer la vérité.
Le serpent fait encore un autre emploi de sa malice, et, sous ce rapport, le Seigneur nous engage à l’imiter : « Soyez », nous dit-il, « soyez malins comme des serpents[329] ». Qu’est-ce à dire, « malins comme des serpents ? » Pour mettre sa tête à l’abri des coups de son adversaire, le serpent lui présente le reste de son corps. Agis de même, car la tête de l’homme, c’est le Christ[330]. Mais tu es appesanti par le poids de ta première peau, si j’ose parler ainsi, et par la lourdeur du vieil homme ; aussi l’Apôtre nous adresse-t-il cet avertissement : « Dépouillez-vous du vieil homme, et revêtez-vous de l’homme nouveau[331] ». – Comment, diras-tu, comment me dépouiller du vieil homme ? – Imite la malice du serpent. Que fait-il pour se dépouiller de sa vieille peau ? Il se force à passer par un trou étroit. – Mais où trouverai-je ce trou étroit par où je passerai ? – Le voici ; le Sauveur te l’indique. « La voie qui mène à la « vie est étroite ; il y en a peu qui y marchent[332] ». Parce qu’il y en a peu pour oser la suivre, tu crains de t’y engager ; tu ne veux pas y marcher ? C’est là qu’il faut se dépouiller de son vieux vêtement ; il est impossible de s’en dépouiller ailleurs. Si tu consens à être toujours chargé des dépouilles du vieil homme, à les voir embarrasser tes mouvements et t’étouffer, ne prends point ce chemin étroit, car tu ne pourras y passer avec le fardeau de tes péchés et de ta première vie. Puisque ce corps, qui se corrompt, appesantit l’âme[333], ou bien ne te laisse accabler par aucun désir charnel, ou bien dépouille-toi de la concupiscence du vieil homme. Et comment t’en dépouiller, si tu ne passes par la voie étroite, si tu n’es rusé comme un serpent ?
11. « Dieu a brisé leurs dents dans leur bouche[334] ». À qui le Seigneur a-t-il brisé les dents ? À ceux dont la fureur est pareille à la fureur du serpent et de l’aspic qui ferme ses oreilles pour n’entendre, ni la voix de l’enchanteur, ni celle du remède préparé par le sage. Qu’est-ce que Dieu leur a fait ? « Il a brisé leurs dents dans leur bouche ». Dieu l’a fait, et, non seulement il l’a fait autrefois, mais il le fait encore aujourd’hui. Cependant, mes frères, pourquoi ne pas se contenter de dire que « Dieu a brisé leurs dents », sans ajouter qu’il les a brisées « dans leur bouche ? » Pareils au serpent et à l’aspic, dont nous parlions tout à l’heure, les Pharisiens ne voulaient entendre ni la loi, ni les préceptes que Jésus-Christ, la vérité même, leur apportait : leurs péchés passés étaient, pour eux, un objet de complaisance, ils ne voulaient point renoncer à la vie présente, c’est-à-dire qu’ils préféraient les joies passagères de ce monde aux joies durables de l’éternité. Ils ne voulaient rien écouter, car leurs oreilles étaient fermées, l’une par le plaisir que leur causait la mémoire du passé, l’autre par le plaisir que leur procuraient les biens présents. Pourquoi, en effet, ont-ils dit : « Si nous le laissons agir de la sorte, les Romains viendront et nous enlèveront notre ville et notre pays[335] ? » C’est qu’ils ne voulaient point perdre leur ville. Par conséquent, ils avaient appliqué contre terre une de leurs oreilles ; aussi ne voulurent-ils pas recevoir les paroles salutaires que leur adressait le sage, et y restèrent-ils sourds. Il est dit encore qu’ils étaient avares et aimaient l’argent, et nous trouvons dans l’Évangile l’histoire de toute leur vie, même de leur vie passée, faite par Jésus-Christ. Il suffit de lire ce livre divin pour comprendre ce qui leur fermait les deux oreilles. Que votre charité veuille bien remarquer la conduite de Dieu à leur égard. « Il a brisé leurs dents dans leur bouche ». Que veulent dire ces mots : « Dans leur bouche ? » Ils signifient qu’il les a forcés de prononcer eux-mêmes leur condamnation, et que la sentence est sortie de leur propre bouche. Leur but était de pouvoir décrier le Sauveur, à l’occasion du tribut à payer à César. En réponse à leur question, Jésus ne leur dit ni qu’il était permis, ni qu’il était défendu de le payer. S’il avait dit : Payez le tribut à César, ils l’auraient accusé de manquer de respect à la nation Juive en la déclarant tributaire, car, la prédiction en avait été faite dans la loi : c’était en raison de leurs péchés qu’ils subissaient l’humiliante nécessité de payer un tribut. S’il nous oblige, disaient-ils, à remplir ce devoir à l’égard de l’empereur, nous aurons une preuve contre lui, nous l’accuserons d’outrager la nation. Si, au contraire, il nous dit : Ne payez pas, vous n’y êtes pas tenus, nous aurons toute facilité de prouver qu’il s’est déclaré contre César et nous a empêchés de lui rendre nos devoirs. Tel fut le double piège qu’ils tendirent au Sauveur, comme s’ils avaient pi, i espérer l’y prendre. Mais à qui s’adressaient-ils ? À celui qui savait briser les dents de ses adversaires dans leur bouche. « Montrez-moi une pièce de monnaie », leur dit-il : « Hypocrites, pourquoi me tentez-vous ? » Pensez-vous à payer le tribut ? Voulez-vous observer la justice ? Me demandez-vous un conseil pour devenir justes ? « Si vous parlez sincèrement selon la justice, soyez donc justes dans vos jugements, ô enfants des hommes ». Mais puisque votre langage est tout opposé à vos jugements, vous n’êtes que des hypocrites : « Pourquoi me tentez-vous ? » Je vais briser vos dents dans votre bouche. « Montrez-moi une pièce de monnaie ». Et ils en mirent une sous ses yeux. Et au lieu de leur dire : Voilà l’image de César, il leur adresse cette question : « De qui est cette image ? » Par là il brisait leurs dents dans leur bouche ; car, Jésus leur demandant quelles étaient l’image et l’inscription gravées sur cette pièce de monnaie, ils furent obligés de répondre que c’étaient celles de César. Le Sauveur avait, dès lors, toute facilité de briser leurs dents dans leur bouche. Vous avez répondu : aussi vos dents sont-elles brisées dans votre bouche. « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu[336] ». César vous demande son image : rendez-la-lui. Dieu vous demande la sienne : faites de même. Vous n’avez pas le droit de faire perdre à César sa monnaie : vous n’avez pas davantage le droit d’enlever à Dieu ce qui lui appartient. À cela qu’avaient-ils à répondre ? Rien. Ils avaient été envoyés vers Jésus pour trouver en lui un motif de le décrier : ils revinrent en disant qu’il était impossible de lui répondre. Pourquoi cela ? Parce que leurs dents avaient été brisées dans leur bouche.
12. Autre fait semblable. Les Pharisiens dirent à Jésus : « Par quelle puissance faites-vous tous ces prodiges ? » Et il leur répondit : « Je vais, à mon tour, vous faire une question : « répondez-moi ». Et il les interrogea au sujet de Jean, et leur demanda d’où venait le baptême de Jean, de Dieu ou des hommes ? par là, il les mettait dans l’impossibilité de répondre, à moins de se condamner eux-mêmes. Ils ne voulurent pas dire que ce baptême venait des hommes, dans la crainte d’être lapidés par ceux qui les entendraient, parce qu’on regardait Jean comme un prophète. Dire qu’il venait de Dieu était pour eux bien plus difficile, car c’était avouer que lui-même était le Christ, puisque Jean l’avait annoncé comme tel. Restés entre ces deux impossibilités, incapables de répondre de façon ou d’autre, ces malheureux, qui voulaient embarrasser le Sauveur, en appelèrent à l’ignorance et lui dirent : « Nous ne savons pas[337] ». Quand ils lui disaient : « Par quelle puissance faites-vous ces prodiges ? » ils avaient l’intention de le mettre en défaut et de l’attaquer. S’il avait dit : Je suis le Christ, ils se seraient jetés sur lui, prétextant de sa part l’arrogance, l’orgueil, des paroles sacrilèges : il ne voulut point faire cette déclaration, muais il posa une question sur le compte de Jean, qui, lui, avait publiquement reconnu le caractère du Christ.
Ses ennemis ne se sentirent pas l’audace d’attaquer le témoignage de Jean, parce qu’ils avaient à craindre de se voir assassinés par le peuple : le courage leur manqua aussi pour avouer que Jean avait dit vrai, parce que c’était donner à Jésus le droit de leur dire Ajoutez donc foi à ses paroles. Dans cette alternative ils gardèrent le silence, sous prétexte d’ignorance : preuve évidente qu’ils étaient dans l’impossibilité de mordre : d’où venait cette impossibilité ? Elle venait, vous le comprenez aisément, de ce que leurs dents étaient brisées dans leur bouche.
13. Un pharisien avait invité le Sauveur à un repas ; alors une femme pécheresse entra dans la salle du festin, et se jeta aux pieds de Jésus : le pharisien en fut scandalisé ; et, dans le sentiment de la mauvaise humeur qu’il éprouva contre lui, il s’écria : « Si cet homme était un véritable prophète, il connaîtrait cette femme qui le touche ». O toi, pharisien, qui n’es certainement pas un prophète, comment sais-tu que Jésus ignore quelle est cette femme qu’il voit prosternée devant lui ? À son avis le Sauveur n’observait pas la pureté judaïque, pureté néanmoins tout extérieure, et à laquelle le cœur restait complètement étranger. Mais les pensées de son hôte étaient aussi peu ignorées du Christ que les péchés de cette femme ; aussi lui fit-il la réponse que vous savez. J’abrège : il voulut lui briser les dents dans la bouche. Voici la question qu’il lui adressa : « Deux débiteurs étaient redevables à un homme : l’un devait cinq cents deniers, l’autre cinquante. Comme ils n’avaient ni l’un ni l’autre de quoi s’acquitter de leurs dettes, leur créancier leur fit remise du tout. Lequel des deux l’a aimé davantage ? » Jésus interroge le pharisien et le force à répondre : celui-ci répond de manière à se briser les dents dans la bouche ; il répond, mais confus ; et tandis que la miséricorde divine lui est refusée, la femme pécheresse est admise à en recueillir le bénéfice ; par là tous peuvent s’apercevoir que si elle est entrée avec une sorte de violence, dans une maison étrangère, elle ne s’est pas approchée d’un Dieu étranger[338].
14. « Le Seigneur a brisé leurs dents dans leur bouche. Le Seigneur a brisé les mâchoires des lions », aussi bien que les dents des aspics. Que font les aspics ? Ils sont insidieux ; ils se glissent secrètement pour lancer plus sûrement leur dard : leur venin se répand et empoisonne pour ainsi dire, avant qu’on s’en aperçoive. Pour les nations, elles se sont ouvertement déclarées contre l’Église ; elles ont rugi comme des lions, « Pourquoi les nations ont-elles frémi ? Pourquoi les peuples ont-ils formé de vains complots[339]? » Quand les adversaires du Sauveur lui tendaient des pièges, et lui demandaient, par exemple, « s’il est permis ou défendu de payer le tribut u à César », ils agissaient à la manière des aspics et des serpents, et, alors, leurs dents se sont brisées dans leur bouche. Plus tard, ils ont crié : « Crucifie-le ! Crucifie-le[340] ! » Ce n’était plus là le langage de l’aspic : c’était le rugissement du lion ; « mais Dieu a aussi broyé les mâchoires des lions ». Ce n’est pas sans motif, peut-être, qu’il n’est pas dit ici « dans leur bouche ». Quand les pharisiens cherchaient par de captieuses questions à prendre Jésus dans ses paroles, ils se trouvaient forcément condamnés par leur propre réponse ; mais lorsqu’ils l’attaquaient brutalement, pouvait-il, lui, les réduire à l’impuissance en les interrogeant à leur tour ? Toutefois, leur mâchoire a été aussi brisée. Après avoir été attaché à la croix, le Sauveur est ressuscité, il est monté au ciel, il est couronné de gloire et adoré de toutes les nations et de tous les rois. Que les Juifs l’attaquent, s’ils le peuvent : ils en sont désormais incapables, car « le Seigneur a broyé les mâchoires des lions ».
15. Les hérétiques nous donnent, comme les Juifs, une preuve et un exemple de ce qu’ils sont. Il nous est impossible d’en douter, ce sont des serpents : assourdis par la fureur, ils ne veulent rien entendre de ce que leur dit le remède préparé par le sage ; aussi le Seigneur a-t-il brisé leurs dents dans leur bouche. Comme ils s’emportent contre nous ! Ne nous accusent-ils pas d’être en quelque sorte des persécuteurs, parce que nous les chassons des églises ? Demande-leur maintenant si l’on doit en exclure les hérétiques, ou leur laisser le droit d’y entrer. Qu’ils répondent ! S’ils disent qu’on ne doit pas les en bannir, les Maximianistes y rentreront aussitôt. Mais pour ne pas y voir revenir les Maximianistes, ils disent qu’il faut en éloigner les hérétiques. Pourquoi alors nous accuser et crier contre nous ? Vos dents seraient-elles brisées dans votre bouche?— Qu’y a-t-il de commun entre les rois et nous, disent-ils ? Qu’y a-t-il de commun entre les empereurs et nous ? Pour vous, vous avez mis en eux votre confiance. – Et moi, je leur demande à mon tour : Qu’avez-vous de commun avec les proconsuls qui sont les envoyés des empereurs ? Qu’y a-t-il de commun entre vous et les lois portées par eux coutre vous ? Les empereurs de notre communion ont édicté des lois contre tous les hérétiques, et ceux qu’ils désignent sous le nom d’hérétiques sont apparemment ceux qui n’appartiennent pas à leur communion ; on ne se tromperait pas, sans doute, en vous rangeant parmi eux. Si ce sont de vraies lois, elles doivent vous être appliquées, puisque vous êtes hérétiques ; si elles sont fausses, pourquoi en requérez-vous l’application à ceux qui se sont séparés de vous ? Veuillez y faire attention, mes frères, et prenez garde à ce que nous venons de dire. Toutes les fois qu’ils ont lutté coutre les Maximianistes pour les chasser, comme schismatiques condamnés par eux, d’églises dont ils étaient maîtres depuis longtemps, puisqu’ils avaient reçu leurs sièges de ceux qui les y avaient précédés, les Donatistes ont eu recours aux lois de l’empire ; ils se sont présentés devant les juges et se sont déclarés catholiques, afin de mieux réussir à déposséder les hérétiques. Pourquoi te dire catholique, pour exclure des hérétiques ? Pour ne pas être chassé toi-même comme ennemi de la foi, ne vaudrait-il pas mieux devenir franchement catholique ? Tu es catholique pour le moment, afin de chasser les hérétiques au moyen de ton nom, car le juge ne peut agir que suivant la teneur de ses lois. Parce qu’ils se sont dits catholiques, on les a admis à plaider. Ils ont accusé d’hérésie les Maximianistes, on leur a demandé leurs preuves : alors ils ont lu les actes du concile de Bagaï, où leurs adversaires avaient été condamnés ; on inséra ces actes dans les registres du proconsul ; il fut prouvé que ces hérétiques ne devaient rester en possession d’aucune église, puisqu’une condamnation avait été prononcée contre eux ; aussi, le proconsul rendit-il une sentence conformément aux lois. Quelles étaient ces lois ? C’étaient celles qui avaient été édictées contre les hérétiques. Dès lors qu’elles frappaient les hérétiques, ou les avait donc aussi portées contre toi, ô Donatiste. – Pourquoi cela ? Je ne suis aucune hérésie. – S’il en est ainsi, les lois précitées sont fausses, puisqu’elles émanent d’empereurs qui n’appartiennent pas à ta communion, et qu’elles désignent sous le nom d’hérétiques tous ceux qui ne sont pas de la même communion qu’eux. Mais je ne m’inquiète pas de savoir si ces lois sont vraies ou si elles sont ’fausses ; mettons de côté cette question, si tant est que c’en soit encore une : je me borne pour le moment à te demander ton opinion à ce sujet : Ces lois sont-elles vraies ? sont-elles fausses ? Si elles sont vraies, qu’on les regarde comme telles ; si elles sont fausses, pourquoi t’en servir ? Tu as fait au proconsul cette déclaration : Je suis catholique : chasse les hérétiques. Celui-ci a exigé de toi les preuves de ton assertion : tu as alors produit les actes de ton concile, et fait voir que les Maximianistes y ont été condamnés. Soit connivence, soit ignorance des choses, le proconsul a, comme juge, appliqué la loi, et tu lui as fait faire ce que tu ne veux pas faire toi-même ; car s’il a appliqué, par suite de tes sollicitations, les lois impériales, pourquoi ne pas t’en servir personnellement pour te corriger ? Il a dépossédé de son église un hérétique, et cela en vertu des lois impériales pourquoi ne pas vouloir qu’on agisse de même envers toi, d’après les mêmes lois ? Nous nous résumons : Quelle a été votre conduite en toute cette affaire ? Les Maximianistes étaient en possession de certaines églises : aujourd’hui, vous en êtes les maîtres, parce que vous en avez chassé les Maximianistes : on a fait paraître les édits des proconsuls, on a cité les actes, on a employé des huissiers, des villes ont été soulevées, et les gens chassés de leurs sièges. Pourquoi ? Parce qu’ils étaient hérétiques. En vertu de quelles lois les a-t-on dépossédés ? Réponds. En vérité, vos dents ont été brisées dans votre bouche. Si la loi est fausse, elle n’a aucune force contre ceux qui se séparent de ta croyance. Si elle est vraie, elle doit s’appliquer à toi comme à eux. Que peuvent-ils répliquer ? « Le Seigneur a brisé leurs dents dans leur bouche ». Lorsqu’ils ne peuvent, par leurs subtilités trompeuses, se glisser comme des aspics, ils emploient la violence ouverte et rugissent comme des lions. Les circoncellions se forment en bandes armées pour courir de tous côtés et commettre le crime : nul ne saurait dire ni le nombre ni la scélératesse de leurs sanglants forfaits, car ils y emploient toutes leurs forces : mais « le Seigneur a brisé aussi les mâchoires des lions ».
16. « Ils seront anéantis comme l’eau qui court dans le lit d’un torrent[341] ». Ne vous épouvantez pas à la vue de ces cours d’eau auxquels on donne le nom de torrents ; ne tremblez pas, si vous les voyez gonflés par les pluies d’hiver : leurs eaux, en s’écoulant, ne font que passer : par la violence et la rapidité de leurs flots, ils font grand bruit pour un moment ; mais bientôt ce bruit s’apaise, car ils ne sauraient longtemps garder le même niveau. C’en est déjà fini d’un grand nombre d’hérésies : pareilles à des torrents que contiennent avec peine leurs rives, elles se sont précipitées avec toute la violence dont elles se sentaient capables : elles ont eu leurs cours ; leur lit s’est desséché, et c’est tout au plus si l’on se sou-vient d’elles : à peine sait-on qu’elles ont existé. « Ils seront anéantis comme l’eau qui court dans le lit d’un torrent ».
Les hérétiques ne sont pas seuls à faire du bruit pour un moment, et à vouloir nous entraîner à leur suite : ce monde tout entier en est là. Tous les impies, tous les orgueilleux font grand bruit en frappant le rocher de leur orgueil, comme les flots rapides et pressés d’une rivière retentissent en se brisant contre leurs rives : ce sont des eaux d’hiver ; elles ne peuvent rester en place ; il faut qu’elles se rendent où les dirige leur cours ; elles doivent parvenir à leur destination c’est à ce torrent du siècle que le Seigneur s’est abreuvé, car il a souffert ici-bas, il a bu de l’eau du torrent, mais seulement en passant, parce qu’il ne s’est point arrêté dans la voie des pécheurs[342]. Voici comme l’Écriture s’exprime à son sujet : « Dans son chemin il boira de l’eau du torrent : c’est pourquoi il lèvera la tête[343] ». C’est-à-dire : il est mort, aussi est-il couronné de gloire ; il a souffert, aussi est-il ressuscité. Si dans son chemin, il n’avait pas consenti à boire de l’eau du torrent, il ne serait pas mort ; sa mort a été le prélude de sa résurrection ; et, parce qu’il est sorti vivant d’entre les morts, il est entré dans le séjour de la gloire. Donc, « il boira dans son chemin de l’eau du torrent, et à cause de cela, il lèvera la tête ». Notre chef est aujourd’hui exalté ; puissions-nous, puisque nous sommes ses membres, arriver à la même gloire. « Ils seront anéantis comme l’eau qui court dans le lit d’un torrent. Le Seigneur a bandé son arc, jusqu’à ce qu’ils soient réduits à la défaillance ». Le Seigneur ne cesse de nous faire entendre ses menaces : ses menaces, voilà son arc ; il tend son arc, il ne frappe pas encore. « Il a bandé son arc jusqu’à ce qu’ils soient réduits à la défaillance » Il en est beaucoup qui sont tombés en défaillance ; car, en le voyant bander son arc, ils ont eu peur. Voilà le motif qui a fait défaillir Saul, et lui a fait dire : « Seigneur, que dois-je faire pour me montrer soumis à vos ordres ? Je suis », répondit le Sauveur, « je suis Jésus de Nazareth, que tu persécutes »[344]. En lui parlant ainsi du haut du ciel, Dieu bandait son arc, Après avoir été ses ennemis, plusieurs se sont sentis faiblir et se sont convertis, n’osant point lever longtemps la tête contre Dieu, qui ne cessait de tendre contre eux son arc. Ne craignons pas de défaillir : saint Paul l’a fait avant nous : « C’est », dit-il, « quand je tombe en défaillance, que je suis plus fort ». Aussi, quand il priait Dieu de lui ôter l’aiguillon de la chair, lui fut-il répondu : « La force se perfectionne dans la faiblesse[345] ». « Il a bandé son arc jusqu’à ce qu’ils tombent en défaillance ».

17. « Ils disparaîtront comme de la cire qui se fond[346] ». Tu diras peut-être : Tous ne me ressemblent pas ; tous ne tombent pas en défaillance pour puiser la foi dans leur faiblesse, car on en voit un grand nombre persévérer dans le péché et dans la malice. Ne crains rien de leur part ; « ils disparaîtront comme de la cire qui se fond ». Ils ne tiendront pas longtemps contre toi ; leur résistance ne sera pas de longue durée ; ils seront consumés par les ardeurs mêmes de leur concupiscence. Il y a, pour ces pécheurs endurcis, une sorte de peine cachée ; à partir de ce verset jusqu’à la fin du psaume, le Prophète nous en parlera : il nous reste peu de versets à expliquer ; veuillez me prêter toute votre attention. L’avenir réserve aux pécheurs une peine d’une certaine nature ; c’est la géhenne du feu, c’est le feu éternel. Elle est de deux sortes. La peine de l’enfer, d’abord : le mauvais riche en souffrait ; après avoir relégué en dehors de sa porte le pauvre Lazare, objet de ses mépris, il eût désiré qu’une goutte d’eau, tombée du bout du doigt de ce malheureux, vînt rafraîchir ses lèvres desséchées par le feu ; et il s’écriait : « Que je souffre dans ces flammes[347] ! » Ensuite, la peine finale à laquelle seront condamnés ceux que le Seigneur placera à sa gauche en leur disant : « Allez au feu éternel, qui a été préparé au démon et à ses anges[348] ». Ces punitions seront visibles à tous les yeux, soit au moment où nous sortirons de cette vie, soit à la fin des temps, lorsque sera venu le jour de la résurrection des morts. Mais pour aujourd’hui, n’y a-t-il aucune peine réservée aux pécheurs, et le Seigneur laissera-t-il leurs iniquités impunies jusqu’à ce dernier jour ? Non, il est pour eux ici-bas une peine secrète ; nous allons vous en entretenir. L’Esprit de Dieu veut nous la faire connaître ; puissions-nous en concevoir une idée juste, y prendre garde et l’éviter ! Par là, nous nous préserverons de ces punitions terribles que je vous signalais tout à l’heure. Quelqu’un me dira peut-être : Pendant cette vie mortelle, l’homme est exposé à des peines de plus d’une sorte, à la prison, à l’exil, aux tourments, à la mort, à des douleurs et à des tribulations de tout genre. Oui, l’existence humaine est traversée de ces peines diverses, et Dieu nous en afflige, par un juste jugement de sa Providence ; elles servent à éprouver les uns et à punir les autres. Parfois il arrive que les justes se voient soumis à de pareilles épreuves et que les pécheurs en sont exempts. Le Prophète s’en était aperçu ; il avait alors senti une sorte de faiblesse dans sa démarche ; mais enfin, il s’était écrié : « Que le Dieu d’Israël est bon pour ceux qui ont le cœur droit ! Mes pieds se sont ébranlés, parce que j’ai été saisi d’indignation en u voyant la paix dont ils jouissent ». Il avait été témoin de la félicité des méchants ; il aurait presque désiré de leur ressembler, car il les voyait placés au faîte des honneurs, réussissant à merveille, nageant, en quelque sorte, dans l’abondance des biens de ce monde ; pareil à un enfant encore faible, il souhaitait recevoir de la main de Dieu tous ces avantages temporels ; ses pas devinrent donc chancelants, jusqu’au moment où il réfléchit à ce qu’il y avait à craindre ou à espérer pour l’avenir. Aussi dit-il dans le même psaume : « Je ne vois, que difficultés devant moi, jusqu’à ce que j’entre dans le sanctuaire de Dieu, et que je comprenne leur fin[349] ». Le Saint-Esprit veut fixer notre attention sur les peines réservées aux pécheurs, mais il ne veut nous parler ni des peines de l’enfer, ni du feu éternel, qui brûlera les méchants après la résurrection ; ni des épreuves de cette vie, qui sont communes aux justes et aux pécheurs, et qui, le plus souvent, affligent d’une manière plus sensible les amis de Dieu que ses ennemis ; ce qu’il a en vue, ce sont certaines peines de la vie présente. Faites-y bien attention, écoutez-moi ; ce que je vais vous dire, vous le savez déjà ; mais vous éprouverez un véritable plaisir à entendre le Psalmiste vous le répéter ici, et à comprendre un passage qui vous a paru difficile à saisir avant toute explication. Vous connaissez déjà les vérités dont je vais vous entretenir ; néanmoins, elles vous seront aussi agréables que si elles avaient pour vous le charme de la nouveauté, parce que je vous aiderai à les découvrir là où vous ne supposiez pas les voir renfermées. Voici donc en quoi consiste la punition des impies. « Ils disparaîtront comme de la cire qui se fond ». Je vous l’ai déjà dit : la cause d’un pareil effet se trouve être dans leurs passions. La concupiscence coupable est comme un feu ; c’est une flamme ardente. Le feu réduit en cendres un vêtement, et une âme, dévorée par l’ardeur d’une passion adultère, demeurerait intacte ? La sainte Écriture nous parle du dessein de commettre l’adultère, et nous dit : « Où est l’homme capable de porter du feu dans le pan de sa robe, sans qu’elle en soit brûlée ? »[350] Place des charbons ardents sur le pan de ta robe, elle sera bientôt percée ; et quand tu auras mis dans ton cœur le désir de l’adultère, il n’en sera pas atteint ?
18. Ce genre de punition, très peu d’hommes le remarquent ; c’est pourquoi l’Esprit de Dieu s’applique tout particulièrement à nous le faire connaître. Écoute la parole de l’Apôtre : « Dieu les a livrés aux désirs dépravés de leur cœur ». Voilà le feu en présence duquel ils fondent comme la cire, car ils perdent en quelque sorte la consistance de la chasteté ; aussi appelle-t-on mous et dissolus ceux qui se laissent aller à de telles passions. Qu’est-ce qui les amollit ? Qu’est-ce qui les rend dissolus ? C’est le feu des passions. « Dieu les a livrés aux désirs désordonnés de leur cœur, et leur corruption les a portés à des actions indignes de l’homme ; ils ont été remplis de toutes sortes d’injustices ». Saint Paul énumère un grand nombre de péchés, et il ajoute qu’ils sont la punition du péché ; il dit, en effet, que l’orgueil est la première de ces punitions, et, pourtant, il est bien plutôt le premier de tous les péchés. Le premier péché de l’homme est l’orgueil, comme la dernière de ses peines sera le feu éternel, ou le feu de l’enfer, qui tourmente dès maintenant les damnés. Ce qui se trouve entre ce premier péché et cette dernière peine est, en même temps, péché et punition du péché. Car l’Apôtre rapporte une foule d’actions détestables, qui sont chez les pécheurs la conséquence et la punition d’autres fautes. « Dieu », dit-il, « les a livrés aux désirs corrompus de leurs cœurs, et leur corruption les a portés à des actions indignes de l’homme ». Et afin que personne ne pût croire que les méchants n’ont à redouter aucune peine, autre que celle où ils trouvent maintenant leur bonheur, et pour inspirer à tous la crainte de ce qui arrivera plus tard, il parle de la dernière peine. « Après avoir connu la justice de Dieu, ils n’ont pas compris que les auteurs de pareils désordres sont dignes de mort, non seulement ceux qui s’y abandonnent, mais encore ceux qui les approuvent ». Les auteurs de pareils désordres. Quels désordres ? Ceux qu’il a désignés plus haut comme étant la punition du péché ; car « Dieu les a livrés aux désirs corrompus de leur cœur, et leur corruption les a portés à des actions indignes de l’homme ». Qu’un homme soit adultère, c’est déjà une punition pour lui ; n’en est-il pas de même s’il est menteur, avare, trompeur, assassin ? De quelle faute ces nouvelles prévarications peuvent-elles être la peine ? De leur première apostasie, de leur orgueil. « Le commencement de tout péché est de s’éloigner de Dieu par l’apostasie ; et le commencement de tout péché est l’orgueil[351] ». C’est pourquoi il donne le nom de premier au péché de ceux « qui, ayant connu Dieu, ne l’ont pas glorifié comme Dieu et ne lui ont pas rendu grâces, mais se sont égarés dans leurs vains raisonnements ; aussi leur cœur, dépourvu d’intelligence, a-t-il été rempli de ténèbres ». Cet obscurcissement du cœur est déjà une grande peine. Mais quelle en a été la cause ? « Ils disaient qu’ils étaient sages, et ils sont devenus fous[352] ». Ils disaient tenir d’eux-mêmes ce qu’ils avaient reçu de Dieu ; et s’ils.ont reconnu la source divine où ifs l’ont puisé, ils n’ont pas glorifié celui qu’ils avaient reconnu comme l’auteur de leurs lumières ; c’est-à-dire, « ils disaient qu’ils étaient sages ». Le Prophète indique immédiatement après quelle a été leur punition. « Ils sont devenus fous, et leur cœur dépourvu d’intelligence a été rempli de ténèbres. Ils disaient qu’ils étaient sages, et ils « sont devenus fous ». Est-ce là une punition de minime importance ? Pour ne parler que de celle-là, peut-on dire que l’obscurcissement du cœur, l’aveuglement de l’esprit doivent être considérés comme peu de chose ? Si un homme avait perdu un œil au moment même où il se rendait coupable d’un vol, tous seraient unanimes à dire que Dieu était là pour le punir. Le pécheur a perdu l’œil de son cœur, et l’on s’imaginerait que Dieu l’a épargné ? « Ils disparaîtront comme la cire qui se fond ».
19. « Un feu est tombé sur eux, et ils n’ont point vu le soleil ». Vous voyez comment le Prophète explique la peine de l’aveuglement de l’esprit. « Un feu est tombé », c’est le feu de l’orgueil terni par la fumée ; c’est le feu de la concupiscence, c’est le feu de la colère. Quel feu ! celai qui en est atteint ne voit pas le soleil. C’est pourquoi il a été dit : « Que le soleil ne se couche point sur votre colère[353] ». Aussi, mes frères, redoutez les ardeurs d’une coupable concupiscence, si vous voulez ne pas fondre comme de la cire et disparaître de devant la face de Dieu, Car si ce feu des passions vient à tomber sur vous, il vous sera désormais impossible de voir le soleil. Quel est ce soleil ? Ce n’est point celui dont les rayons frappent les regards des bêtes et des mouches aussi bien que les vôtres ; ce n’est pas celui que contemplent également les bons et les méchants, et que Dieu fait lever sur les hommes vertueux et sur les pécheurs[354]. Il est un autre soleil, et c’est de lui que les pécheurs parleront quand ils diront : « Le soleil ne s’est point levé sur nous ; toutes ces choses ont passé comme l’ombre. Nous nous sommes donc écartés de la voie de la vérité ; la lumière de la justice n’a pas lui sur nous, et le soleil ne s’est point levé sur nous ». Pourquoi ? « Parce qu’un feu est tombé sur eux et qu’ils n’ont pas vu le soleil[355] ». La concupiscence de la chair les a vaincus ; mais d’où leur est venue cette concupiscence ? Remarquez-le bien. Tu es venu en ce monde, apportant avec toi, comme un héritage, l’ennemi que tu dois vaincre ; c’est déjà assez pour toi d’en triompher, sans que tu lui en adjoignes d’autres. La lice de cette vie s’est ouverte pour toi et pour lui en même temps ; engage donc le combat avec cet ennemi qui t’accompagnait à ton entrée dans le champ de bataille. Tu n’as pas encore remporté sur lui la victoire ; pourquoi donc provoquer au combat une multitude de passions ? De fait, mes frères, l’homme naît avec la concupiscence de la chair ; mais s’il est bien formé à la lutte, il distingue bien vite son ennemi, il fond sur lui et l’attaque, et son triomphe ne se fait pas longtemps attendre ; avant l’arrivée d’autres adversaires, il peut aisément vaincre. Mais si l’on néglige d’en finir avec cette concupiscence qu’on a apportée avec soi en ce monde comme perpétuel effet du péché, si l’on fait naître et qu’on excite beaucoup d’autres passions, il est sûr qu’on éprouvera à les surmonter d’énormes difficultés, et qu’on sera consumé par elles comme par un feu intérieur, parce que les forces, se trouvant partagées, ne peuvent plus être d’aucune utilité. Ne t’imagine donc pas que les peines de l’avenir soient les seules que tu aies à redouter ; vois celles qui t’attendent pour le présent. « Un feu est tombé sur eux, et ils n’ont pas vu le soleil ».
20. « Avant que le nerprun produise ses u épines, Dieu les dévorera comme s’ils étaient vivants, comme dans sa colère[356] ». Qu’est-ce que le nerprun ? C’est une espèce d’épines toute particulière : ce sont des épines très épaisses. Le nerprun n’est d’abord que de l’herbe : alors il est tendre et beau ; mais plus tard il se transforme en épines. Les péchés ne semblent maintenant procurer que des plaisirs, ils ne font pas encore sentir d’épines. Le nerprun n’est que de l’herbe, on n’y trouve rien qui blesse. « Avant que le nerprun produise des épines » ; avant que ces malheureux plaisirs et ces voluptés déplorables donnent lieu à des tourments certains. Vous qui aimez ardemment une chose et qui ne parvenez point à en jouir, interrogez-vous vous-mêmes ; voyez si vos désirs ne sont pas pour vous la source des plus cuisantes douleurs ; et, si un jour vous pouvez atteindre à votre coupable but, soyez en sûrs, la crainte vous tourmentera cruellement. Considérez donc à quelles peines vous êtes ici-bas condamnés, avant que vienne la résurrection des morts, avant que votre corps sorte du tombeau pour ne pas être changé ; « car nous ressusciterons tous, mais nous ne serons pas tous changés[357] ». Les méchants auront une chair de corruption pour souffrir et non pour mourir, parce que, s’ils mouraient, leurs douleurs auraient un terme ; alors ils sentiront toutes les épines du nerprun, c’est-à-dire toutes les douleurs et la poignante vivacité de leurs tourments. Quelles épines feront souffrir ces malheureux quand ils s’écrieront : « Voilà ceux dont nous nous sommes autrefois moqués[358] » Épines de regret et de repentir ! Mais pénitence trop tardive ! Repentir infructueux et stérile comme les épines ! La pénitence d’aujourd’hui est une peine salutaire ; celle du dernier jour ne sera qu’une punition infligée par la vengeance divine. Veux-tu n’être point transpercé par ces épines de la fin des temps ? Laisse-toi blesser aujourd’hui par celles d’un repentir utile ; mets en pratique ces paroles du Psalmiste : « Je me suis converti dans le chagrin que l’épine m’a causé en me transperçant. J’ai reconnu mon péché ; je n’ai point caché mon injustice. J’ai dit : Je déclarerai moi-même mon iniquité en face du Seigneur ; et vous m’avez pardonné l’impiété de mon cœur[359] ». Commence dès maintenant ; que ton âme soit brisée par la componction ; puisses-tu ne jamais mériter qu’on dise de toi ce que l’Écriture a dit de certaines personnes vraiment dignes de mépris : « Ils ont été déchirés, et néanmoins ils n’ont pas été touchés de componction[360] ». Remarquez bien, je vous prie, quels sont ces hommes « déchirés sans être touchés de componction » ?. Vous les voyez blessés, vous ne les voyez pas contrits et repentants. Ils sont hors de l’Église et n’en ressentent aucune peine ; aussi ne cherchent-ils pas à rentrer dans le giron de celle dont ils ont été violemment arrachés. Leur nerprun produira plus tard pour eux des épines ; ils ne veulent pas aujourd’hui de blessures qui les guérissent ; un jour viendra où ils seront blessés pour leur malheur. Aujourd’hui déjà, et quoique le nerprun ne se soit point encore transformé en un buisson épineux, une flamme est tombée sur eux, qui ne leur permet pas de voir le soleil, et qui sert d’instrument à la colère de Dieu pour les dévorer tout vivants : c’est la flamme des passions désordonnées, du désir des vains honneurs, de l’orgueil, de leur avarice ; elle les enveloppe de toutes parts, et, par suite, ils ignorent la vérité, ils ne s’aperçoivent nullement de leur défaite, et la vérité elle-même est incapable de les assujettir à son joug. Qu’y a-t-il pourtant de plus glorieux, mes frères, que de se laisser vaincre et assujettir par la vérité ? Soumets-toi volontairement à elle, parce qu’elle te dominerait plus tard malgré toi. Toutefois ce feu des mauvais désirs qui tombe sur les pécheurs, afin de les empêcher d’apercevoir le soleil, dévore le nerprun avant qu’il montre ses épines, c’est-à-dire qu’il enveloppe comme d’un nuage leur mauvaise vie, avant que se fassent sentir les douleurs éternelles dont elle sera manifestement punie ; c’est par un effet de la colère divine que ce feu cache le nerprun. Ne voyez-vous pas déjà pour eux une punition effrayante en ce qu’ils ne voient pas le soleil, et en ce qu’ils s’imaginent n’avoir pour jamais à redouter les douloureuses conséquences de leur vie de péché ? Vous êtes, nous dit le Prophète, un nerprun ; la flamme de vos passions mauvaises vous dévorera tout vivants, c’est-à-dire, pendant que vous êtes en ce monde ; ainsi sera-t-elle déjà l’instrument de la vengeance de votre Dieu ; elle vous dévorera avant que vos fautes produisent pour vous au dernier jugement les épines visibles de votre éternelle punition ; ou, pour m’exprimer autrement, elle semblera vous dévorer, car elle vous déguisera vos égarements. Voici donc, à mon avis, la meilleure manière de coordonner le sens de cette phrase : « Un feu est tombé sur eux, et ils n’ont pas vu le soleil ; ce feu, instrument de la colère divine, vous dévorera comme si vous étiez vivants, comme si vous étiez un nerprun qui n’a pas encore formé ses épines » ; c’est-à-dire : Vous êtes un nerprun ; le feu de la colère de Dieu vous consumera avant votre mort, avant que vous produisiez les épines qui vous feront souffrir après la mort, au jour de votre résurrection. Pourquoi, au lieu de dire que ce feu les dévorera tout vivants, le Prophète dit-il qu’il les consumera « comme s’ils étaient vivants ? » C’est que la vie des impies n’est pas une véritable vie. À vrai dire, ils ne vivent pas, seulement ils se croient vivants. Pourquoi encore, au lieu de dire : Dans la colère de Dieu, le Psalmiste dit-il : « Comme dans la colère de Dieu ? » C’est qu’en les punissant, Dieu ne perd rien de sa tranquillité. Il est, en effet, écrit : « Pour vous, Seigneur des armées, vous nous jugez avec tranquillité[361] ». Même au moment où il fait des menaces, il n’est pas irrité ; et, quand il se venge et punit ses créatures rebelles, il ne se trouble pas, il semble seulement s’irriter. De même ceux qui ne veulent point se convertir paraissent vivants, quoiqu’ils ne le soient pas en réalité. Ils sentent toujours peser sur eux la punition infligée par Dieu à la prévarication de notre premier père et à celles dont ils se sont eux-mêmes rendus coupables ; à cette punition on donne le nom de colère de Dieu, parce qu’elle est l’effet de ses jugements. Aussi, en parlant des hommes rebelles à la foi, Dieu dit-il : « Mais la colère du u Seigneur demeure sur lui[362] ». Nous naissons sujets à la mort par un effet de la colère divine ; voilà pourquoi l’Apôtre s’exprime ainsi : « Nous avons aussi été autrefois enfants de colère, comme les autres, par notre nature[363] ». Pourquoi enfants de colère par nature ? Parce que nous portons en nous-mêmes la peine du péché originel. Mais si nous nous convertissons, la colère disparaît pour faire place à la grâce. Tu refuses de te convertir ? Tu ajoutes à l’iniquité que tu as apportée avec toi en naissant, et dès cette vie tu seras comme noyé dans la colère divine.
21. Remarquez donc à quelle peine effrayante sont condamnés les méchants. Réjouissez-vous de n’en être pas accablés, ô vous tous qui avancez dans le chemin du bien, vous tous qui saisissez et aimez la vérité, vous tous qui aimez mieux la voir triompher de vous que vous voir triompher d’elle, vous tous qui, pour entendre plus parfaitement sa voix, fermez votre âme aux tentations du présent et aux souvenirs du passé, et ne voulez ressembler j en rien à ces chiens qui retournent à leurs vomissements[364]. Encore une fois, vous tous qui vous montrez tels que je viens de le dire, voyez les peines de ceux qui ne vous sont point pareils, et réjouissez-vous. Les tourments de l’enfer ne sont pas encore devenus leur partage ; ils ne sont pas encore devenus la proie du feu éternel, et pourtant, que le chrétien fidèle à Dieu se compare pour le présent avec l’impie ; que l’on mette en présence le cœur aveugle de l’un et le cœur illuminé de l’autre ; comparez deux hommes, dont l’un jouit de la vue, dont l’autre en est privé. À vrai dire, l’usage de la vue du corps est-il un si grand avantage ? Est-ce que le saint homme Tobie n’en était pas privé ? Son fils en jouissait ; il en était lui-même dépourvu, et toutefois, malgré sa cécité, n’indiquait-il pas le chemin de la vie à ce fils qui marchait en possession de ses yeux[365] ? En présence des peines infligées aux méchants, réjouissez-vous d’en être préservés ; car, dit l’Écriture, « le juste se réjouira lorsqu’il verra la punition, non pas la punition à venir. Écoute en effet ce qui suit : « Il lavera ses mains dans le sang du pécheur ». Quel sens donner à ce passage ? Que votre charité veuille bien y faire attention. Est-ce qu’au moment où la hache du bourreau frappe un assassin, les personnes qui ne sont point coupables de pareil crime doivent se rendre au lieu du supplice pour laver leurs mains dans le sang du supplicié ? Alors que signifient ces paroles « Il lavera ses mains dans le sang du pécheur ? » À la vue des punitions dont le pécheur est accablé, le juste devient meilleur ; la mort de l’un communique la vie à l’autre. Si ceux qui meurent spirituellement répandent leur sang de la même manière, c’est à toi, quand tu en es témoin, de laver tes mains dans ce sang invisible, et, à l’aide de ce remède étranger, de vivre avec plus de pureté. Mais si un homme est juste, quel besoin peut-il avoir de laver ses mains ? quelles taches pourrait-il y avoir à faire disparaître ? Le juste vit de la foi[366]. L’Apôtre donne le nom de justes aux fidèles, et dès lors que tu as commencé à croire, tu as aussi, par là même, commencé à devenir juste, puisque tu as obtenu le pardon de tes péchés. Sans doute, de ta vie antérieure resteront toujours certaines fautes qui feront passer dans ton âme un germe de corruption, comme l’eau de la mer pénètre dans les navires et y dépose des sédiments boueux ; cependant, parce que tu t’es soumis au joug de la foi, cette foi te fait voir aujourd’hui en énigme le Christ que tu verras un jour face à face, car le juste vit de la foi ; lors donc que devant toi ceux qui se détournent tout à fait de Dieu deviendront les victimes de leur aveuglement, quand le feu de la colère de Dieu sera tombé sur eux et les aura empêchés de voir le soleil, fais attention à la mort dont mourront les impies, et purifie-toi de tes péchés. Ainsi laveras-tu d’une certaine façon tes mains dans le sang du pécheur. « Il lavera donc ses mains dans le sang du pécheur ».
22. « Et l’homme dira : Il y a donc une récompense pour le juste[367] ». Avant que s’accomplissent les promesses divines, avant que commence pour lui la vie éternelle, avant que les impies soient précipités dans le feu qui ne s’éteindra jamais, il y aura donc une récompense pour le juste. Quelle sera cette récompense ? « Réjouissons-nous dans l’espérance « soyons patients au sein de la tribulation[368] ». Quelle sera la récompense du juste ? « Nous nous glorifions dans nos afflictions, car nous savons que l’affliction produit la patience, que la patience produit la pureté, que la pureté produit l’espérance. Or, l’espérance ne confond point, car l’amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné[369] ». L’ivrogne trouve la joie dans son ivresse, et le juste ne saurait se réjouir f La charité, voilà sa récompense. Celui-là est malheureux, même quand il se jette dans son vice brutal ; celui-ci est au comble du bonheur, même quand la faim et la soif le tourmentent ; l’un se plonge dans les excès de l’intempérance et y trouve son aliment ; l’espérance est la nourriture de l’autre. Que le juste examine donc les chagrins du méchant et sa propre joie, et que par la pensée il s’élève jusqu’à Dieu. Si le Seigneur fait trouver aux fidèles une telle félicité dans la foi, l’espérance, la charité et la vérité des Écritures, quel bonheur leur prépare-t-il pour l’éternité ? Et s’il les nourrit ainsi pendant la route, de quelles délices les comblera-t-il quand ils seront entrés dans la patrie ! « Et l’homme dira : Il y a donc une récompense pour le juste ». Que ceux qui le voient, le croient, qu’ils le voient et le comprennent. « Le juste se réjouira lorsqu’il verra la punition ». Quiconque n’a pas d’yeux pour voir cette punition, sera plongé dans la tristesse et ne se corrigera pas. Mais, dès lors qu’on la voit, on aperçoit la distance qui sépare un cœur aveugle d’un cœur illuminé, la fraîcheur de la chasteté, de la brû ! ante ardeur des passions charnelles, la sécurité que donne l’espérance, de la crainte qu’inspire le crime. L’homme témoin du supplice des méchants n’a plus qu’à se juger lui-même et à laver ses mains dans son propre sang. Que cette comparaison l’aide à s’avancer dans la vertu, et qu’il se dise : « Le juste aura donc sa récompense ; il y a donc un Dieu pour juger les hommes sur la terre. » Non, pas encore dans la vie future, ni par le feu éternel, ni dans les enfers, mais dès maintenant, sur la terre. Le mauvais riche est encore revêtu de pourpre et de fin lin ; il se nourrit encore somptueusement tous les jours ; le nerprun n’a pas encore donné d’épines ; il n’a pas encore dit : « Je suis cruellement tourmenté dans cette flamme[370] ». Mais déjà son cœur est frappé d’aveuglement, et l’œil de son âme est éteint. S’il était assis à une table splendide et qu’il fût privé de la vue corporelle, tu le proclamerais bien malheureux ; il est frappé de cécité spirituelle ; il ne voit pas le Christ qui est sa véritable nourriture, et il serait heureux ? Il n’y aurait qu’un aveugle pour oser le prétendre. « Il y a donc une récompense pour le juste ! il y a donc un Dieu pour juger les hommes sur la terre ! »
23. Si nous nous sommes un peu trop étendu, pardonnez-nous-le, mes frères ; nous vous y exhortons au nom du Christ : pensez à mettre en pratique ce que vous nous avez entendu dire. Ce serait chose inutile de proclamer la vérité, si le cœur n’était d’accord avec les paroles ; et, pour la même raison, à quoi bon l’entendre, si l’on n’a soin en même temps de bâtir sur la pierre ferme ? Celui qui écoute et met en pratique ce qu’il entend, élève son édifice sur la pierre ; écouter et ne pas se conduire en conséquence, c’est bâtir sur le sable[371] ; enfin, ne rien écouter, ne rien faire, c’est ne point bâtir. Mais, de même qu’un homme ne prépare qu’un édifice de ruine en bâtissant sur le sable, ainsi est-il emporté avec sa maison par l’impétuosité du torrent, quand il ne bâtit pas sur la pierre. Il n’y a donc qu’une chose à faire, c’est de bâtir et de bâtir sur la pierre, ou, en d’autres termes, c’est d’écouter et d’agir. Et que personne ne dise : Pourquoi aller à l’église ? Tel et tel y vont tous les jours et ne mettent en pratique rien de ce qu’ils y entendent. Au moins écoutent-ils déjà ; et, puisqu’ils écoutent, prennent-ils le moyen de bien agir ensuite. Mais toi, combien tu es loin d’agir, puisque tu t’écartes si vite et si loin pour ne pas même entendre ! Mais, diras-tu encore, je ne bâtis pas sur le sable. Lorsque le torrent viendra fondre sur toi, il te trouvera exposé sans défense à l’impétuosité de ses flots : crois-tu qu’à cause de cela il ne t’emportera pas ? penses-tu que l’abondance de l’eau du ciel t’en épargnera davantage ? est-ce que la violence de la tempête te laissera debout ? – Je viendrai donc et j’écouterai. – Oui, tu viendras, et quand tu auras écouté, tu agiras. Car si tu écoutes sans agir, c’est comme si tu bâtissais sur le sable. Ne point élever d’édifice, c’est demeurer sans abri contre les éléments du dehors ; en élever un sur le sable, c’est s’exposer à une ruine certaine ; reste donc le devoir de bâtir sur la pierre et de se conduire suivant les leçons qu’on a reçues.


PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME 58[modifier]

PREMIÈRE PARTIE DU PSAUME. – HUMILITÉ.[modifier]

Ce psaume désigne Jésus-Christ et l’Église sous la figure de David, comme sous celle de Saül il désigne les Juifs et les impies. Saül ne put cerner la maison où David se cachait ; les Juifs ne purent empêcher ni la vérité de la résurrection d’être connue, ni les Apôtres de la prêcher. Jamais la force dont ils se vantaient n’a été capable de prévaloir contre l’humilité du Sauveur, car Dieu a soutenu cette vertu de son Fils ; il a fait connaître ce qu’elle couvrait de son voile ; il l’a récompensée. En effet, le Seigneur a manifesté la divinité de Jésus-Christ malgré les ignominies de sa passion ; puis il a récompensé son humilité en amenant au repentir et à la foi les Gentils et une partie des Juifs. Ceux d’entre eux qui n’ont fait ni aveu ni pénitence de leur faute, sont la preuve que nous ne devons chercher notre force qu’en Dieu, et doivent nous servir d’exemple, car ils ont été dispersés et tous leurs desseins contre le Christ sont devenus inutiles. Ceux au contraire qui ont profité de la mort du Sauveur ont trouvé dans l’humilité le principe de leur perfection et le pardon de Dieu ; de la sorte, et par l’effet de sa miséricorde ou de sa vengeance, le Seigneur domine les pécheurs et les justes, les Juifs et les Gentils.


1. L’Écriture a coutume d’indiquer, aux titres des psaumes, les secrètes vérités qu’ils renferment, et d’orner la tête de chacun d’eux de l’énoncé de ces grands mystères, pour nous instruire d’avance du sens caché que nous y trouverons en l’étudiant ; ainsi lisons-nous, au frontispice d’une maison, ce qui s’y passe, le nom de celui qui l’habite ou à qui elle appartient. Voilà pourquoi se trouve écrit, au commencement de ce psaume, ce que j’appellerais un titre de titre. Car il porte : « Pour la fin. N’altère rien, pour David sur l’inscription du titre ». Voilà bien ce que j’ai appelé un titre de titre. Quelle est l’inscription de ce titre qu’il ne faut pas altérer ? L’Évangile lui-même nous le dit. Lorsque le Sauveur fut attaché à la croix, une inscription rédigée par Pilate fut placée au-dessus de lui ; elle était ainsi conçue Voilà le Roi des Juifs, et se trouvait écrite en hébreu, en grec et en latin[372], les trois principales langues de l’univers. Le roi des Juifs a été crucifié ; les Juifs ont crucifié leur Roi ; mais, en le crucifiant, ils en ont fait le Roi des gentils, plutôt qu’ils ne l’ont fait mourir. Autant que faire se pouvait, ils ont anéanti le Christ ; mais ç’a été à leur détriment, et à notre profit, puisqu’il est mort pour nous et qu’il nous a rachetés au prix de son sang. Nous sommes à même de le voir aujourd’hui : l’inscription de sa croix n’a pas été altérée ; il est le Roi des gentils : il est le Roi des Juifs eux-mêmes. En effet, pour s’être opposés à la rédaction de son titre, sont-ils parvenus à détruire sa puissance royale ? Il est Roi, et il exerce son empire, même sur eux. Car il porte en ses mains un sceptre de fer ; et, armé de ce sceptre, il gouverne et brise ses sujets. « J’ai été », dit-il, « établi de Dieu pour être roi sur Sion, sa montagne sainte, et pour y prêcher ses préceptes. Le Seigneur m’a dit : Vous êtes mon Fils, je vous ai engendré aujourd’hui. Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour votre héritage, et pour domaine jusqu’aux extrémités de la terre. Vous les gouvernerez avec un sceptre de fer, et vous les briserez comme un vase d’argile[373] ». Quels hommes gouvernera-t-il ? Quels hommes seront brisés par lui ? Il gouvernera ceux qui lui obéiront ; il brisera ceux qui lui feront résistance. Ces mots : « N’altère pas », sont donc une admirable prophétie. Les Juifs étaient allés se plaindre à Pilate, et lui avaient dit : « Garde-toi d’écrire qu’il est le Roi des Juifs, mais écris qu’il s’est déclaré Roi des Juifs » ; car, ajoutèrent-ils, un pareil titre consacre sa royauté sur nous. Et Pilate avait répondu : « Ce que j’ai écrit est écrit[374] ». Voilà l’accomplissement de cette parole : « N’altère pas ».
2. Ce psaume n’est pas le seul à porter une pareille inscription : « N’altère pas » : ce titre est commun à quelques autres[375], et néanmoins ils ont tous trait à la passion du Sauveur. Sachons donc y trouver une allusion aux souffrances de Jésus-Christ, et y reconnaître la parole de Jésus-Christ considéré comme chef et comme corps tout ensemble. Toujours ou presque toujours dans ce psaume nous devrons considérer les paroles du Rédempteur, d’abord comme celles de notre divin chef, de l’unique médiateur de Dieu et des hommes, de Jésus-Christ homme, qui, au commencement, était aussi en tant que Dieu le Verbe, Dieu en Dieu ; du Verbe qui a habité parmi nous après s’être fait chair[376], qui est sorti, selon la chair de la race d’Abraham et de David, et qui est né de la Vierge Marie ; nous devrons aussi considérer ces paroles comme celles de Jésus-Christ tout entier, homme parfait, tout à la fois, chef et corps : car, nous dit l’Apôtre, « vous êtes le corps et les membres du Christ[377] ». Saint Paul ajoute, en parlant de lui, qu’il est le Chef de l’Église[378]. S’il est notre chef, nous sommes ses membres : il est donc en même temps chef et corps. Parfois il arrive que certaines paroles ne peuvent être attribuées à Jésus-Christ comme chef, et si tu ne les rapportais pas au corps, tu ne pourrais en saisir parfaitement le sens : par une raison analogue, certaines autres paroles ne Conviennent pas au corps ; et, pourtant, c’est le Christ qui les prononce. Y a-t-il là à craindre de se tromper ? Non, car il suffit d’appliquer au chef ce qui ne peut convenir aux membres. Enfin, pendant qu’il était attaché à la croix, le Sauveur a parlé au nom de son corps « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné[379] ? » Dieu ne l’avait pas abandonné, puisqu’il n’avait pas abandonné Dieu. Pourrait-on dire, en effet, que pour descendre jusqu’à nous, il s’était éloigné de son Père, ou qu’en nous l’envoyant, le cœur de son Père s’était écarté de lui ? Non, mais l’homme avait abandonné Dieu, car Adam, après avoir péché, Adam autrefois si heureux quand il se trouvait en la présence du Seigneur, s’était éloigné de la source de son bonheur, épouvanté des reproches de sa conscience coupable[380]. Puisqu’il avait, le premier, abandonné Dieu, il était juste que Dieu l’abandonnât à son tour. Or, Jésus-Christ ayant puisé sa chair en Adam parlait au nom de l’humanité qu’il avait prise, car notre vieil homme a été attaché simultanément à la croix[381].
3. Écoutons donc ce qui suit : « Lorsque Saül envoya garder sa maison pour le faire mourir ». S’il n’est point ici question du crucifiement du Sauveur, il s’agit néanmoins de sa passion : car après avoir été attaché à la croix, et avoir rendu le dernier soupir, Jésus-Christ a été mis dans le tombeau : et ce tombeau était, à vrai dire, pour lui, comme une maison, et la nation juive la fit véritablement garder, quand elle envoya des gardes pour surveiller le sépulcre de l’Homme-Dieu[382]. Dans le livre des Rois, nous trouvons, sans doute, le récit des précautions prises par Saut pour cerner la maison où David s’était réfugié, et le faire mourir[383]. Cependant, dans l’explication de ce psaume, nous ne devons faire allusion à cet événement qu’autant que le Psalmiste l’a fait lui-même. A-t-il voulu se borner à nous dire qu’on a envoyé garder la maison de David pour le mettre à mort ? Si David figurait le Christ, comment peut-on dire qu’on gardait la maison où se trouvait le Christ, afin de le faire mourir, puisqu’il n’a été enfermé dans son sépulcre qu’après avoir perdu la vie sur la croix ? Rapporte donc ces paroles au corps du Christ ; car le mettre à mort, c’était éteindre sa mémoire, c’était empêcher les peuples de croire en lui, c’était faire prévaloir, à cet effet, l’imposture des gardes, qui s’étaient laissé gagner, et disaient, en conséquence, que pendant leur sommeil ses disciples étaient venus l’enlever[384]. C’était vraiment vouloir tuer le Christ, que d’étouffer sous le poids du mensonge la vérité de sa résurrection, et donner gain de cause à l’erreur sur l’Évangile. Mais de même que Saûl ne put parvenir à faire mourir David, de même la nation juive se trouva dans l’impossibilité de faire prévaloir le témoignage de gardes endormis sur la déposition d’apôtres bien éveillés. Quelle leçon les gardes reçurent-ils ? Que leur apprit-on à dire ? Nous vous donnerons autant d’argent que vous en voudrez, pourvu que vous disiez que ses disciples sont venus l’enlever pendant votre sommeil. Voilà quels témoins les ennemis du Christ figurés par Saül ont produits pour appuyer leur imposture, pour infirmer la vérité et rendre sa résurrection impossible à croire. O infidèle, interroge ces témoins endormis, qu’ils répondent et te disent ce qui s’est passé à son tombeau. S’ils dormaient, comment ont-ils pu le savoir ? S’ils veillaient, comment n’ont-ils pas mis la main sur les ravisseurs ? Que le Prophète dise donc ce qui suit :
4. « Sauvez-moi de mes ennemis, ô mon Dieu ! Délivrez-moi de ceux qui s’élèvent contre moi[385] ». C’est ce qui a eu lieu pour Jésus-Christ pendant qu’il était en ce monde, c’est encore ce qui aura lieu pour nous ; car nos ennemis, le démon et ses anges, ne cessent jamais de s’élever contre nous ; ils insultent continuellement à notre faiblesse et à notre fragilité par leurs tromperies, leurs suggestions, leurs tentations ; ils veulent nous faire tomber en toutes sortes de pièges, pendant tout le cours de notre vie terrestre. Mais que notre prière s’élève aussi sans cesse vers le trône de Dieu ; que les membres du Christ, toujours unis à leur chef qui est au ciel, s’écrient : « O mon Dieu, sauvez-moi de mes ennemis : délivrez-moi de ceux qui s’élèvent contre moi[386] ».
5. « Délivrez-moi de ceux qui commettent le péché ; sauvez-moi des hommes de sang Ils étaient, dans toute la force du terme, des hommes de sang, ceux qui ont mis à mort le juste auquel ils ne purent reprocher aucune faute. Ils étaient des hommes de sang, ceux qui, au moment où un étranger se lavait les mains et voulait renvoyer le Christ sans le condamner, ont crié : « Crucifie-le, crucifie-le ». Ils étaient des hommes de sang, ceux auxquels on reprochait de verser injustement le sans du Christ, et qui, le buvant en quelque sorte, à la santé de leurs descendants les plus éloignés, ne craignirent pas de faire entendre cette horrible imprécation : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants[387] ». Après s’être insurgés contre le chef, ces hommes de sang continuèrent à s’attaquer à ses membres. Car, après la résurrection et l’ascension du Sauveur, l’Église souffrit persécution ; et ceux de ses membres qui étaient sortis du judaïsme pour l’illustrer, furent les premiers à ressentir l’épreuve ; de ce nombre furent nos Apôtres. D’abord Étienne fut lapidé dans le pays de Judée[388], et reçut la couronne indiquée par son nom, parce qu’Etienne signifie couronne. Humilié sur la terre par sa lapidation, il fut exalté dans le ciel par son couronnement. Ensuite, parmi les nations, on vit les rois se révolter contre l’Évangile, car en eux ne s’était pas encore accomplie cette prophétie : « Tous les rois de la terre l’adoreront, et tous les peuples lui seront assujettis[389] ». Alors se déchaîna, contre les témoins du Christ, l’impétueuse fureur des nations alors coula à grands flots le sang d’une multitude de martyrs ; et, fécondée par ce sang précieux, la semence divine produisit pour l’Église une moisson plus abondante, une moisson si abondante, que le monde entier en fut rempli : nous en sommes témoins. En sa qualité de chef et en sa qualité de corps, Jésus-Christ est sorti des mains de ces hommes de sang ; oui, il est délivré des hommes de sang, qui ont autrefois vécu, qui vivent aujourd’hui et qui vivront plus tard : il est sorti d’entre leurs mains, et pour le passé, et pour le présent et pour l’avenir, car en Jésus-Christ nous devons voir le Christ tout entier, puisqu’en sa personne seront délivrés des hommes de sang les chrétiens fidèles d’aujourd’hui, d’hier et des siècles futurs : on ne dira jamais sans raison : « Délivrez-moi des hommes de sang ».
6. « Car ils ont tendu des filets à mon âme[390] ». Ils ont eu le pouvoir de me saisir et de me tuer. « Ils ont tendu des filets à mon âme ». Qu’est devenue cette parole : « Vous avez brisé mes liens[391] ? » et cette autre : « Le filet a été rompu, et nous nous sommes échappés ? » Comment pourrons-nous bénir Dieu « de ne pas nous avoir donnés comme une proie à leurs dents[392] ? » Ils nous ont tendu des filets, mais le Dieu qui garde Israël ne nous abandonne point entre les mains des chasseurs. « Ils ont tendu des pièges à mon âme, et ceux qui sont forts sont venus fondre sur moi ». Il ne faut pas glisser à la légère sur ces mots « Ceux qui sont forts » : nous devons soigneusement chercher à savoir quels sont ces forts prêts à fondre sur nous. Ils sont remplis de force, mais pour attaquer des infirmes, des gens dépourvus de santé et de force. Néanmoins l’Écriture donne des louanges aux faibles et blâme les forts. Comprenons donc bien à qui le Prophète donne le nom de fort. D’abord, le Seigneur attribue la force au démon lui-même : « Personne », dit-il, « ne peut entrer dans la maison du fort ni enlever ses dépouilles, s’il ne lie le fort[393] ». Aussi a-t-il lié le fort par sa puissance souveraine comme par des chaînes de fer, et lui a-t-il enlevé ses dépouilles pour les consacrer à son propre usage ; car tous les pécheurs appartenaient au démon : par la foi, ils sont devenus la propriété du Christ : c’était à eux que l’Apôtre disait : « Vous étiez autrefois ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur[394] ; qui a fait voir les richesses de sa grâce envers les vases de miséricorde[395] ». On peut donc déjà interpréter ainsi le mot « forts ». Parmi les hommes, il en est qui sont forts d’une force digne de reproche et de blâme, qui mettent leur espérance dans les plaisirs de ce monde. Est-ce qu’il ne vous semble pas avoir été doué d’une grande force, ce riche dont nous entretenait tout à l’heure l’Évangile ? Il avait hérité d’un terrain singulièrement fertile : dans l’incertitude et l’embarras de ce qu’il ferait pour mettre à couvert ses récoltes, il s’imagina de détruire ses anciens greniers, d’en construire de nouveaux sur un plan autrement vaste, afin de pouvoir, ces travaux menés à bonne fin, tenir ce langage à son âme : « Mon âme, tu as de grands biens : mange, bois, réjouis-toi, rassasie-toi de tes richesses[396] ». Quelle force aperçois-tu en lui ? « C’est un homme qui n’a pas choisi Dieu pour son appui, mais qui a mis sa confiance dans ses nombreuses richesses ». Vois combien il est fort ! « Il s’est prévalu dans sa vanité[397] ».
7. Il en est d’autres pour être forts, et ce qui leur donne de la force, ce ne sont ni leurs richesses, ni une santé robuste, ni une éclatante position dans le monde : c’est la confiance en leur propre justice. Cette classe d’hommes, il faut l’éviter, la craindre, la détester, mais non l’imiter. Ne me parlez pas de la beauté de leur corps, de leur fortune, de leur naissance, des honneurs qu’on leur rend : leur confiance ne vient pas de là : où est, en effet, l’homme assez aveugle pour ne pas comprendre que tous ces avantages sont de courte durée, sans consistance, caducs et passagers ? Leur confiance vient de la considération de leur propre justice. Telle fut la force qui empêcha les Juifs de passer par le trou de l’aiguille[398]. Dès lors qu’ils ont cru être justes, et qu’ils se sont regardés comme jouissant d’une santé parfaite, ils ont refusé le remède et fait mourir le médecin. Ce ne sont pas des hommes de cette force que le Sauveur est venu appeler : ce sont des infirmes. « Le médecin », dit-il, « n’est pas nécessaire à ceux qui se portent bien, mais à ceux qui se portent mal ; car je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs à la pénitence ». Ils étaient forts, ceux qui insultaient les disciples du Christ, parce que leur maître visitait les infirmes et mangeait avec eux. « Pourquoi », leur disaient-ils, « votre maître s’assied-il à la table des publicains et des pécheurs[399] ? » O hommes forts, qui n’avez nul besoin du médecin ! vous ne puisez votre force que dans la folie : le bon sens n’en est pas la source. Rien de plus fort que les frénétiques : ils sont bien autrement robustes que ceux qui jouissent d’une santé parfaite ; mais plus grandes sont leurs forces, plus proche est leur mort. Daigne le Seigneur nous faire la grâce de ne point imiter de telles gens. Chacun de nous doit craindre de suivre leur exemple. Le Maître de l’humilité, qui a partagé notre infirmité humaine pour nous rendre participants de sa divinité, qui est descendu sur la terre pour nous enseigner notre chemin et devenir lui-même notre voie[400], Jésus-Christ a bien voulu nous recommander, surtout son humilité[401]. Il n’a pas dédaigné de se faire baptiser par son serviteur, afin de nous apprendre à faire l’aveu de nos fautes, à devenir faibles pour devenir forts, et à pouvoir, de préférence, dire avec saint Paul : « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort[402] ». Ainsi l’Apôtre témoignait-il ne pas vouloir être du nombre de ces forts. Mais en voulant se montrer forts, c’est-à-dire, en présumant de leur vertu comme s’ils étaient justes, les Juifs se sont heurtés contre la pierre de scandale[403]. L’Agneau leur a semblé être un bouc : ils l’ont tué, comme s’il en était un ; et par là ils ont mérité de n’être point rachetés par l’Agneau. Voilà les forts qui se sont vantés de leur justice, et se sont élevés contre le Christ. Écoutez-les parler. Certains habitants de Jérusalem avaient été envoyés par eux avec l’ordre de s’emparer du Sauveur : ces émissaires n’osèrent point accomplir heur mission, car le moment n’était point encore venu pour Jésus-Christ, dont les forces étaient réelles, de vouloir se laisser prendre : alors ceux qui les avaient envoyés, leur dirent : Pourquoi donc n’avez-vous pu vous emparer de sa personne ? Jamais, répondirent-ils, jamais homme n’a parlé comme lui. Et ces forts répliquèrent Est-ce que parmi les Pharisiens ou les Scribes il y en a un seul pour croire en lui ? En dehors de cette populace, qui ne connaît point la loi, personne n’ajoute foi à ses paroles[404]. Ils se sont préférés à une foule d’infirmes, qui se précipitaient au-devant du médecin : pourquoi, sinon parce qu’ils étaient robustes ? Mais, par un nouvel et plus criant abus de leur force, ils ont entraîné à leur suite toute cette foule et mis à mort le médecin, qui pouvait guérir les uns et les autres. Pour lui, par cela même qu’on l’a fait mourir, il s’est servi de son sang comme d’un remède propre à guérir les malades. « Les forts se sont précipités sur moi ». Réfléchissez bien au sort de cette classe d’hommes ; et, s’il est défendu au chrétien de mettre sa confiance en sa propre justice, voyez s’il nous est permis de l’appuyer sur autre chose. Voyez où en sont réduits ceux qui se glorifient de leurs richesses, de leur force corporelle, de la noblesse de leur origine, des dignités qui les distinguent dans le monde, puisque ceux-là tombent si lourdement, qui se glorifient de leur justice, comme s’ils en étaient la source. « Les forts se sont précipités sur moi ». Du nombre de ces hommes était le pharisien, car il se vantait de ses forces. « Je vous rends grâces », disait-il, de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont injustes, ravisseurs du bien d’autrui, adultères, ni même comme ce publicain. Je jeûne deux fois la semaine ; je donne la dîme de tout ce que je possède ». Voilà un fort qui se vante de sa force : Voici maintenant un infirme, qui se tient bien loin, et qui, par son humilité même, se rapproche de Dieu. « Mais le publicain se tenait bien loin, et n’osait pas même lever les yeux au ciel. Il se frappait la poitrine et disait : O Dieu, soyez-moi favorable, à moi pécheur. En venté, je vous le dis, cet homme s’en retourna plus juste que le pharisien ». Vois en quoi consiste la justice : « Celui qui s’élève sera humilié, et celui qui s’humilie sera élevé[405] ». Tels sont les forts qui se sont précipités sur le Christ : ce sont des orgueilleux qui, méconnaissant la justice divine, et pénétrés de la valeur de leur propre justice, ne se sont point soumis à celle de l’Eternel[406].
8. Que dit ensuite le Psalmiste ? « Il n’y a point d’injustice en moi, ô mon Dieu, il n’y a en moi aucun péché[407] ». Les forts, qui se confiaient en leur justice, se sont précipités sur moi : oui, ils se sont jetés sur moi, mais ils n’ont trouvé en moi aucun péché. Ces forts, c’est-à-dire, ces faux justes, pouvaient-ils attaquer le Christ, s’il ne semblait être un pécheur ? Qu’ils le remarquent néanmoins, leur force venait de l’ardeur de la fièvre qui les dévorait, et non d’une robuste santé. Qu’ils le reconnaissent, leur force était factice ; et s’ils ont persécuté le Christ, c’est qu’ils se sont crus justes et qu’ils l’ont considéré comme un pécheur. Et pourtant, « Seigneur, il n’y avait en moi ni injustice ni péché. J’ai couru sans injustice, et j’ai marché dans la voie droite ». Pendant que je courais, ces forts n’ont pu me suivre, et ils m’ont considéré comme un pécheur, parce qu’ils n’ont pas découvert mes traces.
9. « J’ai couru sans injustice, et j’ai suivi la voie droite : venez à ma rencontre, et voyez[408] ». Le Prophète dit à Dieu : « J’ai couru sans injustice, et j’ai suivi la voie droite : venez à ma rencontre, et voyez ». Quoi donc ! Le Seigneur ne peut-il voir, sans venir à sa rencontre ? En serait-il de lui comme d’un homme qui ne pourrait te connaître de loin pendant ta promenade, et à qui tu dirais à haute voix : Viens à ma rencontre, et tu verras comment je marche ; car, en me considérant à pareille distance, tu ne peux examiner mes pas ? Encore une fois, en serait-il ainsi de Dieu ; et, pour s’apercevoir que le Prophète suit la voie droite et court sans péché, aurait-il besoin de venir à sa rencontre ? Nous pouvons donc expliquer ainsi ces paroles : « Venez à ma rencontre » : venez à mon secours : aidez-moi. Et ces autres mots : « Et voyez », doivent s’entendre en ce sens : Faites qu’on me voie courir, faites qu’on me voie marcher dans le chemin droit : car autrefois Dieu parlait dans le même sens à Abraham : « Je connais maintenant que tu crains le Seigneur[409] ». Dieu dit : « Je connais », pour dire : Je t’ai fait connaître ; chacun de nous, en effet, s’ignore lui-même avant l’expérience que lui donne la tentation. Ainsi, quand il présumait de lui-même, Pierre ne se connaissait pas : il apprit jusqu’où allaient ses forces, au moment ois il reniait sois Maître : à la suite de sa chute, il comprit qu’il avait à tort présumé de lui-même ; il pleura[410], et, par ses larmes, il mérita pour son profit de savoir ce qu’il avait été, et de devenir ce qu’il n’était pas. Lors donc que Dieu éprouva Abraham, il lui donna la connaissance de lui-même, et lui dit : « Je connais maintenant », c’est-à-dire, je t’ai fait connaître. Ainsi, donne-t-on le nom de gai au jour qui nous procure de la joie, et celui de triste au jour qui nous plonge dans la tristesse ? Pour la même raison on dit que Dieu voit, quand il fait voir. « Venez donc à ma rencontre », dit le Prophète, « et voyez ». Quel sens faut-il donc donner à ces paroles ? Aidez-moi, et faites que mes ennemis voient mes traces ; qu’ils me suivent : que ce qui est bon ne leur paraisse point mauvais, et que ce qui est conforme à la règle de la vérité ne leur semble pas opposé à la droiture. « Parce que j’ai couru sans péché, et suivi la droite voie ; venez à ma rencontre et voyez ».
10. L’excellence de notre Chef m’engage à vous parler ici de lui. Il a, en effet, voulu devenir faible jusqu’à mourir, et pour rassembler sous ses ailes les petits de Jérusalem, il s’est revêtu de, l’infirmité de notre chair, imitant par là l’exemple de la poule qui se fait petite avec ses petits. De tous les oiseaux que nous avons été à même d’examiner, qui font leurs nids sous nos yeux, par exemple les oiseaux de murailles, les hirondelles qui viennent tous les ans nous demander l’hospitalité, les cigognes et les autres oiseaux d’espèces différentes qui font leurs nids devant nous, qui couvent leurs œufs et nourrissent leurs petits, comme les pigeons dont nous pouvons tous les jours étudier les mouvements ; de tous ces oiseaux il n’en est aucun pour se faire petit avec ses petits ; nous n’en avons jamais rencontré, connu ou vu, pour ressembler à la poule. Car, que fait-elle ? Je ne relate pas ici un fait inconnu ; tous ceux qui m’entendent le savent pour en avoir été souvent témoins voyez comme sa voix devient rauque, comme son corps tout entier se hérisse ; ses ailes traînent à terre, ses plumes tombent ; elle éprouve pour ses petits je ne sais quel malaise, et cette sorte de maladie n’est chez elle que l’effet de son amour maternel. Voilà pourquoi, dans la sainte Écriture, le Sauveur se compare à une poule et tient ce langage : « Jérusalem, Jérusalem, combien de fois j’ai voulu rassembler tes petits, comme la poule rassemble les siens sous ses ailes, et tu ne l’as pas voulu[411] ! » Comme fait une poule pour ses petits, ainsi a-t-il rassemblé toutes les nations en se faisant faible pour nous, en nous empruntant, en empruntant au genre humain l’infirmité de la chair, en se laissant crucifier, mépriser, souffleter, flageller, attacher au bois de sa croix et percer d’un coup de lance. En tout cela nous devons voir l’effet de sa tendresse de mère pour nous, et non pas la preuve de la perte de sa puissance souveraine ; et parce qu’il a été réduit à cet état de faiblesse et d’humiliation, il est devenu une pierre d’achoppement et de scandale contre laquelle plusieurs se sont heurtés[412]. Réduit à cet état d’infirmité, revêtu de notre chair sans en prendre le péché, le Christ est devenu participant de notre faiblesse, sinon de notre injustice ; et, en prenant ainsi part à notre faiblesse, il a fait disparaître notre injustice ; c’est pourquoi il dit : « J’ai couru sans injustice et j’ai suivi la voie droite ». Mais ne devons-nous pas voir en lui la nature divine ? devons-nous méconnaître en lui la toute-puissance qui nous a créés, pour ne considérer que ce qu’il a bien voulu devenir pour nous racheter ? Certes, il est de ton devoir de ne pas négliger la considération de ses grandeurs ; c’est même une grande preuve de piété de ta part que d’apprendre à connaître Celui qui a tant souffert pour toi. Ce n’est pas un être vil et méprisable, c’est le premier de tous les êtres qui a souffert pour toi ; et toi, qui es-tu ? Un grand personnage ? Hélas, tu n’es qu’une faible créature ! Qu’a-t-il fait pour toi ? Il est devenu tout petit, car « il s’est humilié et s’est fait obéissant jusqu’à la mort ». Et qui était-il ? Ecoute : l’Écriture l’a dit avant de parler de ses humiliations : « Etant dans la forme de Dieu il n’a pas cru faire un larcin en se disant égal à Dieu » ; mais lui qui était semblable à Dieu « s’est anéanti lui-même en prenant la forme d’esclave et en se rendant semblable aux hommes[413] ». Il s’est anéanti de telle sorte qu’il a pris ce qu’il n’était pas, sans perdre néanmoins ce qu’il était. Mais comment s’est-il anéanti ? En ce qu’il s’est offert à tes regards dans cet état d’anéantissement ; en ce qu’il a dérobé à tes yeux la suprême grandeur qu’il possède en son Père ; en ce que, sur la terre, il ne te fait voir que son infirmité, se réservant de te rendre témoin de sa gloire quand tu seras entré, purifié de toute souillure, dans le ciel. Égal à son Père, il est devenu l’homme de douleurs, et pourtant, à travers le voile de sa faiblesse, nous devons voir en lui, avec les yeux de la foi, sinon avec ceux de la chair, le Fils de l’Eternel, et croire du moins ce que nous ne pouvons contempler face à face ; ainsi mériterons-nous de considérer à découvert ce que, par l’impuissance de nos organes, nous pouvons seulement croire aujourd’hui. Après sa résurrection il apparut à Marie-Madeleine et lui dit avec grande raison : « Ne me touche point, parce que je ne suis pas encore monté vers mon Père[414] ». Pourquoi parler ainsi, puisque peu après les saintes femmes le touchèrent ? Effectivement, au moment où elles venaient de quitter le tombeau pour retourner à Jérusalem, il se présenta devant elles, et aussitôt elles se prosternèrent à ses pieds pour l’adorer, et les embrassèrent[415]. Les disciples eux-mêmes furent admis à toucher ses plaies[416]. Quel sens dominer à ces paroles : « Ne me touche point, parce que je ne suis pas encore monté vers mon Père ? » Celui-ci, sans doute : Ne crois pas que je sois seulement ce que tu vois ; n’arrête donc pas tes regards à ce que tu touches. Tu me vois toujours dans la faiblesse, parce que je ne suis pas encore monté vers mon Père. Je suis descendu du ciel pour habiter parmi vous, mais je n’ai pas encore quitté la terre pour remonter auprès de mon Père, puisque je ne me suis pas encore séparé de vous. Il était descendu sur la terre sans quitter le ciel : il est remonté au ciel sans quitter la terre. Mais que signifie cette ascension du Sauveur vers son Père ? Elle signifie la connaissance que nous acquérons de son égalité avec son Père. Pour nous, nous montons, lorsque nous devenons plus parfaits et plus capables de voir, de comprendre et de saisir ce mystère. Il remit donc à un autre temps, pour Marie-Madeleine, la permission de le toucher, mais il ne la lui refusa pas pour toujours ; il ne lui en enleva pas l’espérance, il ne fit qu’en différer l’accomplissement. « Car », dit-il, « je ne suis pas encore monté vers mon Père. Il est sorti du plus haut des cieux ; on le rencontre au plus haut des cieux[417] ». Le plus haut des cieux, c’est-à-dire la plus relevée de toutes les choses spirituelles, c’est le Père ; voilà d’où le Fils est descendu, voilà où il est remonté, car il est remonté jusqu’au plus haut des cieux. S’il n’était égal à son Père, pourrait-il remonter jusque-là ? Enfin, lorsque nous comparons ensemble deux objets inégaux et que nous appliquons l’une contre l’autre deux mesures d’inégale grandeur, pour voir dans quel rapport elles sont entre elles, si leurs dimensions sont différentes, nous disons que ces deux objets, ces deux mesures, ne se rencontrent pas si, au contraire, leurs dimensions se trouvent être pareilles, nous disons qu’ils se rencontrent. Donc, parce que le Fils est égal à son Père, « sa rencontre est au plus haut des cieux ». Tel il voulait se faire connaître de ses serviteurs fidèles, quand il disait : « Ne me touche pas ». Il voulait obtenir cette grâce de la part de son Père en leur faveur, en lui adressant cette prière : « Levez-vous, venez à ma rencontre et voyez ». Faites connaître que je vous suis égal. Jusques à quand Philippe me dira-t-il : « Montrez-nous votre Père, et cela nous suffit ? » Jusques à quand lui répondrai-je : « Je suis avec vous depuis si longtemps et vous ne connaissez pas mon Père ? Philippe, celui qui me voit, voit aussi mon Père. Ne crois-tu pas que je suis en mon Père et que mon Père est en moi[418] ? » Ce disciple ne croit peut-être pas encore à cette égalité. « Levez-vous donc, venez à ma rencontre, et voyez ». Faites qu’on me voie, qu’on vous voie aussi, et que les hommes sachent que nous sommes égaux. Loin des Juifs l’idée de n’avoir crucifié qu’un homme ; sans doute le Sauveur n’a été attaché à la croix que comme homme, mais il est vrai de le dire, ils n’ont pas su qui ils faisaient mourir ; car s’ils l’avaient connu, jamais ils n’auraient crucifié le Roi de gloire[419]. Mais, afin que mes fidèles connaissent ce Roi de gloire, « levez-vous, venez à ma rencontre, et voyez.
11. « Et vous, Seigneur, Dieu des armées, vous êtes le Dieu d’Israël ». Vous, ô Dieu d’Israël, qu’on regarde comme le Dieu du peuple d’Israël seul, vous que l’on considère comme le Dieu de la seule nation qui vous adore, vous que les autres nations méconnaissent, puisqu’elles adorent des idoles, Dieu d’Israël, « hâtez-vous de visiter tous les peuples ». Qu’elle s’accomplisse cette prophétie où, parlant en votre nom à votre Église, à cette cité sainte qui vous appartient, à cette Épouse stérile et abandonnée, qui a eu ensuite plus d’enfants que la femme qui a un mari, Isaïe lui adresse ces paroles : « Réjouis-toi, stérile, qui n’enfantes pas : pousse des cris de joie, toi qui n’as point d’enfants, parce que celle qui était abandonnée aura plus d’enfants que celle qui a un mari ! » Plus que la nation juive, qui a un mari et qui a reçu une loi ; plus que ce peuple qui a eu un roi visible. Car ton Roi est caché, et cet Époux que personne ne voit, t’a donné plus d’enfants que la nation juive n’en a eu de son roi visible : c’est pourquoi le Prophète lui dit : « Celle qui était abandonnée a eu plus d’enfants que celle qui avait un mari. Etends le lieu de la tente », ajoute Isaïe ; « ne crains point d’agrandir ta demeure. Tends tes cordes plus loin : porte-les à droite et à gauche. – Renferme à droite ceux qui sont bons, et à gauche ceux qui sont méchants », jusqu’à ce que vienne le temps de vanner[420]. Entre en possession de tous les peuples. Qu’on invite aux noces les bons et les méchants ; que la salle du festin nuptial se remplisse de convives[421]. Aux serviteurs d’inviter : au Seigneur de séparer les uns d’avec les autres. « Etends donc tes cordes à droite et à gauche, car ta race possédera toutes les nations, et tu habiteras les villes qui étaient abandonnées ». Abandonnées de Dieu, des Prophètes, des Apôtres, de l’Évangile, mais remplies de démons. « Tu habiteras les villes abandonnées ; ne crains rien, car tu auras enfin l’avantage. Ne rougis pas de ce que tu as été un objet d’horreur. Ne rougis donc point de ce que les forts se sont élevés contre moi » ; quand on publiait des lois contre le christianisme, quand c’était une honte et une infamie d’appartenir à la religion chrétienne. « Ne rougis point de ce que tu as été un objet d’horreur : tu oublieras à jamais ta confusion passée ; tu ne te souviendras plus de la honte de ton veuvage. Car je suis « le Seigneur, qui t’ai faite. Le Seigneur est son nom ; celui qui t’a délivrée, sera appelé le Seigneur, le Dieu d’Israël, le Dieu de toute la terre[422]. Et vous, Seigneur des armées, Dieu d’Israël, hâtez-vous de visiter tous les peuples ». Hâtez-vous, dirai-je moi-même, de visiter tous les peuples.
12. « N’ayez de compassion pour aucun de ceux qui commettent le péché ». Ces paroles sont terribles : qui est-ce qui n’en serait pas épouvanté ? Qui est-ce qui ne tremblerait pas en faisant un retour sur lui-même ? Et si pure, si délicate que soit notre conscience, n’a-t-elle pas encore quelque faute à se reprocher ? Quiconque, en effet, commet le péché, se rend coupable d’iniquité[423] ». « Seigneur, si vous teniez compte de toutes mes iniquités, qui est-ce qui pourrait soutenir la rigueur de votre jugement, ô mon Dieu[424] ? » Et pourtant la parole du Prophète est vraie ; elle n’a pas été prononcée en vain : il faut qu’elle ait, et elle aura, dans une certaine mesure, son accomplissement : « N’ayez de compassion pour aucun de ceux qui commettent l’iniquité ». Et pourtant le Seigneur a eu pitié de Paul ; et cependant, quand celui-ci portait encore le nom de Saul, il commettait l’iniquité : quel bien a-t-il donc fait pour mériter le pardon de Dieu ? Ne traînait-il pas à la mort les saints du Très-Haut ? Ne portait-il pas de tous côtés des lettres écrites par les princes des prêtres, afin de conduire au supplice, partout où il en rencontrerait, les disciples du Christ ? N’est-ce pas au moment où il agissait ainsi, où tous ses efforts tendaient à un pareil but, où il ne respirait, selon le langage de l’Écriture, que le meurtre elle carnage, n’est-ce pas à ce moment-là même qu’une voix éclatante l’a appelé du haut du ciel ; qu’il a été jeté à terre et s’est relevé ensuite ; qu’il a été aveuglé pour se voir bientôt environné de lumière ; qu’il a été frappé de mort pour revenir promptement à la vie ; qu’il a été perdu et retrouvé ensuite[425] ? Avait-il mérité de telles faveurs ? Comment les avait-il méritées ? Gardons le silence, laissons-le répondre à notre place, écoutons-le. « Auparavant », dit-il, « j’ai été un blasphémateur, un persécuteur, un injurieux ; mais j’ai obtenu miséricorde[426] ». Quoi qu’il en soit, voici une parole dont ou ne peut douter : « N’ayez de compassion pour aucun de ceux qui commettent l’iniquité ». On peut l’expliquer de deux manières : en ce sens, d’abord, que Dieu ne laisse impuni aucun péché ; en ce sens, ensuite, qu’il y a certaines fautes dont on n’obtient jamais le pardon de la part de Dieu, quand on s’en est rendu coupable. Nous allons, autant du moins que besoin sera, entretenir brièvement votre charité de cette double interprétation des paroles du Prophète.
13. Griève ou légère, toute iniquité doit nécessairement recevoir sa punition, soit que le pécheur lui-même en fasse pénitence, soit que Dieu en châtie l’auteur. Celui qui se repent se punit. Aussi, mes frères, devons-nous infliger à nos péchés la peine qu’ils méritent, si nous prétendons obtenir miséricorde de la part de Dieu. Pour lui, il ne saurait accorder son pardon à tous ceux qui se rendent coupables d’iniquité, car ne serait-ce point flatter les prévaricateurs ? Ne serait-ce point vouloir perpétuer le crime ? De là résulte évidemment la nécessité du châtiment ; qu’il vienne de toi ou de lui, peu importe. Veux-tu ne pas être puni de Dieu ? Punis-toi toi-même. Car tu as fait une chose qui ne peut rester impunie : mais il est bien préférable que le châtiment vienne de toi, parce qu’alors tu accompliras ce qui est écrit en un autre psaume « Prévenons sa face par une humble confession[427] ». « Prévenons sa face » ; qu’est-ce à dire ? Avant que Dieu se mette en devoir de punir tes fautes, préviens ses coups par une humble confession, et punis toi-même tes écarts, et que le Seigneur ne trouve rien en toi, qui soit digne de châtiment. De fait, en punissant l’injustice, tu fais acte de justice, et dès lors que Dieu te trouvera déjà appliqué à une œuvre de justice, il t’accordera ton pardon. Mais comment puis-je dire qu’en châtiant ton péché tu accomplis une œuvre de justice ? C’est que tu hais en toi ce que Dieu hait lui-même ; et en cela, tu commences à lui plaire, puisque tu punis ce qui lui déplaît : il ne peut laisser impuni aucun péché, car cette parole est vraie : « N’ayez de compassion pour aucun de ceux qui commettent l’iniquité ».
14. Examinons maintenant la seconde manière d’interpréter ce passage. Il y a certaine faute dont on n’obtient jamais le pardon de la part de Dieu, quand on s’en est rendu coupable. Vous me demanderez, sans doute, quelle peut être cette faute, en quoi elle consiste. Elle consiste à prendre la défense de ses propres Péchés. Dès qu’une personne excuse ses iniquités, elle déclare bon ce que Dieu déteste, et ainsi elle commet une grande faute, Vois combien est injuste et déraisonnable cette manière d’agir. Si l’homme fait un peu de bien, il se l’attribue ; et, quand il fait le mat, il l’impute à Dieu : ainsi, ils accusent Dieu de leurs désordres. N’est-ce point porter l’iniquité à son comble ? Personne n’oserait dire : L’adultère, l’homicide, la fraude, le parjure sont choses légitimes. Personne ne serait assez hardi pour tenir un pareil langage. Ceux mêmes qui s’en rendent coupables, crient à la prévarication et au scandale, dès qu’ils en souffrent ; nulle âme donc n’est assez pervertie, assez ennemie du genre humain, assez étrangère à l’union que doit établir entre nous notre commune origine en Adam, pour considérer comme bons et légitimes l’adultère, la fraude, la rapine, le parjure. Alors comment peut-on en prendre la défense ? En disant : Si Dieu ne l’avait pas voulu, je ne m’en serais pas rendu coupable. Puis-je m’opposer à mon destin ? Si tu leur demandes ce qu’ils entendent par le destin, ils te parlent des étoiles ; et si tu cherches à savoir qui est-ce qui a créé les étoiles et réglé leur cours, ils te répondent : C’est Dieu. Par conséquent, tu n’excuses ton péché que pour en accuser Dieu lui-même ; tu absous le coupable pour mettre le juge en cause. Est-il possible que le Seigneur prenne pitié de ceux qui commettent une semblable iniquité ? « N’ayez compassion d’aucun de ceux qui commettent le péché ». Que votre vengeance, dit le Prophète, poursuive leurs péchés : punissez-les, percez-les des traits de votre justice ; ils ne veulent point se connaître : forcez-les à s’envisager eux-mêmes, et puissent-ils rougir du malheureux état où ils se trouvent, et trouver en vous leur bonheur ! « N’ayez compassion d’aucun de ceux qui commettent le péché ».
15. « Qu’ils se convertissent sur le soir[428] ». Le Prophète parle ici de je ne sais quels hommes, qui commettaient jadis l’iniquité, qui étaient autrefois ténèbres, et qui se convertissent sur le soir. Que veulent dire ces paroles : « Sur le soir ? » Ensuite. Et encore ? Plus tard, avant d’attacher le Christ à l’instrument de son supplice, ils auraient dû reconnaître en lui leur médecin ; mais ils ne le reconnurent que plus tard ; après sa mort, sa résurrection, son ascension, et la descente du Saint-Esprit sur les disciples qui se trouvaient dans la même maison et qui, sous la riche influence de ses dons, parlèrent le langage de tous les peuples ; alors ils s’épouvantèrent de l’avoir cloué à la croix ; la conscience bourrelée de remords, ils demandèrent aux Apôtres comment ils pourraient se sauver, et ceux-ci leur répondirent : « Que chacun de vous soit baptisé au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et vos péchés vous seront remis[429] ». Après avoir fait mourir le Christ, et avoir répandu son sang, vous obtiendrez néanmoins la rémission de vos péchés, car il a voulu mourir, afin de racheter par l’effusion de son sang ceux-là mêmes qui le verseraient. Vous vous êtes montrés cruels à son égard ; vous avez répandu son sang : que votre foi vous fasse, boire ce breuvage salutaire ! C’est donc avec raison que le Prophète s’exprime ainsi : « Qu’ils se convertissent sur le soir, et qu’ils souffrent la faim comme des chiens ». Les Juifs appelaient de ce nom les Gentils, parce qu’ils les considéraient comme impurs ; voilà pourquoi le Sauveur appela lui-même ainsi la Chananéenne, qui n’était pas juive. Cette femme le suivait et lui demandait à grands cris d’avoir pitié de sa fille, et de la guérir. Jésus prévoyait tout, il savait tout, mais il voulait manifester aux yeux de tous la foi de cette femme ; il différa donc d’accéder à sa demande, et la tint quelque temps en suspens. Et comment différa-t-il de se rendre aux vœux de cette mère désolée ? « Je n’ai été envoyé », dit-il, « que pour sauver les brebis égarées de la maison d’Israël ». A Israël il donnait le nom de brebis ; et les Gentils, comment les désignait-il ? « Il n’est pas bon de prendre le pain des enfants pour le jeter aux chiens ». Il donna aux Gentils le nom de chiens, à cause de leur impureté. Mais que fit cette femme affamée ? au lieu de se laisser rebuter par cette parole, elle la reçut avec humilité, et mérita ainsi la faveur qu’elle sollicitait. On ne peut effectivement voir une injure dans les paroles adressées par le Sauveur à la Chananéenne. Qu’un serviteur parle ainsi à son maître, ce serait outrageant pour celui-ci ; mais qu’un maître emploie ce langage à l’égard de son serviteur, c’est, de sa part, un acte de bonté qu’on ne saurait accuser de hauteur. « Oui, Seigneur », répondit-elle. Que veut dire ce « oui ? » Vous dites vrai : vos paroles sont l’expression de la vérité même : je suis un chien. « Mais », ajouta-t-elle, « les chiens mangent les mies qui tombent de la table de leurs maîtres ». « O femme », reprit aussitôt le Sauveur, « que ta foi est grande[430] ! » Tout à l’heure il lui donnait le nom de chien ; maintenant, il lui donne celui de femme. Pourquoi donner le nom de femme à celle qu’il appelait, un instant auparavant, du nom de chien ? Parce qu’au lieu de repousser la dénomination que lui avait donnée le Sauveur, elle l’avait humblement acceptée, comme l’expression de la vérité. Les Gentils sont donc des chiens ; c’est pourquoi ils sont affamés. Il serait avantageux, pour les Juifs eux-mêmes, de reconnaître qu’ils sont pécheurs, et de se convertir, quoique « sur le soir », et « de souffrir la u faim comme les chiens ». Car s’il était rassassié, il ne l’était pas comme il eût été nécessaire, celui qui disait : « Je jeûne deux fois la semaine ». Pour le publicain, il souffrait de la faim comme un chien ; il avait faim des bienfaits de Dieu, car il disait : « Soyez-moi propice, à moi qui suis un pécheur[431] ». « Qu’ils se convertissent » donc aussi « sur le soir, et qu’ils souffrent la faim comme les chiens ». Qu’ils désirent la grâce de Dieu, qu’ils comprennent qu’ils sont pécheurs : que ces forts deviennent faibles, que ces riches deviennent pauvres, que ces justes reconnaissent leur état de péché, que ces lions deviennent des chiens. « Qu’ils se convertissent sur le soir et souffrent la faim comme les chiens, et ils parcourront les alentours de la ville ». Quelle est cette ville ? C’est ce monde, qu’en certains endroits l’Écriture appelle une ville d’environnement, parce que le monde, composé de toutes les nations de la terre, enveloppait de part et d’autre et isolait le peuple juif, au milieu duquel se disaient ces vérités saintes ; il avait reçu, pour ce motif, le nom de ville d’environnement. « Devenus des chiens affamés, ils parcourront les alentours de cette ville ». Et comment les parcourront-ils ? En prêchant l’Évangile. De loup qu’il était, Saul est devenu un chien sur le soir, c’est-à-dire qu’il s’est converti tard ; et, soutenu par les mies tombées de la table de son Maître, il a couru dans le chemin de la grâce, et il a parcouru la ville.
16. « Ils parleront dans leur bouche, et ils auront une épée sur leurs lèvres[432] ». Cette épée est un glaive à deux tranchants, dont l’Apôtre nous parle ainsi : « Et le glaive de l’esprit, qui est la parole de Dieu[433] ». Pourquoi ce glaive a-t-il deux tranchants, sinon parce qu’il se sert des deux testaments pour frapper ? C’est avec lui que saint Pierre frappait ceux dont Dieu disait : « Tue et mange[434]. Ils auront une épée sur leurs lèvres, car qui est-ce qui écoute ? » Ils parleront et diront : « Qui est-ce qui écoute ? » C’est-à-dire, ils s’indigneront contre ceux qui se montreront lents à accepter la foi évangélique. Ceux qui tout à l’heure ne voulaient pas croire, souffrent et se tourmentent de rencontrer des incrédules. Ainsi en est-il réellement, mes frères. Tu vois un homme se montrer indolent avant de devenir chrétien, tu lui adresses chaque jour les exhortations les plus pressantes, à peine songe-t-il à travailler à sa conversion. Qu’il se convertisse enfin ; il voudrait déjà que tous fussent chrétiens, il s’étonne de ne pas les voir déjà dans le giron de l’Église, il oublie qu’il ne s’est lui-même converti que sur le soir ; mais parce qu’il est devenu semblable à un chien affamé, il a aussi un glaive sur les lèvres, et il s’écrie : « Qui est-ce qui écoute ? » Que veulent dire ces paroles « Qui est-ce qui écoute ? » Qui est-ce qui croit ce que nous lui annonçons ? À qui la puissance du Seigneur a-t-elle été révélée[435] ? « Car qui est-ce qui écoute ? » Les Juifs n’ont pas voulu croire, et alors les Apôtres se sont tournés du côté des Gentils, et leur ont annoncé l’Évangile : les Juifs ne croyaient pas, et cependant l’Évangile annoncé par des Juifs croyants faisait le tour de la ville, et ceux qui le prêchaient disaient : « Qui est-ce qui nous écoute ? »
17. « Et vous, Seigneur, vous vous rirez d’eux[436] ». Toutes les nations doivent devenir chrétiennes, et vous dites : « Qui est-ce qui écoute ? » Qu’est-ce à dire : « Vous vous rirez d’eux ? Vous compterez pour rien tous les peuples ». Ce n’est rien à vos yeux, car rien de plus facile pour vous que la conversion à la foi de toutes les nations du monde.
18. « Je vous garderai toute ma force[437] ». Tous ces forts sont tombés, parce qu’ils ne vous ont pas gardé toute leur force : c’est-à-dire, ceux qui se sont élevés haut pour me combattre, et qui se sont jetés sur moi, ont mis leur confiance en eux-mêmes ; pour moi, « je vous garderai toute ma force » ; car, en m’éloignant de vous, je tombe ; et je deviens plus fort en m’en approchant. Voyez, mes frères, ce qu’il en est de l’âme humaine : d’elle-même elle n’a ni lumières, ni forces ce qui fait toute sa beauté, c’est la vertu et la sagesse ; or, ni la sagesse, ni la force, ni la lumière, ni la vertu ne se trouvent en elle : elle les puise à une autre source. Il est une source et un principe de vertu, une racine de sagesse ; pour le dire en un mot, si toutefois il m’est permis de parler ainsi, il est un pays où habite l’immuable vérité : que notre âme s’en éloigne, elle tombe dans les ténèbres ; qu’elle s’en approche, elle est environnée de lumière. « Approchez-vous de Dieu, et vous serez éclairés[438] », puisqu’en vous en éloignant, vous vous plongez dans les ténèbres ; « Je vous garderai donc toute ma force », je ne m’éloignerai pas de vous, je ne mettrai pas ma confiance en moi. « Je vous garderai toute ma force, car, Seigneur, vous m’avez pris sous votre garde ». Où étais-je alors ? Où suis-je maintenant ? D’où venais-je lorsque vous m’avez reçu ? Quels péchés m’avez-vous pardonnés ? À quel état de bassesse j’étais réduit ! À quel degré d’élévation je suis parvenu ! J’en garderai le souvenir, c’est pour moi un devoir de ne pas oublier ce que dit un autre psaume : « Mon père et ma mère m’ont abandonné, mais le Seigneur m’a pris en sa garde[439]. Je vous garderai ma force, ô mon Dieu, car vous m’avez pris sous votre garde ».
19. « Vous êtes mon Dieu : sa miséricorde me préviendra[440] ». Voilà ce que le Prophète veut faire entendre en disant : « Je vous garderai ma force » ; je ne mettrai point ma confiance en moi-même. Quel bien ai-je pu faire, pour que vous preniez pitié de moi et que vous me fassiez entrer dans la voie de la justice ? Qu’avez-vous trouvé en moi, sinon le péché, rien que le péché ? Ce que vous m’avez fait en me donnant la vie venait de vous, et je ne pouvais vous offrir autre chose, car tout le reste, c’est-à-dire les péchés que vous m’avez pardonnés, venait de moi. Ce n’est pas moi qui me suis éveillé le premier pour revenir à vous ; c’est vous qui vous êtes approché de moi pour me tirer de mon sommeil, « car sa miséricorde me préviendra ». Sa miséricorde me préviendra avant que je fasse le moindre bien. Que répondra à cela le malheureux Pélage ?
20. « Mon Dieu me l’a fait voir dans mes ennemis[441] ». C’est-à-dire, Dieu m’a fait voir par mes ennemis, toute la miséricorde dont il a usé à mon égard. Que celui qui a été recueilli par le Seigneur, se compare à ceux que Dieu a délaissés, et que celui qu’il a choisi se compare à ceux qui ont été réprouvés. Que les vases de miséricorde se comparent aux vases de colère, et considèrent que, « de la même masse, Dieu a fait les uns pour être des vases d’honneur, et les autres pour être des vases d’ignominie ». Que signifient ces paroles : « Dieu me l’a fait voir par mes ennemis ? Dieu voulant manifester sa colère et sa puissance, a souffert avec beaucoup de patience les vases de colère qui ont été destinés à la perdition, afin de faire mieux voir sa bonté envers les vases de miséricorde[442] ». Si donc il a supporté les vases de colère, pour faire connaître les richesses de sa bonté à l’égard des vases de miséricorde, c’est avec une extrême justesse que le Prophète a dit : « Sa miséricorde me préviendra : « Mon Dieu me l’a fait voir dans mes ennemis ». C’est-à-dire : il m’a fait comprendre l’étendue de sa bonté pour moi, en me donnant pour exemple ceux qu’il n’a pas aimés comme il m’a aimé moi-même ; car si l’on ne fait mourir un débiteur insolvable, celui à qui on remet sa dette se montre moins reconnaissant. « Dieu me l’a fait voir dans mes ennemis ».
21. Quant à ses ennemis eux-mêmes, qu’est-ce qu’ajoute le Prophète ? « Ne les faites point mourir, ô mon Dieu, de peur qu’ils oublient votre loi ». Il prie pour ses ennemis ; il accomplit le précepte de la charité. Tout à l’heure nous entendions sortir de sa bouche ces paroles : « N’ayez compassion d’aucun de ceux qui commettent l’iniquité ». Maintenant il dit : « Ne les faites point mourir, de peur qu’on oublie votre loi ». Comment accorder ensemble ces deux passages de notre psaume ? Comment Dieu peut-il en même temps ne pas prendre en pitié des pécheurs, et ne pas les faire mourir dans la crainte qu’on oublie sa loi ? Ici, remarquez-le, le Prophète parle de ses propres ennemis. Hé quoi ! ses ennemis observent-ils donc les lois de la justice ? Si ceux qui le haïssent pratiquent la justice, il est donc lui-même coupable d’injustice ? Mais comme il observe les lois de l’équité, il endure, par là même, de la part de ses ennemis, des procédés injustes : il est donc évident qu’en se déclarant l’adversaire des justes, on se constitue soi-même dans l’état de péché. Comment donc a-t-il pu dire tout à l’heure : « N’ayez compassion d’aucun de ceux qui commettent l’iniquité », pour faire maintenant cette prière en faveur de ses ennemis : « Ne les faites point mourir, de peur qu’on oublie votre loi ? » Ne prenez donc point pitié d’eux, afin de tuer leurs péchés ; ne faites point mourir ceux dont vous tuez les péchés. Qu’est-ce qu’être tué ? C’est oublier la loi de Dieu. Se plonger dans l’abîme du péché, voilà la véritable mort. Ceci peut très bien s’entendre des Juifs. Mais quel rapport ce passage peut-il avoir avec les Juifs : « Ne les tuez pas, de peur qu’on oublie votre loi ? » Ne faites point mourir ces malheureux qui se sont déclarés contre moi, et m’ont fait mourir moi-même. Que la nation juive subsiste toujours. Sans doute, les Romains l’ont vaincue, leur ville a été détruite de fond en comble : on ne permet à aucun de ses membres de rentrer dans leur cité sainte, et pourtant, il y a toujours des Juifs. Toutes les provinces sont tombées au pouvoir des Romains : où est l’homme capable de les reconnaître toutes au milieu de l’empire romain, et de dire quels noms elles portaient autrefois, puisque tous leurs habitants sont devenus Romains et en portent le nom ? Néanmoins les Juifs subsistent encore, marqués d’un signe qui les distingue des autres ; s’ils ont subi la honte de la défaite, ils n’ont pas, du moins, été détruits et absorbés par les vainqueurs. Ce n’est pas sans raison que, après le meurtre d’Abel, Dieu a placé au front de Caïn un signe qui pût le faire reconnaître et l’empêcher d’être lui-même tué[443]. Or, voici le signe auquel on reconnaît les Juifs : ils conservent avec un soin extrême les restes de leur loi ; ils reçoivent la circoncision, observent le sabbat, immolent l’agneau pascal, et mangent le pain azyme. Il y a donc des Juifs, ils n’ont pas été anéantis : et même leur existence est indispensable pour confirmer les Gentils dans la foi. Pourquoi cela ? Afin que nous connaissions, d’après l’exemple de nos ennemis, la miséricorde de Dieu à notre égard. « Mon Dieu me l’a fait voir dans mes ennemis ». À la vue des branches orgueilleuses de l’olivier franc séparées de leur tronc, l’olivier sauvage, greffé à leur place, peut comprendre l’étendue de la miséricorde divine envers lui. Voilà où gisent les rameaux superbes : et toi, qui gisais par terre, voilà où tu as été greffé. Ne t’enorgueillis donc pas, car tu mériterais d’être à ton tour séparé du tronc. « Mon Dieu, ne les anéantissez pas, de peur qu’on oublie votre loi ».
22. « Dispersez-les dans votre puissance ». L’événement a eu lieu : les Juifs ont été dispersés parmi les nations, et ils servent de témoins pour attester à tous leur crime et la vérité de l’Évangile. Les livres qu’ils ont entre les mains, contiennent les prophéties relatives au Christ, et le Christ, nous le possédons, Si, par hasard, il s’élève dans l’esprit d’un païen des doutes concernant les prophéties qui regardent le Sauveur, et dont l’évidence le saisit d’étonnement ; si, dans le sentiment de l’admiration, il s’imagine que nous avons nous-mêmes inventé ces prophéties pour les besoins de notre cause, nous en appelons aux livres des Juifs, et leur antiquité devient entre nos mains une preuve sans réplique. Voyez donc comment certains ennemis nous servent à combattre et à vaincre d’autres ennemis. « Dispersez-les dans votre puissance. Ôtez-leur tout leur pouvoir, toute leur force. Et conduisez-les, Seigneur, qui êtes mon protecteur. Perdez en eux les péchés de leur bouche, et les paroles de leurs lèvres ; et qu’ils soient pris dans leur propre orgueil. Ils apprendront que leurs malédictions et leurs mensonges seront le principe de leur consommation dans la colère de consommation, et ils ne seront plus ». Ce passage est très obscur, et je crains de ne pas être parfaitement compris dans l’explication que je veux en donner, car vous êtes déjà fatigués de m’écouter. Remettons donc à demain l’interprétation des derniers versets de ce psaume, si, toutefois, votre charité veut bien y consentir. Le Seigneur m’aidera à m’acquitter envers vous de ma dette : car je compte plus sur lui que sur moi.

DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 58[modifier]

DEUXIÈME PARTIE DU PSAUME.[modifier]


1. Le long discours que je vous ai adressé hier, m’a laissé pour aujourd’hui en dette vis-à-vis de vous ; et, puisque Dieu l’a permis, et que le temps de m’acquitter est venu, je vais le faire. Plus nous nous montrons dévoués à remplir nos obligations à votre égard, plus aussi vous devez vous montrer avares créanciers : en d’autres termes, puisque le Seigneur nous donne ce que nous devons vous communiquer, car il est le Maître et nous les serviteurs, c’est à vous de recevoir ses dons de manière à faire voir dans votre conduite le fruit que vous tirerez de nos discours. En effet, le champ que l’on cultive, et qui ne produit rien de bon, le champ qui ne récompense point le cultivateur et lui donne des épines au lieu de moissons abondantes, ne verra jamais sa récolte enfermée dans les greniers du Père de famille : elle sera jetée au feu. Le Seigneur, notre Dieu, daigne répandre sur notre cœur la rosée fécondante de sa parole, comme il répand sur les campagnes d’abondantes ondées, parce que notre cœur est comme un champ qui lui appartient : et il a droit d’en attendre du fruit, puisqu’il sait quelle semence et quelles pluies il y a fait tomber. En réalité, nous ne sommes rien sans lui : nous n’étions rien avant qu’il nous eût créés ; et quiconque, devenu homme, prétend se passer de lui, n’est autre, en fin de compte, qu’un homme pécheur : c’est donc avec raison que le Prophète a dit : « Je vous garderai ma force ». Puisque toute cette force, nous la conservons avec lui et pour lui, et que nous la perdons en nous en éloignant, notre âme doit donc toujours veiller, non pas seulement à ne pas s’éloigner de lui, mais encore, si elle en est éloignée, à se diriger vers lui et à s’en approcher chaque jour davantage ; pour cela, elle n’a besoin ni de marcher vite, ni d’employer le secours de chariots, ni de monter un coursier agile, ni de se servir de grandes ailes : la pureté des affections et des mœurs irréprochables et saintes, voilà ce qui est nécessaire pour s’approcher de Dieu.
2. Achevons d’expliquer notre psaume. Nous nous sommes arrêté à l’endroit où le Prophète commence à parler à Dieu de ses ennemis, et lui dit : « Ne les tuez point, Seigneur, de peur qu’on oublie votre loi. »[444] Il leur donnait le nom d’ennemis, et, pourtant, il priait le Seigneur de ne point les tuer, dans la crainte de voir oublier sa loi. Se souvenir de la loi divine, c’est-à-dire ne pas l’oublier, ce n’est encore ni la perfection, ni l’assurance d’être récompensé, ni une garantie contre les supplices éternels. Il en est qui gardent le souvenir de la loi, mais qui ne la pratiquent pas ; ceux, au contraire, qui l’accomplissent, eu conservent la mémoire. Aussi, quand un homme remplit tous les devoirs à lui imposés par Dieu, quand il s’efforce incessamment de ne point laisser effacer de la mémoire de son cœur ce qu’il sait de la loi du Seigneur, et que par toute sa conduite il se rappelle à chaque instant les préceptes que l’Eternel y a tracés, cet homme connaît utilement la loi divine, et il ne sera pas considéré comme un ennemi du Très-Haut. Les Juifs sont les ennemis de Jésus-Christ ; le Psalmiste semble les désigner ici : ils ont la loi de Dieu entre les mains, ils la conservent ; voilà pourquoi le Prophète adresse au Seigneur cette prière : « Ne les tuez pas, de peur qu’on oublie votre loi ». Il demande que la nation juive subsiste toujours, et que, ce peuple continuant à subsister, le nombre des chrétiens s’accroisse tous les jours. C’est un fait indiscutable ; on rencontre des Juifs au milieu de tous les autres peuples ; ils sont toujours tels, et n’ont pas cessé d’être ce qu’ils étaient ; c’est-à-dire, que cette nation n’est point passée sous la domination romaine de manière à perdre son autonomie ; mais en pliant sous le joug de l’empire, elle a conservé ses lois, qui sont les lois divines. Mais comment les observe-t-elle ? « Vous payez la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin, et vous négligez ce qu’il y a de plus important dans la loi, à savoir : la justice, « la miséricorde et la foi. Vous avez grand soin de filtrer ce que vous buvez, dans la crainte d’avaler un moucheron, et vous avalez un chameau »[445]. Ainsi leur parle le Seigneur ; et, de fait, ils agissent de la sorte ; ils conservent entre leurs mains la loi et les Prophètes, ils lisent et chantent toutes ces paroles saintes, et ils n’y voient point désigné le Christ lui-même, qui est la lumière des Prophètes. Non seulement ils ne l’aperçoivent pas, maintenant qu’il est dans le ciel ; ils ne l’ont pas même reconnu, quand il vivait dans l’humiliation au milieu d’eux, et qu’ils sont devenus coupables à son égard en répandant son sang ; toutefois, je n’entends point parler d’eux tous. C’est ce que je vous prie, mes frères, de bien remarquer aujourd’hui. J’ai dit qu’il n’est pas question de tous les Juifs, parce que beaucoup d’entre eux se sont convertis à celui qu’ils avaient fait mourir, ont cru en lui, et mérité, de sa part, le pardon de leur déicide ; par là ils ont montré aux hommes à ne point désespérer de leur propre pardon, quels que soient, d’ailleurs, le nombre et l’énormité de leurs crimes, puisqu’en s’avouant coupables, ils ont obtenu miséricorde et que l’indulgence divine s’est étendue même à l’assassinat commis par eux sur la personne du Christ. Voilà pourquoi le Psalmiste s’exprime ainsi : « Parce que, mon Dieu, vous avez bien voulu me recevoir, et que la miséricorde de Dieu me préviendra ». C’est-à-dire, avant aucune bonne action de ma part, sans aucun mérite, j’ai été prévenu par sa miséricorde. Quoiqu’il n’ait rien trouvé de bon en moi, il n’a pas laissé de me rendre bon ; il rend juste celui qui se convertit, et il avertit celui qui s’égare, de rentrer dans la voie droite. « Mon Dieu », ajoute le Prophète, « mon Dieu me l’a montré dans mes ennemis » ; c’est-à-dire, en me comparant avec mes ennemis, je vois combien il m’aime, combien de preuves de bonté il me donne ; car les vases de colère et les vases de miséricorde, sortant tous de la même masse, les premiers apprennent aux seconds quelle grâce ceux-ci ont reçue[446]. Nous lisons ensuite : « Ne les tuez pas, de peur qu’on oublie votre loi ». Ces paroles s’appliquent aux Juifs. Mais quel châtiment leur infligerez-vous ? « Dispersez-les dans votre puissance ». Montrez-leur que la force appartient à vous, et non à ceux qui mettent leur confiance en leur propre pouvoir, et qui méconnaissent votre éternelle vérité. Montrez-leur que si vous êtes fort, ce n’est point à la manière de ces forts dont il est écrit : « Les forts se sont jetés sur moi » ; mais que votre force vous donne le pouvoir de les disperser. « Et conduisez-les, Seigneur, qui êtes mon protecteur ». C’est-à-dire, dispersez-les, mais ne les abandonnez pas, « de peur qu’on oublie votre loi ». Et protégez-moi de telle sorte que leur dispersion me fournisse un témoignage de votre miséricordieuse bonté.
3. Le Psalmiste ajoute : « Perdez en eux les péchés de leur bouche et les paroles de leurs lèvres ». Comment unir et lier à ce qui précède ce passage : « Perdez en eux les péchés de leur bouche et les paroles de leurs lèvres ? » Nous ne voyons pas entre les paroles suivantes assez de liaison pour apercevoir le rapport qui existe entre ces paroles et celles qui précèdent. « Perdez en eux les péchés de leur bouche et les paroles de leurs lèvres, et qu’ils soient pris dans leur orgueil. Leur malédiction et leur mensonge produiront leur perfection dans la colère, qui perfectionne tout, et ils ne seront plus ». Je l’ai déjà dit hier ; ce passage est obscur voilà pourquoi j’ai voulu attendre, pour vous en donner l’explication, que vos esprits fussent reposés. Puisque vous n’êtes point encore fatigués de m’entendre, veuillez donc en ce moment élever vos cœurs, afin de m’aider par votre application ; par ses obscurités et ses embarras notre langage pourrait ne pas répondre à ce que vous attendez de moi ; aussi devez-vous apporter votre part de bonne volonté ; de la sorte, vous suppléerez, par votre promptitude à pénétrer le sens de mes paroles, à ce qui pourrait leur manquer de clarté. Ce verset se trouve donc au milieu du psaume, sans que nous puissions voir facilement sa liaison avec ce qui précède. « Perdez en eux les péchés de leur bouche, et les paroles de leurs lèvres ». Néanmoins, ayons recours aux versets précédents. Le Prophète avait dit : « Ne les tuez pas, de peur qu’on oublie votre loi » ; telle était sa prière en faveur d’hommes en qui il reconnaissait ses ennemis ; et il avait ajouté : « Perdez en eux les péchés de leur bouche, et les paroles de leurs lèvres ». C’est-à-dire, mettez fin à i leurs discours et non à leur existence : « Ne les tuez donc pas, de peur qu’on oublie votre loi ». Mais il y a en eux quelque chose que vous devez tuer, pour que l’on voie l’accomplissement de cette parole : « N’ayez compassion d’aucun de ceux qui commettent l’iniquité ; dispersez-les donc par votre puissance et conduisez-les », c’est-à-dire, ne les abandonnez pas, tout en les dispersant ; parce qu’en ne les abandonnant point, et en ne les tuant pas, vous avez encore quelque chose à faire en eux. Qu’y tuerez-vous donc ? « Les péchés de leur bouche et les paroles de leurs lèvres ». Que tuerez-vous en eux ? Les cris qu’ils ont fait entendre : « Crucifie-le ! crucifie-le[447] ! » et non leur propre personne. Pour eux, ils ont voulu perdre, exterminer et anéantir le Christ ; et vous, en ressuscitant celui qu’ils ont voulu perdre, vous tuez « les péchés de leur bouche et les paroles de leurs lèvres ». En effet, ils avaient crié qu’il fallait le mettre à mort, et ils s’aperçoivent avec étonnement qu’il vit encore ; ils l’ont méprisé pendant sa vie mortelle, et ils le voient avec stupéfaction, adoré de tous les peuples de la terre ; ainsi sont tués les péchés de leur bouche et les paroles de leurs lèvres.
4. « Et qu’ils soient pris eux-mêmes dans leur orgueil ». Que veulent dire ces paroles : « Qu’ils soient pris eux-mêmes dans leur orgueil ? » C’est inutilement que les forts se sont jetés sur le Christ, et qu’il a paru céder à leurs efforts pour leur laisser croire qu’ils avaient réussi dans leurs desseins contre lui ; c’est en vain qu’ils ont semblé prévaloir contre le Sauveur. Ils ont bien pu crucifier son humanité sainte, leur faiblesse a pu l’emporter sur la force, la force a pu être mise à mort ; ils se sont imaginé qu’ils étaient quelque chose ; ils se sont considérés comme des hommes robustes, puissants et incapables de se laisser dominer par n’importe quelle résistance ; ils étaient, à leurs yeux, pareils àun lion tout préparé à dévorer sa proie, ou semblables à ces taureaux gras dont il est parlé dans un autre psaume : « Des taureaux gras se sont jetés sur moi[448] ». Mais qu’ont-ils fait au Christ ? En lui ils ont tué, non la vie, mais la mort. En effet, au moment où Jésus-Christ rendait le dernier soupir, le règne de la mort finissait en lui, et celui de la vie commençait, lorsque, par sa résurrection, il reprenait cette ’vie au sein même de la mort ; il est ressuscité, car il y avait en lui une source de vie qu’ils ne pouvaient tarir. Quel a donc été le résultat de leur méchanceté à l’égard du Sauveur ? Ecoute ; le voici. Ils ont détruit le temple. Et lui, qu’a-t-il fait ? Il l’a rebâti le troisième jour[449]. Par là ont été tués les péchés de leur bouche et les paroles de leurs lèvres. Et qu’est-il advenu de ceux qui se sont convertis ? « Qu’ils soient pris dans leur propre orgueil ». On leur a dit que celui qu’ils avaient attaché à la croix, était ressuscité d’entre les morts, et ils ont cru au prodige de sa résurrection, quand ils ont vu que, du haut du ciel où il était monté, il avait envoyé l’Esprit-Saint, pour remplir de ses dons ceux qui avaient cru en lui[450], et alors ils ont compris qu’en faisant mourir le Christ, ils avaient inutilement employé leur temps et leurs forces. Tout ce qu’ils avaient fait se réduisait à rien ; il ne leur restait que la responsabilité de leur coupable conduite ; et dès lors que leurs projets avaient été anéantis, et qu’ils n’avaient recueilli d’autre bénéfice que celui d’avoir commis le crime, ils furent pris dans leur propre orgueil, et ils se virent accablés sous le poids de leur faute, Ils n’avaient donc plus d’autre ressource que celle de confesser leur péché ; c’était la condition pour Obtenir leur pardon de celui qui avait cédé à leurs efforts criminels ; à cette condition, il devait pardonner sa mort corporelle aux morts spirituels qui lui avaient ôté la vie, et donner la vie de l’âme à ceux qui l’avaient perdue. Ils ont donc été pris dans leur orgueil.
5. « Leur malédiction et leur mensonge produiront leur consommation dans la colère de consommation, et ils ne seront plus ». Il est vraiment difficile de comprendre comment les mots : « Et ils ne seront plus », se lient avec les précédents. Quel en est le sens ? Voyons le verset que nous venons d’expliquer. Lorsqu’ils auront été pris dans leur propre orgueil, « leur malédiction et leur mensonge produiront leur consommation ». Que doit-on entendre par consommation ? ce terme signifie : Perfection ; car être consommé veut dire être perfectionné. Autre chose est d’être consommé, autre chose est d’être consumé. On dit d’un objet qu’il est consommé, quand il est arrivé à son dernier degré de perfection : on dit qu’il est consumé, lorsqu’il est détruit èt qu’il n’en reste plus rien. L’orgueil empêchait l’homme de devenir parfait, car rien ne met obstacle à la perfection, comme ce malheureux vice. Que votre charité veuille bien apporter un peu d’attention à mes paroles, et considérer que l’orgueil est un mal singulièrement dangereux, un mal infiniment à craindre. À votre avis, quel mal est l’orgueil ? Pourrais-je exagérer en vous dépeignant sa malice et ses suites ? Le démon n’a commis que ce péché : voilà la cause de ses tourments sans fin. Sans aucun doute, il est le chef de tous les pécheurs, c’est lui qui les entraîne au mal : on ne l’accuse ni d’adultère, ni d’intempérance, ni de fornication, ni d’enlèvement du bien d’autrui : sa chute n’est venue que de l’orgueil. Et parce que l’envie est la compagne ordinaire de l’orgueil, il est impossible que le cœur de l’orgueilleux ne soit pas dévoré par l’envie. Comme conséquence de ce vice, qui est la suite nécessaire de l’orgueil, le démon, après sa chute, porte envie à l’homme qui persévère dans le bien, et il s’efforce de le séduire, pour l’empêcher de parvenir à ce séjour heureux d’où il est lui-même tombé. Et comme il sait que notre juge n’acceptera pas de fausses accusations contre nous, il cherche à nous précipiter en des fautes réelles : si notre avenir devait se décider au tribunal d’un homme, facile à tromper par des calomnies et des impostures, il ne prendrait ni tant de peines, ni de si minutieuses précautions pour nous faire commettre le péché ; car il pourrait jeter notre juge dans l’erreur, et opprimer ainsi l’innocence ; et alors, il nous entraînerait aisément dans le piégé, et rien ne lui serait plus facile que de s’emparer de nous, et de nous faire condamner avec lui. Mais il ne l’ignore pas, nous avons un juge qu’on ne peut surprendre, un juge équitable qui ne fait acception de personne, un juge, enfin, devant lequel il ne veut faire paraître que de vrais coupables, parce que Dieu étant souverainement juste, les condamnera nécessairement. L’envie seule, compagne obligée de son orgueil, porte donc le démon à nous pousser dans l’abîme du péché. D’où il suit que l’orgueil est un grand mal, puisqu’il nous empêche de devenir parfaits. Qu’on se vante autant qu’on voudra de ses richesses, de la beauté et de la force de son corps ; tous ces avantages ne dureront qu’un temps, et ceux-là sont vraiment ridicules, qui se glorifient de choses périssables, qu’ils sont très souvent exposés à perdre pendant leur vie, et dont ils devront, de toute nécessité, se séparer au moment de la mort. L’orgueil est un vice capital, puisqu’il suffit d’une seule tentation d’orgueil pour faire perdre à un homme, déjà avancé dans la pratique du bien, tout le terrain qu’il a précédemment parcouru. Les autres vices sont à craindre pour les mauvaises actions que nous pouvons commettre ; nous devons redouter encore davantage l’orgueil, quand nous en taisons de bonnes. Il n’est donc pas étonnant que saint Paul ait été assez humble pour dire : « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort », Pour l’empêcher d’être tenté par l’orgueil, savez-vous quel remède a employé le sage médecin qui connaissait le mal, et voulait le guérir ? L’Apôtre va nous le dire : « De peur que la grandeur de mes révélations ne m’inspirât de l’orgueil, Dieu a permis que je ressente dans ma chair un aiguillon, qui est l’ange et le ministre de Satan, pour me donner des soufflets. C’est pourquoi j’ai prié le Seigneur par trois fois, afin que cet ange de « Satan se retirât de moi, et il m’a répondu « Ma grâce te suffit, car la force se perfectionne dans la faiblesse[451] ». Voyez en quoi consiste la consommation dont parle le Psalmiste. L’Apôtre, le docteur des nations, le père des fidèles qu’il a engendrés par l’Évangile, a reçu l’aiguillon de la chair pour en être souffleté. Y en aurait-il un seul parmi nous, pour oser s’exprimer ainsi à l’égard de saint Paul, s’il ne l’avait lui-même déclaré humblement ? En disant qu’il n’a pas eu à supporter une pareille humiliation, nous croirions lui faire honneur, et en définitive, nous le taxerions de mensonge. Mais comme il était sincère, et qu’il a dit la vérité, nous devons ajouter foi entière à ses paroles, quand il nous dit que Dieu lui a envoyé l’ange de Satan pour l’empêcher de s’enorgueillir de la sublimité de ses révélations. Le serpent de l’orgueil est donc bien à craindre. Mais qu’est-il advenu des Juifs ? Ils ont été pris dans leur péché, car ils ont fait mourir le Christ, et plus grand a été leur crime, plus aussi ils se sont humiliés, et plus ils ont mérité par là d’être relevés ; ainsi, « qu’ils soient pris dans leur propre orgueil : et leur malédiction et leur mensonge produiront leur « perfection » ; c’est-à-dire, ils deviendront d’autant plus parfaits, qu’ils ont été surpris à maudire et à mentir. En effet, l’orgueil ne – leur permettait point de s’avancer vers la perfection : il leur a fait commettre un grand crime, mais par l’humble confession qu’ils en ont faite, ils se sont débarrassés de ce malheureux vice ; alors, ils en ont obtenu le pardon ; la miséricorde divine leur a rendu l’innocence, et, parce que de leur bouche étaient sortis la malédiction et le mensonge, ils sont devenus parfaits. Il a été dit à l’homme : Tu as vu et compris, par ton expérience, ce que tu es : tu t’es égaré, tu es tombé dans l’aveuglement, tu as commis le péché et fait une lourde chute ; tu as reconnu ta faiblesse, aie donc recours au médecin, et ne te crois pas en bonne santé. Vois l’abîme où t’a précipité ta frénésie ! Tu as fait mourir ton médecin, et tout en le livrant à la mort, tu n’as pu l’anéantir ; mais, du moins, as-tu agi dans la mesure de tes forces pour l’exterminer. « Votre malédiction et votre mensonge serviront à vous faire devenir parfaits ». O Juifs, vous avez fait tout ce qu’il faut pour opérer la malédiction, car « maudit soit l’homme pendu au gibet »[452]. Vous avez crucifié le Christ et vous l’avez considéré comme un homme maudit ; puis, à la malédiction vous avez ajouté le mensonge, en plaçant des gardes près de son tombeau, et en achetant au poids de l’or les mensonges que vous vouliez leur faire dire[453]. Voilà que le Christ est ressuscité. Qu’est devenue cette malédiction de la croix que vous lui avez infligée ? À quoi a servi le mensonge répandu par les gardes que vous avez corrompus à prix d’or ?
6. « La malédiction et le mensonge serviront à la consommation dans la colère de consommation ». Que veulent dire ces paroles : « Dans la colère de consommation ? » Il y a une colère de consommation, et il y a une colère de consomption : toute vengeance de la part de Dieu se nomine la colère de Dieu ; mais tantôt il se venge pour perfectionner, tantôt il se venge pour détruire. Comment se venge-t-il pour perfectionner ? « Il frappe de verges ceux qu’il reçoit au nombre de ses enfants[454] ». Comment se venge-t-il pour détruire ? Il le montrera, lorsqu’il dira à ceux qui seront placés à sa gauche : « Allez au feu éternel, qui a été préparé pour le démon et pour ses anges[455] ». La colère divine sera alors une colère de consomption, et non pas une colère de consommation. Mais « on annoncera la consommation dans la colère de consommation » ; c’est-à-dire, les Apôtres annonceront que, là où le péché s’est trouvé en abondance, il y aura une surabondance de grâce[456], et que la faiblesse de l’homme a produit le remède destiné à le guérir, l’humilité. Dans cette pensée, les Juifs reconnaîtront leurs fautes ils en feront l’aveu, et « ils ne seront plus », Quel est le sens de ces mots ? Ils ne seront plus orgueilleux. Car le Psalmiste avait dit plus haut : « Qu’ils soient pris dans leur propre orgueil. La malédiction et le mensonge serviront à la consommation dans la colère de consommation, et ils ne seront plus » dans les sentiments d’orgueil où ils ont été surpris.
7. « Et ils sauront que le Seigneur est le dominateur de Jacob et des extrémités de la terre ». Auparavant, les Juifs s’imaginaient qu’ils étaient justes, parce que leur nation avait reçu la loi, et qu’elle avait observé les commandements de Dieu ; mais la preuve évidente qu’ils n’en avaient pas été les observateurs fidèles, c’est qu’ils n’y ont point reconnu le Christ : l’aveuglement de l’esprit était, en effet, tombé en partie sur le peuple d’Israël[457]. Ils doivent s’apercevoir que les Gentils, considérés par eux comme des pécheurs et des chiens, ne sont pourtant pas à mépriser. Car s’ils ont été les uns et les autres surpris en état de péché, ils seront de même, les uns et les aigres, admis au salut éternel. « Il est », dit saint Paul, « pour les Juifs et pour les Gentils[458]. La pierre qu’ils ont rejetée en bâtissant, est devenue la principale pierre de l’angle ». Pourquoi ? Afin de réunir en elle deux choses différentes, car l’angle est le point de jonction entre deux murailles. À leurs propres yeux, les Juifs étaient gens élevés et honorables : les Gentils, au contraire, leur apparaissaient faibles, pécheurs, esclaves du démon, adorateurs des idoles ; et néanmoins, ils se trouvaient également plongés dans l’abîme de l’iniquité. Il a été démontré aux Juifs qu’ils étaient pécheurs, « car il n’y a personne qui fasse le bien, il n’y en a pas un seul[459] ». Ils se sont dépouillés de leurs idées de hauteur et n’ont plus porté envie aux Gentils ; ils ont reconnu que les uns et les autres étaient également faibles, se sont réunis au moyen de la pierre angulaire, et ont ensemble adoré Dieu. « Ils sauront que le Seigneur est le dominateur de Jacob et des extrémités de la terre ». Il sera le maître, non seulement des Juifs, mais des extrémités de la terre : mystère caché pour eux, s’ils persévéraient dans leur orgueil ! Orgueil toujours subsistant, s’ils continuaient à se considérer comme des justes ! Mais justice impossible à supposer en eux en présence de la malédiction et du mensonge ; parce que de là est venue pour eux la consommation dans la colère de consommation, et qu’ils ont été surpris dans leur orgueil, à la suite de la malédiction qu’ils ont prononcée en crucifiant le Sauveur. Voici ce qu’a fait Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il est mort entre les mains des Juifs, et il a racheté la multitude des Gentils. Les uns ont répandu son sang, les autres en ont profité, il a été versé pour l’utilité de tous ceux qui se sont convertis ; en effet, ceuxlà même qui l’ont fait mourir ont reconnu sa grandeur, et ainsi ont-ils obtenu le pardon de leur coupable déicide.
8. Que leur adviendra-t-il donc ? Ce que le Psalmiste a déjà dit plus haut : « Ils se convertiront sur le soir »[460]. Ils se convertiront quoique un peu tard, c’est-à-dire après avoir mis à mort Notre-Seigneur Jésus-Christ. « Ils se convertiront un peu tard, et ils souffriront de la faim comme les chiens ». « Comme les chiens », et non pas comme les brebis et les veaux : « comme les chiens », c’est-à-dire les Gentils et les pécheurs : parce qu’après s’être considérés comme des justes, ils ont reconnu leur péché. Il avait été dit d’eux en un autre psaume : « Ensuite ils se sont hâtés ». C’est dans le même sens qu’il est dit ici : « Sur le soir ». Au psaume précité, nous lisons : « Leurs infirmités se sont multipliées ; ensuite ils se sont hâtés[461] ». Pourquoi se sont-ils hâtés ensuite ? Parce que « leurs infirmités s’étaient multipliées ». Car jamais ils n’auraient hâté leur course, s’ils avaient continué à se regarder comme des hommes sains ; le sens de ces paroles : « Leurs infirmités se sont multipliées », est donc sous une autre forme le même que celui de ces autres paroles : « Qu’ils soient pris dans leur orgueil ; à cause de la malédiction et du mensonge, on annoncera la consommation dans la colère de la consommation ». De même les mots : « Ils se sont hâtés ensuite », ont la même signification que ceux-ci : « Ils ne seront plus » dans leur orgueil. « Et ils sauront que le Seigneur dominera Jacob et les extrémités de la terre, et ils se convertiront sur le soir ». Il est donc utile, pour le pécheur, de s’humilier, et la guérison la plus difficile à opérer est celle de l’homme qui se croit en bon état de santé. « Et ils environneront la ville ». Hier déjà, il m’a été donné de vous expliquer cette parole, et de vous faire voir dans cette ville d’environnement toutes les nations.
9. « Ils seront dispersés afin de manger[462] », c’est-à-dire, afin d’en gagner d’autres, de les amener à la foi et de les faire entrer dans leur corps. « Et s’ils ne sont pas rassasiés, ils murmureront ». Le Prophète nous a déjà fait connaître la manière dont ils murmureront. « Qui est-ce qui nous a écoutés ? Et vous, Seigneur, vous vous moquerez d’eux », et vous rirez de ce qu’ils diront : « Qui est-ce qui nous a écoutés ? » Pourquoi ? « Parce que vous considérez comme rien de sauver toutes les nations ». Voilà ce que veut dire : « Et s’ils ne sont pas rassasiés, ils murmureront ».
10. Achevons d’expliquer le psaume. Voyez les transports d’allégresse de l’angle, et la joie qu’il éprouve à joindre ensemble les deux murs[463]. Les Juifs s’enorgueillissaient, ils ont été humiliés ; les Gentils désespéraient d’eux-mêmes, ils ont appris à espérer. Qu’ils viennent les uns et les autres se réunir dans l’angle ; qu’ils viennent en hâte s’y rejoindre et s’y donner le baiser de paix. Qu’ils y viennent de côtés opposés, mais pas pour s’y combattre ; qu’ils y viennent, ceux-ci du milieu d’un peuple de circoncis, ceux-là du milieu des peuples incirconcis. Les murs se trouvaient bien éloignés l’un de l’autre, mais c’était avant de se rapprocher de l’angle maintenant qu’ils se sont rejoints, puissent-ils demeurer fermement unis ! et alors, l’Église tout entière, formée de ces deux murs, s’écriera : « Pour moi, je relèverai votre puissance par mes cantiques ; et, le matin, je louerai votre miséricorde ». Le matin, quand toutes les tentations seront passées ; le matin, lorsque sera venue à son terme la nuit de ce siècle ; le matin, quand nous n’aurons plus à craindre ni les embûches des voleurs, ni les embûches du démon et de ses anges ; le matin, quand nous contemplerons, non plus la lumière des Prophètes, destinée à nous éclairer pendant le pèlerinage de cette vie, mais les rayons du soleil, c’est-à-dire le Verbe de Dieu lui-même. « Et le matin, je louerai votre miséricorde ». C’est avec raison que le Prophète a dit ailleurs : « Le matin, je me tiendrai debout devant vous, et je verrai[464] ». C’est aussi un grand mystère que la résurrection du Sauveur ait eu lieu au point du jour, car ainsi s’est trouvée accomplie cette prophétie prononcée ailleurs par le Psalmiste : « On sera dans les larmes le soir, et le matin dans la joie ». À la chute du jour, les disciples de Notre-Seigneur Jésus-Christ pleuraient sa mort ; au lever du soleil, sa résurrection les remplit de joie. « Le matin, je louerai leur miséricorde ».
11. « Parce que vous êtes devenu mon protecteur et mon refuge au jour de mon affliction. O mon appui, je vous chanterai des « hymnes, parce que, ô mon Dieu, vous êtes mon protecteur ». Que serais-je, si vous n’étiez venu à mon secours ? Combien mes maux seraient désespérés, si vous n’étiez venu vous-même me guérir ! En quel abîme serais-je plongé, si vous ne m’aviez tendu la main. Une plaie profonde mettait ma vie en danger ; il me fallait un médecin tout-puissant pour la guérir, mais rien n’est impossible pour le médecin : ses soins sont acquis à tous les malades ; il faut que tu consentes à te laisser guérir par lui ; il faut te remettre entre ses mains, tu ne saurais t’écarter de lui. Si tu refuses de te guérir, ta blessure elle-même te recommande de te soigner ; tu lui tournes le dos, il te rappelle, et quand tu t’écartes de lui, il te force en quelque sorte à t’en rapprocher ; ses instances sont de tous les moments, et pour tous il accomplit cette parole : « Sa miséricorde me préviendra ». Faites bien attention à ces mots : « Me préviendra ». Si tu lui as offert quelque chose qui t’appartient en propre, si tu as mérité sa grâce par tes bonnes œuvres antécédentes, sa miséricorde ne t’a pas prévenu. Mais comprendras-tu jamais bien que le Seigneur t’a prévenu, si d’abord tu ne saisis pas bien le sens des paroles de l’Apôtre : « Qu’as-tu que tu n’aies pas reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi t’en glorifier, coin me si tu ne l’avais pas reçu »[465]. En d’autres termes « Sa miséricorde me préviendra ». En présence de tous les dons qui peuvent faire notre partage ici-bas, soit par l’effet de notre nature, soit comme conséquence de l’éducation ou de la fréquentation de la société, la foi, l’espérance, la charité, les bonnes mœurs, la justice, la crainte de Dieu, le Prophète arrive à cette conclusion, que tous ces dons ne peuvent nous venir que de Dieu, et il dit : « Vous êtes mon Dieu, vous êtes ma miséricorde ». Comblé des bienfaits du Seigneur, il ne sait quel nom lui donner, il ne sait que l’appeler sa miséricorde. Nom ineffable, qui ne permet plus à personne de tomber dans le désespoir. « Vous êtes mon Dieu, vous êtes ma miséricorde ». Qu’est-ce à dire : « Vous êtes ma miséricorde ? » Si tu dis : Vous êtes mon Sauveur, je comprends qu’il donne le salut. Si tu dis : Vous êtes mon refuge, je comprends que tu te jettes dans ses bras pour y trouver le calme. Si enfin tu t’écries : Vous êtes ma force, j’imagine qu’il te soutient. Mais : « Vous êtes ma miséricorde ! » cette manière de s’exprimer signifie : Tout ce que je suis est un don de votre miséricorde. Mais l’ai-je méritée par mes prières ? Pour devenir ce que je suis, qu’ai-je fait ? Qu’ai-je fait pour exister et me trouver à même de vous prier ? Si j’ai contribué en quelque chose à mon existence, j’existais donc avant d’exister ! Mais si je n’étais rien avant d’exister, je n’ai donc pu contribuer en rien à me donner l’être. Vous êtes l’auteur de ma vie, et vous ne sauriez être l’auteur de ce qu’il y a de bon en moi ? C’est vous qui m’avez communiqué l’être, et un autre aurait pu me rendre bon ? Si je tenais de vous la vie, et d’un autre la bonté, il s’ensuivrait qu’un autre serait meilleur que vous, car la bonté est préférable à l’existence. Mais comme personne n’est ni meilleur, ni plus puissant, ni plus miséricordieux que vous, vous m’avez donné et la vie et la vertu. « Vous êtes mon Dieu, vous êtes ma miséricorde ».

DISCOURS SUR LE PSAUME 59.[modifier]

SERMON AU PEUPLE.[modifier]

TRIOMPHE DE JÉSUS-CHRIST.[modifier]

David a remporté sur ses ennemis de grandes victoires ; après les avoir exterminés, il a régné avec gloire ; ainsi Jésus-Christ a-t-il triomphé des hommes ; il a détruit en eux l’orgueil et les autres vices, et il les a soumis à son empire par la crainte de ses jugements ; ils se sont convertis, et alors l’Église a triomphé malgré ses humiliations et les persécutions qu’elle a endurées ; elle s’est répandue partout, et elle règne même sur les pécheurs, parce que Dieu la protège et la soutient dans ses combats.


1. Le titre de ce psaume est un peu long, mais ne nous en effrayons pas, car le psaume en lui-même est de peu d’étendue. Apportons à le comprendre la même attention que si nous devions lui consacrer un temps considérable. Nous vous parlons, en effet, au nom de Jésus-Christ, comme à des enfants nourris de la parole sainte dans l’Église de Dieu, comme à des personnes qui doivent puiser encore à la même source l’aliment de leurs âmes : vous savez apprécier la valeur de ces Écritures sacrées, pour lesquelles les mondains ne ressentent aucun goût : vous êtes donc familiarisés avec elles, et elles ne doivent plus vous paraître aussi difficiles à comprendre[466]. En effet, si vous avez écouté avec plaisir ce que nous vous avons dit si souvent ; si, au lieu de laisser tomber en oubli nos instructions, comme certains êtres laissent tomber dans leur estomac une nourriture qu’ils ne doivent point ruminer, vous les avez rappelées à votre souvenir pour en tirer un utile profit ; la mémoire fidèle que vous en avez gardée nous sera d’un grand secours ; elle nous dispensera de vous parler comme à des personnes peu instruites, puisque nous saurons que nous vous adressons des instructions auxquelles vous n’êtes pas étrangers. – Il est un point sur lequel nous avons souvent attiré votre attention ; le voici : dans presque tous les psaumes, tu dois reconnaître tantôt les paroles du Christ et de l’Église tout ensemble, tantôt celles du Christ pris isolément, ou de l’Église dont nous faisons partie : et ainsi, quand nous reconnaissons notre voix, il nous est impossible de ne pas éprouver un certain plaisir, et ce plaisir est d’autant plus vif que nous nous retrouvons plus parfaitement figurés par le Prophète. Le roi David fut un homme unique, mais il en figura plus d’un, car il représenta d’avance l’Église, composée d’un grand nombre d’hommes et répandue jusqu’aux extrémités de la terre : et dans les circonstances où il n’en figura qu’un seul, il fut l’image de l’Homme-Dieu, de Jésus-Christ, médiateur de Dieu et des hommes’. Dans ce psaume, ou plutôt dans le titre de ce psaume, il est question de certains faits glorieux de la vie de David, d’actions mémorables par lesquelles il a illustré son nom, soit en triomphant de ses ennemis, soit en les rendant tributaires, lorsqu’après la mort de Saül son persécuteur, il entra publiquement, à sa place, en possession du royaume d’Israël. Avant d’être persécuté, il était déjà roi, mais, comme tel, il n’était encore connu que de Dieu : dans la suite, lorsque sa royauté fut déclarée et qu’il fut monté sur le trône avec une gloire si éclatante, il triompha des ennemis auxquels fait allusion le titre de ce psaume, et ce titre fut ainsi conçu : « Pour la fin. À ceux qui seront changés pour l’inscription du titre. A David, pour l’instruction, lorsqu’il brûla la Mésopotamie de Syrie et la Syrie de Sobal ; lorsqu’il mit Joab en fuite, qu’il frappa Edom et douze mille hommes dans la vallée des Salines ». Nous lisons, dans les livres des Rois, que David a vaincu tous ceux dont les noms sont mentionnés ici : les habitants de la Mésopotamie de Syrie, ceux de la Syrie de Sobal, Joab et Edom[467]. Ces événements ont eu vraiment lieu, et nous en voyons ici l’histoire, écrite conformément à ce qui s’est passé. Néanmoins, il est facile de le remarquer, dans la plupart des titres des psaumes, l’esprit du Prophète s’écarte un peu du strict récit des faits historiques, pour dire des choses qu’on ne rencontre point dans le narré des événements : par là, il veut nous avertir que ces titres ont été écrits, moins pour nous rappeler ou nous apprendre des faits passés, que pour nous prédire l’avenir. Ainsi, il est dit dans le titre d’un psaume, que David changea son visage en présence d’Abimélech, et que celui-ci s’en alla après l’avoir congédié[468] ; au contraire, le livre des Rois nomme le roi Achis, et ne cite point Abimélech[469] ; de même trouvons-nous, dans le cas présent, une allusion à l’avenir. Effectivement, dans cette histoire des guerres et des actions mémorables qui ont illustré le règne de David, il est question de tous ceux que cite le titre et que le saint roi a vaincus, mais il n’est pas dit qu’il ait porté l’incendie quelque part ; et ce que l’histoire ne mentionne pas, nous le trouvons formellement rapporté dans le titre, car nous y voyons qu’il a fait brûler la Mésopotamie de Syrie, et la Sine de Sobal. Commençons donc à chercher là le secret des choses à venir qui s’y trouvaient figurées ; faisons, par nos paroles, sortir de ces ombres épaisses une éclatante lumière.
2. Vous savez le sens de ces paroles : « Pour la fin ». Car « la fin de la loi, c’est le Christ[470] ». Vous n’ignorez pas non plus quels sont ceux qui sont changés. Il est impossible d’en douter : ce sont ceux qui passent de la vieille vie à la vie nouvelle : loin de nous, en effet, la pensée de prendre ce changement en mauvaise part. Adam a subi un changement, ç’a été de passer de l’état d’innocence à l’état de péché, du sein du bonheur à un abîme de tourments. Au lieu de lui ressembler, ceux dont il est ici question deviennent tels qu’on peut leur appliquer aussi ces paroles de l’Apôtre : « Autrefois, vous avez été ténèbres, mais maintenant, vous êtes lumière dans le Seigneur[471] ». Ces hommes sont changés pour l’inscription du titre. Vous connaissez la teneur de ce titre il a été attaché à la croix du Sauveur, et il était conçu en ces termes : « Voici le roi des Juifs[472] ». Tous ceux qui passent du royaume du démon au royaume du Christ, sont changés pour l’inscription de ce titre : un changement de cette nature leur est trèsutile, et il s’opère en eux, suivant le texte sacré, « pour l’instruction ». Car après ces mots : « A ceux qui seront changés pour l’inscription du titre », nous lisons ces autres : « A David, pour l’instruction » ; c’est-à-dire, ils sont changés, non pour eux-mêmes, mais pour David, ils le sont pour l’instruction. Jésus-Christ n’est pas roi pour régner en ce siècle, car il l’a publiquement déclaré : « Mon royaume », a-t-il dit, « n’est pas de ce monde[473] ». Passons donc à ces instructions, si nous voulons être changés pour l’inscription du titre, non pas pour nous, mais pour David : de la sorte, ceux qui vivent ne vivront plus pour eux-mêmes, ils vivront pour celui qui est mort et ressuscité en leur faveur[474]. Toutefois, comment le Christ aurait-il opéré notre changement, s’il n’avait réalisé ces paroles : « Je suis venu jeter le feu dans le monde[475] ? » Si donc il est venu jeter le feu dans le monde, ç’a été pour le bien et l’utilité de l’homme mais, remarquez-le, il n’est pas venu jeter le monde dans le feu. Comment est-il venu jeter « le feu dans le monde ? » Puisqu’il est venu dans ce but, cherchons à connaître cette Mésopotamie de Syrie, et cette Syrie de Sobal, qu’il a incendiées. La langue hébraïque ayant servi à la première rédaction des psaumes, consultons l’hébreu pour savoir le sens de ces différents noms. Au dire des interprètes, Mésopotamie signifie une vocation élevée. Déjà, le monde tout entier a été élevé par sa vocation. Syrie veut dire sublime, mais cette Syrie, qui était si haute, a été livrée au feu et réduite en cendres : puisse-t-elle se relever de son humiliation, comme elle a été d’abord précipitée, du haut de sa grandeur, dans l’abîme de la faiblesse et du mépris public ! Vaine vieillerie, voilà le sens du mot Sobal. Grâces soient rendues au Christ de ce qu’il l’a brûlée ! Lorsqu’on brûle de vieilles broussailles, de nouveaux bourgeons croissent à leur place ; et quand le feu a passé quelque part et qu’il a détruit les vieilles herbes sèches, on y voit pousser de nouvelles herbes, et plus vigoureuses, et plus abondantes, et plus vertes. Le feu apporté par le Christ dans le monde n’est pas à craindre, il ne consume que l’herbe sèche : or, toute chair n’est que de l’herbe desséchée, et l’éclat de l’homme ressemble à l’éclat de la fleur du foin[476]. Le Christ met donc le feu à ces vanités, « et il convertit Joab ». Par Joab, il faut entendre l’ennemi. L’ennemi a donc été converti. Interprète ce mot comme tu voudras, si cet ennemi s’est retourné pour prendre la fuite, c’est le démon ; s’il s’est converti pour embrasser la foi, c’est le chrétien. De quel endroit le démon a-t-il pu s’enfuir ? Du cœur du chrétien ; car, dit le Sauveur, « le prince de ce monde a été chassé dehors[477] ». Mais pour le chrétien, qui s’est converti au Seigneur, comment peut-on dire qu’il est un ennemi converti ? Parce que, d’ennemi de Dieu, il est devenu son disciple fidèle. « Il a frappé Edom ». Edom veut dire terrestre. Il a fallu que l’homme terrestre fût frappé : ne devait-il pas, en effet, mourir, puisqu’il devait faire place à l’homme céleste ? En nous la vie terrestre a été anéantie ; puisse la vie céleste lui succéder ! Puisque nous avons porté l’image de l’homme terrestre, nous devons de même porter l’image de l’homme céleste[478]. Vois de quelle manière l’homme terrestre est frappé de mort. Faites mourir vos membres qui sont sur la terre[479]. Lorsque David eut frappé Edom, « il tua encore douze mille hommes dans la vallée des Salines ». Douze mille est un nombre parfait, et à ce nombre parfait correspond celui des douze apôtres : et ce n’est pas sans raison, car la parole de Dieu devait être prêchée par tout le monde. Or, la parole de Dieu, qui est le Christ, se trouve dans les nuées, c’est-à-dire dans les prédicateurs de la vérité. Pour le monde, il est partagé en quatre parties, que tous connaissent, et qui sont très souvent indiquées dans l’Écriture sous le nom des quatre vents[480] : ce sont l’Orient, l’Occident, l’Aquilon et le Midi. Le Seigneur a fait entendre sa parole dans ces quatre directions, pour appeler à lui tous les hommes au nom des trois personnes de la sainte Trinité. Trois fois quatre font douze. C’est donc à juste titre que l’on dit que douze mille hommes terrestres ont été frappés de mort, puisque le monde entier l’a été, et que l’Église, sortie du tombeau de la vie terrestre, a été formée de membres venus de toutes les parties du monde. Pourquoi est-il dit que le massacre des douze mille hommes a eu lieu « dans la vallée des Salines ? » Par vallée, on entend l’humilité ; et par Salines, ce qui donne de la saveur. Il en est beaucoup qui subissent des humiliations, mais inutilement et sans profit ; ils ne sont humiliés que dans leur vaine vieillesse. Les uns sont affligés par une perte d’argent, les autres par la privation d’un fragile honneur, d’autres encore par le retranchement des aises de la vie ; dès lors qu’ils souffrent, ils subissent une sorte d’humiliation ; mais pourquoi ne pas la souffrir pour Dieu, pour le Christ, afin d’avoir la saveur du sel ? Ne sais-tu pas que le Sauveur t’a dit : « Vous êtes le sel de la terre ; si le sel devient fade et insipide, il n’est plus bon à rien qu’à être jeté dehors[481] ? » Il est donc bon d’être sagement humilié. Ne voyez-vous pas les hérétiques plongés dans l’humiliation ? Condamnés déjà par les lois divines, à l’empire desquelles ils ne peuvent se soustraire, ne le sont-ils pas encore par les lois humaines publiées contre eux ? Oui, ils sont humiliés, puisqu’ils sont mis en fuite et qu’ils souffrent persécution ; mais c’est d’une manière insipide ; c’est pour des choses fades et vaines, car leur sel s’est affadi et il a été jeté dehors, parce qu’il n’était plus bon à rien qu’à être foulé aux pieds par les hommes. Nous avons expliqué le titre du psaume : passons maintenant au psaume lui-même.
3. « Mon Dieu, vous nous avez rejetés et détruits ». Sont-ce les paroles de David, qui a frappé, consumé par le feu, et exterminé ses ennemis ? Ne sont-ce pas plutôt les paroles de ceux qu’il a ainsi traités, pour frapper et détruire ce qu’il y avait de mal en eux, pour leur rendre une nouvelle vie et les ramener au bien ? Telle est la grande et sanglante victoire remportée en ce monde par le Christ, par le véritable David, par celui qui fut vraiment fort, et que figurait le saint roi d’Israël. Il a opéré ces merveilles : par le glaive et le feu qu’il est venu apporter en ce monde, il a fait ce massacre immense ; car tu trouves dans l’Évangile ces deux passages : « Je suis venu jeter le feu dans le monde[482] ». « Je suis venu apporter le glaive sur la terre[483] ». il a apporté le feu qui devait consumer la Mésopotamie de Syrie, et la Syrie de Sobal ; il a apporté le glaive qui devait frapper Adam. Ce carnage a donc eu lieu en faveur de ceux qui sont changés pour David, pour l’inscription du titre. Ce sont eux qui parlent ici : ils ont été frappés pour leur salut, qu’ils se relèvent donc, et qu’ils parlent ; puisqu’ils sont devenus meilleurs, puisqu’ils ont été changés pour l’inscription du titre, pour leur instruction, pour David, qu’ils disent donc : « Mon Dieu, vous nous avez rejetés et détruits ; vous vous êtes irrité et vous avez pris pitié de nous ». Vous nous avez détruits pour nous réédifier ; vous avez détruit en nous ce qui était mauvais, notre vaine vieillerie, afin d’y reconstruire l’édifice de l’homme nouveau, qui doit subsister toujours. Le Prophète dit avec raison que « vous vous êtes irrité et que vous avez pris pitié de nous ». Car si vous ne vous étiez pas mis en colère, vous n’auriez pas eu compassion de nous. Vous nous avez détruits dans votre colère, mais votre colère ne s’est allumée que contre notre vieillerie, afin de l’anéantir. Vous nous avez pris en pitié en vue de notre renouvellement, en vue de ceux qui sont changés pour l’inscription du titre ; parce que si en nous l’homme extérieur se corrompt, l’homme intérieur s’y renouvelle de jour en jour[484].
4. « Vous avez ébranlé la terre, et vous l’avez troublée ». Comment la terre a-t-elle été troublée ? Par le remords qui naît du péché. Où irons-nous ? où fuirons-nous pour éviter les coups de cette épée que le Seigneur fait vibrer à nos yeux : « Faites pénitence, car le royaume des cieux est proche ? »[485] Vous « avez ébranlé la terre et vous l’avez troublée. Guérissez ses meurtrissures, parce qu’elle a u été ébranlée ». Elle n’est pas digne d’être guérie, si elle n’est pas ébranlée. Tu parles, tu prêches, tu menaces de la colère de Dieu, tu annonces le jugement à venir, tu fais connaître les volontés du Très-Haut : ton zèle à cet égard ne se refroidit pas ; mais celui qui t’écoute n’éprouve aucun sentiment de crainte ; rien ne l’ébranle : il n’est pas digne d’être guéri. Pour celui que ta parole remue, qui se sent pénétré jusqu’au fond du cœur ; qui se frappe la poitrine et répand des larmes, on peut lui appliquer ces paroles : « Guérissez ses meurtrissures, parce qu’elle est ébranlée ».
5. L’homme terrestre donc a été frappé à mort, notre vieillerie a été consumée par le feu ; l’homme est devenu meilleur ; ceux qui étaient plongés dans les ténèbres sont arrivés à la lumière : aussi lisons-nous maintenant ce qui se trouve encore écrit ailleurs : « Mon fils, lorsque vous entrerez au service de Dieu, demeurez ferme dans la justice et dans la crainte, et préparez votre âme à la tentation »[486]. Ton premier soin doit être de te déplaire, afin de te purifier de tes péchés, et de devenir meilleur. Tu devras, en second lieu, puisque tu seras converti, supporter patiemment les tribulations et les épreuves de la vie, et y persévérer courageusement jusqu’à la fin. Le Prophète a donc voulu y faire allusion et en parler, quand il a dit : « Vous avez fait voir de dures choses à votre peuple », à ce peuple, qui est devenu le vôtre, puisque David l’a rendu tributaire par sa victoire. « Vous avez montré de dures choses à votre peuple ». En quoi ? Dans les persécutions souffertes par l’Église du Christ, lorsque le sang des martyrs a coulé à grands flots. « Vous avez fait voir de dures choses à votre peuple ; vous nous avez abreuvé d’un vin aigre » ; qu’est-ce à dire, d’un vin aigre ? C’est-à-dire, d’un vin qui ne donnait pas la mort : ce n’était pas un poison qui tue, c’était une médecine cuisante. « Vous nous avez abreuvés d’un vin aigre ».
6. Comment cela ? « Vous avez donné un signe à ceux qui vous craignent, afin qu’ils prennent la fuite et s’écartent de l’arc ». En nous éprouvant par les tribulations de cette vie, vous nous avez avertis d’éviter les douleurs causées par le feu éternel, car l’apôtre saint Pierre a dit : « Le temps est venu où Dieu commencera son jugement par sa propre maison ». Lorsque le monde faisait éclater partout sa fureur, lorsque les persécuteurs répandaient de tous côtés la souffrance et la mort, que le sang des fidèles coulait à longs et larges flots, et que les chrétiens enduraient d’intolérables tourments au milieu des chaînes des prisons et des instruments de supplice, saint Pierre exhortait les martyrs à la patience, et leur disait : « Voici le temps où Dieu commence son jugement par sa propre maison ; et s’il commence ainsi par nous, quelle sera la fin de ceux qui n’obéissent pas à l’Évangile de Dieu ? Si le juste lui-même se sauve avec tant de peine, que deviendront alors les impies et les pécheurs ? »[487] Qu’arrivera-t-il donc au jugement ? L’arc est tendu pour menacer, mais non encore pour frapper. Voyez ce qu’il y a sur cet arc : ce sont des flèches. Ne doivent-elles pas être lancées en avant, et pourtant c’est par-derrière que le nerf se tend ; c’est du côté opposé à celui où l’on doit envoyer la flèche : plus on tire le nerf en arrière, plus impétueuse, plus agile est la flèche pour atteindre le but. Par la même raison, le jugement de Dieu fondra sur nous d’autant plus inopinément et plus terrible qu’il aura été différé davantage. Il nous faut donc rendre grâces à Dieu de ce qu’il nous éprouve en ce monde, puisqu’il fait voir à son peuple un signe qui l’avertit « de fuir de devant l’arc ». À la suite de cet avertissement salutaire, les fidèles tourmentés par les peines de la vie, deviendront dignes d’échapper à la peine du feu éternel, réservé à tous ceux qui ne croient point à ces vérités. « Vous avez donné un signe à ceux qui vous craignent, afin qu’ils prennent la fuite et s’écartent de l’arc ».
7. « Afin que vos bien-aimés soient délivrés. Sauvez-moi par votre droite, et exaucez-moi ». Seigneur, sauvez-moi par votre droite : sauvez-moi de manière que je sois placé à la droite. « Sauvez-moi par votre droite ». Je ne vous demande point mon salut temporel ; qu’à cet égard votre volonté soit faite. Nous ignorons complètement ce qui nous est avantageux pour cette vie ; nous ne savons ce qu’il faudrait demander[488]. Mais « sauvez-moi par votre droite », en sorte qu’après avoir été éprouvé, s’il le faut, pendant le cours de mon existence terrestre, je puisse du moins voir se dissiper les ombres épaisses de la tribulation, me trouver à votre droite, au milieu de vos brebis, et éviter le malheur d’être placé à votre gauche avec les boucs. « Sauvez-moi par votre droite, et exaucez-moi ». Je ne vous demande que ce que vous désirez vous-même me donner : ce n’est point avec la voix de mes péchés que je crie vers vous et le jour et la nuit, pour que vous ne m’écoutiez pas, et que vous ne me répondiez pas, afin d’ajouter à ma folie[489]. Je crie vers vous, pour que vous me donniez une salutaire instruction, en ajoutant à mon humiliation la saveur du sel : par là, mes tribulations m’apprendront ce que je dois vous demander : aussi, je vous demande la vie éternelle ; exaucez-moi donc, puisque mon plus vif désir est d’être placé à votre droite. Que votre charité veuille bien le remarquer : tout fidèle qui garde dans son cœur la parole de Dieu, qui éprouve à l’égard du jugement à venir la crainte la plus vive, et qui vit avec assez de prudence pour ne point donner aux autres l’occasion de blasphémer le saint nom de Dieu à cause de lui, ce fidèle adresse souvent au Seigneur des prières pour obtenir des avantages temporels, et il n’est pas exaucé : quand, au contraire, il sollicite ce qui peut le conduire à la vie éternelle, il parvient toujours au comble de ses désirs. Y a-t-il un seul malade qui ne souhaite pas revenir à la santé ? Néanmoins, il lui est peut-être utile de souffrir encore. Il est possible que Dieu repousse les demandes que tu lui adresses pour ta guérison ; mais s’il refuse d’accéder à tes désirs, c’est afin de pourvoir àton plus grand bien. Quand, au contraire, tu lui demandes la grâce de la vie éternelle, la faveur d’être admis dans le royaume des cieux et d’être placé à la droite de son Fils, lorsqu’il viendra juger les vivants et les morts, sois tranquille sur le résultat de ta prière : si elle n’est pas exaucée aujourd’hui, elle le sera infailliblement plus tard, parce que le moment d’y donner suite n’est pas encore venu. Ta demande est déjà exaucée, mais tu ne t’en aperçois pas encore : ce que tu désires se fait, quoique tu ignores la manière dont il se fait : l’effet de ta prière existe, comme la sève, encore renfermée dans la racine de l’arbre, avant de produire des fruits. « Sauvez-moi par votre droite et exaucez-moi ».
8. « Dieu a parlé dans son saint ». Peux-tu douter de l’accomplissement des paroles du Tout-Puissant ? Si tu avais un ami sage et sérieux, comment t’exprimerais-tu à son égard ? Il a dit cela ? il fera ce qu’il a dit, c’est immanquable, car c’est un homme sérieux ; il ne parle pas à la légère ; quand il a promis une chose, il y tient, parce qu’il ne change pas facilement d’avis. Pourtant ce n’est, en définitive, qu’un homme ; il peut avoir la volonté d’accomplir ses promesses ; sera-t-il toujours à même de n’y pas manquer ? en aura-t-il toujours le pouvoir ? Mais, du côté de Dieu, il n’y a rien à craindre, parce qu’il est la vérité même et qu’il possède – la souveraine puissance ; il est sûr ; il ne peut te tromper ; rien ne dépasse son pouvoir. Pourquoi donc craindre d’être déçu dans tes espérances ? Tu as besoin de ne pas te tromper toi-même et de persévérer jusqu’à la fin, jusqu’au moment où il accomplira ses promesses. « Dieu a parlé dans son saint ». Quel est ce saint qui est celui de Dieu ? « Dieu était dans le Christ, et il s’y réconciliait le monde[490] ». C’était celui dont il a été dit ailleurs : « O Dieu, toutes vos voies sont dans le saint[491]. Dieu a parlé dans son saint. Je me réjouirai et je diviserai les champs de Sichem ». Puisque Dieu l’a dit, l’événement aura lieu. C’est la parole de l’Église : « Dieu a parlé dans son saint ». Elle ne répète point simplement les paroles que Dieu a prononcées. Mais, puisque « Dieu a parlé dans son saint », et que les choses doivent nécessairement arriver comme il les a prédites, il est sûr qu’elles auront lieu. « Je me réjouirai et je diviserai les champs de Sichem, et je partagerai la vallée des tentes ». Sichem signifie épaules. Au rapport de l’historien sacré, lorsque Jacob revint de chez Laban, son beau-père, avec tous ses biens, il cacha en Sichem les idoles qu’il apportait de la Syrie, où il avait si longtemps séjourné et d’où il venait enfin de sortir pour retourner dans son pays natal[492]. Arrivé là, il y dressa quelques tentes pour abriter ses brebis et ses troupeaux, et il donna à cet endroit le nom de « tentes[493] ». Je diviserai ces tentes, dit l’Église. Que veulent dire ces mots : « Je partagerai Sichem ? » Si on les rapporte à ce trait de la vie de. Jacob relatif aux idoles qu’il cacha en Sichem, ces paroles désignent les Gentils. Je divise les Gentils. Qu’est-ce à dire : Je divise ? La foi n’est pas donnée à tous[494]. Qu’est-ce à dire : Je divise ? Les uns croiront, les autres ne croiront pas ; et pourtant, que ceux qui croient ne tremblent pas de ce qu’ils se trouvent au milieu des incroyants : ils sont aujourd’hui divisés par la foi ; au jugement dernier ils le seront encore, puisque les brebis seront placées à la droite et les boucs à la gauche[495]. Il nous est maintenant facile de comprendre comment l’Église divise Sichem. Mais, puisque Sichem signifie épaules, comment l’Église divise-t-elle les épaules ? Les épaules sont divisées en ce sens que, chez les uns, elles sont surchargées de péchés, et que, chez les autres, elles portent le joug du Christ. Car il réclamait des épaules dévouées, quand il disait : « Mon joug est doux et mon fardeau « est léger[496] ». Les autres fardeaux t’accablent et t’écrasent, mais celui du Christ te soulève ; les autres fardeaux t’appesantissent, celui du Christ, au contraire, te donne des ailes. Si tu ôtes à un oiseau ses ailes, il semblerait que tu le débarrasses d’un poids incommode ; et néanmoins plus tu l’en décharges, plus tu le condamnes et le forces à s’abattre. Tu avais voulu le soulager et tu n’as fait que l’empêcher de quitter la terre ; il ne vole plus, parce que tu l’as déchargé ; rends-lui son fardeau et il reprendra son essor. Ainsi en est-il du fardeau du Christ ; puissent les hommes ne point se laisser dominer par la paresse et se décider à le porter ! puissent-ils ne pas s’arrêter à considérer le nombre de ceux qui ne s’en chargent pas ! Que les hommes de bonne volonté le prennent sur leurs épaules, et ils verront par eux-mêmes combien il est doux, léger et agréable, combien il est puissant pour nous détacher de la terre et nous élever jusqu’au ciel. « Je diviserai Sichem, et je partagerai la vallée des tentes ». Par la vallée des tentes on entend le peuple juif, peut-être à cause des brebis qu’y amena Jacob ; ce peuple lui-même a été divisé, car ceux d’entre les Juifs qui se sont soumis à la foi chrétienne, sont sortis de là pour entrer dans l’Église ; les autres y sont restés et ne se sont point incorporés à Jésus-Christ.
9. « Galaad m’appartient ». Ces noms se trouvent dans les divines Écritures. Le mot Galaad s’explique aussi dans un sens particulier, et il renferme un grand mystère. Il veut dire : Monceau du témoignage. Quel monceau de témoignages on a vu dans les martyrs ! « Galaad m’appartient ». Je possède le monceau du témoignage : les vrais martyrs sont les miens. Que les autres meurent pour leur vieille vanité, leur mort sera dépourvue de la saveur du sel ; pourra-t-on dire alors qu’ils contribuent à grossir le monceau du témoignage ? Quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, mon sacrifice ne me sert de rien[497]. Dans un endroit de l’Évangile Jésus-Christ nous recommande de conserver la paix, mais auparavant il exige l’emploi du sel : « Ayez », dit-il, « du sel en vous ; ayez la paix entre vous[498] ». Donc, « Galaad m’appartient ». Mais Galaad, c’est-à-dire le monceau du témoignage, a été visiblement en butte à de grandes épreuves. En effet, l’Église était alors aux yeux du monde un objet de mépris ; on faisait à cette veuve un reproche sanglant de ce qu’elle appartenait au Christ et portait au front le signe de la croix. On ne l’honorait pas encore, on l’accusait. En ce moment où les honneurs la fuyaient, où elle se voyait accablée de calomnies, s’éleva le monceau du témoignage, et par lui se répandit l’amour du Christ ; alors cet amour divin gagna tous les peuples. Le Prophète ajoute : « Manassé est à moi ». Manassé signifie oublié. Il avait été dit à l’Église « Tu oublieras à jamais ta confusion, et tu ne te souviendras plus de l’opprobre de ton veuvage ». L’Église était donc autrefois plongée dans une confusion qu’elle a depuis oubliée ; elle a perdu tout souvenir de la confusion et de l’opprobre où l’avait jetée son veuvage. Quand les hommes la méprisaient, on voyait s’élever en sa faveur un monceau de témoignages. Personne, aujourd’hui, ne se souvient qu’il fut un temps où elle était couverte de confusion, où c’était une honte de porter le nom de chrétien ; personne n’en a gardé la mémoire : tous l’ont oublié ; et désormais « Manassé est à moi. Et Ephraïm est la force et l’appui de ma tête ». Ephraïm veut dire, production de fruits. J’ai fructifié, dit l’Église, et par là j’ai trouvé la force et le soutien de ma tête. Car ma tête, c’est le Christ. Et d’où vient que la production des fruits est le principe de sa force ? c’est que si, en tombant dans la terre, le grain ne s’y multipliait pas, il resterait seul. Par sa mort, le Christ est tombé en terre, et par sa résurrection il a ensuite porté des fruits. « Et Ephraïm est la force et l’appui de ma tête ». Pendant qu’il était cloué à la croix, on le considérait avec mépris ; intérieurement c’était un grain qui avait la force d’attirer tout à lui[499]. L’œil n’aperçoit pas dans le grain de froment l’innombrable quantité de germes qui s’y trouvent renfermés ; il y voit seulement je ne sais quels dehors méprisables ; et toutefois le grain recèle une force telle qu’il s’assimile la sève de la terre pour en former des fruits. Ainsi apercevait-on l’infirmité de la chair sur la croix du Sauveur, sans y voir la force toute-puissante qu’elle recelait. O l’admirable grain de froment ! Sans doute il semblait à tous dépourvu de force pendant qu’il se mourait sur le bois de la croix ; le peuple qui l’environnait secouait la tête en passant devant lui et s’écriait : « S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende donc de sa croix[500] ! » Mais vois quelle était sa force : « Ce qui est faible en Dieu est plus fort que tous les hommes[501] ». Ce n’est donc pas sans raison qu’il a ensuite produit une si grande quantité de fruits ; ces fruits sont à moi, dit l’Église.
10. « Juda est mon roi : Moab est le vase de mon espérance ». « Juda est mon roi ». Qui est Juda, sinon celui qui est sorti de la tribu de Juda ? qui est Juda, sinon celui à qui Jacob a parlé ainsi : « Juda, tes frères prononceront tes louanges[502] ? » « Juda est mon roi » ; et quand Juda, mon roi, me dit : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps[503] », puis-je craindre quelque chose ? « Juda est mon roi : Moab est le vase de mon espérance ». Pourquoi « le vase ? » Parce que « le vase », environné de flammes, est le signe de la tribulation. Pourquoi « le vase de mon espérance ? » Parce que Juda, mon roi, a marché devant moi. Pourquoi craindre de le suivre partout où il a marché avant toi ? Dans quelle voie t’a-t-il précédé ? Dans la voie des tribulations, des angoisses et des opprobres. Cette voie douloureuse nous était interdite avant qu’il s’y engageât ; maintenant qu’il y a passé, suis-le ; depuis qu’il y a laissé la trace de ses pas, ce chemin est ouvert devant toi. « Je suis seul », dit-il, « mais seulement jusqu’à ce que je passe[504] ». Ce grain de froment est seul, mais seulement jusqu’à ce qu’il passe ; quand il sera passé, alors il produira des fruits. « Juda est mon roi », et parce qu’il « est mon roi, Moab est le vase de mon espérance ». Moab signifie la multitude des Gentils. La race des Moabites doit son origine à un crime, car elle descend des filles de Loth, qui, voyant leur père en état d’ivresse, abusèrent honteusement de lui et commirent avec lui le péché de la chair[505]. Il eût mieux valu pour elles rester stériles que de devenir mères à ce prix. Ces malheureuses préfiguraient ceux qui abusent de la loi. Que ce mot, loi, soit du féminin en latin ou du masculin en grec, peu importe, et nous ne devons pas nous en occuper, parce que masculin ou féminin, dans une langue ou dans l’autre, il ne saurait, par son genre, préjudicier à la vérité ; néanmoins, le caractère de la loi a quelque chose de mâle, puisqu’elle gouverne et qu’elle n’est pas gouvernée, Or, que dit l’apôtre saint Paul ? « La loi est bonne, pourvu qu’on en use légitimement[506] ». Les filles de Loth avaient, au contraire, abusé de leur père. De même que les bonnes œuvres procèdent de l’usage légitime de la loi, ainsi les péchés viennent de l’abus criminel de la loi. C’est pourquoi, en abusant de leur père, c’est-à-dire de la loi, ces filles mirent au jour les Moabites, qui représentent les œuvres de péché. De là sont venus à l’Église les tribulations et le vase brûlant sous l’action de la flamme. Il est question de ce vase dans le livre d’un Prophète : Un vase échauffé du côté de l’Aquilon[507], c’est-à-dire, du côté du démon, qui a dit : « J’établirai mon trône vers l’Aquilon[508] ». Les plus pénibles tribulations de l’Église ne lui viennent donc que de la part de ceux qui abusent de la loi. Eh quoi ! l’Église défaudra-t-elle parce qu’il y en a pour faire un mauvais usage de la loi ? Et le vase brûlant, c’est-à-dire la multitude des scandales, l’empêchera-t-elle de durer jusqu’à la fin des siècles ? Est-ce que Juda, son roi, ne lui a pas annoncé d’avance les afflictions dont elle sera abreuvée ? Ne lui a-t-il pas dit : « La charité se refroidira, parce qu’on verra se multiplier l’iniquité[509] ? » À mesure que le vase s’échauffe, la charité se refroidit. Mais pourquoi, ô divine charité, ne point consumer par tes propres ardeurs le feu qui met ce vase en ébullition ? Tu ne saurais l’ignorer, ton Roi te parlait quand il faisait allusion à cette multitude de scandales ; il te disait : « Celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé ». Ne cesse donc, jusqu’à la fin, de t’opposer à l’ardeur des scandales. Le feu de l’iniquité est ardent ; mais plus ardent est le feu de la charité. Ne te laisse donc pas vaincre ; persévère jusqu’à la fin. Craindrais-tu les Moabites, les œuvres criminelles de ceux qui abusent de la loi ? Eh quoi ! Juda, ton Roi, n’a-t-il pas marché devant toi ? n’a-t-il pas subi de pareilles épreuves ? Ne sais-tu pas que, par abus de la loi, les Juifs ont fait mourir le Christ ? Espère donc, et marche où ton Roi a marché le premier. Dis donc aussi : « Juda est mon roi », et parce « qu’il est mon roi », qu’est devenu « Moab ? » Il est devenu pour moi, non un vase de mort, mais « le vase de mon espérance ». Tu dois voir dans les tribulations un vase d’espérance, car l’Apôtre a dit : « Nous nous glorifions même au sein de la tribulation ». Le vase est là ; mais écoute saint Paul : il te dira que c’est un vase d’espérance. « Nous savons que la tribulation produit la patience, que la patience produit la pureté, et que la pureté produit l’espérance ». Effectivement, si la patience est le résultat de la tribulation, la pureté celui de la patience et l’espérance celui de la pureté, dès lors que la tribulation est ce vase brûlant, il est réellement un vase d’espérance, et Moab est avec raison ainsi nommé. « Or, l’espérance ne confond pas ». Quoi donc ? L’ardeur de ta charité surpasse-t-elle l’ardeur de ce vase échauffé par la flamme ? Oui, certes ; parce que l’amour de Dieu a été répandu en nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné[510].
11. « J’étendrai ma chaussure jusqu’en Idumée ». C’est l’Église qui parle : Je viendrai, dit-elle, « jusqu’à l’Idumée ». Que ses tribulations se multiplient, que le feu des scandales s’allume avec violence, « j’étendrai ma chaussure jusqu’en Idumée » : c’est-à-dire, selon le sens de ce mot hébreu qui signifie terrestre, je m’étendrai jusqu’à ceux qui vivent d’une vie terrestre. « J’étendrai ma chaussure jusqu’en Idumée » ; qu’est-ce que le Prophète entend par chaussure, sinon la prédication de l’Évangile ? « Combien sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix, de ceux qui annoncent les biens[511] ! Et que vos pieds aient une chaussure pour être toujours préparés à aller annoncer l’Évangile de la paix[512]. Puisque « la tribulation produit la patience, que la patience produit l’épreuve, que l’épreuve produit l’espérance », le vase brûlant des afflictions ne me consumera pas, « car l’amour de Dieu a été répandu en nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné ». Ne cessons ni de prêcher l’Évangile ni d’annoncer le Seigneur Jésus. « J’étendrai ma chaussure jusqu’en Idumée ». Est-ce que les hommes terrestres ne lui sont pas soumis ? Est-ce que ceux qui sont enchaînés par les passions de ce monde, ne l’adorent pas ? Mes frères, combien de personnes terrestres commettent aujourd’hui le vol pour faire plus vite fortune, et se rendent coupables de parjure, afin de soutenir leurs tromperies ! et, quand la crainte les saisit, elles consultent les sorciers et ceux qui observent les astres : par là elles donnent la preuve qu’elles sont des Iduméens, des hommes terrestres ; et, pourtant, elles adorent toutes le Christ, il les tient sous ses pieds : par conséquent, il étend sa chaussure jusqu’en Idumée. « Les Allophyles mc sont soumis ». Qu’est-ce que les Allophyles ? ce sont des étrangers, des hommes qui ne font point partie de mon peuple. « Ils me sont soumis », parce que beaucoup d’entre eux adorent le Christ, et ne régneront cependant pas avec lui. « Les Allophyles me sont soumis. Qui est-ce qui me conduira dans la ville qui environne ? » Quelle est cette ville qui environne ? Si vous vous en souvenez, mes frères, je vous l’ai déjà dit à l’occasion d’un autre psaume, en vous expliquant ces paroles : « Et ils environneront la ville ». Cette ville n’est autre que la masse des Gentils répandus dans tous les pays de l’univers ; ils environnaient de toutes parts le peuple juif : ce petit peuple adorait un Dieu unique ; pour eux, ils étaient adorateurs des idoles, et esclaves des démons. Le Prophète donne donc aux Gentils le nom mystérieux de ville environnante, parce qu’ils s’étaient répandus partout, et qu’ils enveloppaient cette autre ville où l’on adorait un seul Dieu. « Qui est-ce qui me conduira dans la ville environnante ? » Qui est-ce, si ce n’est Dieu ? En d’autres termes : Comment me conduira-t-il, sinon par ces nuées dont il est dit : « Le bruit de votre tonnerre se fait entendre dans la roue[513] ». Cette roue n’est autre chose que la ville environnante. Elle est appelée roue, parce qu’elle signifie le globe terrestre, l’univers. « Qui est-ce qui me conduira dans la ville environnante ? Qui est-ce qui me conduira jusqu’en Idumée ? » Afin que j’étende mon règne même sur les personnes terrestres, afin que ceux-là mêmes m’adorent qui ne m’appartiennent pas, et ne veulent en rien profiter des avantages que je leur offre.
12. « Qui est-ce qui me conduira jusqu’en Idumée ? N’est-ce pas vous, Seigneur, qui nous avez rejetés ? Et vous ne sortirez point à la tête de nos armées[514] ». Est-ce qu’après nous avoir rejetés, vous ne nous conduirez pas ? Mais pourquoi nous avez-vous rejetés ? Parce que « vous nous avez détruits ! » Et pourquoi nous avez-vous détruits ? Parce que vous vous êtes irrité, et que vous avez eu « compassion de nous » ; c’est donc vous qui nous conduirez, après nous avoir rejetés vous qui ne sortirez pas à la tête de nos armées, vous nous conduirez. Qu’est-ce à dire « Vous ne sortirez pas à la tête de nos armées ? » Le monde nous persécutera : il nous foulera à ses pieds ; alors coulera à grands flots le sang des martyrs ; alors s’élèvera le monceau du témoignage, et les païens, qui nous persécuteront, diront : « Où est donc leur Dieu[515] ? » En ce moment, « Seigneur, vous ne sortirez pas à la tête de nos armées ». Vous ne vous déclarerez pas visiblement contre eux : vous ne manifesterez pas votre puissance en notre faveur, comme vous l’avez fait autrefois en faveur de David, de Moïse et de Jésus, fils de Navé, lorsque les Gentils se virent obligés de céder devant leur valeur guerrière, et qu’après les avoir exterminés et avoir ravagé leur pays, vous avez introduit votre peuple dans la terre promise. Vous n’agirez pas ainsi pour nous ; « vous ne sortirez point, Seigneur, à la tête de nos armées ». Vous agirez au dedans de nos cœurs. Que signifient ces mots : « Vous ne sortirez pas ? » Ils signifient : Vous n’agirez pas visiblement. Autrefois, les martyrs marchaient chargés de chaînes, on les jetait en prison, on les exposait en public à la risée de tous, on les donnait en pâture aux bêtes, on les précipitait au milieu des flammes n’étaient-ils pas alors des objets de mépris, parce qu’ils semblaient abandonnés et privés de tout soutien ? Comme Dieu agissait au dedans de leurs cœurs ! Quelles consolations intérieures il leur procurait ! Combien leur était douce l’espérance de la vie éternelle ! Leur cœur n’était point délaissé par lui, ce cœur où l’homme demeure en silence, comblé de joie, s’il est bon ; accablé de remords, s’il est du nombre des méchants. Le Seigneur ne sortait point à la tête de leurs armées et, pourtant, les abandonnait-il à eux-mêmes ? Et n’est-ce pas précisément parce qu’il n’est pas sorti à la tête de leurs armées, qu’il a conduit l’Église jusqu’en Idumée, jusque dans la ville environnante ? Si l’Église voulait combattre et se servir du glaive, ne semblerait-elle pas se battre pour défendre son existence temporelle ? mais comme elle méprisait souverainement la vie présente, un monceau de témoignages s’est élevé en sa faveur pour la vie éternelle.
13. Seigneur, puisque vous ne sortirez pas à la tête de nos armées, « donnez-nous du secours du milieu de l’affliction, parce que le salut qui vient de l’homme n’est que vanité ». Loin de nous ceux qui n’ont pas en eux-mêmes la saveur du sel ! Qu’ils souhaitent et recherchent pour les leurs un salut temporel qui n’est qu’une vaine vieillerie. « Donnez-nous du secours » : puisez le secours là même où vous sembliez ne pouvoir en puiser ; qu’il nous vienne de cette source. « Donnez-nous du secours du milieu de l’affliction, parce que le salut qui vient de l’homme n’est que vanité. En Dieu nous ferons des actes de courage, et il anéantira nos ennemis ». Pour faire des actes de courage, nous ne nous servirons ni de glaives, ni de coursiers, ni de cuirasses, ni de boucliers, ni de troupes nombreuses, ni de secours du dehors : où puiserons-nous donc notre force ? au dedans de nous ; dans ce lieu secret où nous nous cachons. Où sera-ce donc ? Ce sera en Dieu, que nous ferons des actions d’éclat : nous semblerons méprisés, foulés aux pieds : à nous voir, on dirait des hommes qui n’ont rien de recommandable ; mais « il anéantira nos ennemis ». Voilà, en effet, ce qui est arrivé à nos ennemis. Les martyrs ont été foulés aux pieds ; par leur patience à souffrir, par leur persévérance jusqu’à la fin, ils ont fait en Dieu des actes de courage. Que sont devenus maintenant leurs ennemis ? ces ennemis ne les persécutent plus comme autrefois d’une manière sanglante. Mais peut-être pourrait-on dire qu’ils les persécutent encore aujourd’hui en les affligeant par leurs ignobles excès de gourmandise.


DISCOURS SUR LE PSAUME 60[modifier]

SERMON AU PEUPLE[modifier]

ESPÉRANCE DE L’ÉGLISE.[modifier]

Ce psaume est une prière où se peignent parfaitement les destinées de l’Église. Exposée comme son chef à des épreuves de tous les genres et de tous les instants, mais appuyée sur les plus solides motifs d’espérance, l’exemple de Jésus-Christ souffrant et triomphant, sa propre perpétuité, la bonté, les promesses et la justice de Dieu, elle se promet de chanter toujours les louanges de l’Éternel.


1. Nous entreprenons d’étudier ce psaume conjointement avec votre charité. Il est court ; notre discours durera donc peu de temps, mais, avec l’aide de Dieu, il suffira à vous instruire. Moyennant la grâce de Celui qui m’ordonne de vous parler, je satisferai au désir des personnes avides de m’entendre, sans être une cause d’ennui pour les autres ; par là, ceux qui ont peu de temps à leur disposition, ou qui aiment la brièveté, ne me trouveront pas trop long. Nous n’avons pas à nous arrêter au titre de ce psaume, car le voici : « Pour la fin, dans les hymnes, à David ». « Dans les hymnes », c’est-à-dire, dans les louanges. « Pour la fin », c’est-à-dire, pour le Christ, « parce que le Christ est la fin de la loi, pour justifier ceux qui croient en lui[516] ». « A David ». Par là, nous entendons évidemment désigner celui qui est sorti de la race de David, qui est devenu homme parmi les hommes, afin de les rendre semblables aux anges. Il nous en avertit lui-même, et nous ne devons point craindre de le supposer : les paroles contenues dans ce psaume sont les nôtres, si nous faisons partie du corps de Jésus-Christ ; si nous sommes du nombre de ses membres ; oui, nous devons y reconnaître nos propres expressions, et non celles d’un étranger. Je dis que ce langage est le nôtre ; voici en quel sens : C’est qu’il appartient non seulement à ceux qui sont ici présents, mais encore à tous nos frères qui se trouvent répandus dans l’univers depuis l’Orient jusqu’à l’Occident. Comprenez bien ma pensée ; et, pour cela, remarquez-le : le Prophète s’exprime comme s’il était seul ; pourtant, il ne l’était pas, mais ses paroles sont le langage de plusieurs réunis ensemble et ne formant plus qu’un seul tout. Effectivement, nous ne sommes tous qu’un seul homme en Jésus-Christ. La tête en est déjà dans le ciel, tandis que ses membres souffrent encore sur la terre ; et parce que ses membres sont encore souffrants, voici ce que dit cet homme :
2. « O Dieu, écoutez ma demande ; rendez-vous attentif à ma prière[517] ». Qui est-ce qui s’exprime ainsi ? Il semblerait que c’est un homme seul. Vois s’il est seul. « J’ai crié vers vous des extrémités de la terre, lorsque j’avais le cœur pressé de douleur[518] ». Il n’est donc pas seul ; mais ce sont plusieurs qui parlent comme s’ils n’étaient qu’un, parce qu’en réalité il n’y a qu’un Christ, dont nous sommes tous les membres. Un homme, tout seul, pourrait-il élever vers Dieu les cris de sa prière sur tous les points du monde à la fois ? Si donc, des extrémités de la terre, des supplications se dirigent vers le trône de l’Eternel, ce ne peuvent être que les supplications de cet héritage dont le Père a parlé à son Fils, quand il lui a dit : « Demande-moi, et je te donnerai toutes les nations pour héritage, et les extrémités de la terre pour empire[519] ». Voilà la propriété, l’héritage, le corps, l’Église une du Christ, voilà le tout immense, que nous formons, et dont la prière se fait entendre d’un bout de l’univers à l’autre. Quelle est cette prière?je l’ai prononcée tout à l’heure : « O Dieu, écoutez ma demande ; soyez attentif à ma prière ; j’ai crié vers vous des extrémités de la terre ». Voilà ma prière, je vous l’ai adressée des extrémités du monde, de tous les points de l’univers.
3. Mais pourquoi ai-je ainsi crié vers vous ? « Lorsque j’avais le cœur pressé de douleur ». Ainsi, l’Église montre-t-elle que si sa diffusion au milieu de tous les peuples du monde est pour elle le sujet d’une grande gloire, elle y trouve aussi la source de grandes épreuves. L’épreuve est, en effet, La condition obligée de notre pèlerinage sur la terre ; car notre avancement dans la voie du bien en est le résultat. Aucun d’entre nous ne peut ni se connaître sans être éprouvé, ni recevoir la couronne sans avoir remporté la victoire, ni vaincre sans combat, ni combattre sans avoir à supporter un ennemi ou des tentations. C’est pourquoi le Christ est accablé d’angoisses sur tous les points de l’univers ; mais il n’est pas, pour cela, délaissé. Nous sommes son corps mystique, et il nous a préfigurés dans ce corps matériel dont il s’est revêtu, avec lequel il est mort, ressuscité et monté au ciel ; et, par là, il a voulu nous donner l’espérance d’aller un jour nous réunir à notre chef, puisque nous sommes ses membres. Il nous a donc figurés en sa personne, quand il s’est laissé tenter par le démon[520]. Nous lisions tout à l’heure dans l’Évangile que Notre-Seigneur Jésus-Christ a été tenté par Satan dans le désert ; il n’y a aucun doute à élever sur la réalité de cette tentation du Sauveur par le démon, et tu étais toi-même tenté en Jésus-Christ, car il t’avait emprunté la chair de ton corps, et il devenait pour toi le principe du salut ; il avait puisé la mort en toi, et il te communiquait la vie, à cause de toi, il a subi toutes sortes d’outrages ; à cause de lui, tu es arrivé à la gloire ; de ta part lui venait donc la tentation, et de la sienne venait la victoire. Si nous avons subi, en sa personne, l’épreuve de la tentation, nous y avons aussi vaincu Satan. Tu remarques que le Christ a été tenté ; ne vois-tu pas qu’il est sorti victorieux du combat ? Par conséquent, si tu es, avec lui, soumis à l’épreuve, souviens-toi aussi qu’avec lui tu en triompheras. Il aurait pu empêcher l’esprit malin de s’approcher de lui ; mais s’il n’avait pas été tenté, il n’aurait pu t’apprendre à le suivre dans le chemin de la victoire, Il n’est donc pas étonnant de l’entendre élever la voix dans les pays du monde, puisqu’il s’y voit exposé à une multitude d’épreuves. Mais d’où vient qu’il n’y succombe pas ? Ah ! c’est que « vous m’avez élevé sur la pierre ferme ». Il nous est maintenant facile de reconnaître celui qui élève la voix des extrémités de la terre. Rappelons-nous les paroles de l’Évangile : « Sur cette pierre, je bâtirai mon Église[521] ». C’est donc cette Église, qu’il a voulu bâtir sur la pierre, c’est cette Église qui crie vers Dieu de tous les pays du monde. Qui est-ce qui est devenu cette pierre sur laquelle l’Église devait être bâtie ? Écoute saint Paul, il va te l’apprendre : « La pierre, c’était le Christ[522] ». C’est donc sur Jésus-Christ que nous avons été élevés. Voilà pourquoi cette pierre sur laquelle nous avons été édifiés, a été la première frappée des vents, des flots et de la pluie[523], au moment où le démon tentait le Sauveur dans le désert. Telle est la base inébranlable sur laquelle il a voulu te placer : aussi notre prière, loin d’être inutile, est-elle exaucée, puisque nous avons, dans la place où il nous a mis, le plus puissant motif d’espérer. « Vous m’avez élevé sur la pierre ferme ».
« Vous m’avez conduit, parce que vous êtes devenu mon espérance ». Si le Christ n’était pas devenu le principe de notre espérance, il ne nous conduirait pas. Chef, il nous guide ; voie, il nous fait marcher en lui ; patrie, il nous dirige vers lui-même. Il nous mène donc, et pourquoi ? Parce qu’il est notre espérance. Pourquoi est-il notre espérance ? Parce qu’il a été tenté, qu’il a souffert et qu’il est ressuscité ; je vous l’ai dit tout à l’heure. Lorsque l’Écriture nous parle de ses tentations, de ses souffrances et de sa résurrection, que nous disons-nous à nous-mêmes ? Il est impossible que Dieu nous condamne, après nous avoir envoyé son Fils pour lui faire subir la tentation, le crucifiement et la mort, et le faire sortir vivant du tombeau ; il est impossible que Dieu ne tienne de nous aucun cas, puisqu’à cause de nous il n’a pas épargné son propre Fils, et qu’il l’a livré pour nous tous[524]. C’est ainsi que le Christ est devenu notre espérance. En lui, tu vois les peines que tu as à supporter, et la récompense que tu obtiendras ; sa passion est l’image des unes ; sa résurrection, l’image de l’autre. Ainsi, encore une fois, est-il devenu le sujet de notre espérance. Il y a, pour nous, deux sortes de vie : l’une, qui est maintenant notre partage ; l’autre, qui n’est encore que l’objet de nos espérances ; nous connaissons celle-ci, puisque nous en jouissons ; l’autre nous est inconnue, puisque nous ne la possédons pas encore. Supporte les épreuves de la vie présente, et tu acquerras la vie future. Et comment supporter les épreuves de la vie présente ? De manière à ne point succomber à la tentation. Par ses épreuves, ses tentations, ses souffrances et sa mort, le Christ t’a fait connaître le caractère de notre vie terrestre ; il t’a appris aussi, par sa résurrection, quelle sera la vie éternelle. Nous savions, en effet, que l’homme naît et meurt ; mais nous ne savions que cela, car nous ignorions qu’il dût ressusciter pour vivre toujours : le Christ a pris la vie que tu connaissais ; et il t’a fait connaître celle dont tu n’avais pas l’idée. Il est donc devenu notre espérance au milieu des tribulations et des épreuves de notre pèlerinage terrestre. « Nous nous glorifions dans les souffrances », dit l’apôtre saint Paul, « sachant que l’affliction produit la patience, que la patience produit la pureté, et que la pureté produit l’espérance. Or, l’espérance ne confond point, parce que la charité est répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit, qui nous a été donné[525] ». Celui qui nous a donné le Saint-Esprit est donc devenu le principe de notre espérance, et dans ce pèlerinage terrestre, nous nous dirigeons vers ce qui en fait l’objet, ce qui n’aurait pas lieu, si elle ne remplissait nos âmes. En effet, l’Apôtre ne dit-il pas : « Il n’y a personne pour espérer ce qu’il a sous les yeux ; si, maintenant, nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous en espérons, avec patience, l’entrée en possession ? » et encore : « Nous avons été sauvés par l’espérance[526] ? »
5. « Vous m’avez conduit, parce que vous « êtes devenu mon espérance. Vous êtes, pour moi, en face de l’ennemi, une forte tour ». Des extrémités de la terre, l’ensemble des fidèles fait entendre ces cris : Mon cœur est accablé d’angoisses, et mon existence se passe à lutter, sans cesse, contre les tentations et les scandales ; les païens me portent envie, parce que j’ai triomphé d’eux ; afin de me tendre plus facilement des pièges, les hérétiques se servent du nom chrétien comme d’un manteau pour mieux tromper sur leurs intentions ; le froment est cruellement tourmenté par la paille, dans le sein même de l’Église ; le cœur torturé d’angoisses au milieu de tant d’épreuves, j’élèverai, vers le trône de l’Eternel, les accents de ma prière ; je les lui ferai entendre sur tous les points du monde. Celui qui m’a placé sur la pierre ferme, pour me conduire jusqu’à lui, ne me délaissera pas ; je lutte sans cesse, le démon me tend des embûches partout, toujours, en toute occasion, mais le Seigneur n’est-il pas pour moi une tour inexpugnable ? Lorsque j’y aurai cherché un refuge, je n’aurai plus à craindre les traits de l’ennemi, et même je pourrai, en toute sécurité, lancer contre lui autant de flèches qu’il me plaira. C’est le Christ en personne qui me tient lieu de tour ; et cette tour, où nous pouvons nous garantir des attaques de nos ennemis, c’est la pierre même sur laquelle a été bâtie l’Église. Tu crains de te voir frappé à mort par le démon ? Va te mettre à l’abri des murs de cette tour, et les traits de cet ennemi infernal ne pourront jamais t’y atteindre, car tu y seras protégé et soutenu. Mais comment parvenir jusque-là ? Qu’au moment de l’épreuve, personne d’entre vous ne croie devoir chercher une tour matérielle pour s’y réfugier, de peur qu’après d’infructueuses recherches, il ne se fatigue et ne succombe ! La tour dont je parle se trouve devant toi : souviens-toi du Christ, et tu pénétreras dans la tour. Mais comment se rappeler le souvenir du Christ, de manière à pouvoir s’introduire dans la tour ? Le voici : toutes les fois que tu auras quelque peine à subir, pense qu’il a souffert le premier, et qu’il a souffert, pour mourir d’abord, et ressusciter ensuite : n’oublie pas que la souffrance te conduira au même but que lui ; espère-le : cette pensée t’empêchera d’acquiescer aux suggestions de l’ennemi, et ainsi auras-tu pénétré dans la tour. Si tu donnais ton consentement aux tentations du démon, il est sûr que, par là même, tu serais atteint des traits qu’il dirige contre toi. Ne vaut-il pas mieux lui lancer toi-même des flèches qui le blessent, et te permettent d’en triompher ? Quelles sont ces flèches ? C’est la parole de Dieu, c’est ta foi, c’est ton espérance, ce sont tes bonnes œuvres. Je ne te dis pas de te mettre à l’abri des murs de cette tour, pour t’y reposer : il ne doit pas te suffire de voir les traits de l’ennemi tomber loin de toi, hors de portée ; il faut t’y remuer : que tes mains ne restent pas inactives ; tes bonnes œuvres, voilà l’arme qui servira à donner la mort à ton ennemi.
6. « J’habiterai, comme un étranger, dans votre tente pendant tous les siècles[527] ». Il vous est facile de reconnaître que celui qui crie vers Dieu est bien celui que je vous al désigné. Lequel d’entre nous pourrait être étranger pendant tous les siècles ? Les jours dont notre vie se compose, sont en petit nombre : nous ne faisons que passer ici-bas : nous sommes maintenant des étrangers : plus tard, nous habiterons dans la céleste patrie. Tu es ici un étranger, puisque le Seigneur t’adressera ce commandement : Sors d’ici. Pour cette demeure permanente, qui t’est réservée dans le ciel, jamais personne ne t’ordonnera d’en sortir. Tu n’es donc qu’un étranger en ce monde ; voilà pourquoi nous lisons, dans un autre psaume, ces paroles : « Je suis auprès de vous un étranger et un pèlerin, comme l’ont été tous mes pères[528] ». Sur la terre, nous sommes des étrangers : le Seigneur nous donnera une habitation éternelle dans les cieux. « Il y a », dit le Sauveur, « plusieurs demeures dans la maison de mon Père[529] ». Ces demeures, il ne les donnera pas comme à des étrangers, mais comme à des citoyens destinés à y rester toujours. Cependant, comme l’Église n’est pas établie sur la terre pour quelques années seulement, mais qu’elle doit y rester jusqu’à la consommation des siècles, c’est avec raison que l’ensemble de ses enfants s’exprime ainsi : « Je « serai étranger dans votre tente pendant « tous les siècles ». Que l’ennemi emploie sa malice et ses forces à me persécuter, qu’il m’attaque en face, qu’il me tende des pièges, qu’il multiplie les scandales, qu’il remplisse mon cœur d’angoisses, peu importe : « Je serai un étranger dans votre tente pendant « tous les siècles ». L’Église ne succombera pas : elle ne sera pas ébranlée ; les plus violentes épreuves la trouveront invincible enfin viendra la consommation des siècles alors nous sortirons de notre demeure du temps, pour entrer dans celle de notre éternité, où nous conduira celui qui est devenu notre espérance. « Je serai étranger dans votre tente jusqu’à la fin des siècles ». Nous pouvons donc lui dire : Si tu es longtemps étranger, tu lutteras sur la terre contre une multitude d’épreuves, car si la durée de l’Église ici-bas devait être courte, bientôt finiraient les méchancetés insidieuses du tentateur. Je comprends. Tu voudrais que les jours de l’épreuve fussent en petit nombre ; mais si l’Église ne devait rester que peu de temps au milieu du monde, si son existence ne devait se prolonger jusqu’à la fin, comment parviendrait-elle à réunir, dans son sein, tous ses enfants ? Ne porte pas envie à tous ceux qui doivent venir après toi dans la suite des ans ; et, parce que tu as franchi le torrent, veuille ne point couper le pont que la miséricorde divine a établi pour le passage de ceux qui te suivront : laisse-le subsister jusqu’à la fin des temps. Que dire maintenant des tentations qui deviendront nécessairement de plus en plus nombreuses, à mesure que se multiplieront les scandales ? Le Sauveur a dit : « Parce que l’iniquité se répandra avec abondance, la charité de plusieurs se refroidira ». Mais l’Église, qui fait entendre ses cris d’une extrémité de la terre à l’autre, se compose de ceux dont il est dit ensuite « Celui qui persévérera jusqu’à la fin, sera sauvé[530] ». Toutefois, comment pourras-tu persévérer ? Où puiseras-tu des forces pour résister à un si grand nombre de scandales, de tentations et d’attaques ? Où prendras-tu la force nécessaire pour triompher d’un ennemi invisible ? Est-ce en toi-même ? Puisque le corps des fidèles sera étranger ici-bas pendant tous les siècles, d’où lui viendra l’espérance de subsister toujours, et de ne pas succomber ? « Je me mettrai à couvert sous vos ailes ». Voilà le motif de notre sécurité au milieu des épreuves, en attendant que les siècles se consomment, et que l’éternité nous reçoive : nous sommes à couvert sous les ailes de Dieu. Le monde est consumé par une chaleur brûlante ; mais on trouve une ombre bienfaisante sous les ailes de Dieu. « Je me mettrai à couvert sous vos ailes »
7. « Parce que, ô mon Dieu, vous avez exaucé ma prière[531] » : quelle prière ? celle par laquelle il a commencé. « O Dieu, écoutez ma demande ; soyez attentif à ma prière : je crie vers vous des extrémités du monde ». D’une extrémité de la terre à l’autre, mes cris se sont élevés vers vous : « Je me mettrai à couvert sous vos ailes, parce que vous avez entendu ma prière ». Mes frères, le Seigneur nous a recommandé la persévérance incessante dans la prière pour tout le temps de l’épreuve. « Vous avez donné un héritage à ceux qui craignent votre nom ». Continuons donc à craindre le nom du Seigneur : le Père éternel ne peut ni ne veut nous tromper. Des enfants s’imposent les plus grands sacrifices pour entrer en possession de l’héritage auquel ils ont droit à la mort de leurs parents ; et nous, nous ne travaillerons pas à acquérir l’héritage de notre Père céleste, que nous posséderons éternellement, non pas après lui, mais avec lui, parce qu’il ne meurt point ! « Vous avez donné un héritage à ceux qui craignent votre nom ».
8. « Vous ajouterez jours sur jours à la vie du roi »[532]. Le roi dont il est ici question, c’est celui dont nous sommes les membres, c’est le Christ lui-même, notre chef, notre roi. Vous lui avez ajouté jours sur jours : vous lui avez donné, non seulement cette vie passagère, qui a nécessairement un terme, mais encore l’autre vie, la vie sans fin de l’éternité ; aussi a-t-il dit : « Je demeurerai dans la maison du Seigneur pendant toute la suite des jours[533] », Pourquoi dit-il : « Pendant la suite des jours », si ce n’est par opposition avec la brièveté de la vie présente ? Tout ce qui finit est de courte durée ; mais les jours de l’existence de ce roi s’ajoutent à d’autres jours, de telle sorte que leur durée n’est pas éphémère, que le règne du Christ dans l’Église ne se borne pas à quelques années, mais qu’il se perpétue dans les siècles des siècles avec le règne des élus. Au ciel, il y a quantité de jours, et tous ces jours n’en font qu’un. Il y a quantité de jours, car j’ai dit : « Pendant la suite des jours ». Ils n’en font qu’un, et c’est pourquoi il a été dit : « Vous êtes mon Fils ; je vous ai engendré aujourd’hui[534] ». Aujourd’hui indique un seul jour ; mais ce jour n’a ni veille ni lendemain : de même qu’il ne commence pas là où finirait la veille, de même ne se termine-t-il pas au moment où commencerait le lendemain. L’Écriture parle, dans le même sens, des années de Dieu : « Pour vous, Seigneur, vous êtes toujours le même, et vos années ne passeront pas[535] ». Ces années sont comme des jours, comme un seul jour. Tu peux dire de l’éternité tout ce qui te plaira : dis d’elle tout ce que tu voudras, car quelle que soit ta manière de parler, tu n’en diras jamais assez : mais il faut nécessairement que tu en dises quelque chose, afin de pouvoir te former une idée de ce que tu ne saurais exprimer. « Vous ajouterez jours sur jours à la vie du Roi, et vous étendrez ses années de génération en génération », c’est-à-dire de la génération présente à la génération future ; de la génération présente que l’on compare à la lune, parce que toutes les générations du temps lui ressemblent ; puisque, comme cet astre, elles naissent, croissent, arrivent à leur apogée, décroissent et finissent par disparaître : à la génération future dont nous ferons partie à la suite de notre résurrection ; alors, nous demeurerons avec Dieu dans notre habitation permanente, et nous y brillerons, non pas de l’éclat de la lune, mais de celui du soleil, suivant cette parole du Sauveur : « Alors les justes seront éclatants comme le soleil, dans le royaume de leur Père[536] ». Dans les saints Livres, la lune est le symbole de l’inconstance de notre condition mortelle. Celui qui tomba entre les mains des voleurs, descendait de Jérusalem à Jéricho ; or, Jéricho est un mot hébreu qui signifie Lune : cet homme quittait donc le séjour de l’immortalité pour descendre à celui de la mort ; voilà pourquoi il a été blessé en son chemin par les voleurs et laissé à moitié mort[537]. Cet homme n’était autre qu’Adam, le père commun de tous les hommes. Donc, « vous ajouterez jours sur jours à la vie du Roi, de génération en génération ». La première de ces générations désigne celle qui est sujette à la mort : c’est évident ; mais la seconde, dont tu as fait mention, que désigne-t-elle ? Le voici ; écoute-moi.
9. « Il demeurera éternellement en la présence de Dieu[538] ». En quel sens et pourquoi ? « Qui est-ce qui s’appliquera à connaître sa miséricorde et sa vérité pour lui ? » Il est encore dit ailleurs : « Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité pour ceux qui recherchent son alliance et ses préceptes[539] ». il y aurait pour nous un grand discours à vous adresser au sujet de la vérité et de la miséricorde divines : mais nous avons promis de ne pas vous parler longtemps. Je vais donc vous dire, en deux mots, ce que c’est que la vérité et la miséricorde. David dit beaucoup en disant que « toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité ». La miséricorde de Dieu consiste à considérer, non pas nos mérites, mais son infinie bonté ; par là il nous pardonne toutes nos fautes, et nous promet la vie éternelle : sa vérité consiste à nous donner ce qu’il nous a promis. Reconnaissons-le donc, et conduisons-nous en conséquence. Dieu nous a manifesté sa miséricorde et sa vérité ; sa miséricorde, en nous pardonnant toutes nos fautes ; sa vérité, en accomplissant toutes ses promesses à notre égard. Agissons de même, et montrons-nous miséricordieux et dévoués à la vérité ; miséricordieux envers les infirmes, les pauvres, et même nos ennemis ; dévoués à la vérité, en ne commettant pas le péché, en n’accumulant pas fautes sur fautes. Celui, en effet, qui se promet et attend beaucoup de la miséricorde de Dieu, se fait illusion à lui-même en ce sens qu’il fait de Dieu un partisan de l’injustice ; car il s’imagine qu’en persévérant dans l’iniquité, et en ne s’écartant pas de la voie mauvaise, il peut attendre en toute sécurité le jour du Seigneur, et se verra placé au paradis à côté des serviteurs fidèles du Très-Haut. De bonne foi, si tu persévères dans le mal, Dieu serait-il juste en te plaçant à côté de ceux qui se sont soigneusement éloignés du péché ? Veux-tu donc devenir injuste au point de rendre le Seigneur complice de ton injustice ? Veux-tu le forcer à plier selon ton bon plaisir ? Accommode plutôt ta volonté à la sienne. Celui qui conforme ses désirs aux ordres de Dieu, n’est-il pas de ce petit nombre d’hommes dont le Sauveur a dit : « Celui qui persévérera jusqu’à la fin, sera sauvé ? »[540] C’est donc avec raison que le Prophète s’est exprimé ainsi : « Qui est-ce qui s’appliquera à connaître sa miséricorde et sa vérité pour lui ? » « Pour lui » : quel est le sens de ce mot ? Ne suffirait-il pas de dire : « Qui est-ce qui s’appliquera ? » Dans quel but ajouter : « Pour lui ? » C’est que beaucoup cherchent dans les livres la connaissance de sa miséricorde et de sa vérité ; et quand ils l’ont acquise, ils vivent encore pour eux, et non pour lui ; ils cherchent leurs propres intérêts, et non ceux de Jésus-Christ[541]. Ils prêchent la miséricorde et la vérité, et dans leur conduite, on n’aperçoit ni vérité ni miséricorde. Ils les connaissent toutes les deux, puisqu’ils en font le sujet de leurs prédications ; ils ne seraient nullement capables d’en parler, s’ils n’en avaient acquis la connaissance. Mais quand on aime Dieu et Jésus-Christ, et qu’on prêche leur miséricorde et leur vérité, on les prêche et on les recherche pour eux, et non pour soi-même ; ou ; pour m’exprimer plus clairement, au lieu de les annoncer dans l’intention d’en tirer quelque avantage temporel ; on les prêche pour le bénéfice spirituel des membres du Sauveur, c’est-à-dire de ses fidèles serviteurs : on communique en toute simplicité aux autres ce qu’on a appris, afin que celui qui vit, ne vive plus désormais pour lui-même, mais pour le Dieu qui est mort en faveur de tous[542]. « Qui est-ce qui s’appliquera à connaître sa miséricorde et sa vérité pour lui ? »
10. « Ainsi, je chanterai éternellement des hymnes à la gloire de votre nom, afin de vous offrir mes vœux de jour en jour[543] ». Si tu chantes des hymnes à la gloire du nom de Dieu, ne le fais pas pour un temps. Veux-tu le faire pendant les siècles des siècles, pendant l’éternité ? Offre à Dieu les vœux de jour en jour. Qu’ai-je voulu dire en m’exprimant de la sorte ? Offre à Dieu tes vœux, depuis le jour du temps présent jusqu’au jour de l’éternité. Pendant le cours de ton existence ici-bas, continue à lui offrir tes vœux, jusqu’au moment où tu verras luire le soleil de la vie éternelle ; c’est-à-dire : « Celui qui persévérera jusqu’à la fin, sera sauvé. »
Ces dix derniers psaumes, ainsi que le psaume 34, ont été traduits par M. l’abbé AUBERT ; tous les autres compris dans ce volume l’ont été par M. l’abbé MORISOT.

  1. Job. 34,30
  2. Rom. 1,3
  3. Mt. 10,25
  4. 1 Cor. 15,55
  5. Sag. 1,13-14.16
  6. Mt. 12,4
  7. Phil. 1,17-18
  8. Mt. 23,2-3
  9. Ps. 33,1
  10. Mt. 21,43
  11. Esth. 4,17w
  12. Ps. 51,3
  13. 1 Cor. 1,31
  14. Ps. 51,4
  15. Mt. 10,28
  16. Mt. 16,26
  17. Jn. 3,16
  18. Isa. 52,7 ; Rom. 10,15
  19. Ps. 35,4-5
  20. Mt. 22,39
  21. Id. 7,12
  22. Ps. 51,6
  23. Id. 7
  24. Isa. 40,6-8
  25. Jn. 8,35
  26. Mt. 13,5
  27. Ps. 51,8
  28. Id. 2,11
  29. 1 Cor. 10,12
  30. Gal. 6,1
  31. 2 Pi. 1,19
  32. Col. 3,6
  33. Prov. 1,21
  34. Ps. 51,9
  35. Mt. 19,21-25
  36. Lc. 16,22
  37. Gen. 13,2
  38. Ps. 1,4
  39. 1 Tim. 6,17-18
  40. Mt. 19,26
  41. Ps. 143,14-15
  42. Rom. 11,17
  43. Ps. 51,11
  44. 2 Cor. 4,7
  45. 1 Tim. 1,13
  46. Ps. 118,85
  47. Ps. 33,9
  48. Mt. 21,19
  49. Act. 9,4
  50. Gal. 4,19
  51. Col. 1,24
  52. Mt. 24,12-13
  53. Ps. 13,1
  54. 1 Cor. 15,32
  55. Sag. 2,1-20
  56. Mt. 27,40
  57. Gen. 3,4
  58. Gen. 2,17
  59. Mt. 25,34-41
  60. Ps. 115,11
  61. Id. 52,3
  62. Ps. 17,29
  63. Deut. 13,3
  64. Phil. 3,20
  65. Ps. 52,4
  66. Id. 5
  67. Ps. 13,6
  68. Ps. 52,6
  69. Mt. 10,39
  70. Jn. 11,48
  71. Ps. 53,1-2
  72. 1 Sa. 23,14-15.19
  73. 1 Sa. 24,4-8
  74. Col. 3,3-4
  75. Ps. 40,6-8
  76. Lc. 16,8-9
  77. Jn. 18,36
  78. Ps. 72,1-17
  79. Mt. 25,31-33
  80. Sag. 5,8-9
  81. Esth. 4,17
  82. Ps. 61,11
  83. Id. 91,6
  84. Job. 1,21
  85. Ps. 53,3
  86. 1 Cor. 2,2
  87. 2 Cor. 13,4
  88. Ps. 42,1
  89. Id. 91,14
  90. Ps. 1,3
  91. Id. 21,2-3
  92. Rom. 8,26
  93. 2 Cor. 12,7-9
  94. Ps. 53,5
  95. Id. 143,7-15
  96. Lc. 12,20
  97. Ps. 53,6
  98. 2 Cor. 1,12
  99. Ps. 4,6-7
  100. Id. 53,7
  101. Id. 91,7-8
  102. Id. 53,8
  103. Ps. 49,23
  104. Rom. 11,33-34
  105. Ps. 53,9
  106. Isa. 40,6
  107. Ps. 54,1
  108. Rom. 10,4
  109. Ps. 33,1
  110. 1 Sa. 16,13
  111. Rom. 1,3
  112. Jn. 1,3
  113. Mt. 22,41-45
  114. Jn. 1,1.11
  115. Eph. 5,31-32
  116. Act. 9,4
  117. Mt. 6,13
  118. Ps. 31,9
  119. Id. 58,21
  120. Ps. 54,2
  121. Eph. 6,1-2
  122. Jn. 1,10
  123. Eph. 5,8
  124. Mt. 5,45
  125. Lc. 2,14
  126. Id. 6,27-35
  127. Ps. 6,8
  128. Mt. 14,30
  129. Lc. 23,34
  130. Mt. 14,30
  131. Mt. 5,12
  132. Id. 10,28
  133. Mt. 7,5
  134. Ps. 6,8
  135. Mt. 10,28
  136. Ps. 54,6
  137. Jn. 2,9-11
  138. Gal. 6,17
  139. Ps. 118,55
  140. Phil. 1,23-24
  141. Mt. 7,14
  142. 2 Tim. 3,12
  143. 2 Cor. 11,29
  144. 1 Thes. 3, 14
  145. Ps. 54, 9
  146. Mt. 14, 30
  147. Mt. 8, 23-26
  148. Ps. 54, 10
  149. Ps. 11, 8
  150. Gen. 11, 4
  151. Mt. 27, 40
  152. Rom. 1, 17
  153. Lc. 23, 34-43
  154. Ps. 54, 11
  155. Jos. 6, 5
  156. Mt. 11, 28-29
  157. Ps. 54, 12
  158. Mt. 6, 9-13
  159. Mt. 6, 14-15
  160. Gen. 11, 4
  161. Nb. 16, 1-33
  162. Nb. 16, 47
  163. Ps. 60, 3
  164. Rom. 8, 11
  165. Mt. 3, 12
  166. Ps. 119, 7
  167. 1 Cor. 13,1 et suiv.
  168. Jn. 1, 1
  169. 1 Cor. 15, 31
  170. Mt. 15, 11
  171. Gen. 13, 3 ; 26, 4
  172. Gal. 6, 15-16
  173. Ps. 67, 31
  174. Ps. 40, 7
  175. 1 Cor. 11, 19
  176. Jn 6, 51-69
  177. 1 Cor. 3, 2
  178. 1 Cor. 1, 13
  179. Ps. 54, 24
  180. Mt. 15, 14
  181. Rom. 1, 24
  182. Rom. 13, 3
  183. Jer. 17, 2
  184. Mt. 15, 14
  185. 2 Tim. 3, 9-13
  186. Rom. 10,4
  187. Mt. 7,25
  188. 1 Cor. 10,4
  189. Rom. 1,3
  190. Deut. 19,15 ; Ps. 56,1
  191. Jn. 19,15-22
  192. Lc. 22,35-62
  193. Jer. 2,21
  194. 1 Sa. 21,10
  195. Act. 9,4
  196. Eph. 2,6
  197. Mt. 19,6
  198. Eph. 6,12
  199. Mt. 13,28
  200. Ps. 22,5
  201. 2 Tim. 3,12
  202. Ps. 55,3
  203. 1 Cor. 2,8
  204. Mt. 20,31
  205. 1 Cor. 15,53-54
  206. 2 Cor. 7,5
  207. Mt. 26,38
  208. 2 Cor. 11,29
  209. Ps. 55,5
  210. 1 Cor. 4,7
  211. Mt. 6,11
  212. Ps. 55,6
  213. Mt. 10,21-25
  214. Ps. 55,7
  215. 1 Cor. 4,5
  216. 2 Cor. 11,26
  217. Ps. 40,7
  218. Jn. 8,34-35
  219. Mt. 10,22 ; 24,13
  220. Jn. 6,71
  221. Mt. 28,13
  222. Jn. 3,2
  223. Prov. 24,6
  224. Mt. 7,25
  225. Ps. 55,8
  226. 1 Tim. 1,13
  227. Act. 9,2
  228. Lc. 23,43
  229. Ps. 115,10
  230. 1 Tim. 1,13
  231. 2 Cor. 5,15
  232. Phil. 2,21
  233. Ps. 55,10
  234. Mt. 16,16-23
  235. Ps. 143,11-15
  236. Mt. 25,41
  237. Jn. 3,2
  238. Jn. 14,23
  239. Ps. 13,5
  240. Ps. 55,11
  241. Id. 12
  242. Id. 75,12
  243. Job. 1,12-21
  244. 1 Cor. 4,7
  245. Ps. 55,13
  246. Job. 2,10
  247. Jn. 14,6
  248. Jn. 13,34
  249. Id. 15,12
  250. Jn. 3,16
  251. Mt. 28,20
  252. Ps. 56,1
  253. 2 Sa. 24,1-4
  254. Rom. 1,3 ; Mt. 1,1
  255. Jn. 1,3
  256. Lc. 1,27 ; 2,4
  257. Jn. 19,19-22
  258. 1 Cor. 2,8
  259. Sag. 2,20.18
  260. Mt. 26,40-42
  261. Sag. 2,21
  262. Lc. 24,39
  263. Ps. 56,2
  264. Jn. 1,14
  265. Isa. 40,5 ; Lc. 3,6
  266. Jn. 17,2
  267. Mt. 24,12
  268. Ps. 56,3
  269. Rom. 4,25
  270. Ps. 33,19
  271. Ps. 56,4
  272. Phil. 2,8-9
  273. Jn. 2,19-21
  274. Mt. 4,11
  275. Jn. 14,6
  276. Id. 20,28
  277. Jn. 10,18
  278. Gen. 2,21
  279. Jn. 19,31
  280. Ps. 3,6
  281. Jn. 18,31
  282. Mt. 27,24
  283. Apoc. 1,16
  284. Jn. 19,6
  285. Ps. 63,8
  286. Ps. 56,7
  287. Jn. 11,25
  288. Ps. 56,8
  289. Rom. 5,3-5
  290. 2 Cor. 11,27
  291. Ps. 56,9
  292. Tob. 4,16 ; Mt. 7,12
  293. Sag. 1,9
  294. Rom. 2,15
  295. Isa. 46,8
  296. Gen. 3,17-18
  297. Mt. 12,34-35
  298. Jn. 2,25
  299. Mt. 21,16
  300. Lc. 23,38
  301. Rom. 6,7
  302. Isa. 46,6
  303. Ps. 94,2
  304. Ps. 21,29
  305. Id. 57,3
  306. Rom. 7,24
  307. Ps. 115,16
  308. Prov. 5,22
  309. Isa. 5,18
  310. Jn. 2,15
  311. Mt. 22,13
  312. Gen. 25,23 ; Mal. 1,2-3 ; Rom. 9,13
  313. Gal. 4,19
  314. Mt. 1,20
  315. Luc. 24,46-47
  316. Ps. 57,5-6
  317. Lc. 18,2
  318. 1 Cor. 9,26-27
  319. Id.
  320. Act. 7,56-57
  321. Mt. 5,14-15
  322. Dan. 2,35
  323. Mt. 5,17
  324. Id. 22,40
  325. Rom. 6,21
  326. 2 Cor. 4,18
  327. 1 Cor. 15,19
  328. Phil. 3,13
  329. Mt. 10,16
  330. 1 Cor. 11,3
  331. Col. 3,9-10
  332. Mt. 7,14
  333. Sag. 9,15
  334. Ps. 57,7
  335. Jn. 11,48
  336. Mt. 22,17-21
  337. Mc. 11,28-33
  338. Lc. 7,39-50
  339. Ps. 2,1
  340. Mt. 27,23 ; Jn. 19,6
  341. Ps. 57,8
  342. Id. 1,1
  343. Id. 109,7
  344. Act. 9,5
  345. 2Co. 12,10.9
  346. Psa. 57,9
  347. Lc. 16,24
  348. Mat. 25,41
  349. Ps. 67,1-3.16-17
  350. Prov. 6,27-29
  351. Sir. 10,14-15
  352. Rom. 1,21-29
  353. Eph. 4,26
  354. Mt. 5,45
  355. Sag. 5,6-9
  356. Ps. 57,10
  357. 1 Cor. 15,51
  358. Sag. 5,3
  359. Ps. 31,4-6
  360. Id. 34,16
  361. Sag. 11,18
  362. Jn. 3,36
  363. Eph. 2,3
  364. 2 Pi. 2,22
  365. Tob. 4,1
  366. Rom. 1,17
  367. Ps. 57,12
  368. Id. 5,3-5
  369. Id. 5,3-5
  370. Lc. 16,19-21
  371. Mt. 7,24-26
  372. Lc. 23,38
  373. Ps. 2,6-9
  374. Jn. 19,21
  375. Ps. 56-58
  376. Jn. 1,1-14
  377. 1 Cor. 12,27
  378. Eph. 1,22 ; Col. 1,18
  379. Ps. 21,2 ; Mt. 27,46
  380. Gen. 3,8
  381. Rom. 6,6
  382. Mt. 27,66
  383. 1 Sa. 19,11
  384. Mt. 28,13
  385. Ps. 58,2
  386. Id. 3
  387. Mt. 27,23-25
  388. Act. 7,58
  389. Ps. 71,14
  390. Id. 58,4
  391. Psa. 115,16
  392. Id. 123,7.6
  393. Mat. 12,29
  394. Eph. 5,8
  395. Rom. 9,23
  396. Luc. 12,16-19
  397. Psa. 51,9
  398. Mat. 19,24
  399. Id. 9,11-13
  400. Jn. 14,6
  401. Mt. 3,13
  402. 2 Cor. 11,10
  403. Rom. 9,32
  404. Jn. 7,45-49
  405. Lc. 18,11-14
  406. Rom. 10,3
  407. Ps. 58,5
  408. Id. 6
  409. Gen. 22,12
  410. Mt. 26,35.69-75
  411. Mt. 23,37
  412. Rom. 9,32 ; 1 Pi. 2,8
  413. Phil. 2,6-8
  414. Jn. 20,17
  415. Mt. 28,9
  416. Lc. 24,39
  417. Ps. 18,7
  418. Jn. 14,8-11
  419. 1 Cor. 2,8
  420. Mt. 25,33 ; 3,12
  421. Mt. 22,9-10
  422. Isa. 54,1-5
  423. Jn. 3,4
  424. Ps. 129,3
  425. Act. 9
  426. 1 Tim. 1,13
  427. Ps. 94,2
  428. Ps. 58,7
  429. Act. 2,38
  430. Mt. 15,24-28
  431. Lc. 18,12-13
  432. Ps. 58,8
  433. Eph. 6,17
  434. Act. 10,13
  435. Isa. 53,1
  436. Ps. 58,9
  437. Id. 10
  438. Id. 33,6
  439. Ps. 26,10
  440. Id. 58,11
  441. Id. 12
  442. Rom. 9,21-23
  443. Gen. 4,15
  444. Ps. 58,12
  445. Mt. 23,23-24
  446. Rom. 9,21
  447. Jn. 19,6
  448. Ps. 21,13
  449. Jn. 2,19
  450. Act. 1,9 ; 2,4
  451. 2 Cor. 12,7-10
  452. Deut. 21,2 ; Gal. 3,13
  453. Mt. 28,12
  454. Héb. 12,6
  455. Mt. 25,41
  456. Rom. 5,20
  457. Rom. 9,21
  458. Id. 21
  459. Ps. 117,22 ; Rom. 3,12
  460. Ps. 58,15
  461. Id. 15,4
  462. Ps. 58,16
  463. Eph. 2
  464. Ps. 5,5
  465. 1 Cor. 4,7
  466. 1 Tim. 2,5
  467. 2 Sa. 8
  468. Ps. 33,1
  469. 1 Sa. 21,13
  470. Rom. 10,4
  471. Eph. 5,8
  472. Mt. 27,37
  473. Jn. 18,38
  474. 2 Cor. 5,15
  475. Lc. 12,49
  476. Isa. 40,6
  477. Jn. 12,31
  478. 1 Cor. 15,49
  479. Col. 3,5
  480. Ez. 37,9
  481. Mt. 5,13
  482. Lc. 12,49
  483. Mt. 10,34
  484. 2 Cor. 4,16
  485. Mt. 3,2
  486. Sir. 2,1
  487. 1 Pi. 4,17-18
  488. Rom. 8,26
  489. Ps. 21,2-3
  490. 2 Cor. 5,19
  491. Ps. 86,14
  492. Gen. 35,4
  493. Id. 33,17
  494. 2 Thes. 3,2
  495. Mt. 20,33
  496. Mt. 11,30
  497. 1 Cor. 13,3
  498. Mc. 9,49
  499. Isa. 54,4 ; Jn. 12,21-32
  500. Mt. 27,40
  501. 1 Cor. 1,25
  502. Gen. 49,8
  503. Mt. 10,28
  504. Ps. 140,10
  505. Gen. 19,31-38
  506. 1 Tim. 1,8
  507. Jer. 1,13
  508. Isa. 14,13
  509. Mt. 24,12
  510. Rom. 5,3-5
  511. Rom. 10,15
  512. Eph. 6,15
  513. Ps. 76,19
  514. Id. 59,12
  515. Ps. 78,10
  516. Rom. 10,4
  517. Ps. 60,2
  518. Id. 3
  519. Id. 2,8
  520. Mt. 4,1
  521. Id. 16,18
  522. 1 Cor. 10,4
  523. Mt. 7,24-25
  524. Rom. 8,32
  525. Rom. 5,3-5
  526. Id. 8,24
  527. Ps. 60,5
  528. Ps. 38,13
  529. Jn. 14,2
  530. Mt. 24,12-13
  531. Ps. 60,6
  532. Ps. 60,7
  533. Id. 22,6
  534. Id. 2,7
  535. Id. 110,28
  536. Mt. 13,13
  537. Lc. 10,30
  538. Ps. 60,8
  539. Id. 24,10
  540. Mt. 24,13
  541. Phil. 2,21
  542. 2 Cor. 10,15
  543. Ps. 60,9