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Fables, ou Histoires allégoriques, dédiées au Roy/Texte entier

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FABLES,
OV
HISTOIRES
ALLEGORIQVES.
DEDIE’ES AV ROY.
Par Madame de Villediev



A PARIS,
Chez Clavde Barbin, au
Palais, ſur le ſecond Perron de
la Sainte Chapelle.

M. DC. LXX.
Avec Privilege du Roy.

A
SA MAJESTÉ.



GRand Roy, des vrais Rois le modelle,
Qui du ſommet de l’Vnivers,
Daignez ſouvent jetter l’œil ſur mes Vers :

Et recevoir le Tribut de mon zele,
Souffrez que dans ce fameux Iour,
Que l’uſage conſacre, à l’Offrande nouvelle,
Ma Muſe ſe meſlant aux Vœux de voſtre Cour,
S’Acquitte d’un devoir ſi precieux pour Elle ;

Elle devroit à vos bienfaits,
Des Sacrifices plus parfaits,
Ce ſont les Portraits veritables,
De vos Vertus incomparables,

De vos heureux Projets, de vos fameux Explois
Qui doivent eſtre offerts, au plus Puiſſant des Rois,
Et non pas de galantes Fables.
Ie connois mon devoir, & j’en cheris les Loix ;

Mais grand Monarque ma puiſſance,
S’accorde mal à ma reconnoiſſance ;
Ie fais ce que je puis, & non ce que je dois.
Si dans l’Art affecté d’exprimer ma penſée,
La verité ſemble offencée,

''Autres-fois, un Auteur fameux,
Sous des dehors plus fabuleux,
Renferma des leçons d’une vertu ſolide :
Ie n’ay pas les talents d’Ovide,
Comme vous avez, ceux de ſon grand Empereur,

Mais j’en ay le zele & le cœur.


TABLE
DES FABLES
contenuës dans ce Livre.



Fin de la Table.


Extrait du Privilege du Roy.



PAr Grace & Privilege du Roy, donné à Saint Germain en Laye le 24. jour d’Avril 1670. Signé par le Roy en ſon Conſeil, d’Alenc ; Il eſt permis à Clavde Barbin, Marchand Libraire à Paris, d’imprimer un livre intitulé, Les Fables de la DAME DE VILLEDIEV, pendant le temps de dix années ; Et deffenſes ſont faites à tous autres de l’imprimer, à peine de trois mille livres d’amande, de tous dépens dommages & intereſts, comme il eſt plus amplement porté par leſdites Lettres.


Achevé d’imprimer pour la premiere fois le 7.
May 1670.


Les Exemplaires ont eſté fournis.


Regiſtré ſur le Livre de la Communauté des Imprimeurs & Marchands Libraires de Paris, ſuivant & conformément à l’Arreſt de la Cour de Parlement du 8. Avril 1653. & celuy du Conſeil Privé du Roy, du 5. Fevrier 1665.


A. Soubron, Syndic.

FABLES,
OV
HISTOIRES
ALLEGORIQVES.


FABLE PREMIERE.

La Tourterelle, & le Ramier.



QU’on ne me parle plus d’Amour, ny de Plaiſirs,
Diſoit un jour la triſte Tourterelle,

Conſacrez-vous mon Ame, à d’eternels ſoûpirs :
J’ay perdu mon Amant fidelle.
Arbres, Ruiſſeaux, Gazons delicieux,
Vous n’avez plus de charmes pour mes yeux,
Mon Amant a ceſsé de vivre.
Qu’attendons-nous mon cœur ? Hâtons-nous de le ſuivre.
Comme on l’euſt dit, autresfois on l’euſt fait.
Quand nos Peres vouloient peindre un Amour parfait,
La Tourterelle en eſtoit le ſymbole,
Elle ſuivoit toûjours ſon Amant au trépas,

Mais la mode change icy-bas,
De cette conſtance frivole.
Le Deſeſpoir a perdu ſon credit,
Et Tourterelle ſe conſole,
S’il faut tenir pour vray, ce que ma Fable en dit.

Elle pretend, que cette Deſolée,
A ſa juſte douleur, voulant eſtre immolée,
Choiſit un vieux Palais, vray ſejour de Hiboux ;
Où ſans chercher aucune nourriture,
Un prompt trépas eſtoit, ſon eſpoir le plus doux ;

Mais qui ne ſçait, qu’en toute conjoncture,
La Providence eſt plus ſage que nous ?
Dans cette demeure ſauvage,
Habitoit un jeune Ramier,
Houpé, patu, de beau plumage,
Et quoy que jeune, vieux Routier
Dans l’Art de ſoulager, les douleurs du veuvage.
Pour noſtre Tourterelle, il mit courtoiſement,
Ses plus beaux ſecrets en uſage.
La Pauvrette au commencement,
Loin de preſter l’oreille à ſon langage,

Ne vouloit pas, ſe montrer ſeulement :
Mais le Ramier, parlant de deffunt ſon Amant,
Inſenſiblement il l’engage,
A recevoir ſon compliment.
Ce compliment fut d’une grande force,
Il diſoit du deffunt, toute ſorte de bien,
Ne blâmoit la Veuve de rien ;
Bref, c’eſtoit une douce amorce,
Pour attirer un plus long entretien.
Voilà donc la belle Affligée,
En tendres propos engagée :

Elle tombe ſur le diſcours,
De l’hiſtoire de ſes Amours :
Dépeint, non ſans cris, & ſans larmes,
Du pauvre Trépaſsé, les vertus & les charmes :
Et ne croyant par là, que flater ſa douleur,
Elle apprit au Ramier, le chemin de ſon cœur.
Par ce que le Deffunt avoit fait pour luy plaire,
Il comprit ce qu’il faloit faire.
Il estoit copiſte entendu,
Il ſçeut ſi dextrement, imiter ſon modelle,

Que dans peu noſtre Tourterelle,
Crût retrouver en luy, ce qu’elle avoit perdu.


FABLE II.

Le Singe Cupidon.



UN vieux Singe des plus adrois,
Ayant veu l’Amour pluſieurs fois,
Décocher ſes fléches mortelles,
Sur les cœurs de maintes Cruelles ;
Comme luy, voulut eſtre Archer,
Et fléches d’Amour décocher.
Il euſt donné leçon d’adreſſe,

A tout maiſtre en tours de ſoupleſſe.
Il prend ſi bien ſon temps, choiſit ſi bien ſon lieu,
Qu’il détrouſſe le petit Dieu.
Enrichy d’un butin ſi rare,
A se cupidonner le Magot ſe prepare ;
Endoſſe le carquois, s’affuble du bandeau,
En conquerant des cœurs, ſe rengorge, & ſe quarre,
Et ſe mirant dans un ruiſſeau,
Se prend pour Cupidon, tant il ſe trouve beau.
Ces Animaux pour l’ordinaire,
Naiſſent ſçavans, en l’art de contrefaire,

Et dans le langage commun,
Singe, & Copiſte ce n’eſt qu’un.
Celuy-cy donc campé dans un boccage,
Attend une Nymphe au paſſage,
Et comme ſouvent le hazard,
Aux bleſſures du cœur a la meilleure part,
Noſtre Archer d’eſpece nouvelle ;
Atteint droit au cœur de la Belle.
Iamais la Nymphe avant ce jour,
N’avoit ſenty les fléches de l’amour.
Si cette bleſſure cruelle,
Fut un cas ſurprenant pour elle ;
I’en fais Iuge le jeune cœur,
Atteint de pareille douleur.

Iour, & nuict, la nouvelle Amante
Soûpire, ſe plaint, ſe tourmente,
Sans ſçavoir ce qu’elle ſentoit,
Ny pourquoy tant ſe lamentoit,
Maiſtre Magot darde-ſagette,
Qui mieux inſtruit du mal de la Pauvrette,
S’applaudiſſoit de ſa dexterité,
Se voyant la Divinité,
Pour qui ſe preparoit l’amoureux Sacrifice,
Se tenoit fier comme un Narciſſe.
Quand la Belle par ſes ſoûpirs,
Exprimoit ſes tendres deſirs ;
Que de ſes yeux, la langueur indiſcrette,

A ſon cœur ſervoit d’interprete,
Peu s’en faloit, qu’en ce moment,
L’indigne Auteur de ſon tourment,
Ne ſe cruſt ce qu’il feignoit d’eſtre.
Il euſt avec l’amour diſputé d’agrément,
Tant l’orgueil nous fait méconnoiſtre.
Mais on voit ordinairement,
Que la Gloire ſans fondement,
Eſt chimerique, & peu durable.
Du carquois dérobé, le Maiſtre redoutable,
Cherchoit plein de reſſentiment,
Le ſacrilege Auteur, d’un fait ſi puniſſable.

Le ſort le guida ſur le lieu,
Où le Magot paré des dépoüilles du Dieu,
Recevoit l’amoureux hommage
Qu’on devoit à ſon Equipage.
Si Cupidon fut offensé ;
Qu’un Magot pour luy ſe fiſt prendre,
Et comme tel fuſt encenſé,
Il eſt aisé de le comprendre.
Quoy ? dit-il, ce ridé Muſeau,
A la faveur de mon Bandeau,
Chez les Mortels remplit ma Place ?
A ces mots Meſſire l’Amour,
Détrouſſe le Singe à ſon tour,
Montre à nud ſa laide grimace,

Et tirant la Nymphe d’erreur,
Fit naiſtre un plus beau feu, dans ſon aveugle cœur.

Ainſi l’ame préoccupée,
Et par l’apparence trompée,
Eleve aux hommes des Autels,
Qui ne ſont deus qu’aux Immortels.
Le bandeau de l’Amour, fait des Metamorphoſes
Des plus deſagreables choſes ;
Mais quand un retour de raiſon,
Peut enfin trouver ſa ſaiſon,
Ou qu’un Amour, d’une plus pure eſſence,

A nos cœurs prevenus, fait ſentir ſa puiſſance,
Combien trouvons-nous odieux
Ce qu’avoient admiré nos yeux ?


FABLE III.

La Cigale, le Hanneton, & l’Eſcarbot.



LA Cigale, & le Hanneton,

Contracterent jadis un mariage enſemble ;
Et comme pour un jour, dit-on,
Tout Hymen à l’Amour reſſemble,
Le leur eut d’abord la beauté
Qui ſuit touſiours la nouveauté.

L’Epoux trouvoit l’Epouſe belle,
Comme elle le trouvoit charmant,
Ce n’eſtoit que tranſport, & que raviſſement,
Ils ſe juroient une ardeur eternelle,
Et croyoient tenir leur ſerment.
Mais tels ſermens ſe tiennent rarement,
Ce premier jour qu’un long uſage,
A fait nommer communément,
Le ſeul heureux du Mariage,
Eſtoit à peine encor paſsé ;
Que le nouveau Couple laſsé
De ſi longue Paix domeſtique,
En interrompit la pratique.

Le Hanneton alloit ſouvent
Voir une Gueſpe ſa voiſine :
Dame Cigale en eut le vent,
Pour moins Epouſe ſe mutine.
Elle entre en feminin courroux,
Accuſe le coquet Epoux,
De fauſſer la Foy conjugale,
Hanneton de s’enfuïr aux cris de la Cigale ;
Elle, de redoubler ſes cris ;
Luy, de l’accuſer de manie,
Adieu l’amour & les ſoûris,
Au triſte Hymen ils fauſſent compagnie.
Le Hanneton, morne & tranſſi,

Connoiſſant, mais trop tard, les ſoucis du ménage,
Va conſulter ſur ſon ſoucy,
Un Eſcarbot du voiſinage.
Cét Animal n’avoit point ſon pareil,
Il décidoit de tout en Auditeur de Rote,
Et toute la Gent Eſcarbote
N’agiſſoit que par ſon conſeil.
Compere, dit-il au Mary,
Ce ſont ſuites de l’Hymenée,
Vous n’eſtes pas le ſeul Epoux marry
Qui déplore ſa deſtinée.
Nous autres petits Eſcarbots,
En de pareilles conjonctures,

Entendons dire de bons mots
A Meſdames les creatures.
Quand pour divertir ſon chagrin,
Un homme vient à ſon voiſin,
Faire en ſe promenant ſecrette confidence,
Luy conter ſes douleurs, & ſes ſoupçons jaloux,
Dieu ſçait ſi pour avoir des témoins tels que nous,
Il en dit moins tout ce qu’il penſe.
Ecoutez, ce que l’autre jour
J’entendois raconter à Seigneur d’apparence :
J’épouſay, diſoit-il, une veuve de France,

Des premieres de cette Cour :
Soit que pour témoigner un amour plus parfait,
Elle cruſt à propos de paroiſtre jalouſe,
Ou qu’elle le fuſt en effet,
Touſiours quelque ſoupçon tourmentoit mon Epouſe ;
Je n’avois plus un moment de repos,
Sur la moindre viſite, ou le moindre propos.
Noſtre Jalouſe avoit un reproche à me faire ;
Un Amant me tira d’affaire,
Il nâquit certaine amitié,
Dans le cœur de noſtre Moitié,

Plus fine d’un carat que l’eſtime ordinaire ;
Depuis ce jour, tout fut calme chez moy,
Je fus reſpecté comme un Roy ;
On ne ſongeoit plus qu’à me plaire.

Compere Hanneton, pourſuivit l’Eſcarbot,
Si tu ſçais le ſecret d’entendre à demy-mot,
Fais ton profit de l’avis ſalutaire.
Laiſſe gronder ta femme tout le jour,
Ou ſi tu veux la faire taire,
Permets-luy de faire l’amour.

Dame trop prude, & beaucoup de raiſon,
Eſt un aſſortiment fort difficile à faire ;
Et pour la paix de la Maiſon,
Un peu d’intrigue, eſt un mal neceſſaire.


FABLE IV.

Le Sanſonnet, & le Coucou.



VN Sanſonnet, Jargonneur ſignalé,
De captif qu’il eſtoit, devenu volontaire,
De deſirs amoureux ſe trouva régalé :
C’eſt de l’indépendance, une ſuite ordinaire.
Il dreſſe ſon petit Grabat
Dans un Buiſſon de Noble-Epine,

Vn Coucou fameux ſcelerat,
Qui, comme chacun ſçait ne vit que de rapine,
Qui va de Nid, en Nid croquant les œufs d’autruy
Et les remplaçant d’œufs de luy,
Au Nid du Sanſonnet, traduiſit ſon lignage.
Noſtre amy Jargonneur, ignoroit cét uſage ;
Il fut dés ſa jeuneſſe élevé parmy nous,
Et vivoit, par hazard, en honneſte ménage,
Où l’on ne parloit point des ruſes des Coucous.

Frere le Roſſignol, diſoit-il en luy-meſme,
Couvant les nouveaux Œufs avec un ſoin extrême,
Vous vous vantez d’eſtre le Roy des Bois ;
Mais ſi jamais ma Famille eſt écloſe,
Ha ! Foy de Sanſonnet, c’eſt bien à cette fois,
Que vous aurez la gorge cloſe.
Dans voſtre Art de roſſignoler,
Vous donnez des leçons, à tout ce que nous ſommes ;
Mais, mes petits ſçauront parler,
Comme parlent Meſſieurs les hommes.

Ces petits long-temps attendus,
Et de tout mal-heur deffendus,
Il plût à l’Eternel de donner la lumiere
A nos Sanſonnets pretendus.
Maiſtre Oyſeleur, d’eſpece ſinguliere,
Se promet d’exercer ſon Meſtier doctement,
Le Plumage coucou, bleſſoit un peu ſa veuë,
Mais il eſperoit en la meuë,
Les Peres, comme on ſçait, ſe flatent aisément.
Le voilà donc, tenant Ecole de ramage,

Il n’eſt dictons, ou quolibets,
Qu’apprennent tels Oyſeaux en cage,
Qu’il ne ſiffle aux Coucous, reputez Sanſonnets.
Parlez, leur diſoit-il, parlez l’humain langage,
C’eſt le plus éloquent de tous,
Coucou, répondent les Coucous,
Il n’en peut tirer autre choſe,
Quoy qu’il entonne, ou qu’il propoſe,
Coucous ne diſent que Coucou :
Le Sanſonnet penſa devenir fou.
Depuis quand, diſoit-il, cette Metamorphoſe ?

Comment œufs de Coucou ſont-ils ſortis de moy ?
Du temps que j’augmentay l’eſpece volatille,
Tout Oyſeau n’engendroit qu’Oyſeau ſemblable à ſoy :
C’eſt depuis que j’habite en humaine famille,
Que la Nature a fait cette nouvelle Loy.
Mais quoy ? reprenoit-il, dans cette Loy nouvelle,
La Nature ſe trompe, ou n’eſt plus naturelle.

Pourquoy moy Sanſonnet engendrer des Coucous ?
Pourquoy couver des œufs, qui ne ſont point à nous ?

Pourquoy ?…… ſans doute il euſt pouſsé loin le murmure ;
Mais un Milan paſſant par là,
Quoy ? luy dit-il, ce n’eſt que pour cela
Que tu vas de Povrqvoy fatiguant la Nature ?
Hé ! mon amy ton mal eſt devenu commun,
Parmy les Animaux, je n’en connois aucun

Qui ne puiſſe s’attendre à pareille aventure.


FABLE V.

Le Papillon, le Freſlon, & la Chenille.



UN vieux Freſlon depuis long-temps
Avoit fait des deſſeins ſur une Tubereuſe ;
Un Papillon, nouveau fils du Printemps,
Traverſoit en ſecret, ſa fortune amoureuſe.

De grand murmure, & de ſanglant combat,
Se vit alors la prochaine apparence,
C’eſt touſiours de la concurrence,
Que naiſſent le bruit & l’éclat.
A maintenir leurs droits, les Rivaux s’appreſterent.
Pere Freſlon de bourdonner,
Papillon de papillonner,
Tant volerent, tant bourdonnerent,
Qu’enfin l’Amour ils obligerent,
A juger de leur different.
Il cite devant luy le Couple concourant,
Leur ordonne à tous deux, d’expoſer l’aventure :

Jamais ſans doute avant ce jour,
Ils ne s’eſtoient trouvez en telle conjoncture ;

Mais tout parle dans la Nature,
Quand il s’agit d’obeyr à l’Amour.
Je ſuis, dit le premier, un Freſlon qu’on eſtime
Pour ſon labeur & pour ſon rang.
D’un eſſain renommé le Prince legitime
Me reconnoiſt pour eſtre de ſon Sang :
Cette tubereuſe naiſſante,
Par ſa jeuneſſe floriſſante,

A ſceu meriter mon ardeur ;
Depuis le jour qu’elle eſt écloſe,
Je voltige ſans ceſſe autour de cette Fleur,
Et quitte pour la voir, Lys, Anemone, & Roſe,
Qui tenoient de ma part, ces ſoins à grand honneur.
Ce foible Papillon, cette fragile engeance,
Qui parmy nous s’oſe à peine enrôler,
Sans redouter l’effet de ma vengeance
Sur mes traces ſemble voler.
Si pour travailler à ma taſche,

Je donne à mes deſirs, un moment de relaſche,
Ou vais ſuccer d’un fruit le naiſſant vermillon,
Quand ie viens reparer prés de ma Tubereuſe,
Une abſence ſi douloureuſe ;
J’y retrouve touſiours l’aſſidu Papillon :
Faut-il qu’un Freſlon de ma ſorte,
Chery de Flore, envié des Zephirs,
Souffre qu’un Papillon apporte
Un obſtacle ſecret à ſes tendres deſirs ?
Qu’il oſe impunément luy diſputer la place,
Exciter ſa colere, & ſes ſoupçons ialoux ?

Ay-je tord de vouloir reprimer cette audace ?
Grand Dieu, je m’en rapporte à vous.

C’eſt, dit le Papillon, avoir mauvaiſe grace,
Et faire à ce Dieu mal ſa Cour,
Que d’expoſer ſon travail & ſa Race,
Quand il s’agit des faveurs de l’Amour.
Moy Papillon, je ne me vente
Ny d’anceſtres fameux, ny d’exploits importans ;

Mais ma parure eſt éclatante,
Et j’en change tous les Printems.
À la ſaison que les Roſes nouvelles
Eſtalent à mes yeux leurs beautez naturelles,
Si je me trouve épris de leurs jeunes appas,
Je ne prends point mon vol vers elles,
Que l’éclat qui ſort de mes aîles
Ne m’ait devancé de cent pas.
J’ay du brillant, de la jeuneſſe,
De l’enjoument, & de la propreté :
Je ſuis leger, je le confeſſe,
Mais je rends grace au Ciel de ma legereté,

Lors que Papillonnant, de fleurette en fleurette,
Indifferemment ie muguette
Tout ce qui paroiſt à mes yeux,
Cette inconſtance eſt ſouvent une addreſſe
Pour inſpirer à la Fleur ma Maiſtreſſe
Le deſir de m’arreſter mieux.
Si d’un illuſtre Sang ta vanité ſe louë,
En humble Papillon j’avouë
De ne meriter pas cét honneur comme toy ;
Mais pour finir la diſpute amoureuſe,
Demandons à la Tubereuſe,
Lequel luy plaiſt le plus, du Freſlon, ou de moy.


Malgré le royal Parentage,
Le Papillon auroit eu l’avantage,
Si la Fleur euſt reglé ſon ſort :
Il eſtoit jeune, il eſtoit agreable ;
Mais pendant que tous deux redoubloient leur effort,
Pour obtenir un Arreſt favorable,
Une Chenille impitoyable
Achevoit ſourdement de les mettre d’accord.

Ainſi voit-on finir parmy les creatures,
Maintes & maintes avantures ;

On entre en concurrence ; & de feux, & de ſoins
On ſe diſpute, on ſe querelle,
Pendant que le Rival qu’on redoute le moins,
Triomphe en ſecret de la Belle ;
Et laiſſant aux Muguets, le murmure & l’éclat,
S’enrichit du butin, ſans aller au combat.


FABLE VI.

Le Chat, & le Grillon.



QVe l’homme ſe ſert mal de ſon raiſonnement !
Qu’injuſte fut la Loy ſuprême
Qui ſoûmit l’Animal impitoyablement
A tel qui ne ſçait pas ſe gouverner luy-meſme,
Et que tout Animal inſtruit facilement.

Ainſi s’exhaloit en murmure,

Certain Grillon ſeditieux,
Qui bien-toſt euſt changé l’ordre de la Nature,
Si Grillons décidoient dans le Conſeil des Dieux.

C’eſt bien à toy, mon cher, à faire le Critique,
Interrompit un vieux Matou,
Qu’un peu de cendre chaude attiroit prés du trou
De noſtre Grillon Satirique.
Encore ſi c’eſtoit quelque Chat comme moy,
Qui blaſmât la ſuprême Loy,

Je luy pardonnerois de ſe donner carriere.
Matou courant de nuict, de Goutiere, en Goutiere,
Peut ſe formaliſer d’avoir l’homme pour Roy.
Il luy voit en ſecret, commettre tant de crimes,
Suivre tant de folles maximes.
Icy fait le lutin, le frenetique Epoux,
Croyant que grilles & verroux
Rendent une Epouſe fidelle,
Pendant que le Galant qui luy tient en cervelle,
Doit aux ſeuls ſoupçons du jaloux,

Toutes les faveurs de la Belle.
Là, garde le Mulet quelque credule Amant,
Comptant pour un Siecle un moment,
Penſant que ſa Philis le compte à ſa maniere,
Et l’égale en deſirs comme en fidelité.
Que s’il pouvoit en Chat paſſer par la Chattiere,
Seroit bien-toſt guery de ſa credulité.
Es-tu témoin des ſerenades,
Et des nocturnes promenades,
Où s’occupent ſouvent les plus ſages mondains ?

Paſſes-tu quelquesfois ſur les toits les plus ſaints,
D’où lorgnant par un trou, le rusé Solitaire,
J’ay veu l’hypocriſie, à tel degré monter,
Que moy Matou, je n’oſe raconter,
Ce que tel qu’on croit Saint, n’a pas honte de faire.
Chacun ſçait ce qu’il ſçait, reprit d’un ton chagrin,
Le Grillon mal content de ſon petit deſtin :
Si tu vois le Bigot démentir ſa grimaſſe,

Je voy peut-eſtre plus, ſans partir de ma place.
J’entends ſouvent le Magiſtrat
De ſon Foyer prendre des Villes,
Le Cavalier parler, de matieres civiles,
Et le Bourgeois, trancher du Potentat.
Tel qui ne peut trouver, de party pour ſa fille,
De tout le genre humain, fait le Chef de Famille,
Et croit eſtre nommé de Dieu pour le pourvoir ;
Il donne celuy-cy de puiſſance abſoluë,

A telle que peut-eſtre, il n’aura jamais veuë,
Et qu’il ne devra jamais voir.
Que diray-je de la licence
Que ſe donne leur médiſance ?
Eſt-il rien de ſacré pour ces Prophanes-là ;
Un de ces ſoirs j’entendois dire………………
A cét endroit de la Satyre,
Le Patron de caſe appella ;
Sa voix pour nos cenſeurs, fut pis qu’un coup de foudre.
Matou ne fit qu’un ſaut, juſques au trou du Chat,
Et Grillon ſe croyant deſia reduit en poudre,

Rentra plus mort que vif dans ſon ſombre grabat.


FABLE VII.

L’Agneau, & ſes freres



AVtresfois nâquit un Agneau,
Plus digne d’eſtre un Louveteau,
Que d’avoir Moutonne origine.
Il crioit ſans ceſſe famine,
A tous les Agneaux du troupeau.
Sa Mere, diſoit-il, eſtoit preſque tarie,
Il rempliſſoit d’un plaintif beêlement,

Pâturages, & Bergerie,
Et voyez la friponnerie !
Sa Mere avoit du laict, plus que ſuffiſamment ;
Mais outre qu’il eſtoit d’un naturel gourmand,
Il s’eſtoit apperceu que Bergers & Bergeres,
De Beſtail bien nourry font touſiours plus de cas,
Que de Beſtail qui ne profite pas.
Le voila donc gueuſant du laict, à tous ſes freres.
Hé ! leur diſoit-il, par pitié
Souffrez que ie tette vos Meres,

Elles ont trop de laict pour vous de la moitié :
Et moy pauvre Agnelet, natif de meſme Eſtable,
Qui nuict & jour, tire la mienne en vain,
Je ſerois deſia mort de faim,
Si ie n’avois trouvé quelqu’Agneau ſecourable.
Jamais la feinte, avant ce jour,
Chez les ſimples Agneaux, ne fut miſe en pratique,
Ceux-cy croyant aux dits, du rusé famelique,
Luy cedoient bonnement, leur place tour à tour.

Il profite à gogo de cette complaiſance,
Il croiſt, il devient graſſelet,
Au lieu que les Agneaux, qu’il tenoit au filet,
Jeûnant de son trop d’abondance,
Auprés de luy ne ſembloient qu’avortons.
Arrive un Marchand de Moutons.
On luy fait voir la Peuplade nouvelle,
A peine il jette l’œil ſur elle,
Qu’il croit que les Sorciers, ont maudit le Troupeau ;

Où mene-t’on, dit-il, ces pauvres Brebis paiſtre ?
Leurs petits n’ont que les os & la peau.
Gardez-les pour peupler, Monſieur, dit-il au Maiſtre,
Car de les vendre en cét eſtat,
Vous n’en tirerez pas ſeulement une obole.
En prononçant cette parole
Il mit la main ſur noſtre Scelerat.
Ho, ho, dit-il, je taſte un drôle,
Qui s’eſt ſauvé du Magique attentat,

Il l’achepte, on luy livre, il fait le meilleur Plat,
De la prochaine Hoſtellerie,
Pendant que les Agneaux, qu’il a mis aux abois,
Bondiſſent ſur l’herbe fleurie,
Ou ruminent en paix à l’ombrage des bois.

Ie n’expliqueray point ma Fable.
Tout convoiteux du bien d’autruy,
Tout Paraſite inſatiable,
Bref tout humain, du ſiecle d’aujourd’huy,
Qui d’eſtre mon Agneau, ſe ſentira capable,

Sçaura bien que je parle à luy.


FABLE VIII.

L’Yrondelle, & l’Oyſeau de Paradis.



L’Yrondelle, craignant, le froid de nos quartiers,
S’en alloit faire un tour, juſqu’aupres de Carthage.
L’Oyſeau de Paradis, ſe trouve à ſon paſſage,
Voyageurs, comme on ſçait, couſinent volontiers.

Les voila donc jaſant, d’un climat, & d’un autre,
L’Yrondelle ventoit, les raretez du nôtre,
Et l’Oyſeau, les beautez du ſien :
Elle prit gouſt à l’entretien.
Elle ſe connoiſſoit, pour n’eſtre qu’Yrondelle,
Et ſçavoit que l’oyſeau, n’eſt pas oyſeau pour elle ;
Mais contre ce qui plaiſt, on ne prend loy de rien.
L’Oyſeau de Paradis eſt charmant au poſſible,
Et noſtre voyageuſe, a le cœur ſuſceptible.

Elle niche ſouvent, en tel Palais de Cour,
Où l’on n’habite point, ſans connoiſtre l’amour :
Elle admire, tantoſt, le bec, & le ramage,
D’autresfois, le rare plumage,
De l’hoſte à ſes yeux ſi charmant ;
Et ſans conſiderer, dans ſon emportement,
Que le celeſte Oyseau, n’habite que la nuë
Et qu’il vit, de l’air ſeulement,
La voilà d’abord reſoluë,

A ne le perdre plus de veuë.
Cependant la faim la preſſoit,
Dame Nature patiſſoit,
Et l’on ſçait que cette Commere,
Ne ſe repaiſt point de chimere.

Tant d’amour qu’on voudra, tant de charmans appas,
Il faut toûjours manger, & boire,
Et c’eſt un incident, neceſſaire à l’hiſtoire,
Que de prendre un leger repas.
Faut-il ſe revolter, contre Dame Nature ?

Ou faut-il ſe rendre à ſes coups,
Jeunes Amans, ma Fable parle à vous.
Quelle que ſoit l’ardeur qui vous tranſporte
Sur un peu de prudence, appuyez voſtre amour,
Les plaiſirs les plus grands, ſont ſujets au retour,
Et la neceſſité demeure la plus forte.


LE BALLET
DE MONSEIGNEVR
LE DAUPHIN ;
ENVOYÉ A MONSEIGNEVR
LE DVC
DE MONTAVSIER.



SOmmeil, ſi charmant, & ſi doux.
Agreable vapeur, ſonge ſi favorable.

Ha ! pourquoy vous diſſipez-vous ?
Laiſſez-moy touſiours voir, ce Dauphin admirable.
Ce Fils du plus grand Roy, qui ſoit dans l’Vnivers,
Gouſter prés de l’Amour, mille plaiſirs divers.
Occuper tous les ſoins des Graces obligeantes :
Réveil, ne m’oſtez point ces cheres viſions,
Vos faveurs les plus engageantes
Ont moins d’attraits pour moy, que ces illuſions.

Voilà, Monseignevr, les reproches que ie me faiſois à moy-meſme, en ſortant d’un Songe ſi agreable, que j’aurois ſouhaité qu’il euſt duré toute ma vie, ſi ie n’avois eſté perſuadée qu’il m’auroit eſté impoſſible de vous le faire ſçavoir apres ma mort. Ie ne doute pas, Monseignevr, qu’il ne vous ſoit indifferent de l’apprendre ; Un homme, chargé de l’éducation d’un des plus grands Princes de la Terre, & qui doit eſtre regardé comme l’œil viſible de la Providence, ſur le plus accomply des Ouvrages de Dieu, n’a guere de curioſité pour les Songes d’une perſonne telle que moy. Mais Madame la Ducheſſe de Montauſier receut autresfois ſi favorablement la viſion du Carouſel de Monſeigneur le Dauphin, que j’ay osé me promettre que vous ne ſeriez pas inacceſſible à celle-cy. Vous ſçavez, Monseignevr, que les chimeres des Poëtes renferment quelquesfois un ſens moral ſous leurs allegories, qui n’eſt pas toûjours indigne de la reflexion des grands hommes ; & d’ailleurs, Monseignevr, l’âge du jeune Prince que vous élevez, vous familiariſe ſi ſouvent avec des choſes au deſſous de voſtre Genie, que cette bagatelle icy, ſera peut-eſtre aſſez heureuſe pour ſe couler parmy la foule.

Dans une charmante Maiſon
Hors du bruit de la Cour, & des ſoins de la Ville,

Je goûtois les douceurs de la belle ſaiſon,
Et paſſois une nuict, ſombre, fraîche, & tranquille,
Quand ie crus voir mon lict, changé dans un Palais,
Moins redevable à l’Art, qu’aux dons de la Nature.
Les termes de l’Architecture,
Sont mots que ie ne ſçeus ny ne ſçauray jamais.
Mais fuſſay-je en cela, s’il ſe peut plus habille,
Que le Dieu meſme, à qui cét Art eſt deû,

Je croy qu’il me ſeroit encore difficile,
De bien tirer le Plan du Palais que j’ay vû.
Certain je ne ſçay quoy, s’y fait ſervir en Maiſtre,
Qui penſoit qu’à le voir, ie devois le connoiſtre,
Et ſans doute autresfois, il m’eſtoit fort connu,
Mais le temps oſte la memoire,
Les cœurs les plus ardens, ont enfin leur retour :
Et s’il n’avoit parlé, Dieux ! pourroit-on le croire,

Je ne l’euſſe jamais reconnu pour l’Amour.
Il estoit toutesfois, dans ſon jour de conqueſte,
Les jeux, les innocens soûpirs,
Les graces, les naissans deſirs,
Tout eſtoit en habit de Feſte,
On ne parloit chez luy que de plaiſirs.
Mille faveurs des plus exquiſes,
Se chargeoient du ſoin d’un Feſtin ;
Et se preparoient (quoy que permiſes)
Des mets pour le gouſt le plus fin.
Car c’eſtoit pour traiter Monſeigneur le Dauphin,

Qui s’eſtant échapé des priſons de l’Enfance,
Faiſoit prés de l’Amour, la douce experience,
De voler quelques ans, aux ordres du deſtin.
Il ne ſut, dans ce jour, ny ruſe, ny fineſſe,
Qui n’eût ordre du Dieu, d’exercer ſon metier :
Il n’eſt jeux, plaiſirs, allegreſſe,
Dont il ne regalât le nouvel Ecolier.
Les ſoûpirs concertoient une tendre musique,

Les attraits parez galamment,
Ornoient un Salon magnifique,
De doux ſoûris & d’agrément.
Le coup d’œil affecté, le radouciſſement,
Compoſoient une Comedie,
Et répondoient du ſuccez ſur leur vie,
Juſques au poinct du dénoument.
Mais l’endroit que mon cœur trouva le plus charmant,
Ce fut certain Ballet d’invention nouvelle,
Dont voicy le Recit fidelle,

Daignez à ſa lecture accorder un moment.


Sujet du Ballet.

LE TRIOMPHE
DE L’AMOUR
SUR
L’ENFANCE.



L’Amour impatient de ce qu’un jeune cœur de grande eſperance, eſtoit poſſedé par l’Enfance trop long-temps, conſpire de l’arracher d’entre ſes bras : il emprunte le ſecours des Arts & des Sciences : & ſurprenant ce cœur dans un moment de reflexion extraordinaire, il le tranſporte dans ſon Palais, & luy en découvre toutes les beautez. La Gloire informée de cette aventure, vient à la queſte du cœur dérobé, dit qu’il luy eſt conſacré dés ſa naiſſance, & qu’il ne doit abandonner l’Enfance que pour elle. Mais les Sciences l’ayant raſſurée, elle conſent de laiſſer promener le jeune cœur dans le Palais de l’Amour, pourveu qu’il ſoit permis aux Vertus & à elle, de l’accompagner dans cette Promenade.


RECIT.


L’Enfance repreſentée par une Belle eſtant couronnée de Roſes, regrette le Cœur qu’elle a perdu.


Moy pour qui le repos, fut un treſor ſi cher,
Moy la Tranquilité profonde,
Moy qu’au milieu des maux, qui troublent tout le monde,

Les ennuis reſpectoient, & n’oſoient approcher.
Helas ! ie ſens enfin leurs plus vives atteintes,
Un Cœur, un jeune Cœur, qui fit tous mes plaiſirs,
S’arrache de mes bras, & mépriſe mes plaintes,
Coulez, coulez, mes pleurs, ſortez tous mes ſoûpirs.


Sur la Foy de ſes ans, dans un profond repos,

Ie m’attendois mal-gré l’envie
De jouyr pleinement d’une ſi belle vie,
Tant que la Loy du temps, m’en laiſſe les Dépoſts.
Mais helas ! les beaux Arts, les Vertus, la Science,
Les talens, les conſeils, & les naiſſans deſirs,
Tout l’enleve à mes yeux, tout l’arrache à l’Enfance.
Coulez, coulez, mes pleurs, ſortez tous mes ſoupirs.



I. ENTRE’E


L’amour & les graces témoignent leur joye, par une Dance fort enjoüée.


Pour l’Amour.


Eſt-il quelque mortel, apres cette Victoire,
Qui refuſe un Temple à ma Gloire,
Je renverſe les Loix, & des lieux, & des ans,
Souvent par ma toute-puiſſance,
Je change un Hyver en Printemps,
Puis délivrant un Cœur, des chaînes de l’Enfance,

Je ſçay comme il me plaiſt, confondre tous les temps.


Pour les Graces.


Graces qui mieux que vous, eſt en droit de pretendre
Au triomphe de ce grand Jour,
C’eſt vous qui ſoumettez tous les Cœurs à l’Amour,
C’eſt par vous qu’il les ſçait ſurprendre,
Sans vous ſon Nom ſeul feroit peur ;
Mais quand vous l’eſcortez, on ne peut ſe deffendre,
De ceder à voſtre douceur.


II. ENTRE’E.


La Beauté naiſſante accompagnée des Ieux & des Ris, s’appreſte à faire les honneurs du Palais de l’Amour.


Pour la Beauté naiſſante.


Viens goûter jeune Cœur, les plaiſirs innocens,
Qui te ſont offerts par mes charmes ;
N’en crains rien de cruel, ma Beauté n’a pour armes,
Que des jeux, des ſoſt-ris, & des attraits naiſſans.

Le Ciel nous fit pour vivre enſemble.
Et ſi tu conſultes tes yeux,
Tu trouveras que ie reſſemble
A ce que tes deſirs ont de plus precieux,
J’ay ta bouche, tes traits, ta grace naturelle,
Je ſuis aymable comme toy,
Et ſi prés de l’Amour tu voulois quelqu’employ,
Certaine Royale mortelle, Mademoiſelle,
Que ton beau Sang anime, & que tu trouves belle,
Eſt ſi ſouvent priſe pour moy,
Que tu peux me prendre pour elle.


III. ENTRE’E.


Les Sciences & les Arts ayant contribué à dérober le jeune Cœur aux oyſivetez l’Enfance, viennent ſe réjouyr de l’heureux ſuccez de l’entrepriſe.


Pour les Sciences & les Arts.


Un jeune cœur doit eſtre bien ſurpris,
De voir jouer ce perſonnage
A ce qu'il croyoit ſi ſauvage,
Et qui glace d'effroy tous les jeunes eſprits.
On voit par là les erreurs du jeune âge,

Et que tout ſert à l’Amour pour charmer,
Dans l’un c’eſt le ſçavoir, dans l’autre le courage ;
Mais quand de vous les deux on fait un aſſemblage,
On eſt nay pour tout vaincre, & pour tout enflâmer.


IV. ENTRE’E.


La Galanterie & les jeunes deſirs viennent pour donner des inſtructions au Cœur dérobé.


Pour la Galanterie.


Vainement voudrois-je entreprendre,
De donner à ce Cœur des advis ſuperflus,
Chez luy la Nature en ſçait plus,
Qu’à tous les autres cœurs l’Art n’en ſçauroit apprendre.


V. ENTRE’E.


La Gloire courant à la queſte du jeune Cœur, rencontre la Vertu.

DIALOGVE.


La Vertu.

Que fait la Gloire dans ces lieux,
A-t-elle chez l’Amour de ſecrettes affaires,


La Gloire.

Que faites-vous icy, favoritte des Dieux ?
Prenez-vous quelque part aux amoureux myſteres.


La Vertu.

Je guide un jeune Cœur qui ſe fût égaré,

Si l’Amour ſans mes ſoins avoit eu ſa conduite.


La Gloire.

Ce Cœur m’eſt par le Ciel, de tout temps preparé,
L’Amour veut me l’oſter, je cours à ſa pourſuite.


Tout ce qui eſtoit alors dans le Palais de l’Amour, accourant au bruit du Dialogue, l’Amour dit en s’addreſſant à la Gloire.


Gloire, qu’oſez-vous entreprendre
Contre l’effort de mes feux triomphãs,

L’hommage de deſirs que ce cœur vient me rendre,
N’eſt-il pas un Tribut, qu’on doit aux jeunes Ans.


La Gloire & la Vertu reprennent enſemble.

Ce Cœur eſt animé, par deux Royales Ames,
Qui ne rendent qu’à nous l’hommage de leurs vœux.


L’Amour replique.

Les naiſſantes ardeurs, des innocentes flammes,

N’ont jamais fait rougir aucune de vous deux.


Les Sciences & les Arts viennent pacifier le different.

Quoy qu’à ce cœur l’Amour propoſe,
Ne craignez rien pour luy, de la part des appas,
A quelque doux peril, où ſon âge l’expoſe,
Nous guiderons touſiours ſes Pas.


I’eſtois à cét endroit du Regale de l’Amour, à Monſeigneur le Dauphin, & ie me preparois à le ſuivre à quelque feu d’artifice, ſçachant bien qu’il en entre touſiours un peu dans toutes les Feſtes de l’Amour. Mais un ſoucy domeſtique m’ayant éveillée mal à propos, la ſeule realité qui me reſte d’une ſi belle illuſion ; C’eſt le vœu que ie faits d’eſtre toute ma vie.


LETTRE
ESCRITE
A MONSEIGNEVR
DE LYONNE,
Sur les Cabinets du Roy.


Il faut ſçavoir pour l’intelligence de cette Lettre, que ces Cabinets ſont lambriſſez de Miroirs, ſur leſquels ſont peints des Amours de diverſes Figures, en Miniature.


IL me ſemble, Monseignevr, qu’il y a long-temps que ie vous laiſſe en repos, vous ne me faites pas l’honneur de vous en appercevoir comme moy. Mais ie ne puis me reſoudre à l’oublier comme vous.

Permettez que je vous réveille,
Et que faiſant valoir prés de vous mon Employ,
J’oſe vous dire icy quatre mots à l’oreille

Sur les nouveaux Amours du Roy.
Vous pâliſſez à ce mot que ie croy,
Et connoiſſant la gent Poëtique,
Un nom ſi delicat de ſoy,
Fait trembler voſtre Politique.
Non, non, ne craignez rien de Phebus & de moy,
Je deteſte comme ie doy
La ſacrilege conjecture
Des Loix de mon devoir, ie connois la rigueur ;
Et ſi de quelqu’Amour, ie vous fais la peinture,
C’eſt d’un Amour de Miniature,
Et non pas d’un Amour du Cœur.

L’avez-vous veu ? ce nourriſſon des Graces,
Dans ces ingenieuſes Glaces,
Où l’Art nous le dépeint avecque tant d’attraits,
Fit-il jamais aux cœurs, plus douce violence ?
J’avois juré, de n’en parler jamais,
Et gens des mieux ſenſez, approuvoient mon ſilence ;
Mais il eſt mal-aisé de tenir ſon ſerment,
Quand on le voit dans cét Appartement,
Partout ailleurs, ſon abord eſt terrible,

Et ſon Nom ſeul alarme la pudeur,
Mais comment chez le Roy pourroit-il faire peur,
C’eſt ſous nos traits, que l’Art le rend viſible,
Quand on le voit, on ſe croit voir.
Peut-on trembler pour ſon devoir
Quand on ne veut qu’ajuſter ſa Coëffure,
Qu’examiner ſon Air, & ſa Parure,
Helas ! ce n’eſt pas de ce jour,
Que l’Amour ſçait aux Cœurs, joüer ce vilain tour.
Quand on a des attraits, qu’on veut plaire, & qu’on s’aime,

Souvent dans un Miroir ne cherchant que ſoy-meſme,
Sans y penſer, on y trouve l’Amour,
Il eſt facile d’enflâmer
Dame qui veut trop eſtre aimée,
Et le grand deſir de charmer
Devance de bien peu, l’heure d’eſtre charmée.

Mais ie ſens que la veine m’emporte au delà des bornes que ie m’eſtois preſcrites ; mon Genie tendre, pour qui les occaſions de l’égayer ſont devenuës rares, abuſeroit volontiers de la liberté que ie luy donne, il faut le faire rentrer dans ſon devoir, & ne plus parler que pour vous dire que ie ſuis.


EPITALAME
SUR
LE MARIAGE
DE MADEMOISELLE
DE LYONNE,
AVEC MONSIEUR
DE NANTEV̈IL.



NOus doctes Sœurs, quelques-fois menſongeres,
Mais aujourd’huy, parlant ſans fiction,

Au Miniſtre fameux, ayant direction
Sur les affaires Eſtrangeres
Nous envoyons cette Relation.


Du Parnaſſe le 11. Fevrier 1670.


Nous avons avis que ce Jour,
Cupidon s’échapa de la celeſte Cour,
Charmé d’une jeune Mortelle,
Plus digne que Venus, des tranſports de l’amour.
Voicy comme au Parnaſſe, on conte la nouvelle.
Dans la ſaiſon du Carnaval,

L’Hymen voulant courir le Bal,
Emprunta de l’Amour, la forme & la parure,
Et l’Amour partageant ce divertiſſement,
Prit auſſi de l’Hymen, l’habit & la figure,
C’eſtoit pour eux un grand déguiſement,
Le premiere Beauté qui s’offre à leur paſſage,
Eſtoit bien que naiſſante, auſſi fiere que ſage.
Le ſeul nom de l’Amour, alarmoit ſa pudeur,

Ce Dieu ne l’abordoit, auſſi qu’avec terreur,
Il ſçavoit que c’eſtoit une jeune Lyonne
Pour la Naiſſance & pour le Cœur,
Mais l’Hymen ſçachant bien que ſi chaſte perſonne
De ſa preſence a rarement horreur,
L’approche, & luy conte douceur ;
S’il ſe fuſt avisé de ſe faire conneſtre,
On euſt pû le traiter avec moins de rigueur.
Mais on le prit, pour ce qu’il feignoit d’eſtre,
Et Dieu ſçait quel mépris, attira cette erreur.

L’Amour qui prés de la cruelle
Eſtoit touſiours en ſentinelle,
Voyant l’accueil peu gracieux
Qu’on faiſoit à ſon Nom, dans cette Maſcarade,
Eſpera que peut-eſtre, on le recevroit mieux
Sous celuy de ſon Camarade.
Il en prend l’honneſte maintien,
Voile du nom d’Eſpoux, ſon ardeur indiſcrette,
Certaine émotion ſecrette,
Que la Belle ſentoit ; pendant ſon entretien,
Sembloit l’avertir de la ruſe ;

Mais quoy ? pour penetrer dans ce déguiſement,
Il faut avoir connu, le Narquois qui l’abuſe,
Et jamais il ne fut, ſi temeraire Amant,
Qui l’oſaſt à ſes yeux, dépeindre ſeulement.
La voila donc à l’Amour deſtinée,
Il l’obtient d’elle-meſme, au nom de l’Hymenée,
L’Hymen ayant appris, par la commune voix,
L’attentat du Dieu temeraire,
Dans ſes plus beaux attours, vint deffendre ſes droits ;

Mais il ne fut, dit-on, que témoin de l’affaire,
L’amour ſeul accomplit le reſte du myſtere.
Les devoirs de l’Hymen, ſont rendus par l’Amour,
C’eſt en vain que l’Olympe, eſpere ſon retour,
Il veut rendre à l’Eſpouſe un legitime hommage,
Et touſiours arreſté par des attraits ſi doux,
Il fera de l’Hymen, le conſtant perſonnage,
Tant qu’on verra Nanteüil, habiter parmy nous.


Addreſſe du Pacquet


Au Miniſtre parfait, du plus parfait des Roys,
Ce Paquet en main doit ſe rendre,
Si de l’Europe entiere, on conſulte la voix,
Le Porteur ne peut ſe méprendre.


FIN.