Grammaire de l’hébreu biblique/Écriture/Paragraphe 16

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Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 46-50).
§ 16. Du texte massorétique et de la massore.

a Le texte de nos éditions du texte hébreu, avec toutes ses particularités, est appelé communément texte massorétique[1]. En réalité certaines particularités de notre texte sont antérieures aux massorètes ; d’autres leurs sont postérieures. Le travail des massorètes est postérieur à celui des Naqdanim et le suppose. Les massorètes accomplirent leur œuvre du VIIIe au Xe siècle ; le texte reçu est généralement celui de Ben Asher (Xe siècle), qui a été préféré à celui de son rival Ben Naftali.

b Divisions du texte. Au point de vue grammatical, la division importante est la division en versets (פְּסוּקִים § 15 e). La division en chapitres, introduite par les chrétiens dans la Vulgate, au XIIIe siècle, a été reçue par les Juifs (פֶּ֫רֶק ou קָפִיטוּלִי). C’est Rabbi Nathan qui s’en est servi le premier, pour sa Concordance, vers 1440.

c Le Pentateuque, en vue de la lecture dans la synagogue, est divisé en 54 sections (פָּֽרָשָׁה). Une section est dite ouverte (פְּתוּחָה) quand la section suivante doit être écrite à la ligne suivante ; elle est dite fermée (סְתוּמָה) dans le cas contraire. Ces grandes sections sont indiquées par פפפ (p. ex. Ex 30, 11) ou ססס (p. ex. Ex 38, 21). Elles sont subdivisées en petites sections indiquées par פ ou ס (p. ex. Gn 1, 6 ; 3, 16).

d Les observations de toute sorte compilées par les massorètes se trouvent soit en marge de chaque page (Masora marginalis), soit à la fin de chaque livre ou de toute la Bible (Masora finalis). Les éditions ordinaires n’en donnent que des extraits. Nous donnons ici les termes les plus usuels de la massore. (Voir Hyvernat, Petite introduction à l’étude de la Massore, dans Revue Biblique 1902, 551-61 ; 1903, 529-49 ; 1904, 521-46 ; 1905, 203-34) ; Stier und Theile, Polyglotten Bibel (appendices à chaque volume). Les mots de cette terminologie technique appartiennent au néo-hébreu ou à l’araméen ; ils sont souvent écrits en abrégé.

  • אוֹת lettre ; אֶלָא excepté, si ce n’est ; אֶמְצַע milieu ; אס׳ףאַתְנָח סוֹף פָּסוּךְ p. ex. Éz 17, 15 קמץ בּלֹא אס׳ף c.-à-d. « on a qameṣ bien qu’il n’y ait pas d’atnaḥ ou de sōf pasuq ».
  • ב׳ (comme signe numérique) deux, p. ex. ב׳ טְעָמִים deux accents ; בָּתַר après.
  • דָּגוּשׁ, f. דְּגוּשָׁה qui a un dagesh (ou un mappiq) ; דַּף feuille, page.
  • זְעֵיר, f. זְעֵירָא petit.
  • חוֹל profane ; חוּץ hors de ; חָסֵר deficiens, defectivus (cf. § 7 c).
  • טַ֫עַם accent ; יַתִיר abundans, de trop.
  • כַּאן ici ; כְתִיב (§ e) ; ל׳ = לֵית (de לָא אִית) il n’y a pas, non est.
  • מָלֵא plein, plene scriptus (§ 7 c) ; מִקְרָא l’Écriture ; מִקְצָת partie.
  • נ׳א = נוּסְחָא אַֽחֲרֵינָא autre exemplaire ; pl. נוּסְחָן אַֽחֲרֵינָן autres exemplaires ; נָח, f. נָחָה quiescent (non prononcé) ; נִקּוּד point ; נָקוּד pointé.
  • ס״אסְפָרִים אֲחֵרִים d’autres livres ; סְבִיר conjecture ; סִימָן (σημεῖoν) symbole, mot mnémonique ; סְכוּם compté, nombre ; סוֹף פָּסוּק fin du verset.
  • פִּסְקָא séparation, intervalle (dans plusieurs cas indique une lacune).
  • ק׳ = קְרֵי (§ e) ; קודם ou mieux קֳדָם avant ; קָמוּץ, f. קְמוּצָה qui a un qameṣ ; קָמֵץ בְּזָקֵף (§ 32 f).
  • רַבְּתָא, רַבָּתִי grande.
  • תֵּיבָה mot (en tant que composé de lettres) ; תִּקּוּן correction ; תְּרֵי deux.

e Qeré-ketīb. Les remarques massorétiques les plus importantes sont celles qui se rapportent au qeré et au ketīb. Le קְרֵי (participe passif araméen : lectum ou, ici, legendum) est la leçon qui, d’après les massorètes, doit être lue ; le כְּתִיב (participe passif araméen : scriptum) est la leçon qui ressort du texte consonantique. Le qeré est indiqué par un petit cercle au-dessus du mot, renvoyant à une note marginale où sont indiquées les consonnes à lire ; quant aux voyelles du qeré, ce sont celles du texte. Le ketīb est représenté uniquement par les consonnes du texte ; les voyelles ne sont pas indiquées : elles doivent être restituées d’après la forme du mot et le contexte. Ainsi dans Ruth 3, 3 on trouve וְשַׂמְתְּי֯ et en marge ושמת ק׳ c.-à-d. le qeré est וְשַׂמְתְּ forme normale de la 2e p. f. ; le ketīb est וְשַׂמְתִּי forme archaïque. Quand un mot du texte ne doit pas être lu, on omet de le vocaliser et en note on écrit כתיב ולא קרי « écrit, mais non lu » p. ex. Ruth 3, 12 אם. Inversement, si un mot doit être ajouté dans la lecture, on écrit, dans le texte, les voyelles de ce mot, et on indique les consonnes en note, p. ex. dans Ruth 3, 17 on trouve אָמַר ֵ ַ et en note אלי קרי ולא כתיב c.-à-d. « אֵלַי doit être lu, bien qu’il ne soit pas écrit ».

Le qeré-ketīb se rapporte toujours au texte consonantique ; il représente deux variantes du texte consonantique. Très souvent le qeré donne une leçon préférable en soi à celle du ketīb ; mais il y a des cas où le ketīb est aussi bon ou même préférable. C’est que le qeré ne prétend pas toujours donner la leçon meilleure en soi, mais meilleure d’après les manuscrits. Souvent le ketîb conserve des formes archaïques.

f Qeré perpétuel. Pour quelques mots fréquents, qui doivent être lus autrement que ne l’indique le texte consonantique, on a, par économie, omis la note marginale indiquant les consonnes du qeré. Voici ces mots :

  1. 1) Le nom divin יְהֹוָה : le qeré est אֲדֹנָי « le Seigneur », le ketīb est probablement[2] יַהְוֶה (d’après des témoignages anciens). [On remarquera que dans יְהֹוָה on a étrangement shewa simple au lieu du ḥaṭef pataḥ de אֲדֹנָי]. Si le nom יהוה est déjà précédé du mot אֲדֹנָי, on écrit יֱהֹוִה : le qeré est אֱלֹהִים. Naturellement la vocalisation des particules etc. devant יְהֹוָה suppose la prononciation du qeré אָדֹנָי : ainsi la préposition מִן devient מֵ׳ devant la gutturale : מֵֽיְהֹוָה = מֵֽאֲדֹנָי (§ 103 d). De même, p. ex., au lieu de לָ֫מָּה on dit לָמָ֫ה יְהֹוָה, à savoir לָמָ֫ה אֲדֹנָי (§ 37 d).
  2. 2) Le pronom de la 3e p. sg. f. הִוא dans le Pentateuque : le qeré est הִיא, le ketīb הוּא (§ 39 c).
  3. 3) Le substantif féminin נַֽעֲרָ fille dans le Pentateuque (au lieu du normal נַֽעֲרָה qu’on a seulement Dt 22, 19). C’est probablement une bizarrerie graphique (comme הִוא) : elle ne se trouve pas dans le Pentateuque samaritain. Il semble peu probable que נַ֫עַר ait été employé au sens de fille, car on attendrait au pluriel נְעָרִים ; or on a נְעָרוֹת (cf. Gn 24, 61 ; Ex 2, 5).
  4. 4) Pour יְרוּשָׁלִַ֫ם le qeré est יְרוּשָׁלַ֫יִם, le ketīb יְרוּשָׁלֵם Jérusalem.
  5. 5) Le nom propre Yiśśåḵår est écrit יִשָּׂשכָר pour qu’on prononce יִשָּׂכָר (Gn 30, 18 etc.).
  6. 6) Pour שְׁנֵים, שְׁתֵּים deux cf. §§ 100 c et g.

g Lectiones mixtae. Certaines formes ont une vocalisation étrange qui fait supposer que les vocalisateurs ont voulu par là indiquer deux vocalisations possibles[3]. Ainsi la vocalisation de יִֽרַדֹּף Ps 7, 6 indique qu’on peut lire soit le qal יִרְדֹּף soit le piel יְרַדֵּף. Cette hypothèse des lectiones mixtae permet d’expliquer d’une façon plausible certaines formes dont la vocalisation est, autrement, injustifiable[4].

h Il reste à signaler quelques menues particularités de notre texte massorétique, dont la signification n’est pas toujours claire, et qui du reste sont en partie négligées par les éditeurs.

  1. 1) Les points extraordinaires mis sur certaines consonnes, p. ex. Gn 16, 5 sur le yod postérieur de וּבֵינֶֽיׄךָ, ou sur des mots entiers, p. ex. Gn 33, 4. Ces points semblent toujours demander une suppression.
  2. 2) Les lettres majuscules, p. ex. Gn 1, 1 ; Ct 1, 1 ; Lev 11, 42 (ו indiquant le milieu du Pentateuque), et minuscules, p. ex. Gn 2, 4.
  3. 3) Les lettres suspendues, p. ex. Jug 18, 30 ; Ps 80, 14 (ע indiquant le milieu du Psautier).
  4. 4) Enfin certaines lettres écrites d’une façon anormale pour quelque raison subtile.

  1. Massore répond à la forme récente מַסּוֹרָה ou מָֽסוֹרָה pour מַסֹּ֫רֶת tradition, du néo-hébreu מָסַר tradere. Le mot n’a rien de commun avec מָסֹ֫רֶת d’Éz 20, 37 † « lien » pour מַֽאֲסֹ֫רֶת.
  2. Dans nos traductions, au lieu de la forme (hypothétique) Ya̦hwe̦h, nous avons employé la forme Jéhovah (d’après יְהֺוָה lu à tort ehọ̄u̯åh) qui est la forme littéraire et usuelle du français.
  3. Cf. Kautzsch, Hebr. Gramm., 27e éd. (p. V ; cette observation importante a disparu dans la 28e éd.) ; König, 1, p. 160 ; Bergsträsser, § 4 b.
  4. Cf. § 75 g תִּֽהֲלַךְ, § 89 j וְיֹלַדְתְּ, § 91 b כִּכְּרַ֫יִם.