Grammaire de l’hébreu biblique/Morphologie/Nom/Paragraphe 100
a Les noms de nombre sont, originairement, les uns des substantifs, les autres des adjectifs ; mais actuellement tous, à des degrés divers, ont une nature mixte, en partie substantivale, en partie adjectivale.
Les deux premiers nombres 1 et 2, qui ont plus que tous les autres un caractère adjectival, doivent être considérés à part. Les nombres de 3 à 10 forment un groupe homogène de substantifs collectifs. Les nombres de 11 à 19, composés de deux noms étroitement unis, dont le premier exprime l’unité et le second le nombre 10, forment un groupe dans lequel 11 et 12 (comme 1 et 2) ont des particularités. Les nombres exprimant les dizaines de 20 à 90 forment un groupe spécial.
b Nombre 1 : masc. : abs. אֶחָד, cst. אַחַ֫ד ; fém. abs. et cst. אַחַ֫ת. La forme primitive est ʾaḥad (comp. arabe ʾaḥad أَحَد). Au sing. il y a redoublement spontané du ח § 20 c. Pour le ◌ֶ de אֶחָד cf. ח § 29 f. La forme primitive du féminin ʾaḥadt est devenue par assimilation de d à t : ʾaḥatt > אַחַ֫ת (§ 17 g), avec ◌ַ final préservé par l’ancien redoublement ; en pause אֶחָ֑ת. — Pluriel : אֲחָדִים quelques, etc., sans féminin dans la Bible. La forme de l’état cst. אַחַד s’emploie aussi en fonction d’état abs. comme forme légère, p. ex. dans le nombre 11 אַחַד עָשָׂר (cf. § 129 m)[1].
c Nombre 2 : masc. : abs. שְׁנַ֫יִם (forme légère contractée שְׁנֵים[2] dans le nombre 12 שְׁנֵים עָשָׂר), cst. שְׁנֵי ; fém. שְׁתַּ֫יִם (forme légère שְׁתֵּים dans שְׁתֵּיםאעֶשְׂרֵה), cst. שְׁתֵּי. Le nombre 2 a la forme d’un duel, comme il est naturel. La forme primitive du masc. est probablement šinai̯im. Le fém. שְׁתַּ֫יִם doit se prononcer šeta̦i̯im avec תּ explosif malgré le shewa mobile qui précède (§ 19 f). La forme primitive *šintai̯im est devenue *šittai̯im ; puis, à l’analogie de שְׁנַ֫יִם (avec simple shewa initial) on a dit שְׁתַּ֫יִם avec shewa, mais en gardant au t le son explosif qu’il avait dans la forme *šittai̯im. La forme anormale est donc une forme hybride : de *šittai̯im elle a gardé le caractère explosif du t (mais non sa longueur), de שְׁנַ֫יִם elle a pris le shewa. Naturellement le תּ reste explosif quand le shewa de mobile devient moyen, p. ex. dans בִּשְׁתַּ֫יִם, בִּשְׁתֵּי.
d Nombres 3-10. Les noms pour 3-10 sont des substantifs collectifs. Chaque nombre a une double forme, masculine et féminine, qu’on peut comparer aux collectifs français un sixain, une dizaine. Une particularité très remarquable des nombres 3-10, remontant au sémitique commun, est que le collectif féminin s’emploie avec les noms masculins et le collectif masculin avec les noms féminins[3].
3 : Masc. : abs. שָׁלשׁ, cst. שְׁלשׁ ; fém. שְׁלשָׁה, cst. שְׁל֫שֶׁת. Forme primitive hébr. šalāš : l’ọ̄, bien que long, est écrit généralement defective § 7 c. L’ọ̄ long de שְׁלשָׁה devient ọ moyen dans la forme segolisée שְׁל֫שֶׁת[4] et o̦ bref dans la flexion : שְׁלָשְׁתָּם § 97 F d. Avec maqqef on trouve שְׁלֽשׁ־ et שְׁלָשׁ־.
4 : Masc. : abs. et c. אַרְבַּע ; fém. אַרְבָּעָה, c. אַרְבַּ֫עַת. Forme primitive ʾarbaʿ (cf. § 88 L a).
5 : Masc. : abs. חָמֵשׁ, c. חֲמֵשׁ ; fém. חֲמִשָּׁה, c. חֲמֵ֫שֶׁת. Forme primitive hébr. ḥamiš. La forme חֲמִשָּׁה, avec redoublement du שׁ, au lieu de la forme attendue חֲמֵשָׁה*, est probablement à l’analogie du nombre suivant שִׁשָּׁה. Pour la finale segolée ◌ֵ֫◌ֶת cf. § 89 h.
6 : Masc. : abs. et c. שֵׁשׁ ; fém. שִׁשָּׁה, c. שֵׁ֫שֶׁת. Forme primitive hébr. šidš, d’où, par assimilation, šišš > שֵׁשׁ. Pour la finale segolée ◌ֵ֫◌ֶת cf. § 89 h.
7 : Masc. : abs. et c. שֶׁ֫בַע ; fém. שִׁבְעָה, c. שִׁבְעַת. Forme primitive šabʿ. Dans p. ex. שֶׁ֫בַע הַפָּרוֹת les 7 vaches Gn 41, 20, שֶׁ֫בַע peut être à l’état cst. ; mais il peut être aussi à l’état abs. (cf. עֲשָׂרָה הַשְּׁבָטִים les 10 tribus 1 R 11, 31). La forme שְׁבַע se trouve seulement devant מֵאוֹת où il est probt état cst. (cf. שִׁבְעַת אֲלָפִים) et devant עֶשְׂרֵה où il est probt état abs.[5] (cf. שִׁבְעָה עָשָׂר). Il en est de même pour la forme תְּשַׁע (à côté de תֵּ֫שַׁע) qui se trouve seulement dans תְּשַׁע מֵאוֹת et תְּשַׁע עֶשְׂרֵה.
8 : Masc. : abs. et c. שְׁמֹנֶה ; fém. שְׁמֹנָה, c. שְׁמֹנַת. Forme primitive hébr. šamānii̯ (comp. arabe ṯamānin ثَمَانٍ). On a toujours ◌ֶ, même quand le mot est probt à l’état cst. comme dans שְׁמֹנֶה מֵאֹת. À שְׁמֹנַת opposer la forme segolisée שְׁל֫שֶׁת.
9 : Masc. : abs. et c. תֵּ֫שַׁע ; fém. תִּשְׁעָה, c. תִּשְׁעַת. Forme primitive hébr. tišʿ. Sur la forme תְּשַׁע voir שְׁבַע (supra).
10 : Masc. : abs. et c. עֶ֫שֶׂר ; fém. עֲשָׂרָה, c. עֲשֶׂ֫רֶת. La forme du masc. est un qatl tandis que celle du féminin est un qatal (dont le masc. עָשָׂר se trouve dans les nombres 11-19)[6].
e Nombres 11-19. Ces nombres sont composés de deux noms étroitement unis, dont le premier exprime l’unité et le second le nombre 10. Ainsi 11 s’exprime par un-dix. Dans ce groupe il n’y a pas subordination (génitif), mais coordination : un (et) dix. Le premier nom étant étroitement lié au second prend une forme réduite qui, le plus souvent, est semblable à la forme de l’état cst. Cependant dans les noms en ◌ָה la forme réduite (ici semblable à l’état cst.) est très rare, p. ex. חֲמֵ֫שֶׁת עָשָׂר Jug 8, 10 ; 2 S 19, 18 ; שְׁמֹנַת עָשָׂר Jug 20 25. Les nombres 3-9 employés ici comme premier élément de 13-19 sont traités comme à l’ordinaire : la forme masc. s’emploie avec les noms fém. et la forme fém. avec les noms masc. — Pour le nombre 10 on a ici deux nouvelles formes, qui sont probt adjectivales : masc. עָשָׂר, fém. עֶשְׂרֵה (avec ◌ֵ provenant de ai̯ ; opp. שְׁמֹנֶה toujours avec ◌ֶ, p. ex. dans שְׁמֹנֶה עֶשְׂרֵה בְרָכוֹת 18 bénédictions [Talmud]). Détail :
f Nombre 11 : Masc. : אַחַד עָשָׂר ; fém. אַחַת עֶשְׂרֵה. Les adjectifs אַחַד, אַחַת sont ici des formes légères, non de véritables états construits (§ b). — On trouve aussi les formes : masc. : עַשְׁתֵּי עָשָׂר ; fém. עַשְׁתֵּי עֶשְׂרֵה (comp. l’akkadien istên ešrit). Ces formes qui sont considérées par la plupart comme venant de l’akkadien seraient, d’après Brockelmann (1, 490), des formes hébraïques dialectales. La forme עַשְׁתֵּי est abrégée de עַשְׁתֵּין* (comp. שְׁנֵים עָשָׂר, שְׁנֵי עָשָׂר).
g Nombre 12 : Masc. שְׁנֵים עָשָׂר ; fém. שְׁתֵּים עֶשְׂרֵה. On trouve aussi, mais rarement : masc. : שְׁנֵי עָשָׂר ; fém. שְׁתֵּי עֶשְׂרֵה. Les formes שְׁנֵים, שְׁתֵּים sont des formes légères d’état absolu préférées ici à cause de la liaison étroite. Les formes rares שְׁנֵי, שְׁתֵּי (p.-ê. suggérées par עַשְׁתֵּי) sont encore plus réduites[7].
h Nombres 13-19 : dans ces nombres le premier élément (3-9), qui est un substantif, a le genre opposé du nom, tandis que le second élément (10) qui est un adjectif, a le même genre que le nom. On peut dire que le nombre total, p. ex. 13 est masc. ou fém. selon que le second élément est masc. (עָשָׂר), ou fém. (עֶשְׂרֵה).
Nombre masculin | Nombre féminin | |
13. | שְׁלשָׁה עָשָׂר | שְׁלשׁ עֶשְׂרֵה |
14. | אַרְבָּעָה עָשָׂר | אַרְבַּע עֶשְׂרֵה |
15. | חֲמִשָּׁה עָשָׂר | חֲמֵשׁ עֶשְׂרֵה |
16. | שִׁשָּׁה עָשָׂר | שֵׁשׁ עֶשְׂרֵה |
17. | שִׁבְעָה עָשָׂר | שְׁבַע עֶשְׂרֵה |
18. | שְׁמֹנָה עָשָׂר | שְׁמֹנֶה עֶשְׂרֵה |
19. | תִּשְׁעָה עָשָׂר | תְּשַׁע עֶשְׂרֵה |
Exemple : avec le nom masc. דָּבָר on dira שִׁבְעָה עָשָׂר דְּבָרִים 18 paroles (opp. 18 bénédictions § e fin).
i Nombres des dizaines 20-90 : 20 עֶשְׂרִים, 30 שְׁלשִׁים, 40 אַרְבָּעִים, 50 חֲמִשִּׁים, 60 שִׁשִּׁים, 70 שִׁבְעִים, 80 שְׁמֹנִים, 90 תִּשְׁעִים. Ces nombres, même 20, ont la finale du pluriel. Le nombre 20 était originairement le duel de 10, hébr. עֶשְׂרַ֫יִם* ; mais la finale ◌ִים des autres nombres a supplanté ◌ַ֫יִם. Les autres dizaines 30 etc. sont conçues comme le plur. de l’unité 3 etc. correspondante. Des formes segolées שֶׁ֫בַע, תֵּ֫שַׁע on n’a pas formé שְׁבָעִים*, תְּשָׁעִים*, mais שִׁבְעִים, תִּשְׁעִים, probablement à l’analogie de עֶשְׂרִים.
j Nombres intermédiaires 21-99. On exprime ces nombres en unissant les deux composants par la conjonction וְ et, comme en français. Le plus souvent, c’est la dizaine qui précède, p. ex. עֶשְׂרִים וְאֶחָד ; moins souvent אֶחָד וְעֶשְׂרִים[8].
k Nombre 100 : מֵאָה (fém.), cst. מְאַת ; pl. abs. מֵאוֹת (l’état cst. ne se rencontre pas)[9].
Nombre 200 : מָאתַ֫יִם, duel de מֵאָה, pour מְאָתַ֫יִם*.
Nombres des centaines 300-900 : Le nom מֵאוֹת étant féminin, les noms d’unités 3-9 ont la forme masculine ; ils se mettent à l’état cst., par ex. 300 שְׁלשׁ מֵאוֹת. Remarquer les formes שְׁבַע מֵאוֹת § d, שְׁמֹנֶה מֵאוֹת § d, תְּשַׁע מֵאוֹת § d.
l Nombre 1000 : אֶ֫לֶף (masc.) ; pl. אֲלָפִים, cst. אַלְפֵי.
Nombre 2000 : אַלְפַּ֫יִם, duel de אֶ֫לֶף ; l’état cst. serait אַלְפֵּי* (avec פּ explosif).
Nombres des mille 3000-9000 : le nom אֲלָפִים étant masculin, les noms d’unités 3-9 ont la forme féminine ; ils se mettent à l’état cst., p. ex. 3000 שְׁל֫שֶׁת אֲלָפִים.
m Nombres intermédiaires 101-9999. Exemples : 120 s’exprime par 100 et 20, moins souvent par 20 et 100 ; 324 s’exprime par 300 et 20 et 4, moins souvent par 4 et 20 et 300 ; 1222 s’exprime par 1000, 200, 20 et 2 (Esd 2, 12).
n Pour 10000, outre l’ordinaire עֲשֶׂ֫רֶת אֲלָפִים, on a les mots spéciaux רְבָבָה, רִבּוֹ, רִבּוֹא. De même pour 20000 עֶשְׂרִים אֶ֫לֶף ou רִבֹּתַ֫יִם ou שְׁתֵּי רִבּוֹת Néh 7, 70, שְׁתֵּי רִבּוֹא 7, 71 ; 40000 אַרְבַּע רִבּוֹא 7, 66 ; 60000 שֵׁשׁ־רִבֹּאות Esd 2, 69 .
Nombres intermédiaires, p. ex. 18000 שְׁמוֹנָה עָשָׂר אֶ֫לֶף 2 S 8, 13.
Nombre 100.000 : מְאַת אֶ֫לֶף Nb 2, 9 etc. ; מֵאָה אֶ֫לֶף 2 R 3, 4.
o Nombres multiplicatifs. On trouve les formes אַרְבַּעְתַּ֫יִם au quadruple 2 S 12, 6 ; שִׁבְעָתַ֫יִם au septuple Gn 4, 15, 24 ; Is 30, 26 ⸮ ; Ps 12, 7 ; 79, 12. C’est la forme féminine (laquelle est la forme principale § d N) avec une finale ◌ַ֫יִם qui a l’apparence d’un duel, mais qui en réalité est une finale adverbiale (probablement dissociée de ◌ָם cf. §§ 91 g, 102 b). Ces mots répondent d’une façon assez exacte à nos mots quadruplement, septuplement. L’obscur רִבֹּתַ֫יִם Ps 68, 18 est p.-ê. formé de la même manière[10]. Pour d’autres manières d’exprimer l’idée multiplicative, cf. § 142 q. — Pour le nombre de fois, cf. § 102 f.
- ↑ La forme aphérétique חַד d’Éz 33, 30 † est suspecte.
- ↑ Comp. אַ֫יִן et la forme légère אֵין § 160 h. — En syriaque on différencie ܠܥܰܝܢܰܘܗܺܝ à ses yeux et ܠܥܹܝܢܰܘܗܺܝ devant lui.
- ↑ On imiterait en français l’usage sémitique en disant p. ex. : une dizaine d’hommes, et un dizain de femmes. Cet usage curieux n’a pas encore été expliqué d’une façon satisfaisante. Le phénomène semble relever surtout de la psychologie linguistique, et peut-être faut-il y voir principalement une recherche esthétique de dissymétrie. C’est au fond la raison alléguée par le vieux Schultens : « non injucunda connubia » ! Une autre raison, d’ordre réflexe, c’est que la langue aura voulu mettre ainsi dans un plus grand relief le caractère substantival de ces nombres (Cf. Mélanges Beyrouth, 6, 134 sq.). — La loi en hébreu est assez stricte pour que de la forme masculine ou féminine du nombre on puisse conclure au genre fém. ou masc. du nom (cf. § 89 d). Les exceptions sont rares (p. ex. שְׁל֫שֶׁת נְשִׁים Gn 7, 13 ; שְׁל֫שֶׁת כִּכְּרוֹת לֶ֫חֶם 1 S 10, 3 ; שְׁל֫שֶׁת אַחְיֹֽתֵיהֶם Job 1, 4) et p.-ê. des fautes de copiste. — La forme principale est la forme féminine : c’est celle qui est employée, p. ex. en arabe, pour exprimer le nombre d’une façon absolue, p. ex. dans « 3 est la moitié de 6 » (cf. § o) ; on sous-entend par conséquent un nom masculin. — Sur le choix de la forme dans le cas du neutre, cf. § 152 g.
- ↑ Opposer la forme non segolisée שְׁמֹנַת (infra 8).
- ↑ Ce serait donc ici une forme réduite. De même dans les autres nombres 11-19, le premier nom avec la forme de l’état cst., p. ex. dans שְׁלשׁ עֶשְׂרֵה, serait une forme réduite, non un véritable état construit.
- ↑ Dans tous les autres nombres la forme féminine est calquée sur la forme masculine.
- ↑ Certains grammairiens voient, à tort, dans שְׁנֵים, שְׁתֵּים un qeré perpétuel : il faudrait lire שְׁנֵי, שְׁתֵּי, tandis que le ketīb devrait être vocalisé שְׁנַ֫יִם, שְׁתַּ֫יִם (cf. § 16 f).
- ↑ Pour le détail voir König, 2, p. 215 sq.
- ↑ Le ketīb מאיות 2 R 11, 4, 9, 10, 15 † se lit généralement מְאָיוֹת (comp. עֲשָׂרוֹת décades, groupes de dix) ; on pourrait aussi lire מָאיוֹת (comp. מָאתַ֫יִם). König, 2, 217 lit מֵאיוֹת.
- ↑ Cf. D. H. Müller, Die numeralia multiplicativa in den Amarnatafeln und im Hebräischen (Semitica I, 13 sq.).