L’Encyclopédie/1re édition/DECOUVERTE

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DECOUVERTE, s. f. (Philosoph.) On peut donner ce nom en général à tout ce qui se trouve de nouveau dans les Arts & dans les Sciences ; cependant on ne l’applique guere, & on ne doit même l’appliquer, qu’à ce qui est non-seulement nouveau, mais en même tems curieux, utile, & difficile à trouver, & qui par conséquent a un certain degré d’importance. Les découvertes moins considérables s’appellent seulement inventions. Voyez Découvrir.

Au reste il n’est pas nécessaire pour une découverte que l’objet en soit tout à la fois utile, curieux, & difficile ; les découvertes qui réunissent ces trois qualités sont à la vérité du premier ordre ; il en est d’autres qui n’ont pas ces trois avantages à la fois ; mais il est nécessaire qu’elles en ayent au moins un. Par exemple, la découverte de la boussole est une chose très-utile, mais qui a pû être faite par hasard, & qui ne suppose par conséquent aucune difficulté vaincue. La découverte de la commotion électrique (voyez Coup foudroyant) est une découverte très-curieuse, mais qui a été faite aussi comme par hasard, qui par conséquent n’a pas demandé de grands efforts, & qui d’un autre côté n’a pas été jusqu’à présent fort utile. La découverte de la quadrature du cercle supposeroit une grande difficulté vaincue ; mais cette découverte ne seroit pas rigoureusement utile dans la pratique, parce que les approximations suffisent, & qu’on a des méthodes d’approximation aussi exactes qu’il est nécessaire. Voyez Quadrature.

Observons cependant que dans une découverte dont le principal mérite est la difficulté vaincue, il faut que l’utilité au moins possible s’y joigne, ou du moins la singularité : la quadrature du cercle dont nous venons de parler seroit dans ce dernier cas ; ce seroit une découverte difficile & singuliere, parce qu’il y a long-tems qu’on la cherche.

Les découvertes, suivant ce que nous venons de dire, sont donc le fruit du hasard ou du génie : elles sont souvent le fruit du hasard dans les choses de pratique, comme dans les Arts & Métiers ; c’est sans doute pour cette raison que les inventeurs des choses les plus utiles dans les Arts nous sont inconnus, parce que le plus souvent ces choses se sont offertes à des gens qui ne les cherchoient pas, & qu’ainsi le mérite de les avoir trouvées n’ayant point frappé, l’invention est restée sans qu’on se souvînt de l’inventeur. A cette raison on pourroit encore en joindre une autre ; c’est que la plûpart des choses qui ont été trouvées dans les Arts, ne l’ont été que peu-à-peu ; qu’une découverte a été le résultat des efforts successifs de plusieurs artistes, dont chacun a ajoûté quelque chose à ce qui avoit été trouvé avant lui, de maniere qu’on ne sait proprement à qui l’attribuer. Ajoûtez enfin à ces deux raisons, que les Artistes pour l’ordinaire n’écrivent point, & que la plûpart des gens de lettres qui écrivent, uniquement occupés de leur objet, ne prennent pas un intérêt bien vif à constater les découvertes des autres.

Les découvertes faites par le génie ont lieu principalement dans les Sciences de raisonnement : je ne veux pas dire par-là que le génie ne découvre aussi dans les Arts, je veux dire seulement que le hasard, en matiere de Sciences, découvre pour l’ordinaire moins que le génie. Cependant les Sciences ont aussi des découvertes de pur hasard : par exemple, l’attraction du fer par l’aimant ne pouvoit pas se deviner, ni par elle-même, ni par aucune analogie ; il a fallu qu’on approchât par hasard une pierre d’aimant d’un morceau de fer, pour voir qu’elle l’attiroit. En général on peut dire en matiere de Physique, que nous devons au hasard la connoissance de beaucoup de faits. Il y a aussi dans les Sciences des découvertes, qui sont tout-à-la-fois le fruit du génie ou du hasard ; c’est lorsqu’en cherchant une chose, & employant pour cela différens moyens que le génie suggere, on trouve une autre chose qu’on ne cherchoit pas. Ainsi plusieurs chimistes en cherchant à faire certaines découvertes, & en imaginant pour cela différens procédés composés & subtils, ont trouvé des vérités singulieres auxquelles ils ne s’attendoient point. Il n’y a aucune science où cela n’arrive. Plusieurs géometres, par exemple, en cherchant la quadrature du cercle, qu’ils ne trouvoient pas, ont trouvé par hasard de beaux théorèmes, & d’un grand usage. De pareilles découvertes sont une espece de bonheur ; mais c’est un bonheur qui n’arrive qu’à ceux qui le méritent ; & si on a dit qu’une repartie fine & faite à propos étoit la bonne fortune d’un homme d’esprit, on peut appeller une découverte de l’espece dont il s’agit la bonne fortune d’un homme de génie : nous rappellerons à cette occasion ce que le roi Guillaume disoit du maréchal de Luxembourg si souvent son vainqueur : Il est trop heureux pour n’être que cela.

Les découvertes qui sont le fruit du génie (& c’est de celles-là sur-tout qu’il doit être question) se font de trois manieres ; ou en trouvant une ou plusieurs idées entierement nouvelles, ou en joignant une idée nouvelle à une idée connue, ou en réunissant deux idées connues. La découverte de l’Arithmétique semble avoir été de la premiere espece ; car l’idée de représenter tous les nombres par neuf chiffres, & sur-tout d’y ajoûter le zéro, ce qui en détermine la valeur, & donne le moyen de faire d’une maniere abregée les opérations du calcul ; cette idée, dis-je, paroît avoir été absolument neuve & originale, & a pû n’être occasionnée par aucune autre ; c’est un coup de génie qui a produit pour ainsi dire subitement toute une science à la fois. La découverte de l’Algebre semble être de la seconde espece : en effet c’étoit une idée absolument nouvelle, que de représenter toutes les quantités possibles par des caracteres généraux, & d’imaginer le moyen de calculer ces quantités, ou plûtôt de les présenter sous l’expression la plus simple que leur état de généralité puisse comporter. Voyez Arithmétique universelle, & le Discours préliminaire du I. Volume. Mais pour remplir absolument cette idée, il falloit y joindre le calcul déjà connu des nombres ou de l’Arithmétique ; car ce calcul est presque toûjours nécessaire dans les opérations algébriques, pour réduire les quantités à leur expression la plus simple. Enfin la découverte de l’application de l’Algebre à la Géométrie est de la troisieme espece ; car cette application a pour fondement principal la méthode de représenter les courbes par des équations à deux variables. Or quel raisonnement a-t-il fallu faire pour trouver cette maniere de représenter les courbes ? Le voici : une courbe, a-t-on dit, suivant l’idée qu’on en a toûjours eûe, est le lieu d’une infinité de points qui satisfont à un même problème. Voyez Courbe. Or un problème qui a une infinité de solutions est un problème indéterminé ; & l’on sait qu’un problème indéterminé en Algebre est représenté par une équation à deux variables. Voyez Equation. Donc on peut se servir d’une équation à deux variables pour représenter une courbe. Voilà un raisonnement dont les deux prémisses, comme l’on voit, étoient connues ; il semble que la conséquence étoit aisée à tirer : cependant Descartes est le premier qui ait tiré cette conséquence : c’est qu’en matiere de découvertes le dernier pas, quoique facile à faire en apparence, est souvent celui qu’on fait le plus tard. La découverte du calcul différentiel est à-peu-près dans le même cas que celle de l’application de l’Algebre à la Géométrie. Voyez Différentiel, Application, & Géométrie.

Au reste les découvertes qui consistent dans la réunion de deux idées dont aucune n’est nouvelle, ne doivent être regardées comme des découvertes, que quand il en résulte quelque chose d’important, ou quand cette réunion étoit difficile à faire. On peut remarquer aussi que souvent une découverte consiste dans la réunion de deux ou plusieurs idées, dont chacune en particulier étoit ou sembloit être stérile, quoiqu’elle eût beaucoup coûté aux inventeurs. Ceux-ci pourroient dire en ce cas de l’auteur de la découverte, sic vos non nobis ; mais ils ne seroient pas toûjours en droit d’ajoûter, tulit alter honores : car la véritable gloire est à celui qui acheve, quoique la peine soit souvent pour ceux qui commencent. Les Sciences sont un grand édifice auquel plusieurs personnes travaillent de concert : les uns à la sueur de leur corps tirent la pierre de la carriere ; d’autres la traînent avec effort jusqu’au pié du bâtiment ; d’autres l’élevent à force de bras & de machines ; mais l’architecte qui la met en œuvre & en place a tout le mérite de la construction.

En matiere d’érudition les découvertes proprement dites sont rares, parce que les faits qui sont l’objet de l’érudition ne se devinent & ne s’inventent pas, & que ces faits par conséquent doivent être déjà écrits par quelqu’auteur. Cependant on peut donner le nom de découverte, par exemple, à l’explication solide & ingénieuse de quelque monument antique qui auroit jusqu’alors inutilement exercé les savans ; à la preuve & à la discussion d’un fait singulier ou important jusqu’alors inconnu ou disputé ; & ainsi du reste. Voyez Dechiffrer.

Il paroît que les deux seules sciences qui ne soient pas susceptibles de découvertes d’aucune espece, sont la Théologie & la Métaphysique : la premiere, parce que les objets de la révélation sont fixés depuis la naissance du Christianisme, & que tout ce que les Théologiens y ont ajoûté d’ailleurs se réduit à de purs systèmes plus ou moins heureux, mais sur lesquels on est libre de se diviser, tels que les systèmes pour expliquer l’action de la grace, & tant d’autres objets ; matiere perpétuelle de disputes, & quelquefois de troubles. A l’égard de la Métaphysique, si on en ôte un petit nombre de vérités connues & démontrées depuis long-tems, tout le reste est aussi purement contentieux. D’ailleurs, les hommes ayant toûjours eu le même fond de sentimens & d’idées primitives, les combinaisons en doivent être bien-tôt épuisées. En Métaphysique les faits sont pour ainsi dire au-dedans de chacun ; un peu d’attention suffit pour les y voir : en Physique au contraire, comme ils sont hors de nous, il faut d’ordinaire plus de sagacité pour les découvrir ; & quelquefois même en combinant des corps d’une maniere nouvelle, on peut créer pour ainsi dire des faits entierement nouveaux : telles sont, par exemple, plusieurs expériences de l’électricité, plusieurs manœuvres de Chimie, &c. Je ne prétends pas conclure de-là qu’il y ait peu de mérite à écrire clairement sur la Métaphysique ; Locke & l’auteur du traité des systèmes suffiroient pour prouver le contraire : & on pourroit leur appliquer le passage d’Horace, difficile est propriè communia dicere, il est difficile de se rendre propre ce qui semble être à tout le monde. (O)

Découverte, (Marine.) être à la découverte, se dit d’un matelot qu’on met dans la hune ou haut du mât pour découvrir de loin en mer. (Z)