L’Encyclopédie/1re édition/APPLICATION

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APPLICATION, s. f. action par laquelle on applique une chose sur une autre ; l’application d’un remede sur une partie malade.

Il se dit aussi de l’adaptation des particules nourricieres en place de celles qui se sont perdues. Voyez Nutrition. (L)

Application, c’est l’action d’appliquer une chose à une autre, en les approchant, ou en les mettant l’une auprès de l’autre.

On définit le mouvement, l’application successive d’un corps aux différentes parties de l’espace Voyez Mouvement.

On entend quelquefois en Géométrie par application, ce que nous appellons en Arithmétique division. Ce mot est plus d’usage en Latin qu’en François : applicare 6 ad 3, est la même chose que diviser 6 par 3. Voyez Division.

Application, se dit encore de l’action de poser ou d’appliquer l’une sur l’autre deux figures planes égales ou inégales.

C’est par l’application ou superposition qu’on démontre plusieurs propositions fondamentales de la Géométrie élémentaire ; par exemple, que deux triangles qui ont une même base & les mêmes angles à la base, sont égaux en tout ; que le diametre d’un cercle le divise en deux parties parfaitement égales ; qu’un quarré est partagé par sa diagonale en deux triangles égaux & semblables, &c. Voyez Superposition.

Application d’une science à une autre, en général, se dit de l’usage qu’on fait des principes & des vérités qui appartiennent à l’une pour perfectionner & augmenter l’autre.

En général, il n’est point de science ou d’art qui ne tiennent en partie à quelqu’autre. Le Discours préliminaire qui est à la tête de cet Ouvrage, & les grands articles de ce Dictionnaire, en fournissent par-tout la preuve.

Application de l’Algebre ou de l’Analyse à la Géométrie. L’Algebre étant, comme nous l’avons dit à son article, le calcul des grandeurs en général, & l’Analyse l’usage de l’Algebre pour découvrir les quantités inconnues ; il étoit naturel qu’après avoir découvert l’Algebre & l’Analyse, on songeât à appliquer ces deux sciences à la Géométrie, puisque les lignes, les surfaces, & les solides dont la Géométrie s’occupe, sont des grandeurs mesurables & comparables entr’elles, & dont on peut par conséquent assigner les rapports. Voyez Arithmétique universelle. Cependant jusqu’à M. Descartes, personne n’y avoit pensé, quoique l’Algebre eût déjà fait d’assez grands progrès, sur-tout entre les mains de Viete. Voyez Algebre. C’est dans la Géométrie de M. Descartes que l’on trouve pour la premiere fois l’application de l’Algebre à la Géométrie, ainsi que des méthodes excellentes pour perfectionner l’Algebre même : ce grand génie a rendu par là un service immortel aux Mathématiques, & a donné la clé des plus grandes découvertes qu’on pût espérer de faire dans cette science.

Il a le premier appris à exprimer par des équations la nature des courbes, à résoudre par le secours de ces mêmes courbes, les problèmes de Géométrie ; enfin à démontrer souvent les théorèmes de Géométrie par le secours du calcul algébrique, lorsqu’il seroit trop pénible de les démontrer autrement en se servant des méthodes ordinaires. On verra aux articles Construction, Equation, Courbe en quoi consiste cette application de l’Algebre à la Géométrie. Nous ignorons si les anciens avoient quelque secours semblable dans leurs recherches : s’ils n’en ont pas eu, on ne peut que les admirer d’avoir été si loin sans ce secours. Nous avons le traité d’Archimede sur les spirales, & ses propres démonstrations ; il est difficile de savoir si ces démonstrations exposent précisément la méthode par laquelle il est parvenu à découvrir les propriétés des spirales ; ou si après avoir trouvé ces propriétés par quelque méthode particuliere, il a eu dessein de cacher cette méthode par des démonstrations embarrassées. Mais s’il n’a point en effet suivi d’autre méthode que celle qui est contenue dans ces démonstrations mêmes, il est étonnant qu’il ne se soit pas égaré ; & on ne peut donner une plus grande preuve de la profondeur & de l’étendue de son génie : car Bouillaud avoue qu’il n’a pas entendu les démonstrations d’Archimede, & Viete les a injustement accusées de paralogisme.

Quoiqu’il en soit, ces mêmes démonstrations qui ont coûté tant de peine à Bouillaud & à Viete, & peut-être tant à Archimede, peuvent aujourd’hui être extrèmement facilitées par l’application de l’Algebre à la Géométrie. On en peut dire autant de tous les ouvrages géométriques des Anciens, que presque personne ne lit par la facilité que donne l’Algebre de réduire leurs démonstrations à quelques lignes de calcul.

Cependant M. Newton qui connoissoit mieux qu’un autre tous les avantages de l’Analyse dans la Géométrie, se plaint en plusieurs endroits de ses ouvrages de ce que la lecture des anciens Géometres est abandonnée.

En effet, on regarde communément la méthode dont les anciens se sont servis dans leurs livres de Géométrie, comme plus rigoureuse que celle de l’Analyse ; & c’est principalement sur cela que sont fondées les plaintes de M. Newton, qui craignoit que par l’usage trop fréquent de l’Analyse, la Géométrie ne perdît cette rigueur qui caractérise ses démonstrations. On ne peut nier que ce grand homme ne fût fondé, au moins en partie, à recommander jusqu’à un certain point, la lecture des anciens Géometres. Leurs démonstrations étant plus difficiles, exercent davantage l’esprit, l’accoûtument à une application plus grande, lui donnent plus d’étendue, & le forment à la patience & à l’opiniâtreté si nécessaires pour les découvertes. Mais il ne faut rien outrer ; & si on s’en tenoit à la seule méthode des anciens, il n’y a pas d’apparence que, même avec le plus grand genie, on pût faire dans la Géométrie de grandes découvertes, ou du moins en aussi grand nombre qu’avec le secours de l’Analyse. A l’égard de l’avantage qu’on veut donner aux démonstrations faites à la maniere des anciens, d’être plus rigoureuses que les démonstrations analytiques ; je doute que cette prétension soit bien fondée. J’ouvre les Principes de Newton : je vois que tout y est démontré à la maniere des anciens, mais en même tems je vois clairement que Newton a trouvé ses théorèmes par une autre methode que celle par laquelle il les démontre, & que ses démonstrations ne sont proprement que des calculs analytiques qu’il a traduits & déguisés, en substituant le nom des lignes à leur valeur algébrique. Si on prétend que les démonstrations de Newton sont rigoureuses, ce qui est vrai ; pourquoi les traductions de ces démonstrations en langage algébrique ne seroient-elles pas rigoureuses aussi ? Que j’appelle une ligne AB, ou que je la désigne par l’expression algébrique a, quelle différence en peut-il résulter pour la certitude de la démonstration ? A la vérité la derniere dénomination a cela de particulier, que quand j’aurai désigné toutes les lignes par des caracteres algébriques, je pourrai faire sur ces caracteres beaucoup d’opérations, sans songer aux lignes ni à la figure : mais cela même est un avantage ; l’esprit est soulagé : il n’a pas trop de toutes ses forces pour résoudre certains problèmes, & l’Analyse les épargne autant qu’il est possible ; il suffit de savoir que les principes du calcul sont certains, la main calcule en toute sûreté, & arrive presque machinalement à un résultat qui donne le théorème ou le problème que l’on cherchoit, & auquel sans cela l’on ne seroit point parvenu, ou l’on ne seroit arrivé qu’avec beaucoup de peine. Il ne tiendra qu’à l’Analyste de donner à sa démonstration ou à sa solution la rigueur prétendue qu’on croit lui manquer ; il lui suffira pour cela de traduire la démonstration dans le langage des anciens, comme Newton a fait les siennes. Qu’on se contente donc de dire, que l’usage trop fréquent & trop facile de l’Analyse peut rendre l’esprit paresseux, & on aura raison, pourvû que l’on convienne en même tems de la nécessité absolue de l’Analyse pour un grand nombre de recherches : mais je doute fort que cet usage rende les démonstrations mathématiques moins rigoureuses. On peut regarder la méthode des anciens, comme une route difficile, tortueuse, embarrassée, dans laquelle le Géometre guide ses lecteurs : l’Analyste, placé à un point de vûe plus élevé, voit, pour ainsi-dire, cette route d’un coup d’œil ; il ne tient qu’à lui d’en parcourir tous les sentiers, d’y conduire les autres, & de les y arrêter aussi long-tems qu’il le veut.

Au reste, il y a des cas où l’usage de l’Analyse, loin d’abréger les démonstrations, les rendroit au contraire plus embarrassées. De ce nombre sont entr’autres plusieurs problemes ou théorèmes, où il s’agit de comparer des angles entr’eux. Ces angles ne sont exprimables analytiquement que par leurs sinus, & l’expression des sinus des angles est souvent compliquée ; ce qui rend les constructions & les démonstrations difficiles en se servant de l’Analyse. Au reste, c’est aux grands Géometres à savoir quand ils doivent faire usage de la méthode des anciens, ou lui préférer l’Analyse. Il seroit difficile de donner sur cela des regles exactes & générales.

Application de la Géométrie à l’Algebre. Quoiqu’il soit beaucoup plus ordinaire & plus commode d’appliquer l’Algebre à la Géométrie, que la Géométrie à l’Algebre ; cependant cette derniere application a lieu en certains cas. Comme on représente les lignes géométriques par des lettres, on peut quelquefois représenter par des lignes les grandeurs numériques que des lettres expriment, & il peut même dans quelques occasions en résulter plus de facilité pour la démonstration de certains théoremes, ou la résolution de certains problèmes. Pour en donner un exemple simple, je suppose que je veuille prendre le quarré de a + b ; je puis par le calcul algébrique démontrer que ce quarré contient le quarré de a, plus celui de b, plus deux fois le produit de a par b. Mais je puis aussi démontrer cette proposition en me servant de la Géométrie. Pour cela, je n’ai qu’à faire un quarré, dont je partagerai la base & la hauteur chacune en deux parties, d’ont j’appellerai l’une a, & l’autre b ; ensuite tirant par les points de division des lignes paralleles aux côtés du quarré, je diviserai ce quarré en quatre surfaces, dont on verra au premier coup d’œil, que l’une sera le quarré de a, une autre celui de b, & les deux autres seront chacune un rectangle formé de a & de b ; d’où il s’ensuit que le quarré du binome a + b contient le quarré de chacune des deux parties, plus deux fois le produit de la premiere par la seconde. Cet exemple très simple & à la portée de tout le monde, peut servir à faire voir comment on applique la Géométrie à l’Algebre, c’est-à-dire, comment on peut se servir quelquefois de la Géométrie pour démontrer les théoremes d’Algebre.

Au reste, l’application de la Géométrie à l’Algebre, n’est pas si nécessaire dans l’exemple que nous venons de rapporter, que dans plusieurs autres, trop compliqués pour que nous en fassions ici une énumération fort étendue. Nous nous contenterons de dire, que la considération, par exemple, des courbes de genre parabolique, & du cours de ces courbes par rapport à leur axe, est souvent utile pour démontrer aisément plusieurs théoremes sur les équations & sur leurs racines. Voyez entr’autres, l’usage que M. l’abbé de Gua a fait de ces sortes de courbes, Mém. Acad. 1741, pour démontrer la fameuse regle de Descartes sur le nombre des racines des équations. Voyez Parabolique, Construction, &c.

On peut même quelquefois appliquer la Géométrie à l’Arithmétique, c’est-à-dire, se servir de la Géométrie, pour démontrer plus aisément sans Analyse & d’une maniere générale, certains théorèmes d’Arithmétique ; par exemple, que la suite des nombres impairs 1, 3, 5, 7, 9, &c. ajoûtés successivement, donne la suite des quarrés 1, 4, 9, 16, 25, &c.

Pour cela, faites un triangle rectangle ABE (fig. 65. Méchan.) dont un côté soit horisontal, & l’autre vertical (je les désigne par horisontal & vertical pour fixer l’imagination) : divisez le côté vertical AB en tant de parties égales que vous voudrez, & par les points de division 1, 2, 3, 4, &c. menez les paralleles 1 f. 2 g, &c. à BE ; vous aurez d’abord le petit triangle A 1 f, ensuite le trapeze 1 fg 2, qui vaudra trois fois ce triangle, puis un troisieme trapeze 2 gh 3, qui vaudra cinq fois le triangle. De sorte que les espaces terminés par ces paralleles 1 f, 2 g. &c. seront représentés par les nombres suivans, 1, 3, 5, 7, &c. en commençant par le triangle A 1 f, & designant ce triangle par 1, 5.

Or les sommes de ces espaces seront les triangles A 1 f, A 2 g, A 3 h, &c. qui sont comme les quarrés des côtés A 1, A 2, A 3, c’est-à-dire, comme 1, 4, 9, &c. donc la somme des nombres impairs donne la somme des nombres quarrés. On peut sans doute démontrer cette proposition algébriquement : mais la démonstration précédente peut satisfaire ceux qui ignorent l’Algebre. Voyez Accélération.

Application de la Géométrie & de l’Algebre à la Méchanique. Elle est fondée sur les mêmes principes que l’application de l’Algebre à la Géométrie. Elle consiste principalement à représenter par des équations les courbes que décrivent les corps dans leur mouvement, à déterminer l’équation entre les espaces que les corps décrivent (lorsqu’ils sont animés par des forces quelconques), & le tems qu’ils employent à parcourir ces espaces, &c. On ne peut, à la vérité, comparer ensemble deux choses d’une nature différente, telles que l’espace & le tems : mais on peut comparer le rapport des parties du tems avec celui des parties de l’espace parcouru. Le tems, par sa nature, coule uniformément. & la méchanique suppose cette uniformité. Du reste, sans connoître le tems en lui-même, & sans en avoir de mesure précise, nous ne pouvons représenter plus clairement le rapport de ses parties, que par celui des parties d’une ligne droite indéfinie. Or l’analogie qu’il y a entre le rapport des parties d’une telle ligne, & celui des parties de l’espace parcouru par un corps qui se meut d’une maniere quelconque, peut toûjours être exprimé par une équation. On peut donc imaginer une courbe, dont les abscisses représentent les portions du tems écoulé depuis le commencement du mouvement ; les ordonnées correspondantes désignant les espaces parcourus durant ces portions de tems. L’équation de cette courbe exprimera, non le rapport des tems aux espaces, mais, si on peut parler ainsi, le rapport du rapport que les parties de tems ont à leur unité, à celui que les parties de l’espace parcouru ont à la leur ; car l’equation d’une courbe peut être considérée, ou comme exprimant le rapport des ordonnées aux abscisses, ou comme l’équation entre le rapport que les ordonnées ont à leur unité, & celui que les abscisses correspondantes ont à la leur.

Il est donc évident que par l’application seule de la Géométrie & du calcul, on peut, sans le secours d’aucun autre principe, trouver les propriétés générales du mouvement, varié suivant une loi quelconque. On peut voir à l’article Accélération un exemple de l’application de la Géométrie à la Méchanique ; les tems de la descente d’un corps pesant y sont représentés par l’abscisse d’un triangle, les vîtesses par les ordonnées, (Voyez Abscisse & Ordonnée) & les espaces parcourus par l’aire des parties du triangle. Voyez Trajectoire, Mouvement, Tems, &c.

Application de la Méchanique à la Géométrie. Elle consiste principalement dans l’usage qu’on fait quelquefois du centre de gravité des figures, pour déterminer les solides qu’elles forment. V Centre de gravité.

Application de la Géométrie & de l’Astronomie à la Géographie. Elle consiste en trois choses. 1°. A déterminer par les opérations géométriques & astronomiques la figure du globe que nous habitons. Voyez Figure de la Terre, & Degré, &c. 2°. A trouver par l’observation des longitudes & des latitudes la position des lieux. V. Longitude & Latitude. 3°. A déterminer par des opérations géométriques, la position des lieux peu éloignés l’un de l’autre. Voyez Carte.

L’Astronomie & la Géométrie sont aussi d’un grand usage dans la navigation. V. Navigation, &c.

Application de la Géométrie & de l’Analyse à la Physique. C’est à M. Newton qu’on la doit, comme on doit à M. Descartes l’application de l’Algebre à la Géométrie. Elle est fondée sur les mêmes principes que l’application de l’Algebre à la Géométrie. La plûpart des proprietés des corps ont entr’elles des rapports plus ou moins marqués que nous pouvons comparer, & c’est à quoi nous parvenons par la Géométrie, & par l’Analyse ou Algebre. C’est sur cette application que sont fondées toutes les sciences physico-mathématiques. Une seule observation ou expérience donne souvent toute une science. Supposez, comme on le sait par l’expérience, que les rayons de lumiere se réfléchissent en faisant l’angle d’incidence égal à l’angle de réflexion, vous aurez toute la Catoptrique. V. Catoptrique. Cette expérience une fois admise, la Catoptrique devient une science purement géométrique, puisqu’elle se réduit à comparer des angles & des lignes données de position. Il en est de même d’une infinité d’autres. En général, c’est par le secours de la Géométrie & de l’Analyse, que l’on parvient à déterminer la quantité d’un effet qui dépend d’un autre effet mieux connu. Donc cette science nous est presque toûjours nécessaire dans la comparaison & l’examen des faits que l’expérience nous decouvre. Il faut avoüer cependant que les différens sujets de Physique ne sont pas également susceptibles de l’application de la Géométrie. Plusieurs expériences, telles que celles de l’aimant, de l’électricité, & une infinité d’autres, ne donnent aucune prise au calcul ; en ce cas il faut s’abstenir de l’y appliquer. Les Géometres tombent quelquefois dans ce défaut, en substituant des hypotheses aux expériences, & calculant en conséquence : mais ces calculs ne doivent avoir de force qu’autant que les hypotheses sur lesquelles ils sont appuyés, sont conformes à la nature ; & il faut pour cela que les observations les confirment, ce qui par malheur n’arrive pas toûjours. D’ailleurs quand les hypotheses seroient vraies, elles ne sont pas toûjours suffisantes. S’il y a dans un effet un grand nombre de circonstances dûes à plusieurs causes qui agissent à la fois, & qu’on se contente de considérer quelques-unes de ces causes, parce qu’étant plus simples, leur effet peut être calculé plus aisément ; on pourra bien par cette méthode avoir l’effet partiel de ces causes : mais cet effet sera fort différent de l’effet total, qui résulte de la réunion de toutes les causes.

Application de la Méthode géométrique à la Métaphysique. On a quelquefois abusé de la Géométrie dans la Physique, en appliquant le calcul des propriétés des corps à des hypotheses arbitraires. Dans les Sciences qui ne peuvent par leur nature être soûmises à aucun calcul, on a abusé de la méthode des Géometres, parce qu’on ne pouvoit abuser que de la méthode. Plusieurs ouvrages métaphysiques, qui ne contiennent souvent rien moins que des vérités certaines, ont été exécutés à la maniere des Géometres ; & on y voit à toutes les pages les grands mots d’axiome, de théorème, de corollaire, &c.

Les auteurs de ces ouvrages se sont apparemment imaginés que de tels mots faisoient par quelque vertu secrete l’essence d’une démonstration, & qu’en écrivant à la fin d’une proposition, ce qu’il falloit démontrer, ils rendroient démontré ce qui ne l’étoit pas. Mais ce n’est point à cette méthode que la Géométrie doit sa certitude, c’est à l’évidence & à la simplicité de son objet ; & comme un livre de Géométrie pourroit être très-bon en s’écartant de la forme ordinaire, un livre de Métaphysique ou de Morale peut souvent être mauvais en suivant la méthode des Géometres. Il faut même se défier de ces sortes d’ouvrages ; car la plûpart des prétendues démonstrations n’y sont fondées que sur l’abus des mots. Ceux qui ont réfléchi sur cette matiere, savent combien l’abus des mots est facile & ordinaire, sur-tout dans les matieres métaphysiques. C’est en quoi on peut dire que les Scholastiques ont excellé ; & on ne sauroit trop regretter qu’il n’ayent pas fait de leur sagacité un meilleur usage.

Application de la Métaphysique à la Géométrie. On abuse quelquefois de la Métaphysique en Géométrie, comme on abuse de la méthode des Géometres en Métaphysique. Ce n’est pas que la Géométrie n’ait, comme toutes les autres Sciences, une métaphysique qui lui est propre ; cette métaphysique est même certaine & incontestable, puisque les propositions géométriques qui en résultent, sont d’une évidence à laquelle on ne sauroit se refuser. Mais comme la certitude des Mathématiques vient de la simplicité de son objet, la Métaphysique n’en sauroit être trop simple & trop lumineuse : elle doit toûjours se réduire à des notions claires, précises & sans aucune obscurité. En effet, comment les conséquences pourroient-elles être certaines & évidentes, si les principes ne l’étoient pas ? Cependant quelques Auteurs ont crû pouvoir introduire dans la Géometrie une métaphysique souvent assez obscure, & qui pis est, démontrer par cette métaphysique des vérités dont on étoit déjà certain par d’autres principes. C’étoit le moyen de rendre ces vérités douteuses, si elles avoient pû le devenir. La Géométrie nouvelle a principalement donné occasion à cette mauvaise méthode. On a cru que les infiniment petits qu’elle considere, étoient des quantités réelles ; on a voulu admettre des infinis plus grands les uns que les autres ; on a reconnu des infiniment petits de différens ordres, en regardant tout cela comme des réalités ; au lieu de chercher à réduire ces suppositions & ces calculs à des notions simples. Voyez Differentiel, Infini & Infiniment petit.

Un autre abus de la Métaphysique en Géométrie, consiste à vouloir se borner dans certains cas à la Métaphysique pour des démonstrations géométriques. En supposant même que les principes métaphysiques dont on part, soient certains & évidens, il n’y a guere de propositions géométriques qu’on puisse démontrer rigoureusement avec ce seul secours ; presque toutes demandent, pour ainsi dire, la toise & le calcul. Cette maniere de démontrer est bien matérielle, si l’on veut : mais enfin c’est presque toûjours la seule qui soit sûre. C’est la plume à la main, & non pas avec des raisonnemens métaphysiques, qu’on peut faire des combinaisons & des calculs exacts.

Au reste, cette derniere métaphysique dont nous parlons, est bonne jusqu’à un certain point, pourvû qu’on ne s’y borne pas : elle fait entrevoir les principes des découvertes ; elle nous fournit des vûes ; elle nous met dans le chemin : mais nous ne sommes bien sûrs d’y être, si on peut s’exprimer de la sorte, qu’après nous être aidés du bâton du calcul, pour connoitre les objets que nous n’entrevoyions auparavant que confusément.

Il semble que les grands Géometres devroient être toûjours excellens Métaphysiciens, au moins sur les objets de leur science : cela n’est pourtant pas toûjours. Quelques Géometres ressemblent à des personnes qui auroient le sens de la vûe contraire à celui du toucher : mais cela ne prouve que mieux combien le calcul est nécessaire pour les vérités géométriques. Au reste je crois qu’on peut du moins assûrer qu’un Géometre qui est mauvais Métaphysicien sur les objets dont il s’occupe, sera à coup sur Métaphysicien détestable sur le reste. Ainsi la Géométrie qui mesure les corps, peut servir en certains cas à mesurer les esprits même.

Application d’une chose à une autre, en général se dit, en matiere de Science ou d’Art, pour désigner l’usage dont la premiere est, pour connoître ou perfectionner la seconde. Ainsi l’application de la cycloïde aux pendules, signifie l’usage qu’on a fait de la cycloïde pour perfectionner les pendules, Voyez Pendule, Cycloïde, &c. & ainsi d’une infinité d’autres exemples. (O)

Application, se dit particulierement, en Théologie, de l’action par laquelle notre Sauveur nous transfere ce qu’il a mérité par sa vie & par sa mort. Voyez Imputation.

C’est par cette application des mérites de Jesus-Christ que nous devons être justifiés, & que nous pouvons prétendre à la grace & à la gloire éternelle. Les Sacremens sont les voies ou les instrumens ordinaires par lesquels se fait cette application, pourvû qu’on les recoive avec les dispositions qu’exige le saint concile de Trente dans la vj. session. (G)