L’Encyclopédie/1re édition/FUREUR

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* FUREUR, s. f. (Gramm. & Moral.) il se dit au singulier des passions violentes : c’en est le degré extrème ; il aime à la fureur. Mais il est propre à la colere. Au plurier, l’acception du terme change un peu. Il paroît marquer plutôt les effets de la passion que son degré ; exemple, les fureurs de la jalousie, les fureurs d’Oreste. On dit par métaphore que la mer entre en fureur ; c’est lorsqu’on voit ses eaux s’agiter, se gonfler, & qu’on les entend mugir au loin. Quand on dit la fureur des vents, on les regarde comme des êtres animés & violens. Il y a une fureur particuliere qu’on appelle fureur poétique ; c’est l’enthousiasme, voyez Enthousiasme. Il semble que l’artiste devroit concevoir cette fureur avec d’autant plus de force & de facilité, que son génie est moins contraint par les regles. Cela supposé, l’homme de génie qui converse, deviendroit plus aisément enthousiaste que l’orateur qui écrit, & celui-ci plus aisément encore que le poëte qui compose. Le musicien qui tient un instrument, & qui le fait résonner sous ses doigts, seroit plus voisin de cette espece d’ivresse, que le peintre qui est devant une toile muette. Mais l’enthousiasme n’appartient pas également à tous ces genres, & c’est la raison pour laquelle la chose n’est pas comme on croiroit d’abord qu’elle doit être. Il est plus essentiel au musicien d’être enthousiaste qu’au poëte, au poëte qu’au peintre, au peintre qu’à l’orateur, & à l’orateur qu’à l’homme qui converse. L’homme qui converse ne doit pas être froid, mais il doit être tranquille.

Fureur, (Mythol.) divinité allégorique du genre masculin chez les Romains, parce que furor dans la langue latine est de ce genre. Les Poëtes représentent ce dieu allégorique, la tête teinte de sang, le visage déchiré de mille plaies, & couvert d’un casque tout sanglant ; ce dieu, ajoûtent-ils, est enchaîné pendant la paix, les mains liées derriere le dos, assis sur un amas d’armes, frémissant de rage, & pendant la guerre ravageant tout, après avoir rompu ses chaînes. Voici la description qu’en fait Petrone dans son poëme de la guerre civile entre César & Pompée.

. . . . . . abruptis ceu liber habenis,
Sanguineum latè tollit caput, ora. . . mille
Vulneribus confossa cruenda casside velat
Hæret. . . . lævæ. . . . umbo,
Innumerabilibus telis gravis ; atque flagranti
Stipite dextra minax, terris incendia portat.

(D. J.)

Fureur, (Medecine.) c’est un symptome qui est commun à plusieurs sortes de délires ; il consiste en ce que le malade qui en est affecté, se porte avec violence à différens excès, semblables aux effets d’une sorte colere ; il ne parle, ne répond qu’avec brutalité, en criant, en insultant : & s’il cherche à frapper, à mordre les personnes qui l’environnent ; s’il se maltraite lui-même, s’il déchire, brise, renverse ce qui se trouve sous ses mains ; en un mot, s’il se comporte comme une bête féroce, la fureur prend le nom de rage.

On ne doit donc pas confondre la fureur avec la manie, quoiqu’il n’y ait point de manie sans fureur ; puisque ce symptome a aussi lieu essentiellement dans la phrénésie, assez souvent dans l’hydrophobie, & quelquefois jusqu’à la rage dans chacune de ces maladies ; mais aucune d’entr’elles n’étant aussi durable que la manie, parce qu’elle est la seule qui soit constamment sans fievre ; c’est aussi dans la manie que la fureur qui la distingue de la simple folie, subsiste le plus long-tems.

Ainsi, comme on ne peut pas traiter de la manie sans traiter de la fureur, comme du symptome qui en est le signe caractéristique, en tant qu’il est joint à un délire universel sans fievre ; pour éviter les repétitions, voyez Manie. Voyez aussi Délire, Phrénésie, Rage, Rage canine, & l’article suivant. (d)

Fureur utérine, nymphomania, furor uterinus ; c’est une maladie qui est une espece de délire attribué par cette dénomination aux seules personnes du sexe, qu’un appétit vénérien demésuré porte violemment à se satisfaire, à chercher sans pudeur les moyens de parvenir à ce but ; à tenir les propos les plus obscènes, à faire les choses les plus indécentes pour exciter les hommes qui les approchent à éteindre l’ardeur dont elles sont dévorées ; à ne parler, à n’être occupées que des idées relatives à cet objet ; à n’agir que pour se procurer le soulagement dont le besoin les presse, jusqu’à vouloir forcer ceux qui se refusent aux desirs qu’elles témoignent ; & c’est principalement par le dernier de ces symptomes, que cette sorte de délire peut être regardée comme une sorte de fureur, qui tient du caractere de la manie, puisqu’elle est sans fievre.

Ainsi comme la faim, ce sentiment qui fait sentir le besoin de prendre de la nourriture, & qui porte à le satisfaire, peut, par la privation des moyens trop long-tems continués, dégénérer en fureur jusqu’à la rage ; de même le desir de l’acte vénérien qui est un vrai besoin naturel dans certaines circonstances, eu égard au tempérament ou à d’autres causes propres à faire naître ou augmenter la disposition à ressentir vivement les aiguillons de la chair, peut être porté jusqu’à la manie, jusqu’aux plus grands excès physiques & moraux, qui tendent tous à la joüissance de l’objet, par le moyen duquel peut être assouvie la passion ardente pour le coït.

Si l’observation avoit fourni des exemples d’hommes affectés d’une envie déréglée de cette espece, poussée à une pareille extrémité, on auroit pû appeller la lésion des fonctions animales qui en seroit l’effet, fureur vénérienne ; nom qui auroit convenu à cette sorte de délire considéré dans les deux sexes : mais les hommes n’y sont pas sujets comme les femmes ; soit parce qu’en général les mœurs n’exigent nulle part d’eux la retenue, la contrainte, en quoi consiste la pudeur, cette vertu si recommandée aux femmes dans presque toutes les nations, même dans celles qui sont le moins civilisées ; parce qu’elle est une sorte d’attrait à l’égard des hommes, qui leur fait un plaisir de surmonter les obstacles opposés à leur desir, & qui contribue par conséquent davantage à entretenir le penchant des hommes pour les femmes, à favoriser la propagation de l’espece humaine ; soit aussi parce que les hommes sont constitués relativement aux organes de la génération, de maniere qu’il peut s’y exciter des mouvemens spontanés ; d’où s’ensuivent des effets propres à faire cesser le sentiment de besoin de l’acte vénérien (ressource dont le moyen n’est dans les femmes que bien imparfaitement) ; & que d’ailleurs le libertinage du cœur est assez répandu pour qu’il y ait peu d’hommes qui ne préviennent même ce soulagement naturel par l’abus de soi-même, au défaut de l’usage des femmes, dans le cas où il ne peut pas être recherché, par bienséance, ou par tout autre empêchement. Voyez Génération, Pollution, Mastupration. Ensorte qu’il peut y avoir à la vérité dans les hommes comme dans les femmes, une disposition à l’appétit vénérien, augmentée outre mesure, ainsi qu’ils l’éprouvent dans le priapisme, le satyriasis : mais elle n’est jamais portée jusqu’à dégénérer en fureur ; parce que le besoin est satisfait d’une maniere ou d’autre, avant que ce dernier excès puisse avoir lieu. Voyez Salacité, Priapisme, Satyriasis.

La mélancolie érotique n’a pas pour objet immédiat l’acte vénérien en général, mais le desir d’y procéder avec une personne déterminée que l’on aime éperdument. Voyez Erotique.

Il ne faut pas non plus confondre le prurit du vagin avec la fureur utérine ; celui-là peut être une disposition à celle-ci, mais il n’en est pas toûjours suivi ; il excite, il force à porter les mains aux parties affectées, à les frotter pour se procurer du soulagement, comme il arrive à l’égard de la demangeaison dans toute autre partie du corps, que l’on gratte dans la même vûe, c’est-à-dire pour en enlever les causes irritantes. Mais dans le cas dont il s’agit ici, les attouchemens se font sans témoin, sans indécence (voyez Vagin), en quoi ils different de ceux qu’occasionne la fureur utérine ; ou s’ils sont faits avec affectation & par des moyens contraires à l’honnêteté, c’est l’effet de la corruption des mœurs, non pas un délire.

L’appétit vénérien, œstrum venereum (dont il a été omis de traiter en son lieu, à quoi il va être un peu suppléé ici, parce que le sujet l’exige ; voyez d’ailleurs Génération), ce sentiment qui porte aux actes nécessaires ou relatifs à la propagation de l’espece, peut être excité, en le comparant à celui des alimens (voyez Faim), par l’impression que reçoivent les organes de la génération, transmise au cerveau, avec des modifications propres à affecter l’ame d’idées lascives ; ou par l’influence sur ces mêmes parties de l’ame affectée d’abord de ces idées, indépendamment de toute impression des sens ; par laquelle influence elles sont mises en jeu, & réagissent sur le cerveau ; d’où il s’ensuit que l’ame est de plus en plus fortement occupée de sensations voluptueuses qui ne peuvent cependant pas subsister long-tems sans la fatiguer ; qui la portent en conséquence à faire cesser cette inquiétude attachée à la durée de toute sorte de sentimens trop vifs ; à employer les moyens que l’instinct lui apprend être propres à produire ce dernier effet. Voyez Sens, Plaisir, Douleur, Instinct.

Si l’appétit vénérien est modéré, on peut suspendre les effets des sentimens qu’il inspire, des desseins qu’il suggere pour se procurer le moyen de le satisfaire ; comme on ne se porte pas à manger toutes les fois qu’on en a envie ; comme on se fait violence pendant quelque tems pour supporter la faim, lorsqu’on ne peut pas se procurer des alimens, ou qu’on a des raisons de s’en abstenir, enfin lorsque la faim n’est pas canine. Voyez Faim canine.

Mais ainsi que selon le proverbe ventre affamé n’a point d’oreilles, & qu’on n’écoute plus la raison qui exhorte à ne pas manger ou à prendre patience, dans les cas où on ne peut avoir des alimens à sa disposition, le sentiment du besoin pressant de nourriture l’emportant alors sur toute autre considération, & se changeant souvent en fureur : de même est-il du besoin de satisfaire l’appétit vénérien ; celui-ci comme sensitif, l’emporte sur l’appétit raisonnable : ensorte que, comme dit le poëte,

Fertur equis auriga, nec audit currus habenas.


C’est ce qui a lieu sur-tout dans les femmes qui sont doüées d’un tempérament plus délicat & plus sensible, dont la plûpart des organes sont aussi plus irritables, tout étant égal, que ceux des hommes, surtout ceux des parties génitales.

Ainsi cet excès d’appétit vénérien qui est à cet appétit régle ce que la faim canine, la boulimie, sont au desir ordinaire de manger, forme une vraie maladie, la salacité immodérée, dont le degré extreme dans les femmes, lorsqu’elle va jusqu’à déranger l’imagination, & porte à des actions violentes, est, ainsi qu’il a été dit ci-devant, la fureur utérine.

Les anciens attribuoient la cause de l’appétit vénérien excessif dans les deux sexes, à une vapeur qu’ils imaginoient s’élever en grande abondance de la liqueur séminale trop retenue & corrompue dans les testicules, qu’ils croyoient être portée par la moëlle épiniere dans le cerveau, & y troubler les esprits animaux ; d’où doit, selon eux, s’ensuivre le desordre des idées, le délire relatif à celles qui sont dominantes.

Mais comme il n’est plus question depuis long-tems de vraie semence par rapport aux femmes, ou au-moins d’aucune liqueur vraiment analogue à la liqueur séminale virile, on a cherché ailleurs la cause prochaine commune aux deux sexes du sentiment qui les porte à l’acte vénérien ; il paroît que l’on ne peut en concevoir d’autre que l’érétisme, la tension de toutes les fibres nerveuses des parties génitales, qui les rend plus susceptibles de vibrations, par les contacts physiques ou méchaniques ; ensorte que ces vibrations excitées par quelque moyen que ce soit, transmettent au cerveau des impressions proportionnées, auxquelles il est attaché de représenter à l’ame, ou de lui faire former des idées relatives aux choses vénériennes ; d’où s’ensuit une sorte de réaction du cerveau sur les organes de la génération, vers lesquels il se fait une nouvelle évasion de fluide nerveux, comme il arrive à l’égard de toutes les parties où s’exerce quelque sentiment stimulant, de quelque nature qu’il soit ; desorte que par cette émission l’érétisme se soûtient & augmente, au point que l’ame toûjours plus affectée par la sensation qui en résulte, semble en être uniquement & entierement occupée, & n’être unie qu’aux parties dont elle éprouve de si fortes influences.

Telle est l’idée générale que l’on peut prendre de ce qui produit immédiatement le desir des actes vénériens ; il reste à déterminer les différentes causes occasionnelles qui établissent l’érétisme des parties génitales dont il vient d’être parlé ; l’observation constante a appris qu’elles peuvent consister dans l’effet des douces irritations procurées à ces organes, & à ceux qui y ont rapport ; par les attouchemens, par le coït, ou par l’action stimulante de quelques humeurs acres, dont ils sont abreuvés, humectés, ou par tout autre effet externe ou interne qui peut exciter l’orgasme ; tout cela joint à la sensibilité habituelle de ces mêmes organes.

Ainsi ces causes peuvent avoir leur siége dans les parties génitales mêmes, ou elles consistent dans la disposition des fibres du cerveau relatives à ces parties, indépendamment d’aucune affection immédiate de celles-ci ; dans la tension dominante de ces fibres excitée par tout ce qui peut échauffer l’imagination & la remplir d’idées voluptueuses, lascives ; ainsi que la fréquentation de personnes de sexe différent, jeunes, de belle figure, qui font profession de galanterie  ; les propos, les conversations, les lectures, les images obscenes, la passion de l’amour, les caresses de l’objet aimé ; & toutes ces choses établissent, augmentent d’autant plus cette disposition, qu’elles concourent avec un tempérament naturellement chaud, vif, entretenu par la bonne chere & l’oisiveté, dans l’âge où l’inclination aux plaisirs des sens est dans toute sa force.

Toutes ces causes morales & les conséquences qu’elles fournissent, regardent autant l’homme que la femme ; elles produisent des effets, elles font des impressions proportionnées à la sensibilité respective dans les deux sexes ; il ne peut y avoir de la différence entre les différentes causes procatartiques, qui viennent d’être rapportées, que par rapport aux causes physiques ; il faudroit donc à-présent voir de quelle maniere celles-ci sont appliquées à produire les effets dans chacun d’eux ; mais quant à l’homme, ce n’est pas ici le lieu, voyez Priapisme, Satyriasis. A l’égard de la femme dont il s’agit expressément dans cet article, on peut dire encore que la plûpart des causes physiques, les attouchemens, les frottemens, le coït, operent les impressions de la même maniere dans les deux sexes, en tant qu’ils ébranlent les houpes nerveuses des parties génitales, y causent des vibrations plus ou moins fortes, produisent des chatouillemens, des sensations délicieuses plus ou moins vives.

Ainsi ce n’est pas dans ces sortes de causes de l’orgasme vénérien que l’on trouve une autre maniere d’affecter dans les femmes que dans les hommes ; ce ne peut être que dans celles qui sont propres à leur conformation, telles que 1°. la pléthore menstruelle, qui en distendant les vaisseaux de toutes les parties génitales, donne conséquemment aussi plus de tension aux membranes nerveuses du vagin, & les rend d’une plus grande sensibilité aux approches du tems des regles, laquelle subsiste ordinairement pendant quelles sont supprimées ; de maniere que tout étant égal, les femmes sont plus disposées à l’appétit vénérien dans ces différentes circonstances, que dans toutes autres. 2°. La grande abondance de l’humeur salivaire, filtrée dans les glandes du vagin, qui étant portée dans ses vaisseaux excrétoires, les tient dilatés, tendus ; d’où suit le même effet que du gonflement des vaisseaux par le sang menstruel. 3° La qualité acre, irritante de cette humeur, qui étant versée dans la cavité du vagin, excite une sorte de prurit par son action les nerfs, lequel produit dans les membranes de cette cavité une phlogose très propre encore à les rendre susceptibles d’une grande sensibilité.

Toutes les différentes causes auxquelles il peut être attaché de produire un semblable effet, peuvent être rapportées à l’une de ces trois, ou à leur concours, différemment combiné avec le tempérament du sujet & les causes morales ci-devant mentionnées, pour établir la cause de l’appétit vénérien plus ou moins vif, à proportion de l’intensité de la disposition.

Ainsi on peut ranger parmi les choses qui peuvent contribuer à produire cette disposition, les drogues auxquelles on attribue une vertu spécifique pour cet effet, que l’on appelle par cette raison aphrosidiaques, c’est-à-dire propres à exciter aux actes vénériens. Celle qui a la réputation d’avoir le plus éminemment cette qualité, est la préparation des mouches cantharides. Voyez Cantharides. Sennert vante aussi beaucoup l’efficacité du borax à cet égard : elle est si grande, selon lui, qu’une femme ayant bû un verre d’hypocras, dans lequel on avoit dissous de cette drogue, en fut tellement échauffée pour les plaisirs de l’amour, qu’elle tomba dans une vraie fureur utérine. Un mélange de musc mêlé avec des huiles aromatiques, introduit par quelque moyen que ce soit dans la cavité du vagin, peut aussi, selon Etmuller, produire les mêmes effets.

Mais ces prétendus aphrosidiaques n’operent pour la plûpart qu’entant qu’ils sont stimulans en général, comme tous les acres subtils, pénétrans, sans aucune détermination à porter leurs effets plus particulierement sur une partie que sur une autre. L’expérience n’a appris à excepter guere que les cantharides, qui paroissent développer leur action dans les voies des urines plus qu’ailleurs ; d’où par communication elles se font sentir dans les organes de la génération, en y excitant une sorte d’érétisme.

De cette disposition corporelle produite par cette cause, ou par toute autre de celles qui viennent d’être exposées, s’ensuivent des sensations qui ne peuvent que faire naître dans l’ame des idées relatives aux plaisirs de l’amour ; comme un certain gonflement des tuniques de l’estomac, par le sang, par le suc gastrique, & l’écoulement de la salive doüée de certaines qualités, réveille dans l’ame des idées relatives à l’appétit des alimens (Voyez Faim) ; idées qui peuvent être si fortes, s’il n’y est fait diversion par quelqu’autre, que les fibres du cerveau, dont un degré déterminé de tension est la cause physique à laquelle il est attaché de produire ces idées, contractent pour ainsi dire l’habitude de cette disposition, restent tendues, & par conséquent susceptibles d’affecter l’ame de la même maniere, indépendamment de l’impression transmise des organes de la génération ; ensorte que les causes physiques qui donnent lieu à cette impression, peuvent cesser sans que l’état des fibres correspondantes du cerveau change : & il subsiste ainsi une vraie cause de délire, en tant que l’ame est continuellement occupée d’idées relatives à l’appétit vénérien, sans qu’aucune cause externe y donne lieu, & que la personne ainsi affectée juge certainement mal durant la veille de ce qui est connu de tout le monde, puisqu’elle cherche à satisfaire ses desirs sans décence, sans discrétion, par conséquent d’une maniere contraire aux bonnes mœurs & à l’éducation qu’elle a reçûe. Or, comme c’est le propre de toutes les passions de devenir plus violentes à proportion qu’elles trouvent plus de résistance, celle de l’appétit vénérien immodéré dans les femmes n’étant pas ordinairement bien facile à contenter, soit parce qu’elle est quelquefois insatiable, soit parce qu’il n’est pas toûjours possible ou permis d’employer les moyens propres à cet effet, s’irrite par-ces obstacles, & dégenere en fureur, qui parce qu’elle est censée être causée par les influences de la matrice, est appellée utérine.

Cependant non-seulement ce délire violent peut exister sans que cet organe continue à y avoir aucune part, après avoir concouru à en établir la cause, mais encore sans qu’il ait jamais été précédemment affecté d’aucun vice qui y ait rapport, & même d’aucune disposition propre à produire cet effet. Il suffit que les causes morales ayent fortement influé sur le cerveau, pour y établir celle de la fureur utérine ; ainsi que l’idée vive, le desir pressant de différens alimens, ou autres choses singulieres, qui affectent les femmes grosses, suffisent pour leur en donner de fortes envies, qui ressemblent souvent à un vrai délire, sans qu’il y ait aucune autre cause particuliere dans les organes qui puisse faire naître l’idée de cet appétit, de ces fantaisies : c’est alors une véritable espece de mélancolie maniaque. Voyez Envie, Mélancolie, Manie.

Mais la fureur utérine ne s’établit jamais tout de suite, avec tous les symptomes qui la caractérisent. Les personnes qui en sont affectées, ont toûjours commencé à ressentir par degrés les aiguillons de la chair ; quoiqu’elles en soient d’abord fort inquiétées, la pudeur les retient pendant quelque tems ; elles tâchent de ne pas manifester le sentiment honteux qui les occupe fortement ; elles sont alors d’une humeur sombre, taciturne, triste ; & il leur échappe de tems en tems des soupirs, des regards lascifs, sur-tout lorsqu’il se présente à elles des hommes, ou que l’on tient quelque propos qui a rapport aux plaisirs de l’amour ; elles rougissent, leur visage s’allume ; & si on leur touche le pouls dans ce tems-là, on le trouve plus agité, ainsi qu’il arrive dans la passion érotique. Voyez Erotique. Galien assûre qu’il n’a jamais été trompé à employer ce moyen, lorsqu’il a eu à découvrir les maladies causées par les desirs vénériens. Après ces premiers symptomes, lorsque le mal augmente, les personnes affectées paroissent perdre peu-à-peu toute pudeur ; elles deviennent babillardes ; elles ne cachent plus l’inclination qu’elles ont à s’entretenir, à jaser sur les plaisirs de l’amour ; elles s’emportent facilement contre les personnes qui les contrarient, qui tâchent de les contenir ; elles se livrent aussi quelquefois sans sujet à des accès de colere dangereuse ; elles paroissent violemment agitées ; elles font de grands cris mêlés d’éclats de rire, & passent subitement à donner des marques de chagrin, de douleur, à répandre des larmes, jusqu’à paroître desolées, desespérées ; ce qui dure peu, pour passer à un état opposé.

Enfin ces malheureuses en viennent à ne garder plus aucune mesure, à demander, à rechercher ce qui peut les satisfaire, à témoigner leur desir par les propos, les invitations, les gestes, & à se livrer pour cet effet au premier venu, s’il se trouve quelqu’un qui veuille s’y prêter ; elles ne se contentent pas de peu ; elles ne font souvent qu’irriter leur desir par ce qui sembleroit devoir suffire pour les assouvir ; ce qui a lieu surtout dans les cas où la cause n’a pas son siége dans les parties génitales, où elle n’est pas par conséquent de nature à cesser par les effets des actes vénériens, où en un mot elle dépend absolument du dérangement du cerveau, parce qu’il n’est pas susceptible d’être corrigé par le remede ordinaire de l’amour, qui est la joüissance : au contraire ce vice en devient toûjours plus considérable, attendu que l’érétisme des fibres nerveuses & l’orgasme doivent nécessairement augmenter de plus en plus par cet effet, & par conséquent l’idée de desir qui est attachée à cet état doit être de plus en plus forte & violente. C’étoit sans doute par l’effet d’un délire de cette espece porté à cet excès, que Messaline étoit plûtôt fatiguée, lassée, que rassasiée des plaisirs grossiers auxquels elle se prostituoit sans mesure avec la plus infame brutalité. Ce ne peut être aussi vraissemblablement que par cause de maladie, que Sémiramis, cette reine des Assyriens, après s’être rendue digne des plus grands éloges, tomba dans la plus honteuse & la plus excessive dissolution, jusqu’à se livrer à un grand nombre de ses soldats, qu’elle faisoit après cela périr par les moyens les plus cruels. Martial fait mention des énormes débauches d’une Cœlia, qui ne pouvoient être aussi, selon toute apparence, que l’effet d’une fureur utérine, puisqu’elle n’étoit pas une prostituée de profession ; autrement il n’y auroit rien eu de remarquable dans ses excès. Ce poëte en parle ainsi, Ep. lib. VII.

Das Cattis, das Germanis, das Cœlia Dacis,
Nec Cilicum spernis,
&c.

Le peu d’exemples que l’on peut citer de personnes atteintes de cette maladie, prouve qu’elle n’a par conséquent jamais été bien commune ; & elle est devenue toûjours plus rare, à mesure que les mœurs sont devenues plus séveres sur le commerce entre les deux sexes, parce qu’il en résulte moins de causes occasionnelles ; mais elle se présente encore quelquefois. Il est peu d’auteurs qui ayant été grands praticiens, n’ayent eu quelques observations autoptiques à rapporter à ce sujet, avec différentes circonstances : M. de Buffon, sans être medecin (hist. nat. tom. IV. de la puberté), dit avoir eu occasion d’en voir un exemple dans une jeune fille de douze ans, très-brune, d’un teint vif & fort coloré, d’une petite taille, mais déjà formée avec de la gorge & de l’embonpoint : elle faisoit les actions les plus indécentes au seul aspect d’un homme ; rien n’étoit capable de l’en empêcher, ni la présence de sa mere, ni les remontrances, ni les châtimens : elle ne perdoit cependant pas totalement la raison ; & ses accès, qui étoient marqués au point d’en être affreux, cessoient dans le moment qu’elle demeuroit seule avec des femmes. Aristote prétend que c’est à cet âge que l’irritation est la plus grande, & qu’il faut garder le plus soigneusement les filles. Cela peut être vrai pour le climat où il vivoit : mais il paroît que dans les pays froids le tempérament des femmes ne commence à prendre de l’ardeur que beaucoup plûtard.

On observe en général que les jeunes personnes sont plus sujettes à la fureur utérine, que celles d’un âge avancé. Mais les filles brunes de bonne santé, d’une forte complexion, qui sont vierges, sur-tout celles qui sont d’état à ne pouvoir pas cesser de l’être ; les jeunes veuves qui réunissent les trois premieres de ces qualités ; les femmes de même qui ont des maris peu vigoureux, ont plus de disposition à cette maladie que les autres personnes du sexe : on peut cependant assûrer que le tempérament opposé est infiniment plus commun parmi les femmes, dont la plûpart sont naturellement froides, ou tout-au-moins fort tranquilles sur le physique de la passion qui tend à l’union des corps entre les deux sexes.

La fureur utérine est susceptible d’une guérison facile à procurer, si on y apporte remede dès qu’elle commence à se montrer, & sur-tout avant qu’elle ait dégénéré en une manie continuelle : car lorsqu’elle est parvenue à ce degré, il est arrivé quelquefois que le mariage même ne la calme point. Il y a des exemples de femmes qui sont mortes de cette maladie : cependant dans le cas même où elle est dans toute sa force, on est fondé à en attendre la cessation ; il y a même lieu de la regarder comme prochaine, lorsque les accès sont moins longs, que les intervalles deviennent plus considérables, & que l’on peut parler des plaisirs vénériens, sans que la malade paroisse en être aussi affectée, aussi portée à s’occuper de l’objet de son délire qu’auparavant. On doit être prompt à empêcher les progrès de cette maladie naissante, d’autant plus qu’elle peut non seulement avoir les suites les plus fâcheuses pour la personne qui en est affectée, mais encore elle établit un préjugé deshonorant à l’égard de la famille à qui elle appartient ; préjugé toûjours injuste, s’il n’y a point de reproche à faire aux parens concernant l’éducation & les soins qu’ils ont dû prendre de la conduite de la malade, qui d’ailleurs avec toute la vertu possible, peut être tombée dans le cas de paroître en avoir secoué entierement le joug, parce que l’ame ne se commande pas toûjours elle-même, parce que les sens lui ravissent quelquefois tout son empire, & qu’elle est réduite alors à n’être que leur esclave.

Les indications à remplir dans le traitement de la fureur utérine, doivent être tirées de la nature bien connue de la cause prochaine qui produit cette maladie, jointe à celle de ses causes éloignées, de ses causes occasionnelles, & du tempérament de la personne affectée.

Si elle est naturellement vive, sensible, voluptueuse, qu’elle puisse légitimement se satisfaire par l’usage des plaisirs de l’amour, c’est communément le plus sûr remede qui puisse être employé contre la fureur utérine, selon l’observation des plus fameux praticiens, qui pensent que la maxime générale doit être appliquée dans ce cas : quo natura vergit, eò ducendum ; aussi n’en trouve-t-on aucun qui ne propose cet expédient comme le plus simple, lorsqu’il peut être mis en usage. Voyez les observations à ce sujet, de Skenchius, de Bartholin, d’Horstius ; les œuvres de Sennert, de Riviere, d’Etmuller, &c.

En effet il en est de cet appétit, lorsqu’il peche plutôt par excès que par dépravation, comme de celui des alimens, lorsqu’il n’est qu’un desir violent des alimens ; la faim s’appaise en mangeant.

Mais si la fureur utérine ne dépend ni du tempérament seul, ni d’aucun vice dans les parties génitales ; si elle n’est autre chose qu’un vrai délire mélancolique, maniaque, provenant du vice du cerveau, sans aucune influence étrangere à ce viscere, on a vû dans ce cas que les actes vénériens ne procurent aucun soulagement, & qu’ils sont insuffisans, quelque répétés qu’ils puissent être, pour faire cesser la disposition des fibres nerveuses, qui entretiennent ou renouvellent continuellement dans l’ame l’idée d’un besoin qui n’existe réellement point. Il en est dans ce cas comme de la faim, que le manger ne fait pas cesser. Voyez Faim canine. Il faut alors avoir recours aux remedes physiques & moraux, propres à détruire cette disposition.

On peut encore concevoir des cas où la fureur utérine, bien loin d’être calmée par les moyens qui semblent d’abord les plus propres à satisfaire les desirs déréglés en quoi elle consiste, ne fait qu’être irritée par ces mêmes moyens, en tant qu’ils augmentent & soûtiennent l’orgasme dans les parties génitales, dont l’impression ne cesse d’être transmise au cerveau, & d’y rendre l’érétisme toûjours plus violent ; ensorte que dans ces différens cas ils seroient plûtôt utiles à être employés dans la suite comme préservatifs, que comme curatifs.

Mais si la malade, quoique très-bien dans le cas où le coït pourroit lui être salutaire, n’est pas susceptible d’un pareil conseil, comme le mal est pressant, & qu’il ne faut pas lui laisser jetter de profondes racines, il faut recourir aux moyens convenables que l’art propose, pour faire cesser les effets d’un sentiment aussi importun que révoltant par sa nature. Ainsi lorsqu’il y a lieu d’attribuer la maladie à la pléthore, soit qu’elle soit naturelle à l’approche de l’évacuation menstruelle, soit qu’elle provienne de cette évacuation supprimée, on doit employer la saignée à grande dose & à plusieurs reprises, à proportion de l’intensité de cette cause déterminante, & il faut travailler à rétablir les regles selon l’art. Voyez Menstrues.

Si la maladie dépend d’un engorgement des glandes & des vaisseaux salivaires du vagin, avec chaleur, ardeur dans les parties génitales, on peut faire usage avec succès d’injections, d’abord rafraîchissantes, tempérantes ; & après qu’elles auront produit leur effet, on continuera à en employer, mais d’une nature différente. On les rendra legerement acres, apophlegmatisantes. Les bains domestiques, les lavemens émolliens, les tisanes émulsionnées, nitreuses, conviennent pour satisfaire à la premiere de ces deux indications-ci. Les purgatifs minoratifs, les doux hydragogues, les ventouses aux cuisses, les sangsues à l’anus pour procurer un flux hémorrhoïdal, peuvent être placés avec succès pour remplir la seconde. En détournant de proche en proche les humeurs dont sont surchargées les membranes du vagin, on doit observer d’accompagner l’usage de ces différens remedes d’un régime propre à changer la qualité des humeurs, à en corriger l’acrimonie, l’ardeur dominante, à en refréner la partie bilieuse stimulante : ainsi l’abstinence de la viande, sur-tout du gibier ; des alimens épicés, salés ; des liqueurs spiritueuses, du vin même, & un grand retranchement sur la quantité ordinaire de la nourriture (sine baccho & cerere friget venus) ; l’attention de faire éviter l’usage de tout ce qui peut favoriser la mollesse, la sensualité, comme les trop bons lits, les coetes, qui, comme on dit, échauffent les reins ; en un mot de prescrire un genre de vie austere à tous égards.

Si la maladie doit être attribuée principalement à des causes morales, il faut être extrèmement sévere à les faire cesser ; il faut éloigner tout ce qui peut échauffer l’imagination de la malade, lui présenter des idées lascives ; ne la laisser aucunement à portée de voir des hommes ; lui fournir la compagnie de personnes de son sexe, qui ne puissent lui tenir que des propos sages, réservés, qui lui fassent de douces corrections, qui lui rappellent ce qu’elle doit à la religion, à la raison, aux bonnes mœurs, à l’honneur de sa famille : en même tems, on pourra faire usage de tous les remedes propres à combattre la mélancolie, la manie : les anti-hystériques, les anti-spasmodiques, les anodyns, les narcotiques, sont les palliatifs les plus assûrés à employer, en attendant que l’on ait pû détruire entierement la cause par les moyens convenables.

La plûpart des auteurs proposent plusieurs médicamens, comme des spécifiques pour éteindre les ardeurs vénériennes ; tels que le camphre enflammé & plongé dans la boisson ordinaire, ou employé tout autrement, sous quelque forme que ce soit : il est bon à joindre à tous les autres remedes propres à détruire l’excès de l’appétit vénérien. Horstius, epist. ad Bartholinum, assûre n’avoir jamais éprouvé que de très grands effets du camphre, l’ayant souvent mis en usage pour des filles attaquées de la fureur utérine. Voyez Camphre. On trouve aussi le suc de l’agnus castus, des tendrons de saule, de morelle, de petite joubarbe, très-recommandé pour être donné dans les juleps, contre cette maladie : on fait aussi avec succès des décoctions des feuilles de ces plantes, pour les injections, les fomentations, les bains nécessaires. On vante beaucoup aussi les bons effets du nymphéa, des violettes, de leur syrop : on conseille sur-tout très-fort l’usage des préparations de plomb, entr’autres du sel de Saturne ; mais seulement pour les personnes qui ne sont pas & qui ne doivent jamais être dans le cas de faire des enfans ; parce que ce métal pris intérieurement rend, dit-on, les femmes stériles. Riviere, dans l’idée où il étoit qu’il falloit attribuer la fureur utérine à la semence échauffée, faisoit prendre, pour l’évacuer, des bols de térébenthine. Quel cas fera d’un pareil remede le medecin qui ne croit pas à l’existence de cette humeur séminale, & qui ne juge de son effet que par l’idée qu’en donne ce vénérable praticien?

Mais aucun de tous ces médicamens ne convient dans le traitement de la maladie dont il s’agit, qu’entant qu’il peut satisfaire à quelqu’une des différentes indications qui se présentent à remplir, & non point par aucune autre vertu spéciale. Il n’en est aucun qui puisse être employé indistinctement dans tous les cas : c’est au medecin prudent à choisir entr’eux, conformément à l’idée qu’il s’est faite de la nature de la maladie, d’après les conséquences qu’il a judicieusement tirées de la nature de ses causes & de ses symptomes, combinée avec la constitution de la malade. (d)