L’Encyclopédie/1re édition/LOGEMENS

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LOGEMENS, s. m. (Gram.) lieu d’une maison qu’on habite ; une maison est distribuée en différens logemens.

Logement, dans l’Art militaire, exprime quelquefois le campement de l’armée. Voyez Camp.

Faire le logement, c’est aussi regler avec les officiers municipaux des villes, les différentes maisons de bourgeois où l’on doit mettre le soldat pour loger.

L’officier major, porteur de la route de sa Majesté, & chargé d’aller faire le logement en arrivant dans la ville & autre lieu où il n’y aura pas d’état major, doit aller chez le maire ou chef de la maison de ville, pour qu’il fasse faire le logement, conformément à l’extrait de la derniere revûe, qu’il faut lui communiquer. M. de Bombelles, service journalier de l’infanterie.

Logemens du camp des Romains, (Art milit.) les militaires curieux seront bien aises d’en trouver ici la disposition ; les connoissances que j’en puis donner, sont le fruit de la lecture de Polybe, & du livre intitulé, le parfait capitaine. On doit ce petit & savant ouvrage à M. le duc de Rohan, colonel général des Suisses & Grisons, mort dans le canton de Berne en 1638, des blessures qu’il reçut à Rhinfeld, & enterré à Genève dans une chapelle du temple de S. Pierre. Il fut pendant tout le cours de sa vie le chef des Protestans en France, & leur rendit de grands services, soit par ses négociations, soit à la tête des armées. La maison de Rohan étoit autrefois zélée calviniste ; elle donne à présent des cardinaux au royaume : je viens à mon sujet, dont je ne m’écarterai plus.

On sait que les Romains furent long-tems à ne pas mieux posséder l’arrangement d’un camp, que le reste de la science militaire. Ils n’observerent à cet égard de regle & de méthode, que depuis qu’ils eurent vû le camp de Pyrrhus. Alors ils en connurent si bien l’avantage, que non-seulement ils en suivirent le modele, mais ils le porterent encore à un plus haut point de perfection ; & voici comme ils s’y prirent.

D’abord que l’armée marchant sur trois lignes arrivoit à l’endroit où l’on avoit tracé le camp, deux des lignes restoient rangées en bataille, pendant que la troisieme s’occupoit à faire les retranchemens. Ces retranchemens consistoient en un fossé de cinq piés de large, & de trois de profondeur, dont on rejettoit la terre du côté du camp, pour en former une espece de rempart, qu’on accommodoit avec des gasons & des palissades, lorsqu’il s’agissoit de n’y rester qu’une ou deux nuits.

Si l’on vouloit séjourner plus long-tems, on faisoit un fossé d’onze à douze piés de large, & profond à proportion, derriere lequel on élevoit un rempart fait de terre avec des fascines, revêtu de gasons. Ce rempart étoit flanqué de tours d’espace en espace, distantes de quatre vingt piés, & accompagnées de parapets garnis de créneaux, de même que les murailles d’une ville. Les soldats accoutumés à ce travail, l’exécutoient sans quitter leurs armes. Nous apprenons de Tacite, liv. XXXI, que l’ordonnance étoit si sévere à ce sujet, que le général Corbulon, qui commandoit sur le Rhin, sous le regne de l’empereur Claudius, condamna à mort deux soldats, pour avoir travaillé aux retranchemens du camp, l’un sans épée, & l’autre n’ayant qu’un poignard.

On plaçoit le logement du consul, du préteur, ou du général, au lieu le plus favorable pour voir tout le camp, & au milieu d’une place quarrée ; les tentes destinées aux soldats de sa garde, étoient tendues aux quatre coins de cette place : on l’appelloit le prétoire, & c’étoit-là qu’il rendoit la justice. Attenant le logement du général, se trouvoit celui de ceux que le sénat envoyoit pour lui servir de conseil ; usage observé souvent du tems de la république ; c’étoient ordinairement des sénateurs, sur l’expérience desquels on pouvoit compter : on posoit pour les honorer deux sentinelles devant leurs tentes. Les logemens des lieutenans du consul étoient vraissemblablement dans le même endroit ; sur le même allignement, & à la proximité du général, étoit le questoire avec le logement du questeur, qui outre la caisse dont il étoit dépositaire, avoit la charge des armes, des machines de guerre, des vivres, & des habillemens. Son logement étoit gardé par des sentinelles, ainsi que les places des armes, des machines, des vivres, & des habits.

On élevoit toûjours dans la principale place du camp une espece de tribunal de terre ou de gason, où le général montoit, lorsqu’avant quelque expédition considérable, il lui convenoit d’en informer l’armée, de l’y préparer, & de l’encourager par un discours public. C’est une particularité que nous tenons de Plutarque, dans ses vies de Sylla, de César, & de Pompée.

Tous les quartiers du camp étoient partagés en rues tirées au cordeau, en pavillons des tribuns, des préfets, & en logemens pour les quatre corps de troupes qui composoient une légion, je veux dire les Vélites, Hastaires, Princes, & Triaires. Voyez ces mots.

Mais les logemens de ces quatre corps étoient compris sous le nom des trois derniers corps, parce qu’on divisoit & qu’on incorporoit les vélites dans les trois autres corps ; & cela se pratiquoit de la maniere suivante.

Hastaires 1200 hommes
Vélites joints aux hastaires 480

1680
Princes 1200
Vélites jointes aux princes 480

1680
Triaires 600
Vélites joints aux triaires 240

840

Il s’agit maintenant d’entrer dans le détail des logemens du camp, de la distribution du terrein, & de la quantité qu’on en donnoit à chacun.

Les Romains donnoient dix piés de terre en quarré pour loger deux soldats ; ainsi dix cohortes de hastaires, qui ne faisoient que mille six cens quatre-vingt soldats, les vélites compris dans ce nombre, étoient logés au large, & il leur restoit encore de la place pour leur bagage.

Le même espace de terrein se donnoit aux princes, parce qu’ils étoient en pareil nombre ; moitié moins de terrein se distribuoit aux triaires, parce qu’ils étoient la moitié moins en nombre.

A la cavalerie on donnoit pour trente chevaux cent piés de terre en quarré, & pour les cent turmes, cent piés de large, & mille piés de long.

On donnoit à l’infanterie des alliés, pareil espace qu’aux légions romaines ; mais parce que le consul prenoit la cinquieme partie des légions des alliés, on retranchoit aussi dans l’endroit du camp qui leur étoit assigné, la cinquieme partie du terrein qu’on leur fournissoit ailleurs.

Quant à la cavalerie des alliés, elle étoit toûjours double de celle des Romains ; mais comme le général en prenoit le tiers pour loger autour de lui, il n’en restoit dans les logemens ordinaires qu’un quart de plus que celle des Romains ; & parce que l’espace de terrein étoit plus que suffisant, on ne l’augmentoit point. Cet espace de terrein contenoit, comme je l’ai dit, cent piés de large, & mille piés de long pour cent turmes.

Ces logemens de toutes les troupes étoient séparées par cinq rues, de cinquante piés de large chacune, & coupées par la moitié par une rue nommée Quintaine, de même longueur que les autres.

Polybe ne dit rien des portes du camp, de leur nom, & de leur position. Il y avoit quatre portes, parce que le camp faisoit un quarré ; la porte du prétoire, la porte décumene, la porte quintaine, & la porte principale.

A la tête des logemens du camp, il y avoit une rue de cent piés de large ; après cette rue, étoient les logemens des douze tribuns vis-à-vis des deux légions romaines, & les logemens des douze préfets, vis-à-vis deux légions alliées : on donnoit à chacun de ces logemens cinquante piés en quarré.

Ensuite venoit le logement du consul, nommé le prétoire, qui contenoit deux cens piés en quarré, & qui étoit posé au haut du milieu de la largeur du camp.

A gauche & à droite du logement du consul, il y avoit deux places, l’une celle du questeur, & l’autre celle du marché. Tout autour étoient logés les quatre cens chevaux & les seize cens trente hommes de pié, que le consul tiroit des deux légions des alliés. Les volontaires se trouvoient aussi logés dans cette enceinte ; & de plus, il y avoit toûjours des logemens réservés pour les extraordinaires d’infanterie & de cavalerie qui pouvoient survenir.

On laissoit tout-au-tour des logemens du camp un espace de deux cens piés ; au bout de cet espace, on faisoit le retranchement, dont le fossé étoit plus ou moins large ou profond, & le rempart plus bas ou plus haut, selon l’appréhension que l’on avoit de l’ennemi.

Enfin, il faut remarquer que l’infanterie logeoit toûjours le plus près des retranchemens, étant faite pour les défendre, & pour couvrir la cavalerie. Mais le plan donné par M. de Rohan d’un camp des Romains, rendra ce détail beaucoup plus palpable.

Campement d’une armée romaine composée de 16800 hommes de pié, & de 1800 chevaux, contenant en quarré 2016 piés & un tiers de pié.



A, Prétoire.

B, Pavillon des tribuns.

C, Grande rue entre les pavillons des tribuns & le logement des légions.

D, Logement de la cavalerie romaine.

E, Logement des triaires.

F, Logement des princes.

G, Logement des hastaires.

H, Logement de la cavalerie des alliés.

I, Logement de l’infanterie des alliés.

L, Rue de l’infanterie des alliés.

M, Rue entre les princes & les triaires.

N, Rue entre les hastaires & les alliés.

O, Espace entre les logemens & le retranchement.

P, Rue Quintaine.

Q, Place du marché.

R, Place du questeur.

S, Logement des volontaires.

T, Logement de la cavalerie, que le consul a tirée des légions des alliés, pour être près de sa personne.

V, Logement de l’infanterie que le consul a tirée des alliés, pour être près de sa personne.

X, Logement de la cavalerie extraordinaire qui pouvoit survenir.

Y, Logement de l’infanterie extraordinaire qui pouvoit survenir.

Z, Pavillon des préfets des alliés.

&, Logement des armes.

8, Logement des machines.

+, Logement des vivres.

△, Logement des habits.

Lorsque les armées du consul étoient composées de plus de quatre légions, on les logeoit également dans le même ordre, à côté les unes des autres, ensorte que le camp formoit alors un quarré long ; quand les deux armées des consuls se joignoient & ne composoient qu’un camp, il occupoit la place des deux quarrés, quelquefois voisins, quelquefois séparés, selon que le terrein le permettoit. Les tentes de l’armée furent faites de peaux de bêtes, jusqu’au tems de César.

Quand l’armée approchoit du camp qui lui étoit destiné d’avance, on marquoit premierement le lieu du logement du consul avec une banderole blanche, & on distinguoit son logement des autres par une banderole rouge ; ensuite avec une seconde banderole rouge différenciée, on marquoit les logemens des tribuns. On séparoit & on distinguoit le logement des troupes des légions par une troisieme banderole rouge, différente des deux autres : après cela on repartissoit la distribution générale du terrein, savoir tant pour la cavalerie, tant pour l’infanterie, ce qui se marquoit avec des banderoles d’autres couleurs ; enfin on subdivisoit cette distribution générale en distributions particulieres, pour les logemens de chacun, ce qui se traçoit uniformément & promptement avec le cordeau, parce qu’on ne changeoit jamais les mesures ni la forme du camp.

Les logemens de tout le monde se trouvant ainsi reglés, arrangés, disposés d’une maniere invariable ; à l’arrivée de l’armée, toutes les troupes qui la composoient reconnoissoient si bien la place de leurs domiciles, par les différentes banderoles & autres marques, que chacun se rendoit à son logement sans peine, sans confusion & sans erreur : ce seroit donc, ajoûte Polybe, être bien indifférent sur les choses les plus curieuses, que de ne vouloir pas se donner la peine d’apprendre une méthode si digne d’être connue. (D. J.)

Logement, (Art milit.) c’est dans l’attaque des places une espece de tranchée, ou plûtôt de retranchement que l’on fait à découvert dans un ouvrage dont on vient de chasser l’ennemi, afin de s’y maintenir dans ses attaques, & de se couvrir ou feu des ouvrages voisins qui le défendent.

Les logemens se font avec des gabions, des fascines, des sacs à terre, &c.

Le logement du chemin couvert est la tranchée ou le retranchement que l’on forme sur le haut du glacis après en avoir chassé l’ennemi. On y construit beaucoup de traverses tournantes pour se couvrir de l’enfilade. Voyez Traverses tournantes. Voyez aussi Attaque du chemin couvert.

On fait de pareils logemens dans la demi-lune & dans tous les différens ouvrages dont on a chassé l’ennemi. V. Pl. XVII. de Fortification, le logement du chemin couvert, celui de la demi-lune C du front de l’attaque, & des bastions A & B du même front.

Loger, (Art milit.) ancien terme qui, dans l’art militaire veut dire camper. M. de Turenne s’en sert souvent dans ses mémoires : ainsi loger une armée, c’est la faire camper, & la faire déloger, c’est la faire décamper. Voyez Camper.