L’Encyclopédie/1re édition/VISIBLE

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VISIBLE, adj. (Optique.) se dit de tout ce qui est l’objet de la vue ou de la vision, ou ce qui affecte l’œil de maniere à produire dans l’ame la sensation de la vue. Voyez Vision.

Les philosophes scholastiques distinguent deux especes d’objets visibles, les uns propres ou adéquats, qu’il n’est pas possible de connoître par d’autres sens que par celui de la vue, & les autres communs, qui peuvent être connus par différens sens, comme par la vue, l’ouie, le toucher, &c.

Ils ajoutent que l’objet propre de la vision est de deux especes, lumiere & couleur.

Selon ces philosophes, la lumiere est l’objet formel, & la couleur l’objet matériel. Voyez Objet.

Les Cartésiens raisonnent d’une maniere beaucoup plus exacte en disant que la lumiere seule est l’objet propre de la vision, soit qu’elle vienne d’un corps lumineux à-travers un milieu transparent, soit qu’elle soit réfléchie des corps opaques sous une certaine modification nouvelle, & qu’elle en représente les images, soit enfin qu’étant réfléchie ou rompue de telle ou telle maniere, elle affecte l’œil de l’apparence de couleur.

Selon le sentiment de M. Newton, il n’y a que la couleur qui soit l’objet propre de la vue ; la couleur étant cette propriété de la lumiere par laquelle la lumiere elle-même est visible, & par laquelle les images des objets opaques se peignent sur la rétine. Voyez Lumiere & Couleur.

Aristote, de animâ, lib. II. compte cinq especes d’objets communs qui sont visibles, & que l’on regarde ordinairement comme tels dans les écoles, le mouvement, le repos, le nombre, la figure & la grandeur. D’autres soutiennent qu’il y en a neuf, qui sont compris dans les vers suivans.

Sunt objecta novem visûs communia : quantum,
Inde figura, locus, sequitur distantia, situs,
Continuumque & diseretum, motusque, quiesque.

Les philosophes de l’école sont fort partagés sur ces objets communs de la vision : il y a là-dessus deux opinions principales parmi eux. Ceux qui tiennent pour la premiere opinion disent que les objets communs visibles produisent une représentation d’eux-mêmes par quelque image particuliere, qui les fait d’abord appercevoir indépendamment des visibles propres.

Suivant la seconde opinion qui paroît plus suivie & plus naturelle que la premiere, les objets communs visibles n’ont aucune espece formelle particuliere qui les rende visibles ; les objets propres se suffisent à eux-mêmes pour se faire voir en tel ou tel endroit, situation, distance, figure, grandeur, &c. par les différentes circonstances qui les rendent sensibles au siege du sentiment.

I. La situation & le lieu des objets visibles s’apperçoivent sans aucunes especes intentionnelles qui en émanent ; cela se fait par la simple impulsion ou réflexion des rayons de lumiere qui tombent sur les objets, les rayons parviennent à la rétine, & leur impression est portée au sensorium ou au siege du sentiment.

Un objet se voit donc par les rayons qui en portent l’image à la rétine, & il se voit dans l’endroit où la faculté de voir est, pour ainsi dire, dirigée par ces rayons. Suivant ce principe, on peut rendre raison de plusieurs phénomenes remarquables de la vision.

1°. Si la distance entre deux objets visibles forme un angle insensible, les objets, quoique éloignés l’un de l’autre, paroîtront comme s’ils étoient contigus ; d’où il s’ensuit qu’un corps continu n’étant que le résultat de plusieurs corps contigus, si la distance entre plusieurs objets visibles n’est apperçue que sous des angles insensibles, tous ces différens corps ne paroîtront qu’un même corps continu. Voyez Continuité.

2°. Si l’œil est placé au-dessus d’un plan horisontal, les objets paroîtront s’élever à proportion qu’ils s’éloigneront davantage, jusqu’à ce qu’enfin ils paroissent de niveau avec l’œil. C’est la raison pourquoi ceux qui sont sur le rivage s’imaginent que la mer s’éleve à proportion qu’ils fixent leur vue à des parties de la mer plus éloignées.

3°. Si l’on place au-dessous de l’œil un nombre quelconque d’objets dans le même plan, les plus éloignés paroîtront les plus élevés ; & si ces mêmes objets sont placés au-dessus de l’œil, les plus éloignés paroîtront les plus bas.

4°. Les parties supérieures des objets qui ont une certaine hauteur, paroissent pancher ou s’incliner en avant, comme les frontispices des églises, les tours, &c. & afin que les statues qui sont au-haut des bâtimens paroissent droites, il faut qu’elles soient un peu renversées en-arriere. La raison générale de toutes ces apparences est que quand un objet est à une distance un peu considérable, nous le jugeons presque toujours plus près qu’il n’est en effet. Ainsi l’œil étant placé en A, fig. 20. au-dessous d’un plancher horisontal BC, l’extrémité C lui paroît plus proche de lui comme en D, & le plancher BC paroît incliné en BD. Il en est de même des autres cas.

II. L’ame apperçoit la distance des objets visibles, en conséquence des différentes configurations de l’œil, de la maniere dont les rayons viennent frapper cet organe, & de l’image qu’ils impriment.

Car l’œil prend une disposition différente, selon les différentes distances de l’objet, c’est-à-dire que, pour les objets éloignés, la prunelle se dilate, le crystallin s’approche de la rétine, & tout le globe de l’œil devient plus convexe : c’est le contraire pour les objets qui sont proches, la prunelle se contracte, le crystallin s’avance & l’œil s’alonge ; & il n’y a personne qui n’ait senti en regardant quelque objet fort près, que tout le globe de l’œil est alors, pour ainsi dire, dans une situation violente. Voyez Prunelle, Crystallin, &c.

On juge encore de la distance d’un objet par l’angle plus ou moins grand sous lequel on le voit, par sa représentation distincte ou confuse, par l’éclat ou la foiblesse de sa lumiere, par la rareté ou la multitude de ses rayons.

C’est pourquoi les objets qui paroissent obscurs ou confus, sont jugés aussi les plus éloignés ; & c’est un principe que suivent les Peintres, lorsqu’en représentant des figures sur le même plan, ils veulent que les unes paroissent plus éloignées que les autres. Voyez Perspective, &c.

De-là vient aussi que les chambres dont les murailles sont blanchies, paroissent plus petites ; que les champs couverts de neige ou de fleurs blanches, paroissent moins étendus que quand ils sont revêtus de verdure : que les montagnes couvertes de neige paroissent plus proches pendant la nuit : que les corps opaques paroissent plus éloignés dans les tems du crépuscule. Voyez Distance.

III. La grandeur ou l’étendue des objets visibles se connoit principalement par l’angle compris entre deux rayons tirés des deux extrémités de l’objet au centre de l’œil, cet angle étant combiné & composé, pour ainsi dire, avec la distance apparente de l’objet. Voyez Angle, Optique.

Un objet paroît d’autant plus grand, toutes choses d’ailleurs égales, qu’il est vu sous un plus grand angle : c’est-à-dire que les corps vus sous un plus grand angle paroissent plus grands, & ceux qui sont vus sous un plus petit angle, paroissent plus petits ; d’où il suit que le même objet peut paroître tantôt plus grand, tantôt plus petit, selon que sa distance à l’œil est plus petite ou plus grande : c’est ce qu’on appelle grandeur apparente.

Nous disons que pour juger de la grandeur réelle d’un objet, il faut avoir égard à la distance ; car puisqu’un objet proche peut paroître sous le même angle qu’un objet éloigné, il faut nécessairement estimer la distance ; si la distance apperçue est grande, quoique l’angle optique soit petit, on peut juger qu’un objet éloigné est grand, & réciproquement.

La grandeur des objets visibles est soumise à certaines lois démontrées par les Mathématiciens, lesquelles doivent néanmoins recevoir quelques limitations dont nous parlerons plus bas. Ces propositions sont :

1°. Que les grandeurs apparentes d’un objet éloigné sont réciproquement comme ses distances.

2°. Que les co-tangentes de la moitié des angles sous lesquels on voit un même objet, sont comme les distances ; d’où il suit qu’étant donné l’angle visuel d’un objet avec sa distance, l’on a une méthode pour déterminer la grandeur vraie ; en voici la regle : le sinus total est à la moitié de la tangente de l’angle visuel, comme la distance donnée est à la moitié de la grandeur vraie. Par la même regle, étant donnée la distance & la grandeur d’un objet, on déterminera l’angle sous lequel il est vu.

3°. Que les objets vus sous le même angle ont des grandeurs proportionnelles à leur distance.

Dans toutes ces propositions on suppose que l’objet est vu directement, c’est-à-dire que le rayon qui lui est perpendiculaire, le partage en deux également ; mais cette proposition ne doit être regardée comme vraie que quand les objets que l’on compare, sont l’un & l’autre fort éloignés, quoiqu’à des distances inégales. Ainsi le soleil, par exemple, qui est vu sous un angle de 32 minutes environ, seroit vu sous un angle d’environ 16 minutes, s’il étoit deux fois plus éloigné, & son diametre nous paroîtroit deux fois moindre. Voyez Apparent.

Lorsque les objets sont à des distances assez petites de l’œil, leur grandeur apparente n’est pas simplement proportionnelle à l’angle visuel. Un géant de six piés est vu sous le même angle à six piés de distance qu’un nain de deux piés vu à deux piés ; cependant le nain paroit beaucoup plus petit que le géant.

La corde ou la soutendante AB d’un arc quelconque de cercle (Pl. d’Optiq. fig. 51.) paroît sous le même angle dans tous les points D, C, E, G, quoique l’un de ses points soit considérablement plus près de l’objet que les autres ; & le diametre DG paroit de même grandeur dans tous les points de la circonférence du cercle. Quelque auteurs ont conclu de-là que cette figure est la forme la plus avantageuse que l’on puisse donner aux théâtres.

Si l’œil est fixe en A (fig. 52.), & que la ligne droite BC se meuve de maniere que ses extrémités tombent toujours sur la circonférence d’un cercle, cette ligne paroîtra toujours sous le même angle ; d’où il suit que l’œil étant placé dans un angle quelconque d’un poligone régulier, tous les côtés paroîtront sous le même angle.

Les grandeurs apparentes du soleil & de la lune à leur lever & à leur coucher, sont un phénomène qui a beaucoup embarrassé les philosophes modernes. Selon les lois ordinaires de la vision, ces deux astres devroient paroître d’autant plus petits, qu’ils sont plus près de l’horison ; en effet ils sont alors plus loin de l’œil, puisque leur distance de l’œil, lorsqu’ils sont à l’horison, surpasse celles où ils en seroient, s’ils se trouvoient dans le zénith d’un demi-diametre entier de la terre, & à proportion, selon qu’ils se trouvent plus près ou plus loin du zénith dans leur passage au méridien ; cependant les astres paroissent plus petits au méridien qu’à l’horison. Ptolemée, dans son almageste, liv. I. c. iij. attribue cette apparence à la réfraction que les vapeurs font subir aux rayons. Il pense que cette réfraction doit agrandir l’angle sous lequel on voit la lune à l’horison précisément comme il arrive à un objet placé dans l’air qu’on voit du fond de l’eau ; & Théon, son commentateur, explique assez clairement la cause de l’augmentation de l’angle sous lequel on voit l’objet dans ces circonstances. Mais on a découvert qu’il n’y a en effet aucune inégalité dans les angles sous lesquels on voit la lune ou le soleil à l’horison ou au méridien ; & c’est ce qui a fait imaginer à Alhazen, auteur arabe, une autre explication du même phénomène, laquelle a été depuis suivie & éclaircie ou perfectionnée par Vitellien, Kepler, Bacon & d’autres. Selon Alhazen, la vue nous représente la surface des cieux comme plate, & elle juge des étoiles, comme elle feroit d’objets visibles ordinaires qui seroient répandus sur une vaste surface plane. Or nous voyons l’astre sous le même angle dans les deux circonstances ; & en même tems appercevant de la différence dans leurs distances, parce que la voûte du ciel nous paroît applatie, nous sommes portés à juger l’astre plus grand lorsqu’il paroit le plus éloigné.

Descartes, & après lui le docteur Wallis & plusieurs autres auteurs, prétendent que quand la lune se leve ou se couche, une longue suite d’objets interposés entre nous & l’extrémité de l’horison sensible, nous la font imaginer plus éloignée que quand elle est au méridien où notre œil ne voit rien entr’elle & nous : que cette idée d’un plus grand éloignement nous fait imaginer la lune plus grande, parce que lorsqu’on voit un objet sous un certain angle, & qu’on le croit en même tems fort éloigné, on juge alors naturellement qu’il doit être fort grand pour paroître de si loin sous cet angle-là, & qu’ainsi un pur jugement de notre ame, mais nécessaire & commun à tous les hommes, nous fait voir la lune plus grande à l’horison, malgré l’image plus petite qui est peinte au fond de notre œil. Le p. Gouye attaque cette explication si ingénieuse, en assurant que plus l’horison est borné, plus la lune nous paroît grande. M. Gassendi prétend que la prunelle qui constamment est plus ouverte dans l’obscurité, l’étant davantage le matin & le soir, parce que des vapeurs plus épaisses sont alors répandues sur la terre, & que d’ailleurs les rayons qui viennent de l’horison, en traversent une plus longue suite, l’image de la lune entre dans l’œil sous un plus grand angle, & s’y peint réellement plus grande. Voyez Prunelle & Vision.

On peut répondre à cela que malgré cette dilatation de la prunelle causée par l’obscurité, si l’on regarde la lune avec un petit tuyau de papier, on la verra plus petite à l’horison. Pour trouver donc quelque autre raison d’un phénomène si singulier, le p. Gouye conjecture que quand la lune est à l’horison, le voisinage de la terre & les vapeurs plus épaisses dont cet astre est alors enveloppé à notre égard, font le même effet qu’une muraille placée derriere une colonne, qui paroît alors plus grosse que si elle étoit isolée & environnée de toutes parts d’un air éclairé ; de plus, une colonne, si elle est cannelée, paroit plus grosse que quand elle ne l’est pas, parce que les cannelures, dit-il, sont autant d’objets particuliers, qui par leur multitude donnent lieu d’imaginer que l’objet total qu’ils composent, est d’un plus grand volume. Il en est de même à-peu-près, selon cet auteur, de tous les objets répandus sur la partie de l’horison à laquelle la lune correspond quand elle en est proche ; & de-là vient qu’elle paroît beaucoup plus grande lorsqu’elle se leve derriere des arbres dont les intervalles plus serrés & plus marqués font presque la même chose sur le diametre apparent de cette planete qu’un plus grand nombre de cannelures sur le fut d’une colonne.

Le p. Malebranche explique ce phénomène à peu-près comme Descartes, excepté qu’il y joint de plus, d’après Alhazen, l’apparence de la voûte céleste que nous jugeons applatie ; ainsi, selon ce pere, nous voyons la lune plus grande à l’horison, parce que nous la jugeons plus éloignée, & nous la jugeons plus éloignée par deux raisons : 1°. à cause que la voûte du ciel nous paroît applatie, & son extrémité horisontale beaucoup plus éloignée de nous que son extrémité verticale : 2°. à cause que les objets terrestres interposés entre la lune & nous, lorsqu’elle est à l’horison, nous font juger la distance de cet astre plus grande.

Voilà le précis des principales opinions des philosophes sur ce phénomène ; il faut avouer qu’il reste encore sur chacune des difficultés à lever.

IV. La figure des objets visibles s’estime principalement par l’opinion que l’on a de la situation de leurs différentes parties.

Cette opinion, ou si l’on veut, cette connoissance de la situation des différentes parties d’un objet met l’ame en état d’appercevoir la forme d’un objet extérieur avec beaucoup plus de justesse que si elle en jugeoit par la figure de l’image de l’objet tracée dans la rétine, les images étant fort souvent elliptiques & oblongues, quand les objets qu’elles représentent, sont véritablement des cercles, des quarrés, &c.

Voici maintenant les lois de la vision par rapport aux figures des objets visibles.

1°. Si le centre de la prunelle est exactement vis-à-vis, ou dans la direction d’une ligne droite, cette ligne ne paroîtra que comme un point.

2°. Si l’œil est placé dans le plan d’une surface ; de maniere qu’il n’y ait qu’une ligne du périmetre qui puisse former son image dans la rétine, cette surface paroîtra comme une ligne.

3°. Si un corps est opposé directement à l’œil, de maniere qu’il ne puisse recevoir des rayons que d’un plan de la surface, ce corps aura l’apparence d’une surface.

4°. Un arc éloigné vu par un œil qui est dans le même plan, n’aura l’apparence que d’une ligne droite.

5°. Une sphere vue à quelque distance paroît comme un cercle.

6°. Les figures angulaires paroissent rondes dans un certain éloignement.

7°. Si l’œil regarde obliquement le centre d’une figure réguliere ou d’un cercle fort éloigné, le cercle paroitra ovale, &c.

V. On apperçoit le nombre des objets visibles, non-seulement par une ou plusieurs images qui se forment au fond de l’œil, mais encore par une certaine situation ou disposition de ces parties du cerveau d’où les nerfs optiques prennent leur origine, situation à laquelle l’ame s’est accoutumée, en faisant attention aux objets simples ou multiples.

Ainsi quand l’un des yeux ne conserve plus son juste parallelisme avec l’autre œil, comme il arrive en le pressant avec le doigt, &c. les objets paroissent doubles, &c. mais quand les yeux sont dans le parallélisme convenable, l’objet paroît unique, quoiqu’il y ait véritablement deux images dans le fond des deux yeux. De plus, un objet peut paroître double, ou même multiple, non-seulement avec les deux yeux, mais même en ne tenant qu’un seul ce l ouvert, lorsque le point commun de concours des cônes de rayons réfléchis de l’objet à l’œil n’atteint pas la rétine, ou tombe beaucoup au-delà.

VI. On apperçoit le mouvement & le repos, quand les images des objets représentés dans l’œil se meuvent ou sont en repos ; & l’ame apperçoit ces images en mouvement ou en repos, en comparant l’image en mouvement avec une autre image, par rapport à laquelle la premiere change de place, ou bien par la situation de l’œil qui change continuellement, lorsqu’il est dirigé à un objet en mouvement ; de maniere que l’ame ne juge du mouvement qu’en appercevant les images des objets dans différentes places & différentes situations : ces changemens ne peuvent même se faire sentir sans un certain intervalle de tems ; ensorte que pour s’appercevoir d’un mouvement, il est besoin d’un tems sensible. Mais on juge du repos par la perception de l’image dans le même endroit de la rétine & de la même situation pendant un tems sensible.

C’est la raison pourquoi les corps qui se meuvent excessivement vite, paroissent en repos ; ainsi, en faisant tourner très-rapidement un charbon, on apperçoit un cercle de feu continu, parce que ce mouvement s’exécute dans un tems trop court pour que l’ame puisse s’en appercevoir ; tellement que dans l’intervalle de tems nécessaire à l’ame pour juger d’un changement de situation de l’image sur la rétine, l’objet a fait son tour entier, & est revenu à sa premiere place. En un mot, l’impression que fait l’objet sur l’œil lorsqu’il est dans un certain endroit de son cercle, subsiste pendant le tems très-court que l’objet met à parcourir ce cercle, & l’objet est vu par cette raison dans tous les points du cercle à la fois.

Lois de la vision par rapport au mouvement des objets visibles. 1°. Si deux objets à des distances inégales de l’œil, mais fort grandes, s’en éloignent avec des vitesses égales, le plus éloigné paroîtra se mouvoir plus lentement ; ou si leurs vitesses sont proportionnelles à leurs distances, ils paroîtront avoir un mouvement égal.

2°. Si deux objets inégalement éloignés de l’œil, mais à de grandes distances, se meuvent dans la même direction avec des vitesses inégales, leurs vitesses apparentes seront en raison composée de la raison directe de leur vitesse vraie, & de la raison réciproque de leurs distances à l’œil.

3°. Un objet visible qui se meut avec une vitesse quelconque, paroît en repos, si l’espace décrit par cet objet dans l’intervalle d’une seconde, est imperceptible à la distance où l’œil est placé. C’est pourquoi les objets fort proches qui se meuvent très-lentement, telle que l’aiguille d’une montre, ou les objets fort éloignés qui se meuvent très-vite, comme une planete, paroissent être dans un repos parfait. On s’apperçoit à la vérité au bout d’un certain tems que ces corps se sont mus ; mais on n’apperçoit point leur mouvement.

4°. Un objet qui se meut avec un degré quelconque de vitesse, paroît en repos, si l’espace qu’il parcourt dans une seconde de tems, est à la distance de l’œil, comme 1 est à 1400, ou même comme 1 est à 1300.

5°. Si l’œil s’avance directement d’un endroit à un autre, sans que l’ame s’apperçoive de son mouvement, un objet latéral à droite ou à gauche paroîtra se mouvoir en sens contraire. C’est pour cette raison que quand on est dans un bateau en mouvement, le rivage paroît se mouvoir. Ainsi nous attribuons aux corps célestes des mouvemens qui appartiennent réellement à la terre que nous habitons, à-peu-près comme lorsqu’on se trouve sur une riviere dans un grand bateau qui se meut avec beaucoup d’uniformire & sans secousses ; on croit alors voir les rivages & tous les lieux d’alentour se mouvoir & fuir, pour ainsi dire, en sens contraire à celui dans lequel le bareau se meut, & avec une vitesse égale à celle du bateau. C’est en effet une regle générale d’optique, que quand l’œil est mu sans qu’il s’apperçoive de son mouvement, il transporte ce mouvement aux corps extérieurs, & juge qu’ils se meuvent en sens contraire, quoique ces objets soient en repos. C’est pourquoi si les anciens astronomes avoient voulu admettre le mouvement de la terre, ils se seroient épargné bien des peines pour expliquer les apparences des mouvemens célestes.

6°. Dans la même supposition, si l’œil & l’objet se meuvent tous deux sur la même ligne, mais que le mouvement de l’œil soit plus rapide que celui de l’objet, celui-ci paroîtra se mouvoir en arriere.

7°. Si deux ou plusieurs objets éloignés se meuvent avec une égale vitesse, & qu’un troisieme demeure en repos ; les objets en mouvement paroîtront fixes, & celui qui est en repos, paroîtra se mouvoir en sens contraire. Ainsi quand les nuages sont emportés rapidement, & que leurs parties paroissent toujours conserver entr’elles leur même situation, il semble que la lune va en sens contraire. Wolf & Chambers.

Horison visible, voyez Horison.

Especes visibles, voyez Especes.